Château de la Marquise

En mai 1882 a lieu, sous l’égide de Maître Aimé Vahé, notaire à Roubaix, la vente par adjudication, en trois lots, d’une « magnifique campagne, belle futaie, bois, pièces d’eau », d’environ 15 hectares, dans la commune d’Hem, sur le Pavé de Roubaix à l’Hempempont (actuelle rue de la Tribonnerie), avec entrée sur la route départementale de Lille à Lannoy (actuelle rue Leclerc) et entrée avec conciergerie sur le sentier de Hem (actuelle rue de Beaumont).

Vente du domaine par adjudication en 1882 (Documents Historihem)

En 1896, le maire de Hem, Henri Désiré Joseph Leuridan, marie Mathilde Pollet, fille d’un riche cultivateur hémois à un aristocrate normand, Eugéne Marie Gaston d’Auray de Saint-Pois. Les époux s’établissent sur le domaine vendu à la famille Pollet 14 ans plus tôt, qui sera donc dès lors connu familièrement de la population sous le nom de Château de la Marquise, alors qu’aucun château n’y sera jamais construit.

Photo d’Henri Leuridan et mariage de Mathilde Pollet vu en bande dessinée (Document Au temps d’Hem)

Le château de la famille de Saint-Pois est en réalité une demeure du XVIII ème siècle qui se situe sur la commune de Saint-Pois, dans la Manche, en Normandie. Le domaine y appartient à la famille du Marquis depuis le Moyen-Age. Le château y est reconstruit, après destruction, en forme de fer à cheval, l’aile nord abritant les cuisines et les autres ailes un décor raffiné. Le marquis ne vient à Hem que quelques fois par an pour y chasser le lapin et le faisan. Mais le parc est toujours impeccablement entretenu et fleuri, les étangs empoissonnés et les pâtures louées aux fermiers voisins.

Le château familial à Saint-Pois et le blason de la famille (Document Wikimanche et Man8rove)

Dans le domaine de Hem, la partie haute, plantée d’arbres et de pelouses, est agrémentée de trois pièces d’eau. Plus bas on trouve un petit bois de chênes magnifiques puis des prairies. Côté Est, est planté un verger et côté nord l’habitation du jardinier chef donne sur un grand potager et des serres chauffées. Un pigeonnier domine l’ensemble et 2 conciergeries assurent la surveillance de la propriété, l’une à l’entrée nord et l’autre à l’entrée sud.

Le bois et les bords du lac et le pont au dessus du plan d’eau (Documents collection privée)
La conciergerie côté nord et la glacière située dans le parc (Documents Historihem)

La demeure des châtelains, à Hem, est en fait un relais de chasse à un étage, sans style particulier, situé le long du pavé de Roubaix à Hempempont. Mathilde Pollet qui ne serait pas en très bons termes avec le propriétaire du château sis dans le quartier de la Lionderie souhaite quant à elle que sa propriété soit appelée « Château de la Lionderie », comme le démontre l’enveloppe qui lui est personnellement adressée, et la série de cartes postales qui lui sont consacrées porte d’ailleurs cette appellation.

Enveloppe adressée à la Marquise au Château de la Lionderie (Document collection privée)
Le Château de la Lionderie en hiver et en été (Documents collection privée)

La marquise est réputée pour avoir du caractère et la bande dessinée Au temps d’Hem illustre avec humour cet aspect de sa personnalité dans un dialogue imaginaire avec le tenancier du café Au bon coin, situé au coin de la rue de Saint-Amand (aujourd’hui rue du Docteur Coubronne) et de la rue Jules Ferry, sur son chemin pour aller à l’église Saint-Corneille.

Illustration humoristique du caractère de Mme la Marquise (Document Au temps d’Hem)

Mathilde Pollet n’a pas que des amis sur Hem et tente d’agrandir toujours plus son domaine ceint d’un mur sur une grande partie de sa surface. Ainsi en est-il de ses relations avec le fermier Louis Jonville qui refuse de lui vendre une parcelle qui lui manque et sur laquelle sera érigée la propriété de la famille Declercq (sur le sujet voir un précédent article sur notre site intitulé : Famille Declercq, 28 rue de la Tribonnerie).

Le Château côté rue et la ferme du domaine (Documents Historihem)
CPA de l’intérieur du château (Documents Historihem)

Pendant la première guerre mondiale l’ennemi occupe les différents châteaux de Hem et le domaine de la Marquise n’échappe pas à la règle, comme le démontrent ces cartes photos prises durant l’été et l’hiver 1917. La propriété ne subit à priori pas de dommages essentiels et la Marquise continue à l’habiter après guerre.

Le château pendant la première guerre (Documents collection privée)

Au début de la deuxième guerre mondiale les anglais ont leur point de ralliement au château de la Marquise dont le nom de code, pour permettre aux estafettes anglaises de se diriger, est « green shutters » : les volets verts. Les deux fermes voisines : Leplat et Jonville, sont les « twin farms » : les fermes jumelles. L’Etat-major se trouve sur le territoire d’Anappes au Château de Montalembert.

Puis, sous l’occupation allemande, le parc du Château et celui du château Olivier deviennent un dépôt de munitions : le plus important du Nord. Des bases anti-aériennes sont installées autour des deux châteaux et la commune d’Hem devient un point de traversée. Les véhicules allemands du Nord Pas-de-Calais et même de Belgique viennent s’y approvisionner en munitions, lesquelles sont empilées à hauteur de maison tous les 100 mètres. Ces 2 dépôts sont un point vital pour l’ennemi qui les fait garder par des civils français : 30 hommes le jour et 50 la nuit.

Tous les transports sont effectués de nuit par camion. De jour les munitions sont rangées et camouflées. Les travaux sont exécutés par des ouvriers civils de la région, amenés par camions militaires : de 20 à 30 hommes par domaine.

Le message de Radio Londres après le débarquement (Document Au temps d’Hem)

Au printemps 1944, il ne reste plus qu’un officier qui commande, un Feldwebel, et quatre soldats dans chacune des propriétés. Ils logent dans des maisons réquisitionnées sur le boulevard Clémenceau. Ils effectuent des tours de garde, les clôtures des châteaux sont renforcées de barbelés et les grilles obscurcies par des planches. La rue de la Tribonnerie est interdite au trafic.

Les munitions entreposées sont toutes désamorcées, c’est à dire détonateurs et fusées stockées séparément. Il s’agit de munitions classiques de tous calibres depuis la balle de fusil jusqu’à la torpille marine, en passant par toute la gamme des obus. Les munitions légères (balles) sont entreposées dans les caves du relais de chasse et des dépendances de la Marquise tandis que les plus gros calibres se trouvent au château Olivier.

