La grande Potennerie

Le Château D’halluin dit la Grande Potennerie en 1964 Photo Nord Éclair

La seconde partie du parc de la Potennerie, correspond au n°4 de la rue du Tilleul, aujourd’hui rue Jules Guesde. La propriété appartient à Madame Alfred Motte, née Berthe Scrépel (1870-1943), belle sœur d’Eugène Motte, industriel, maire de Roubaix de 1902 à 1912. Deux maisons de maître s’y trouvent : la Grande et la Petite Potennerie. Elles étaient habitées par la famille de Jules Dhalluin Balay pour la première, qui gardera le nom de château Dhalluin dans la mémoire collective, et la famille de Maurice Dhalluin Virnot occupait la seconde. Madame Alfred Motte est la belle mère de Jules Dhalluin, qui a épousé en première noces Berthe Motte, laquelle est décédée en 1913.

Les Dhalluin, nous explique Monique[1], étaient une famille d’industriels depuis longtemps vouée au textile (…) La matière première était la laine. La firme D’Halluin Lepers Frères sise rue de la Fosse aux Chênes quant au siège social, avait des usines à Wattrelos, Mouscron, à Ohain, au Cateau et un atelier à Roubaix.

Monique, qui habite la Petite Potennerie,  évoque la maison de son oncle Jules : la demeure de notre oncle, plus vaste et plus luxueuse que la nôtre, était très belle avec ses larges portes fenêtres alignées sur la terrasse qui s’étendait sur toute la longueur de la façade. Mais entre les deux domaines, nulle délimitation clairement définie …

Elle décrit les dépendances : un logement de gardiens et une petite ferme basse[2] avec écurie, sellerie, logement des fermiers et divers locaux en prolongation, porcherie, clapier, poulailler, et par devant le tout un enclos de fumier et une petite mare… De l’autre côté du parc un bâtiment servait de maison de gardiens, de garage et de logement pour les domestiques. Il y avait aussi des serres dans un grand potager verger…

Elle évoque également un vieux tennis, des manèges, des buttes, des fossés et une grand pièce d’eau entourée de rochers artificiels, de chemin s tourmentés et rocailleux et d’une grotte…des bancs, des statues décoraient le parc …des lions accroupis, un faune cornu, un buste de déesse.

Le 3 juillet 1961, la ville achète la propriété avec le projet de construire à cet endroit un lycée technique de jeunes filles, qui remplacerait celui de la Place Notre Dame devenu insuffisant. Laissé à l’abandon trois années durant, le parc boisé est devenu un vaste terrain vague, et l’immeuble est régulièrement vandalisé, on a même tenté d’y mettre le feu. L’idée de transformer cette propriété en jardin public et l’immeuble en maison de jeunes a été un moment évoquée. La presse mentionne une pièce d’eau asséchée et une grille d’entrée rue du Puy de Lôme.  La Grande Potennerie a survécu quelques années à la Petite Potennerie. Le Collège Jean Lebas, dit de la Potennerie, occupera son emplacement en 1967.


[1] Monique D’halluin, fille de Maurice et Louise Virnot. Elle raconte ses souvenirs dans un ouvrage conservé dans le fonds patrimonial de la Médiathèque de Roubaix
[2] Construite en 1897 d’après les archives municipales

Visite d’un appartement

J’habitais le bâtiment trois à l’angle de l’avenue Motte et de la rue Rubens, l’entrée était tout au bord de la rue Rubens, on y accédait par un escalier qui tournait, mais on aurait pu y mettre un ascenseur, c’était très grand au milieu et tout ouvragé avec des rampes en fer forgé…

On entrait dans l’appartement par un couloir, et il y avait trois chambres qui faisaient au moins 10 m² chacune. On entrait et il y avait immédiatement l’accès à deux chambres dans l’entrée, et la troisième porte donnait dans le séjour. Il n’y avait pas de salle de bains, on l’a faite après, il y avait une petite cuisine, avec un évier, le gaz qui était sur le côté. Dans le séjour, il y avait une cheminée avec un feu à charbon, car il n’y avait pas de chauffage central. Par la cuisine on accédait à un balcon suspendu qui était très grand et où il y avait les toilettes, et le vide-ordures qui était là au bord du balcon. J’ai connu ça jusqu’en 1965, on était cinq à vivre là, mais les chambres étaient suffisamment grandes, je dormais dans la même chambre que ma sœur.

