Les participants de l’atelier mémoire du Centre ont fait l’étude des commerçants de la Grand Rue, parmi lesquels cette bijouterie située au n°137, dont l’histoire nous a été racontée par la fille de la maison. En 1928, le n° 137 formait une seule maison, occupée par les cycles Deletombe. Puis le bâtiment se divise en deux : en 1932, on y trouve le coiffeur Van Eeno et le marchand de journaux Liénart. Au moment de l’installation de l’horlogerie bijouterie en 1942, l’autre partie était occupée par l’Optique André, gérée par M. Chantepie auquel a succédé M. Raymond Dumortier, sous la même enseigne. Amand Battiau et sa femme ont donc ouvert le magasin en 1942. Mais Amand est décédé en 1945 et sa veuve s’est remariée avec M. Richard.
Autour de la bijouterie, il y avait une cour et une petite maison, aujourd’hui disparus. Ce terrain a été repris par l’institution Jean XXIII, pour faire une salle de sports juste derrière. La bijouterie se situait donc en face de chez Deruyck, le marchand de musique bien connu. Après il y avait le Galon d’eau, les graines…
Le père Battiau était artisan horloger, comme le grand-père, qui avait un atelier au n°170 rue de l’Ommelet. Il avait appris le métier avec des livres que sa fille possède encore. Horloger créateur, il fabriquait lui-même des pendules. Les deux artisans, père et fils faisaient des modèles uniques, et le grand-père a été récompensé d’une médaille de Besançon pour une de ses pendules.
« Nous avions une clientèle de classe moyenne, les gens avaient tous leur réveil matin, et au plus il faisait tic-tac, au plus ils l’aimaient. Les réveils silencieux, les gens n’en voulaient pas, parce qu’ils ne faisaient pas de bruit. On vendait des coucous, des régulateurs, des montres, des réveils. Ça allait des grands machins qui sonnaient tous les quarts d’heure, aux coucous qu’on faisait marcher quand les enfants venaient parce qu’ils aimaient bien l’entendre ». Le père Battiau avait créé une grande pendule qui servait d’horloge publique. Les gens qui partaient travailler le matin la regardaient, et quand elle s’arrêtait, ils venaient prévenir, car ils disaient qu’ils n’avaient pas eu l’heure. Anny se souvient des carillons, ça sonnait tous les quarts d’heure. Elle dit qu’elle ne supporte pas de ne pas les entendre les tic-tac. Elle n’aime pas le silence, car elle dormait à côté de l’atelier, où toutes les pendules sonnaient. A six ans, elle savait remonter les horloges.
Dans cette horlogerie bijouterie, on a vendu des marques, bien sûr, comme : jaz, vedette, lip, zenith, lov, et on avait des buvards publicitaires. Pour la bijouterie or, pas de marque, mais on faisait aussi les bijoux Fix et Murat, c’était du plaqué, dit un témoin. Il y avait des catalogues. En bijouterie, on faisait les colliers, les bagues… Pour les cadeaux, c’était différent de maintenant. Avant les gens se fiançaient, on faisait des bagues de fiançailles, puis ils se mariaient, il y avait des alliances. On avait les baptêmes, pour lesquels on vendait chaînes, médailles, bracelets, et cadeaux Christofle, timbales, ronds de serviette, coquetiers. A la Sainte Catherine, on offrait les couverts Christofle à la pièce, pour que les filles célibataires montent leur ménage. Ensuite on avait les communions, c’était la première montre, moment très important, de marque Lov, spéciale communions, et les chaines, les croix, et les gourmettes. On avait une clientèle, car tout le monde travaillait. On allait chez son bijoutier, c’était la bijouterie du quartier.
Les réparations les plus fréquentes sur les montres, c’était l’axe du balancier était cassé, en général c’est parce que la montre était tombée. Mais les gens juraient leurs grands dieux que non, qu’elle n’était pas tombée, que c’était un défaut. Ou encore cette dame qui est venue un jour avec le balancier de son horloge, en disant qu’il ne bougeait plus !
Maintenant il n’y a plus beaucoup d’artisans. Chez les bijoutiers d’aujourd’hui, ce sont des chaînes, les montres à quartz sont jetables, on ne répare pas et pour les grandes marques, il faut les renvoyer à l’usine. D’ailleurs la bijouterie du n°137 n’a pas fait de grandes marques, parce qu’elles voulaient un seul magasin qui en gardait l’exclusivité. On a fermé en 1992, le beau père était veuf, « son magasin, c’était son magasin », sinon on aurait arrêté avant. On est restés cinquante ans au même endroit, et il n’y a pas eu de repreneur, car les petits commerces périclitaient. Le stock, ou ce qu’il en restait, a été vendu en salle des ventes, après trois mois de soldes avec autorisation préfectorale.
Merci à Anny pour ce magnifique témoignage
Anny est décédée ce lundi 9 octobre dernier, elle a emporté avec elle beaucoup de souvenirs de Roubaix.
Encore merci pour cet article.