D’ autres explosifs délicats se trouvent dans des hangars légers en bois montés sur les pelouses et camouflés. La plus grande masse est empilée au pied des grands arbres. Certains tas d’obus reposent dans des fosses profondes de 0,50 m environ, protégées de talus et camouflées de bâches. L’ensemble représente une masse explosive considérable.

Après le débarquement, Radio Londres diffuse un message : « Lorsque les oliviers fleuriront, la marquise dansera ». Lors de la libération de Paris en Aout 1944, les allemands s’apprêtent à quitter Hem. L’officier allemand commandant la place prévient le maire qu’il va faire sauter l’ensemble le 3 septembre et qu’il faut évacuer les habitants. Fin Aout des bombardiers américains survolent les 2 domaines et c’est la panique mais aucune bombe n’est larguée.

La police française sillonne les rues (Document Au temps d’Hem)

Le 2 septembre au petit matin les hémois sont prévenus, par la police française qui sillonne les rues avec des automobiles à haut parleur, que les dépôts vont sauter ensemble à 13h. Les allemands improvisent un amorçage de secours et le dispositif de mise à feu électrique est remplacé par un cordon enflammé, suite aux tentatives de sabotage de la résistance hémoise, lesquelles ont ainsi évité par la coupure du courant une déflagration générale destinée à détruire la ville.

A 16 heures les allemands quittent les châteaux et moins d’une heure plus tard de formidables explosions retentissent. C’est comme un tremblement de terre suivi d’un tintamarre épouvantable : vitres et tuiles volent en éclats dans une bonne partie de la ville. Une fumée noire monte en volutes épaisses jusqu’à plus de 200m de haut. Autour des dépôts des projectiles retombent : obus, terre, briques, tuiles, branches…

L’explosion provoquée par les allemands et l’arrivée des anglais à Hem (Document Au temps d’Hem)

Les explosions se succèdent durant toute la nuit car tous les stocks ne sautent pas en même temps et la mise à feu se fait de proche en proche. Le 3 septembre au matin, l’enfer se calme et aucun blessé ou disparu n’est à signaler parmi la population estimée à 10.000 habitants. Seul un soldat allemand est retrouvé mort au Château Olivier, peut-être un artificier. Les parcs sont bouleversés : arbres déchiquetés, sol retourné. A la Marquise seules crépitent encore les balles dans les caves.

Les curieux affluent alors sur les lieux malgré le danger puisque 2/3 des stocks de munitions sont à priori toujours intacts, à la recherche d’armes ou de nourriture. S’ils n’en trouvent pas le pillage d’outils, de cuivre, voire même de portes commence. Le lendemain, quelques petites explosions reprennent à la Marquise puis le surlendemain très brutalement une grosse déflagration retentit et cette fois c’est le drame et 5 morts sont relevés. C’est seulement ensuite que les châteaux sont à nouveau gardés jour et nuit par les FFI.

Après la fuite des allemands vers la Belgique, au retour des anglais, les services de déminage français et anglais se mettent au travail pour désamorcer des milliers d’obus éparpillés ça et là ainsi qu’une trentaine de mines découvertes au milieu des caisses de munitions. Le sol sera ensuite nivelé par des bulldozers et de nombreux engins enterrés remontent périodiquement. Le ramassage de cuivre se poursuit durant plus de 10 ans et régulièrement de petites explosions dues à des feux d’herbes et branches se reproduisent longtemps après la fin de la guerre.

Le relais de chasse après les explosions de septembre 1944 (Documents collection privée et Historihem)

Remerciements à l’association Historihem ainsi qu’à André Camion pour son livre co-écrit avec Jacquy Delaporte Hem d’hier et d’aujourd’hui ainsi qu’à Jacquy Delaporte, Christian Teel et Chantal Guillaume pour leur bande dessinée Au temps d’Hem et enfin à Jean-Louis Denis pour sa contribution.

A suivre…

Ecole Pasteur (Suite)

Mais bientôt éclate la 2ème guerre mondiale avec ses restrictions. L’école du Centre reste donc à 3 classes. Les écoles bénéficient heureusement du charbon gratuit au prorata du nombre d’élèves : un grand poêle en tôle trône au milieu de la classe et une grosse buse la traverse pour rejoindre le conduit de cheminée au travers du mur du fond. Les élèves assis près du feu se plaignent parfois d’avoir trop chaud alors que les plus éloignés se réchauffent difficilement.

A la fin de la guerre c’est la libération mais l’explosion des dépôts de munitions situés au « Château de la marquise » endommage tout le quartier alentour et l’école Pasteur est sinistrée à 100% au point qu’il faut procéder à sa reconstruction. La directrice est logée rue Victor Hugo et à la rentrée scolaire suivante, au vu de l’effectif grandissant, une classe de l’école Pasteur est agrandie du volume de la pièce voisine par abattage du mur de séparation. Par ailleurs une femme de service est affectée dans chacune des classes enfantines.

Photos de classe de l’école après guerre en 1945 et 1948 (Document Historihem)

En 1950, une école maternelle est en projet dans la rue du Maréchal Foch. Dans l’attente de sa réalisation, et la population scolaire augmentant sans cesse, il s’avère indispensable de dédoubler la classe enfantine de l’école Pasteur. Par mesure d’économie celle-ci est installée dans une classe inutilisée de l’école Victor Hugo, place de la République, pour la rentrée de 1951.

Les photos de classe des années 1950 à l’école Pasteur permettent de voir encore toutes les élèves de l’école alignées avec un beau nœud dans les cheveux. En juillet 1952, l’école célèbre la fête nationale et les élèves font entendre leur répertoire de chants appris durant l’année scolaire avant de quitter l’école en chantant « Gai, gai l’écolier, c’est demain les vacances ».

Photos de classe de l’école en 1950 et 1952 (Documents Historihem)

Déjà juste après guerre, le conseil municipal a prévu la construction d’un groupe scolaire complet : école de garçons, école de filles, école maternelle, cantine scolaire, dans la propriété convoitée du Château de la Marquise qui s’étend entre la rue du Général Leclerc et la rue de Beaumont. Les projets étant finalement lancés en 1957, 10 ans plus tard l’école Pasteur est désaffectée tout comme l’école Victor Hugo.

L’Inspection académique envisageant l’ouverture à Hem d’une annexe mixte du Lycée de garçons de Roubaix, comprenant 2 classes de 6ème et 2 de 5ème, des visites des locaux désaffectés de ces 2 écoles sont organisées en 1959 pour y envisager une concrétisation du projet mais le proviseur décide finalement de surseoir à cette création.