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Cour et balcons d’un immeuble HBM Photo Nord Eclair

Pas de travaux, jusqu’à ce que ma mère quitte l’appartement, on a juste changé le carrelage, c’étaient des dalles noires et blanches, qu’ils ont changé dans les années soixante dix. Par contre dans les appartements qui ont été démolis, les carrelages étaient rouges et blancs. Ça m’impressionnait quand j’y allais, j’avais une amie là, je trouvais que c’était beau, et dans les entrées aussi, les montées d’escalier, c’était du carrelage avec des rampes en fer forgé.

Les chambres au sol, c’était du parquet, et les murs c’était en brique avec du plâtre, on pouvait mettre des tableaux, on mettait du papier peint dont on coupait la bordure de gauche, pour le chevauchement. On avait acheté le papier chez Hourez, rue de l’épeule, les plus grands fournisseurs de Roubaix.

L’appartement n’était pas bruyant, c’était bien isolé, bien qu’il n’y ait pas de double vitrage. Je me souviens, comme on n’avait pas de chauffage central, on tirait les rideaux qui collaient aux carreaux. On avait une cheminée avec un feu continu au charbon, et on en faisait provision pendant l’été, c’était moins cher. Après on a eu un poêle à mazout.

La chambre la plus éloignée du feu, donc la plus froide, c’était celle des parents…Dans le séjour, il y avait la cheminée, et on avait deux fauteuils de chaque côté, un bahut, une petite commode et puis la table et les chaises au milieu. Les meubles avaient été fabriqués par un ébéniste de la rue de Lannoy. Pour les chambres d’enfant, on était allés chez Cavalier, rue de Lannoy. La radio était sur la commode, on écoutait la famille Duraton.  En 1960, on a eu la télé, surtout pour avoir des nouvelles d’Algérie, où les jeunes étaient partis faire la guerre. Chaque appartement avait son antenne.

Chaque chambre avait un lit et une armoire, il n’y avait pas de placards. Dans la cuisine, il n’y avait pas de meubles, l’évier était presque contre le mur, car il y avait les descentes d’eau. On avait une belle fenêtre, et on mettait la table et les chaises pour déjeuner le matin. Il y avait la gazinière, une petite armoire et aussi une étagère sur le mur. On avait le garde manger sur le balcon, il n’y avait pas de frigo, les jours d’été, il y avait les marchands de glace, qui livraient des blocs. Les gamins allaient aussi chercher des glaces à Monsieur Léon et son triporteur, mais c’étaient des crèmes glacées. Quand les enfants étaient dans la cour intérieure du bâtiment, on pouvait les surveiller de la cuisine. Le sol du balcon, c’était comme du béton, et on pouvait faire couler l’eau, c’était un balcon fonctionnel. Pour l’époque c’était bien, avec le vide-ordures qui se trouvait là. Les gens faisaient attention à leur voisinage, on mettait les ordures dans les journaux, les éboueurs passaient une fois par semaine. C’était un service de la ville. Ils venaient avec un camion découvert, des pelles et des fourches pour ramasser les ordures.

Chaque appartement avait une grande cave et on y stockait le charbon de chez Sergeraert, le charbonnier du quartier, qui se trouvait là où il y a une pagode maintenant, rue Horace Vernet. Pour certains, c’était dur, quatre étages pour monter le charbon ! Après, dans les années quatre-vingt, il y a eu le chauffage individuel.

Après la guerre, les gens ont voulu du moderne. D’abord la salle de bains, puis le chauffage… Après ils ont remplacé le carrelage, en 1978, le parquet était usé aussi… Ces appartements n’étaient pas très pratiques, on devait traverser le séjour pour aller dans les chambres, on vivait beaucoup dans la cuisine. Dans les appartements qui faisaient l’angle, il n’y avait pas de pièce pour la cuisine, c’était la cuisine américaine, intégrée dans le séjour. On s’est fait un coin douche parfois…

Il y avait un toit terrasse. Pour y accéder, on ouvrait une trappe au dernier étage. Pour la course Paris Roubaix, les locataires montaient sur cette terrasse pour être aux premières loges, car l’avenue Motte regorgeait de monde. On était sur plusieurs rangs, on se pressait contre les barrières, ou on venait avec son escabeau.