Dans les années 1960, une petite cité est construite juste à côté de la place de la République et, pour en assurer l’accès à partir de la place, une nouvelle rue doit être ouverte face à l’église Saint-Corneille. Pour ce faire il faut détruire le bâtiment qui abrite le garage des sapeurs-pompiers. Les pompiers doivent provisoirement remiser leurs véhicules dans l’ancienne école de filles d’Hem Bifur, l’école Pasteur, dont les locaux sont réaménagés pour la circonstance. (Voir sur notre site un précédent article intitulé Les Pompiers de Hem).

Photos panoramiques des années 1962, 1971 et 1976 (Documents IGN)

En janvier 1969, la presse locale titre : la vieille école Pasteur est appelée à disparaître. Le matériel de lutte contre l’incendie ayant été cédé à la communauté urbaine et le corps de sapeurs-pompiers dissous, et un nouveau garage municipal ayant été construit aux abords de la place de la République, le bâtiment vétuste ne doit pas tarder à faire place à un square ou une nouvelle construction.

La vieille école est appelée à disparaître (Document Nord-Eclair)

La vieille école Pasteur qui apparaît encore sur les photos panoramiques du début des années 1970 n’est plus là sur celle d’avril 1976. Elle a donc été démolie au cours des 5 premières années de la décennie 1970 pour faire place à un parking sur lequel s’est installée pendant quelques temps la friterie DUDU, dans les années 1980-1990. Dans le mémento public de Hem en 1979, les écoles portant les noms de Pasteur et Victor Hugo sont intégrées au groupe scolaire du Centre rue de Beaumont, avec entrée par la mairie.

Friterie « Dudu » sur le parking et publicités de celle-ci (Documents collection privée)

Apparaissait encore dans les années 2000 une niche dans ce qui restait du mur d’enceinte côté parking, à l’entrée de la rue Jules Guesde, pouvant rappeler un endroit où se trouvait peut-être une statue religieuse du temps de l’école Pasteur, dernier vestige d’un bâtiment ayant abrité pendant plus d’un siècle une école de filles.

la niche dans le mur (Document collection privée)

A ce jour les photographies ne permettent plus de deviner qu’une école a un jour existé à Hem Bifur et la friterie des années 1990 a laissé place à un parking totalement libéré pour accueillir le plus de voitures possible.

L’ancien emplacement de l’école et la vue aérienne de 2022 (Documents Google Maps)

Remerciements à l’association Historihem, André Camion et Jacquy Delaporte pour leurs ouvrages Hem d’hier et d’aujourd’hui , et plus précisément à Jacquy Delaporte pour son ouvrage de 1981 : de la maison d’école aux 16 écoles publiques de la Ville de Hem

Teinturerie Gabert (Suite)

Après l’appel à la résistance du Général de Gaulle, une poignée de hémois et hémoises s’engage dans la résistance. Parmi eux se trouve un dénommé René Thomas, syndicaliste convaincu et ouvrier chez Gabert. Domicilié impasse Vandemeulebrouck (dans la rue Jules Guesde), il participe à la structuration d’un réseau et devient l’âme de la résistance avec le Dr Trinquet.

Les tâches du réseau sont multiples : compter les camions de ravitaillement, les camions d’essence, les avions, voir quel bâtiment vient d’être abandonné par étirement des troupes allemandes, reconnaître les barrages antichars, comme celui situé entre l’usine Duprez et le passage à niveau de la Briqueterie et fait de rails sortant de terre de 60 cm à 1,20 m.

René se dépense sans compter, à ses frais, pour les réfractaires d’Hem. Il se montre d’un dévouement et d’un courage sans faille en participant à des actes de résistance pure, tels que le sabotage de la voie ferrée Lille-Bruxelles, sur les territoires voisins de Hem et en diffusant des tracts par voie d’air.

Il est malheureusement arrêté sur dénonciation et subit de longues séances de torture par la Gestapo à La Madeleine. Pendant 90 jours il est au secret, enchaîné, blessé, laissé sans soins mais ne parle pas. Sa femme donne le jour à leur fille pendant son emprisonnement. Puis il est déporté en Allemagne en forteresse d’abord puis en camp de concentration. Il n’en reviendra pas…

Les ouvriers de chez Gabert avant1939 : à droite, tête nue, René Thomas (Document Historihem)

Après-guerre l’usine reprend son activité et de nombreuses femmes y sont employées en tant que préparatrices en écheveaux, ces assemblages de fils repliés et réunis par un fil de liage. Sur la photo ci-dessous au 1er plan c’est Mlle Decottignies qui restera la dernière ouvrière de l’usine à sa fermeture 40 ans plus tard.

Les préparatrices en écheveaux avec Mlle Decottignies au 1er plan et la même 40 ans plus tard (Document Hem 1000 ans d’histoire)

L’entreprise poursuit son activité sans problème apparent durant les 30 années qui suivent. Entre 1950 et 1960, elle emploie jusqu’à 300 personnes et connaît son apogée pendant cette décennie.

Le bulletin de paie d’un salarié en 1957 (Document collection privée)

En 1971, il devient nécessaire de recimenter, recercler et rejointoyer la cheminée haute de 40 mètres après plus d’un siècle d’existence. C’est une entreprise de la région parisienne qui se charge de cette œuvre de haute voltige pour laquelle il faut non seulement n’avoir pas le vertige mais également ne pas craindre la température des fumées de 150 à 180 degrés à la sortie de la cheminée.

Photo aérienne de l’entreprise et du château Gabert en 1971 (Document IGN)
La réparation de la cheminée en 1971 (Document Nord-Eclair)

En 1975, la société, alors dirigée par l’arrière petit fils du fondateur Philippe Gabert et son frère Jacques, fête le départ en retraite de 2 cadres qui y ont travaillé pendant 40 ans : Jean Hotot, responsable des ateliers de bobinage, et Jean Vanhamme, responsable de la teinturerie sur bobine. La société emploie alors encore 270 personnes. Philippe Gabert se félicite dans son discours du fait que le plein emploi a pu être assuré pendant toute la durée de l’année précédente.

2 départs en retraite de cadres de l’usine en 1975 (Document Nord-Eclair)

Malheureusement les années 1980 sonnent le glas de l’entreprise qui n’arrive plus à faire face économiquement après avoir dû déposer le bilan en 1977. Ainsi, alors qu’elle se trouve en concordat depuis, elle ne peut faire face à l’échéance concordataire de juin 1982.

C’est alors que le conseil municipal à l’unanimité décide le rachat des terrains et des bâtiments au moyen d’un emprunt. Le but est clair : l’entreprise devient locataire et peut relancer activité et investissements afin de sauvegarder l’emploi, tandis que la municipalité paye capitaux et intérêts de l’emprunt grâce au loyer versé.

L’entreprise Gabert se rapproche en parallèle du groupe Leblan par l’intermédiaire duquel elle devrait trouver des commandes. Pour atteindre le seuil de rentabilité il lui faut en effet assurer une charge de production de 100 tonnes par mois, résultat envisageable uniquement grâce à une modernisation de son outil de production et à la conquête d’une nouvelle clientèle. Pourtant la situation continue à empirer jusqu’à la fermeture.

L’usine en1982 (Document Nord-Eclair)

Deux ans plus tard l’usine n’emploie plus qu’une dizaine de salariés même si elle fait encore travailler à façon le personnel d’autres entreprises. Le tribunal de commerce prononce alors la liquidation des biens de la société qui, dès lors, semble condamnée à fermer définitivement ses portes.

Et en avril 1987, c’est le dernier acte, et la mairie est forcée de constater la vétusté des lieux et de décider la démolition des bâtiments (sauf un atelier et des entrepôts) construits sur 22.000 mètres carrés, y compris la mythique cheminée. Il est alors question que Kiabi y installe ses services centraux mais c’est finalement rue du Calvaire, face à la briqueterie d’Hem que cette installation aura lieu.

L’agonie d’un géant ainsi que titre le journal Nord-Eclair : les ateliers et la cheminée lors de la destruction (Document Historihem)
La cheminée Gabert tombe en 1987 (Document Au temps d’Hem)

Photo aérienne de Meillasoux et Mulaton et du terrain de l’usine Gabert après démolition.

En 1990, le réaménagement du site Gabert est décidé avec l’implantation d’un lotissement abritant des petites et moyennes entreprises accueillies sur des terrains de 1200 à 3500 mètres carrés. Cette zone d’activité est financée par un gros investissement communal, par une subvention du FEDER (Fonds Européen de Développement Régional) pour l’aménagement des friches industrielles et le solde par un emprunt qui devrait être remboursé au moyen des recettes fiscales apportées par les entreprises installées sur le site.

La friche Gabert en gros plan avec le château après la démolition puis 10 ans plus tard (Documents Historihem)
Entrepôts transformés en loft en 2008 (Document Historihem)

30 ans plus tard, soit plus d’un siècle et demi après la naissance de l’entreprise, le site Gabert a laissé place à la zone d’activités prévue et délimitée par une allée ayant reçu le nom de Gabert, au n°6 de laquelle on retrouve l’ancien château Gabert joliment restauré.

Photo aérienne de la zone en 2022 (Document Google Maps)
Le château en cours de restauration puis actuellement au milieu de la nouvelle zone d’activité (Document Historihem et Google Maps)

Remerciements à Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leur ouvrage Hem d’hier et d’aujourd’hui et à ce dernier pour son ouvrage Hem 1000 ans d’histoire.

Teinturerie Declercq

Les industriels s’installent plutôt dans la seconde moitié du 19éme siècle dans le village de Hem qui auparavant restait à vocation agricole. Deux brasseries et une distillerie sont les premières industries répertoriées sur Hem dont celle de Mr Louis Vandenbogaert, originaire de Tournai en Belgique, lequel est d’ailleurs maire du village durant quelques temps de 1812 à 1816.

Napoléon III, qui souhaite concurrencer l’Angleterre incite à l’implantation d’industries dans le Nord de la France et c’est dans ce cadre que Napoléon Paul, né en 1835, et Armand Alphonse Victor De Clercq, né en 1837, qui franciseront ensuite leur nom en Declercq, originaires de Renaix (Belgique) décident de monter une entreprise le long de la Marque à Hem.

A cet effet tous deux reprennent une brasserie qui faisait faillite au 185 rue de Lille (actuelle rue du Général Leclerc) et y créent une usine textile de teinturerie et d’apprêts en 1857. Ils ont épousé 2 sœurs Céline et Flore Roussel dont le frère est un entrepreneur roubaisien du textile de la rue de l’Epeule : Emile Roussel. Puis Victor, qui ne s’épanouit pas dans cette activité laisse l’entreprise à son frère et se consacre à une activité de brasseur.

CPA de la rue de Lille à son extrémité avec l’usine, vue vers Hempempont et vue depuis Hempempont (Documents collection privée)
Photo de Napoléon Paul (Documents famille Declercq)

Malheureusement la teinturerie de Napoléon Paul périclite et il doit emprunter à son beau-frère Emile Roussel pour remonter l’entreprise. Ce sont ses fils, Paul Alexandre et Oswald Paul né en 1872 , repreneurs de la teinturerie qui, après la mort en 1898 de Napoléon Paul, remboursent son beau-frère, ayant travaillé avec acharnement pour redresser l’entreprise et gagner la somme nécessaire.

Quant à Victor qui a lui aussi emprunté à Emile de quoi monter sa brasserie en 1895 il en fait une affaire florissante qui lui permet de placer ses enfants. Pourtant par la suite, avec l’arrivée des coopératives, l’entreprise périclite à son tour et ce sont les fonds garantis par diverses propriétés sur Hem et les cabarets appartenant à la brasserie qui permettent le remboursement de l’emprunt.

Photo d’Oswald, fils de Napoléon Paul (Document famille Declercq)

En 1893, Paul Declercq fils est répertorié comme teinturier dans le Moniteur de la Bonneterie et du Tricot. Par la suite avec l’arrivée du charbon, l’usine se voit adjoindre une grande cheminée, comme en atteste encore la date figurant sur la cheminée en briques : 1899.

Afin d’en faire une affaire florissante les 2 frères décident alors de se concentrer sur l’apprêt soit le traitement de finition après le tissage, permettant de donner au produit son aspect final, qui consiste en la modification des fibres textiles par le biais d’une action chimique, telle qu’une teinture.

A cette époque les eaux de la teinturerie se déversent journellement dans la Marque « sans avoir été traitées au lait de chaux ni décantées » et les eaux restent noires et infectes. Elles stagnent et des détritus de toutes sortes y surnagent. Le voisinage se plaint d’autant qu’il émane de la rivière des odeurs nauséabondes, et le danger représenté pour la santé publique est pointé du doigt. Cette prise de conscience va entraîner l’installation de bassins de décantation.

CPA de l’usine située à l’Hempempont face au café de la Renaissance (Documents collection privée)
Enveloppe à en-tête de Declercq Frères (Document famille Declercq)

L’usine est constituée d’un atelier de fabrication en rez-de-chaussée aux murs de brique, couvert d’un toit à longs pans brisés recouvert de tuiles flamandes. Les bureaux fonctionnent sur 2 étages carrés, avec murs de brique, pierre et béton armé. Le bâtiment les abritant possède une terrasse et un toit en pavillon couvert en ardoises.