Texte Christiane

Une association de locataires

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Le H13 futur os à moelle en 1968 Photo NE

Le 28 avril 1967, cent cinquante personnes du H13 et du H4 se retrouvent pour une première réunion, dans un garage de l’escalier D transformé en salle de réunion, avec comme projet la création d’une nouvelle association de locataires pour le groupe Édouard Anseele.

Cette réunion fait suite à l’envoi en décembre 1966 d’une petite lettre circulaire adressée aux locataires et à une première rencontre entre une dizaine d’entre eux. A cette occasion, un questionnaire est élaboré, puis diffusé à tous les locataires du h13 et du h4, soit plus de 450 locataires. Il obtient plus de 200 réponses et la création de l’association est unanimement souhaitée. Ses objectifs seront les suivants : étudier et défendre les intérêts matériels, moraux et familiaux de tous les locataires, assurer leur représentation auprès de la société propriétaire, des pouvoirs publics, du CIL, et de toute personne morale, publique ou privée, favoriser en dehors de toute considération politique ou religieuse un esprit d’entraide mutuelle, promouvoir la réalisation et l’animation de services d’intérêt général dont l’existence se révélerait nécessaire.

Un échange de vues porte sur les thèmes suivants : buts, représentativité, liens avec d’autres associations et syndicats, adhésions personnelles à ces syndicats, liens avec d’autres immeubles de la rue Bernard et du boulevard de Belfort, problèmes de parking, de nettoyage des entrées…

Les résultats du questionnaire sont présentés : ils expriment la volonté des locataires de mieux se connaître, en effet un locataire sur quatre est étranger à la région. Les personnes âgées souhaitent aussi se rencontrer, un local pour activités est indispensable.

Un petit journal est publié par l’association des locataires. Le premier numéro paraît en mai 1967. Véritable journal d’immeuble, il évoque les échos de la vie quotidienne dans le H13, avec de petites chroniques, mais il aborde aussi l’histoire du quartier, présente les manifestations culturelles et les fêtes dans la ville, propose des petites annonces, et des articles d’information générale.

L’association des locataires du groupe Anseele se compose d’une équipe de 27 membres, et souhaite associer à sa démarche les habitants des blocs HLM, de l’autre côté du chantier du parking, afin de  retrouver une unité de quartier. Elle s’organise en trois commissions : la première dite relations extérieures, s’occupe des contacts avec la société propriétaire, le CIL et les différents services publics, la seconde commission s’occupe du journal, la troisième est la commission accueil et jeunes.

Les premières interventions de l’association ont concerné la côte mobilière, les charges, le chauffage, des aménagements et améliorations diverses, ainsi l’ouverture d’un local de réunion, pouvant être transformé en salle de jeux, la réalisation d’un terrain de volley ball, l’installation d’un téléphone public.

L’association porte ses efforts sur l’animation et l’intégration sociale des habitants. Un service d’entraide pour la garde des enfants pour les jours de sortie est né, de même qu’un service de nettoyage collectif pour lequel en se groupant les locataires ont obtenu des conditions avantageuses. Elle est destinée à très vite dépasser un rôle purement syndical, on parle déjà de comité des fêtes du quartier, sans doute après l’achèvement des travaux du centre commercial et de son parking souterrain.

D’après Nord Éclair

Le château du Raverdi

Château Huet sur le plan cadastral 1884 Archives Municipales de Roubaix

Située au carrefour des rues Jean Goujon, du Tilleul (Jules Guesde), d’Hem, et Jean Baptiste Vercoutère, cette propriété figure sur le cadastre de 1884. Sa construction est donc antérieure à cette date. Le plan montre un grand bâtiment dont une façade s’oriente vers le parc, avec deux escaliers latéraux permettant l’accès à une terrasse ou une véranda. Le côté opposé présente un seul escalier qui doit donner sur l’entrée du château. On devine deux porches un peu plus haut. Le bâtiment principal jouxte des annexes, sans doute les écuries, et les logements du personnel de service. Une entrée est également figurée de ce côté. Cette propriété est occupée par l’industriel Georges Heyndrickx-Bossut jusqu’à la première guerre. Après la première guerre, Charles Huet-Masurel entre en possession de la propriété, qui sera désormais connue comme le château Huet.