Les bureaux sont installés dans un bâtiment faisant le coin de la rue de Lille et de la rue de Croix, qui abritait auparavant le bureau de péage du pont de la marque. Ce pont en bois et très étroit à la fin du 19ème siècle, est d’une grande importance pour la liaison Lille-Lannoy, tant pour le commerce que pour l’armée. Il est alors surveillé par les policiers du commerce extérieur (douaniers).

Sans ces péages dédiés aux routes, la presque totalité des ponts et autres ouvrages destinés à franchir les passages difficiles, qui furent construits en France jusqu’au dix-septième n’auraient en effet pas existé et, après la construction, il fallait entretenir, réparer et surtout reconstruire.

Pont d’ Hempempont (Document BD Au Temps d’Hem)

En avril 1904, des grèves éclatent pour réclamer la journée de 10h. Le journal politique quotidien La Lanterne relate que le comité de grève roubaisien ne peut que constater l’insuccès de ses négociations avec le patronat et convie les ouvriers à nommer dans chaque usine des délégations appelées à négocier avec leur patron. Ce même journal déclare qu’à l’usine d’apprêt Declercq le personnel était au complet la veille alors même que 11 teintureries roubaisiennes sur les 43 sont en grève. En 1908, la teinturerie est récompensée d’un grand prix dans la catégorie fils et tissus laine à l’exposition franco-britannique de Londres, section française.

Jusqu’en 1910, d’autres teinturiers apprêteurs s’installent le long de la Marque, tant et si bien que l’eau de celle-ci ne va plus suffire et qu’il va falloir utiliser des forages atteignant une centaine de mètres de profondeur pour approvisionner les usines en eau.

Facture de 1911 (Document Historihem)

A la veille de la première guerre mondiale, les ouvriers des 3 teintureries et des 2 usines d’apprêt de la ville prennent le tram ou le vélo pour se rendre au travail. Les gens de la ville viennent le dimanche à Hempempont, par le tramway pour manger des anguilles à l’Auberge juste en face de la teinturerie Declercq.

Les tramways d’Hem ont même leur chanson :

« Vous voulez aller en ville

c’est l’heure d’aller travailler

il n’y a rien d’plus facile

vous allez chercher le tramway.

Faut jamais s’en faire pour l’heure,

on peut prendre tout son temps,

comme y en a tout’s les demi-heures,

quand on l’rate, on a l’suivant

Ah ! C’qu’on est bien

su l’fameux tramway d’Hem…e

La Compagnie nous protège

elle n’veut pas nous éreinter

elle nous donn’ quand il n’y a pas d’neige

deux et parfois un tramway.

Les deux sont toujours en route

à moins d’panne évidemment

pour l’abonné y a pas de doute

c’est un système épatant

Ah ! C’qu’on est bien

su l’tramway du pat’lin ! »

CPA arrêt du tramway à l’Hempempont (Documents collection privée)

Lorsque l’occupation commence en Octobre 1914, la commune, comme toutes les autres est soumise à des vexations journalières et un pillage méthodique qui fait le vide aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Des hommes sont arrêtés pour constituer des bataillons de travailleurs forcés, lesquels sont envoyés travailler en Allemagne.

La commune doit également subvenir au logement, au bien-être et à la nourriture de l’ennemi. Au début de 1915, la maladie s’installe dans quelques foyers telle le typhus et le maire doit faire procéder à la désinfection des maisons. A la teinturerie Declercq des bains douches sont installés pour soldats. En 1918, les Allemands se retirent non sans avoir tiré quelques obus sur le pont d’Hempempont et l’avoir détruit derrière eux, ce qui amènera sa reconstruction en béton après-guerre.

Destruction du pont en 1918 (Document BD au temps d’Hem)
CPA du pont dans les années 1920 (Document collection privée)

A suivre…

Remerciements à Alain et Laurent Declercq, à la ville de Hem, l’association Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leurs ouvrages Hem d’hier et d’aujourd’hui et Jacquy Delaporte, Christian Teel et Chantal Guillaume  pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem, Paul Delsalle pour son ouvrage Histoire de la vallée de la Marque et Robert Hennart pour sa promenade en Pévèle Mélantois

Le blockhaus de la rue de Cartigny

Un blockhaus se trouve à hauteur du N° 130 de la rue de Cartigny à Roubaix , entre le cimetière et la rue d’Alger, curieusement posé, comme en équilibre sur le mur.

le blockhaus rue de Cartigny ( document BNR Daniel Labbé 1982 )

Il a été construit par les allemands au début de la seconde guerre mondiale. Les sentinelles étaient chargées de surveiller la rue, les soldats étaient équipés de mitrailleuses. Nul doute que cette casemate protégeait un lieu sensible derrière le mur, certainement un dépôt de munitions, ou le garage de véhicules militaires ou bien un atelier de réparation du matériel de défense anti-aérienne de la Luftwaffe. C’est l’une des rares constructions de la guerre 39-45 à Roubaix.

document archives municipales

En 2001, l’état du mur qui supporte le blockhaus n’est pas brillant, il y a des risques pour les piétons, et la mairie envisage de le détruire purement et simplement.

Une association est créée dont le but est de sauvegarder le blockhaus, vestige de la guerre et qui, de plus, fait partie du paysage du cimetière.

document Nord Eclair 2001

Au mois de Juin 2001, Thierry Delattre, conservateur du patrimoine de la ville, Jean-Louis Denis, membre de l’association Espace du Souvenir, Evelyne Delannay, conservateur du cimetière, Pierre Leman, membre de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) se réunissent sur place avec le propriétaire des lieux José Baptista.

document Nord Eclair 2001

L’accès au blockhaus se fait par un bâtiment industriel désaffecté. Une échelle de fer rustique et vacillante mène à la plate-forme de l’ouvrage. La construction est faite de plaques de béton. Des meurtrières offrent une vision rare des deux côtés de la rue et du cimetière.

document Nord Eclair 2001

Il faut absolument que le site soit classé au titre du patrimoine. On envisage même de le faire visiter par les roubaisiens, pour les prochaines journées du patrimoine du mois de Septembre. Certes, quelques travaux sont nécessaires : remplacer l’échelle, nettoyer l’accès, poser une porte et surtout consolider le mur du soutien…

Malheureusement deux années plus tard, la mairie décide de raser le blockhaus ! La demande de permis de démolir signée par J.F. Boudailliez le 30 Août 2003, est acceptée en Septembre pour risque de « péril ». On imagine donc que les commissions de sécurité ont estimé que le mur de soutien sur lequel est posée la casemate est trop fragile, et qu’il y a donc un risque grave d’effondrement sur le trottoir et la chaussée. Le blockhaus est démoli en fin d’année 2003.

la flèche rouge indique l’endroit où se trouvait le blockhaus ( Photo BT )

Remerciements aux archives municipales

Café Janssoone

La rue des Trois Baudets à Hem a donné son nom au quartier qui l’entoure. Au dix-septième siècle c’était un simple sentier de terre qui menait à Roubaix et ce n’est qu’au dix-neuvième siècle qu’elle apparaît avec le nom de Chemin de Hem aux trois Baudets. Au début du vingtième siècle comme l’atteste la carte postale ci-dessous elle prend le nom de Chemin des Trois Baudets.

Chemin des 3 Baudets (Document Mémoire en Images de Hem)

Elle doit son nom à la forte pente à monter en venant de Roubaix pour aller au centre de Hem. La diligence s’arrête alors au bas de la rue au lieu dit « Le pain d’or » (actuel coin des rues Jean Jaurés et Clémenceau) nom de l’estaminet qui s’y trouve et dont le propriétaire sort alors ses ânes pour aider les chevaux fatigués à monter la côte jusqu’au relais de diligence situé au coin de la rue du Bas Voisinage (actuelle rue Louis Loucheur).

3 ânes pour grimper la côte (Document Au Temps d’Hem)

A l’époque les estaminets sont déjà nombreux dans cette petite rue et aux alentours immédiats : le Pain d’Or, le Beau-Chêne, le Congo, le Chasseur Belge (devenu en 1902 le Grand Saint-Eloi), la Fosse de la Verrerie, la Gaité, l’Harmonie, le Mirliton, le Point du Jour, le Pont de Canteleu, le Plafonnier, le Saint-Louis (relais de diligence des Trois-Baudets) au coin de la rue du Bas Voisinage, le Vrai Bon vivant, la Truelle d’Or…

La rue des Trois Baudets puis rue Jean Jaurés avec le futur café Janssoone au n°96 (Document Mémoire en Images de Hem)

C’est donc vers le milieu de la rue, plus exactement au numéro 96, que, dans les années 1920, s’installe Jules Janssoone, fils de Achille Janssoone, tisserand à Roubaix, en qualité de menuisier/ébéniste et exploitant d’un café-tabac. L’établissement sert également de siège au comité local du syndicat des petits propriétaires et bénéficiaires des HBM (Habitations à bon marché) qui a pour objectif la défense de la petite propriété familiale. C’est aussi chez lui que se déroule la perception de la taxe sur le chiffre d’affaires.

Un Comité Républicain Démocrate est fondé à Hem en 1926, à l’initiative de Georges Bernard (Voir sur notre site un article sur cette personnalité intitulé Georges Bernard- La Villa Pax) au cours d’une réunion à laquelle Jules Janssoone participe et est élu membre du comité. Jules Janssoone s’implique dans la vie politique de la commune où il figure sur la liste de concentration républicaine au titre de candidat aux élections municipales de 1929, au cours desquelles il est élu.

Jules dans son atelier (Document Joffrey Janssoone)

Au début de la seconde guerre mondiale c’est l’affolement et l’évacuation de la population civile est prévue par le commandement militaire. Une commission municipale d’évacuation de la population est donc constituée à Hem comme ailleurs, dans laquelle figure Jules Janssoone. Une réunion en mairie à pour objet d’indiquer la mission de chacun de ses membres, fixer les points de groupement, des moyens de transport et des points de rassemblement de la population.

Une enquête fait ressortir 4550 personnes à évacuer, dont 408 malades et vieillards et 1635 femmes et enfants. Pour cela les industriels, agriculteurs, commerçants et particuliers peuvent mettre à disposition 2 camions de plus de 3 tonnes, 12 camions de moins de 3 tonnes, 97 camionnettes et voitures de tourisme, 18 chariots à 4 roues et 4 tombereaux.

Instantané de mémoire de Rose Gosman habitant rue Jean Jaurès (Document Historihem) : « Lundi 20 mai, tout le monde partait. Ma tante, marchande de lait au bidon, avait une voiture C4. Elle emmena ma mère, ma marraine, les parents de la marraine ; moi, j’étais assise sur le bidon d’essence, la tête baissée par le plafond de la voiture. Mon père partit en vélo…La voiture tombait constamment en panne, nous roulions au pas à cause de l’embouteillage des routes et les bougies s’encrassaient. Mon père avançait plus vite que nous en vélo ! Il demandait aux gens «  Vous n’avez pas vu une voiture avec un sac blanc sur le capot ? » Par manque de place, nous avions mis en équilibre sur le capot de la C4 un grand sac en toile blanche rempli d’effets. Nous avons été mitraillé par des avions à La Bassée. Nous avons dormi dans une ferme à Beuvry : c’est la première fois que je dormais dans du foin. »

Exemple de photos de l’exode en 1940 (Documents Wikipedia)

Pendant la guerre tout est bon à prendre pour venir en aide aux prisonniers. Ainsi des jeux sont organisés et chaque fois une recette assez rondelette est remise au comité local d’entraide. C’est dans ce cadre qu’un groupe d’amis a l’idée d’organiser une soirée chantante chez Jules Janssoone.

Le succès de la soirée dépasse toutes les espérances grâce au concours bénévole d’artistes réputés : « les Prudents » et « les Charlystes », duettistes (Personne qui chante ou qui joue d’un instrument en duo ou personne qui fait un numéro de music-hall, de cirque avec une autre) , « Raymolus » et « Marcel Eelbo », comiques, accompagnés au piano par Mlle Bauwens. Les jeux de 421 sont récompensés d’un lapin, don de Mr Balduyck et d’un filet d’Anvers, don de Mr Demaline, boucher dans la rue. Au total, la soirée permet de récolter la coquette somme de 2515,20 francs pour le comité d’entraide.

Exemple de duettistes des années 1920-1930 (Document les Amis du Louxor)

A suivre…

Une pensée pour Emilie Janssoone disparue trop tôt, en Mars 2022, alors qu’elle se faisait une joie d’apporter son témoignage.

Remerciements à Joffrey Janssoone et Patrick Debuine, à l’association Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leurs ouvrages Hem d’hier et d’aujourd’hui et Jacquy Delaporte, Christian Teel et Chantal Guillaume  pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem, à Bernard Thiebaut pour son livre : Mémoire en Images de Hem.

Henri Delecroix

C’est dans l’annuaire de 1893 que le nombre de brasseries à Hem passe de 3 à 5 avec la brasserie d’Henri Delecroix. Né en 1861, de parents cultivateurs, et de santé fragile il passe son enfance sur la côte où il fait ses études. Rentré à Hem il y crée en 1888 une brasserie dotée d’un outillage moderne qui prend rapidement de l’extension dans les environs. Installée rue du Rivage, l’entreprise prend le nom de brasserie du Rivage.