Démolition du château Huet Photo NE

Pendant l’occupation, le château Huet sert de camp d’entraînement aux soldats allemands, qui l’avaient alors entouré d’un réseau de défense à base de mines et de grenades. A la libération, le château est reconverti en lieu d’accueil pour les rescapés des camps de concentration, puis de refuge pour les personnes déplacées, réfugiés ou expulsés civils, obligés de quitter leur foyer situé en zone de guerre. Le château Huet sera démoli en 1951. A cette époque, la propriété comprend un parc planté d’arbres, et trois corps de bâtiment. Si le château doit disparaître, on va préserver le parc. En effet, la société « le Toit Familial » affiliée au CIL va construire à cet endroit un quartier tout neuf, composé de 152 logements collectifs, répartis en huit groupes, respectueux des grands arbres. Un hectare du parc sera préservé et converti en square public.

Du trou sortira l’abondance

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Le chantier du futur parking Photo NE mars 1967

Le chantier du parking a donc débuté en  mars 1967 par le creusement du sol de la rue de Lannoy, exactement là où l’on avait parlé autrefois de faire une réserve d’eau pour l’industrie sous la forme d’un lac. L’enjeu est important, il s’agit de désengorger le centre de Roubaix de la présence automobile en proposant plus de mille places de parking sur plusieurs niveaux. Ces places de stationnement visent plusieurs types d’utilisateurs : les locataires de l’os à moelle, dont le parking situé de l’autre côté de l’immeuble est déjà saturé, mais aussi les futurs locataires des quatre tours de dix neuf étages en construction. Et il est bien entendu un argument majeur pour la fréquentation du futur centre commercial.

Les nuisances pour le voisinage sont importantes : poussières, boues sont le lot des piétons, car il faut enlever les terres pour couler ensuite la dalle inférieure du parking le plus profond. Les terres enlevées prennent la direction de la Planche Epinoy.

Le bruit est également présent avec les coups sourds de la sonnette, qui est un engin de génie civil qui enfonce par battage les pieux, pilots ou palplanches, servant de fondations aux bâtiments ou ouvrages de génie civil. La sonnette porte un outil cylindrique massif appelé mouton dont les coups répétés enfoncent les palplanches. On est descendu très profond, un radier de béton a été coulé. On annonce que les trois parkings profonds seront terminés pour le mois d’octobre 1967. La dalle supérieure, qui sera aussi le plancher du centre commercial serait terminée en janvier 1968, et le centre commercial lui-même au printemps 1968. Mais ces prévisions sont trop optimistes. Un certain nombre d’événements vont perturber la bonne exécution de cet important chantier.

Que faire du grand espace ?

Le terrain libéré de la Grande Barre Photo Lucien Delvarre

La Grande Barre a donc été démolie en septembre 1985. Quelques temps encore, les Hauts Champs vont conserver ce grand espace libéré par les bulldozers. Que va-t-on y faire ? Les projets se succèdent. On pense tout d’abord à reconstruire un groupe de lotissements individuels voisinant avec des terrains de jeux pour les amateurs de football et de pétanque, notamment. Il s’agit de remodeler un quartier qui se sentait écrasé par une telle muraille

Ces projets sont confirmés lors du coup d’envoi officiel des opérations de démolition, à l’occasion d’un pot réunissant à la salle des fêtes d’Hem, les municipalités d’Hem, de Roubaix, de Lys lez Lannoy, le Préfet, le Préfet de Police et les représentants de la Communauté Urbaine de Lille. Il ne faut pas laisser de vide, et répondre aux souhaits des habitants. Il s’agit là de l’une des premières phases du plan local de développement social des quartiers[1]. Interviewés, les jeunes réclament un terrain de football, une salle d’haltérophilie et un cinéma. Alors que FR3 vient filmer la démolition, la maire d’Hem confirme qu’il y aura quarante logements individuels et un terrain de sport. Ce sera une opération tiroir dans le cadre de la réhabilitation. Deux hommes politiques hémois de famille politique différente tombent d’accord pour dire que la Grande Barre fut une aberration, où l’absence de commerces et de lieux de réunion était criant…