CPA de la brasserie du Rivage (Documents collection privée)
Facture de 1893 (Document Historihem)

Comme la plupart des brasseurs de l’époque Henri Delecroix est propriétaire de plusieurs estaminets sur la commune. Ainsi on peut citer le café brasserie du Rivage situé au coin de la rue du même nom, le Franc Bouleux au 244 rue de Lannoy (actuelle rue Jules Guesde), la Halte au Petit Lannoy, l’Hermitage rue Poivrée (actuelle rue du Général Leclerc), la Paix (au bout de la rue du Cimetière), le Pinson (au coin de la rue de la Vallée et de la rue de Lannoy…

Quelques estaminets appartenant à Henri Delecroix : le Rivage, le Franc-Bouleux, la Paix et le Pinson (Documents collection privée)

Entré au conseil municipal dès 1896, Henri Delecroix est élu maire de la ville (d’Union Républicaine) en mai 1900 et reste à la tête de la commune jusqu’en 1925. Les journaux de l’époque le décrivent comme bienveillant : « il n’est vraiment heureux que lorsqu’il peut donner satisfaction…sincèrement démocrate il accorde toute sollicitude aux humbles, aux travailleurs ». Les caricatures le représentent assez petit mais râblé, cheveux en brosse, belle moustache et barbe en pointe.

Caricature représentant Henri Delecroix et photo des membres du Conseil Municipal (Documents Historihem)

C’est l’époque où est votée la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de Mr Waldeck-Rousseau. Mr Delecroix est de la même tendance républicaine de gauche et répercute donc son programme au plan local, si bien que ses rapports avec les catholiques se durcissent, notamment lorsqu’il réclame la clef de l’église au curé : Edmond Pollet.

Rapports tendus avec le clergé (Document Au Temps d’Hem)

La gestion de l’équipe Delecroix marque la vie municipale d’une très large empreinte sociale (assurance accidents des employés communaux, consultations pour nourrissons, fourniture de livres aux indigents…) Il fait aussi établir avant la 1ère guerre un projet de distribution d’eau potable « sur évier » par la société des Eaux du Nord et met en place un service d’ébouage.

Photos d’Henri Delecroix (Documents Historihem)

Le progrès technique facilite également la vie de tous les jours et un avis favorable est donné par le conseil municipal suite à l’enquête sur la création d’une ligne de tramways électriques à travers Hem. C’est la ligne Roubaix Hem qui entre en service la 1ère suivie de la ligne de Lille à Leers.

La ligne de tramways (Document Au Temps d’Hem)
Document de 1914 (Document Historihem)

En Octobre 1914, avec le début de l’occupation allemande, comme tous les autres maires, Henri Delecroix reçoit un ordre d’évacuation du préfet pour tous les hommes mobilisables encore dans leurs foyers sauf les fonctionnaires qui restent à leur poste. Les vexations journalières commencent et la ville est soumise à un pillage filtré et méthodique qui fait le vide partout.

Des ouvriers hémois sont incorporés de force dans des bataillons civils et expédiés dans les Ardennes pour du travail obligatoire pour les occupants. L’autorité allemande ajoute à la déportation des hommes celle des femmes, expédiées dans les villages désertés des Ardennes ou réquisitionnées pour la moisson.

 Jeunes hommes déportés et jeunes filles d’Hempempont réquisitionnées pour la moisson (Documents Hem d’hier et d’aujourd’hui)

La commune doit quant à elle subvenir au logement, au bien-être et à la nourriture de l’ennemi. La population est réquisitionnée à tout moment pour travailler suivant le bon vouloir des allemands et ne peut pas quitter la ville comme elle le veut. La commune fournit chaque jour du bois à brûler aux troupes allemandes. En revanche, les écoles et les églises ne peuvent pas être chauffées.

Avertissement et appel à la population (Documents Hem d’hier et d’aujourd’hui)

4 ans plus tard les troupes allemandes évacuent et en décembre 1918, Henri Delecroix peut réunir son conseil municipal. Le conseil a la possibilité d’ ouvrir à nouveau les dossiers laissés pour compte pendant la guerre et de prévoir un budget spécial pour faire face à toutes les dépenses concernant les dommages de guerre avec une aide préfectorale.

Au début des années 1920, le projet relatif à l’établissement de la distribution d’eau potable dans toute la commune est relancé et en 1926 les canalisations sont implantées et 22 bornes fontaines installées. Puis c’est l’éclairage public de la commune qui est soumis au vote du conseil municipal et l’installation du réseau d’électricité pour tous usages dans la commune est réalisée par la société Tricoit de Lannoy.

Borne fontaine (Document Hem mille ans d’histoire et document au temps d’Hem)

Puis, en 1925, Henri Delecroix perd son mandat de maire au profit de Julien Lallart. Il décède en 1933 d’une longue maladie à son domicile, 11 place Verte (actuelle place de la République).

Domicile de Henri Delecroix sur la place d’Hem (Document Historihem) et photo aérienne de la demeure en 2020 (Document Google Maps)

A suivre…

Remerciements à l’association Historihem, André Camion et Jacquy Delaporte pour leurs ouvrages Hem d’hier et d’aujourd’hui et Hem 1000 ans d’histoire ainsi qu’à Jacquy Delaporte, Christian Teel et Chantal Guillaume  pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem

Le château Olivier à la Lionderie

Une vue aérienne de 1933 permet de constater que le château Olivier, sis sur un terrain donnant à la fois rue des Ecoles et rue de la Lionderie, comporte également une entrée sur chacune de ces deux rues, celle de la rue des écoles, à proximité de la conciergerie et des écuries qui y demeurent encore aujourd’hui, se situant juste en face de la rue du Maréchal Foch.

Vue aérienne de 1933 (Document IGN)

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La maison des prisonniers

La maison des évadés Editions Jourdan

La famille Saint-Ghislain de 1942 à 1944

Paru en juillet 2010 (à compte d’auteur). Autre parution sous le titre « La Maison des Évadés » en octobre 2017 aux éditions Jourdan (carnets de guerre).

L’auteur, Marie-Pierre Haem-Leclercq est la petite fille. Elle a écrit le livre pour les 80 ans de sa mère à partir des archives soigneusement renseignées, documentées et conservées. Louis et Madeleine Saint-Ghislain et leurs filles habitent au 6 rue Saint Gérard une petite maison (2 pièces en bas, 2 pièces en haut). Louis travaille à la gare de triage toute proche de Tourcoing. Il est préposé à la visite en douane.