Le plan de développement social des Quartiers Hauts Champs, Longchamp et Trois Fermes 1986 1988 est présenté en février 1986. Il concerne entre autres chantiers l’aménagement du terrain de la Grande Barre et prévoit des mesures diverses d’accompagnement social (animation, création de structures de quartier comme centre d’accueil, halte garderie,…). Il est rappelé que ce quartier s’étend sur Hem, Lys et Roubaix et qu’il est totalement excentré de toute administration administrative et commerciale.

Pendant ce temps, la réhabilitation de la petite barre, autrement dit le bâtiment Degas a démarré et celle des bâtiments de la rue Pranard devient urgente. En effet, malgré des travaux menés quatre ans plus tôt, l’humidité suinte sur les murs, entraînant une dégradation envahissante de moisissures et une atmosphère malsaine et invivable. Les locataires craignent un nouveau ratage et se mobilisent.

D’après Nord Eclair

[1] Les programmes de développement social des quartiers (DSQ) ont été créés en 1981 à un rapport d’Hubert Dubedout, maire de Grenoble.

L’os à moelle, premiers habitants

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Opposition de genre et d’époque doc AmRx

Le grand immeuble aux treize étages accueille ses premiers habitants : le couple de gardiens voit arriver les premiers locataires dès juillet 1966. Les premiers locataires, des jeunes mariés, se sont installés avec un mois de retard, le 15 juillet. Le chantier n’était pas terminé : le gaz de ville n’était pas branché, les paliers encore plein de graviers, l’accès était rendu difficile, un véritable bourbier de gravats. Il y a quelques anciens de la rue de Lannoy, ainsi la propriétaire de la dernière maison encore debout de ladite rue, au pied du H 13. Cette dame surveille la démolition de son ancienne demeure, de son nouvel appartement. Elle était venue s’installer en 1958 dans la rue de Lannoy sans savoir qu’elle allait être démolie, la question de la démolition ayant été définitivement tranchée en 1964. Elle trouve son nouveau logement plus clair et plus gai, mais il n’y a pas assez de place pour son mobilier et ses bibelots.

Le recoupement des différents témoignages recueillis par la presse de l’époque, nous permet de faire un état des lieux, juste après réception. Pour les aspects positifs, les personnes interrogées évoquent immédiatement la lumière qu’apportent les larges baies des fenêtres. La vie de jour est séparée de la vie de nuit par deux couloirs de dégagement. L’électricité est bien répartie. Les pièces sont grandes, et les placards vastes et profonds, bien qu’ils ne montent pas jusqu’au plafond. Enfin, l’eau chaude, quoique calcaire, fait l’unanimité.

Les aspects négatifs concernent l’utilisation pratique et domestique : les vitres sont difficiles à nettoyer, car peu accessibles pour l’extérieur. La cuisine étroite est très étroite : où mettre table et machine à laver ? L’évier est circulaire, sans trop plein. Il manque un débarras. Accrocher une photo ou un tableau au mur est impossible, aucun clou ne peut être planté dans le béton. Les tuyaux courent sur le mur, et la conduite de gaz se trouve au plafond, d’où la réduction de la hauteur des placards. Le tableau du compteur électrique est trop près de la porte, en ouvrant, on risque de le faire disjoncter. Il y a des pannes d’ascenseur, des fuites de gaz, l’éclairage des couloirs extérieurs est insuffisant. Les locataires se demandent aussi quand le téléphone sera installé.

Toutes ces remarques semblent indiquer que l’immeuble n’est pas totalement achevé lors de la livraison. Elles montrent aussi qu’il a été construit sans réflexion préalable sur l’utilisation pratique et domestique. Ainsi les problèmes d’entretien signalés, mais également l’étroitesse de certaines pièces, ou encore le positionnement des compteurs.