Les prisonniers qui s’évadent (d’un peu partout en Belgique, aux Pays Bas, en Allemagne…) s’introduisent dans des wagons de marchandises en se fiant aux étiquettes de destinations. Le voyage est souvent très long, sans eau, sans nourriture, sans toilettes. Louis les récupère, les accueille chez lui, les nourrit, les habille, leur procure des papiers, leur fournit de quoi rentrer chez eux (billets de train notamment). Il agit avec son épouse et ses filles et avec l’aide et la complicité de cheminots belges, de douaniers, de policiers, de voisins, d’administrations municipales (Roubaix et Tourcoing). D’autres évadés arrivent chez les Saint-Ghislain via les Milices Patriotiques du Front de l’Indépendance de Schaerbeek qui ont créé « une ligne d’évasion ». Ils ont recruté, au Mont à Leux, côté belge Georges Hovelaque et côté français Cécile Verbrugge-Lejeune. Leurs jardins mitoyens sont séparés par le riez qui délimite la frontière entre les deux pays. C’est par ces jardins qu’ils font passer les évadés à quelques mètres du poste frontière tenu par les allemands ! Voilà donc l’origine de la plaque commémorative que nous avons photographiée.

Plaque souvenir Photo Gérard Vanspeybroeck

La famille Saint-Ghislain est également en contact avec l’abbé Jollet à la Châtre sur Cher. Celui-ci fait passer les évadés en zone libre. Louis Saint-Ghislain est arrêté sur dénonciation le 4 janvier 1944. Emprisonné à Loos puis en Belgique, il est libéré le 12 septembre. Son épouse, Madeleine, est arrêtée le 19 janvier 1944 et libérée 8 jours plus tard.

La famille est restée en contact avec la plupart des évadés et a fait un tour de France pour aller les voir à la libération. L’auteur a rendu visite à une cinquantaine d’entre eux avant d’écrire son livre. Madeleine est décédée le 29 mai 1965 et Louis le 10 octobre 1987…jour de la Saint-Ghislain. La salle de Sport « Saint-Ghislain » a été inaugurée en Juillet 2018.

Les cinq sœurs de chez Pollet

L'usine César Pollet et frères Coll Particulière
L’usine César Pollet et frères Coll Particulière

L’usine de César et Joseph Pollet fut construite en 1903, c’est une filature de laines peignées, une retorderie et un tissage. La maison mère, manufacture de tissus pour robes et draperies, fut créée rue Nain en 1831  par Joseph Pollet. En 1950, l’usine Pollet se situe au n°153 rue Edouard Vaillant. C’est dans cette usine que cinq sœurs d’une même famille, les sœurs Leclercq, ont travaillé pendant plus de 30 ans. En 1950, un article de presse leur est consacré, qui nous apprend que Jeanne, Clémence, Laure, Zoé et Célina totalisent ensemble 174 années de travail chez Pollet. Elles sont toutes titulaires de la médaille du travail. Voici leur histoire.

Les cinq sœurs Leclercq Photo NE
Les cinq sœurs Leclercq Photo NE

D’abord la famille, présente depuis plus d’un siècle à Roubaix. Le père Florimond Eloi Leclercq est né à Roubaix en 1868. Il habite rue du Tilleul, (aujourd’hui rue Jules Guesde) il est domestique à la naissance de sa première fille, en 1897. Le grand père Charles Ferdinand Henri Leclercq est né à Roubaix en 1820, et il est fileur. L’arrière-grand-père Florentin Leclercq est né en 1789, il est tisserand à Roubaix. Voilà donc une famille présente à Roubaix depuis au moins un siècle et demi.

Jeanne Espérance Leclercq épouse Turpin est née en 1897 à Roubaix, s’est mariée au même endroit en 1920. Elle est entrée à l’usine Pollet le 11 novembre 1912, à l’âge de 15 ans. En 1950, elle exerce la profession de soigneuse de continu à filer. C’est un travail qui nécessite une position debout permanente, avec de fréquents déplacements entre les différentes machines, dans le bruit,  l’humidité et la chaleur. Elle est domiciliée avenue Linné, Square des Platanes. Clémence Madeleine Leclercq épouse Delaender est née en 1898 à Roubaix, où elle s’est mariée en 1924. Elle commence à travailler chez Pollet le 30 décembre 1912, à l’âge de 14 ans. En 1950, elle exerce la profession de soigneuse de préparation, comme sa sœur ainée. Laure Leclercq épouse Dutilleul est née en 1902. Elle est entrée à l’usine le 10 septembre 1914,  l’âge de 12 ans. En 1950, elle est papillonneuse chez Pollet, et elle habite juste à côté de l’usine, square des acacias.

L'occupation allemande à Roubaix CP Méd Rx
L’occupation allemande à Roubaix CP Méd Rx

Les trois premières sœurs ont donc commencé à travailler chez Pollet dans une période difficile. La première guerre mondiale venait de commencer. Dès octobre 1914, les allemands occupent l’usine, puis réquisitionnent les matières et tissus, avant de démonter tout ce qui pouvait l’être, machines, tuyauteries, câbles, canalisations… Pillée par les allemands jusqu’en en 1918, cette usine reprit son activité moins d’un an après leur départ.

Le 10 décembre 1919, Zoé Leclercq épouse Hasquette née 1904, entre chez Pollet à l’âge de 15 ans. En 1950, elle est soigneuse de préparation comme ses sœurs ainées, et elle habite également square des acacias. Enfin Célina Leclercq épouse Debever née en 1906, commence à l’usine le 10 décembre 1919 à l’âge de 13 ans. En 1950, elle est également soigneuse.

Mais ce n’est pas fini ! La famille est également concernée. Florimond Leclercq, le père a travaillé 25 ans dans la même usine. L’épouse de l’un de ses fils née Julie Evrard y est entrée en novembre 1931. Le mari de Jeanne, Alfred Turpin, et son fils y sont également. Enfin le mari de Zoé, M. Hasquette y était mécanicien.

Les trois censes Photo PhW
Les trois censes Photo PhW

Quand le textile tournait à plein rendement, il n’était pas rare de trouver dans une même usine une famille entière (voir notre article les cinq de chez Delescluse aux Trois Ponts). Selon les conditions de travail et les conditions de vie (logement et déplacement), il arrivait qu’on fasse l’intégralité de sa vie professionnelle dans la même entreprise.

Après avoir été occupée par Phildar, l’usine de la rue Edouard Vaillant le fut par les Trois Suisses à partir de 1965. En juin 2013, l’ancien site est transformé en lieu de commerces et d’habitation par la société Saint-Roch habitat.  L’endroit sera dénommé Les 3 Censes, en référence à l’ancien caractère champêtre des lieux et à la proximité d’anciennes grosses fermes aujourd’hui disparues (Beaumont, Gourghemetz, La Haye).

Sources : Nord Éclair, Archives municipales de Roubaix, Ravet Anceau