La plupart des nouveaux arrivants ne connaissent pas Roubaix, et ne savent pas ce qu’est l’îlot Anseele, ni ce qui se trouvait là avant. Les tâches du couple de gardiens sont lourdes, vu la taille du bâtiment : nettoyage des caves et des abords, celui des paliers et escaliers étant effectué par les locataires, surveillance des locaux, menus travaux (remplacement d’ampoules,…) et renseignements des différents visiteurs. L’amélioration des abords devra attendre : d’un côté, le parking pour les voitures sera très vite saturé, et de l’autre, le chantier du grand parking souterrain et du centre commercial Roubaix 2000, qui durera plusieurs mois.

D’après Nord Éclair

Châteaux et propriétaires

Les châteaux du quartier Plan 1919 AmRx

Quand on observe attentivement le plan de 1919 ci-dessus, et qu’on le recoupe avec les propriétés signalées dans le Ravet Anceau ou dans la presse, on obtient la liste suivante.

1-Côté Raverdi, une propriété située au démarrage de la rue du Tilleul (future rue Jules Guesde) à l’endroit du carrefour formé par cette rue avec les rues Jean Goujon, d’Hem, et Jean Baptiste Vercoutère. On aperçoit une grande bâtisse près de laquelle se trouvent des jardins et dont l’accès se fait par la rue Montgolfier. Cette propriété est occupée par l’industriel Georges Heyndrickx et sa famille jusqu’à la première guerre.

2-Immédiatement au dessus, et séparée de la précédente propriété par le prolongement de la rue de Bouvines, un grand bâtiment autour duquel se trouve une grande pièce d’eau au lieu dit la Pontennerie, et quelques autres bâtiments disparates. La percée ou le prolongement de la rue de Bouvines jusqu’à la rue Montgolfier n’a jamais abouti. Il semble bien qu’il ait servi d’accès à cette propriété où l’on pouvait entrer également par la rue du Puy de Lôme. Selon le Ravet Anceau, cette propriété est occupée par M. Toulemonde Destombes, puis appartient à M. Alfred Motte Scrépel et sa famille jusqu’à la première guerre. En 1897, Alfred Motte demande l’autorisation de faire construire une ferme sur cette propriété.

3-Au-delà de la rue Montgolfier, à l’angle de la rue Jean Baptiste Notte et du boulevard de Reims, une autre propriété avec un grand jardin, dont l’accès se trouve boulevard de Reims. En 1892, il s’agit de la propriété de M. Bossut Plichon.

4-De l’autre côté du boulevard de Reims, se trouve la grande propriété dite des Près, appartenant à M. Louis Cordonnier, dont le souvenir subsiste avec le nom de l’avenue qui donnait accès à ce véritable château. L’avenue Linné a été tracée sur une partie de la propriété.

On voit donc que le quartier était encore campagnard, libre de toutes constructions, excepté ces grandes propriétés d’industriels, dont on peut situer la construction entre 1870 et 1900. Plusieurs familles s’y succéderont, avant que la réappropriation de leurs propriétés en terrains publics ou sportifs ne s’opère, après la première guerre mondiale.

Les châteaux de la Potennerie

Un croquis de M. Fleurbayx sur la Potennerie

Voici le dessin réalisé en mai 2010 par M Georges Fleurbayx  pour illustrer sa description des  trois châteaux  qu’ il situe  à  La Potennerie  dans le périmètre formé par les rues Jean-Baptiste Notte, Montgolfier, Dupuy de Lôme et Jules  Guesde.

Les 19 premières  années de sa vie –  de 1923 à 1942 –  Mr Fleurbayx a habité au 28 rue de la Potennerie , impasse Courbet,  une petite maison à un étage. Son père était contremaitre de filature à l’ usine Dazin-Motte,  Boulevard de Fourmies et lui-même y sera embauché  comme coursier à  14 ans.

Depuis sa chambre au premier étage , quand  il regardait vers la rue Dupuy de Lome, il  avait vue sur un  vaste  espace boisé comportant également  pelouses et jardins,   clôt  par un mur  épais d’ environ 3 mètres de haut . A travers les arbres,  il pouvait apercevoir au centre de la propriété l’ arrière d’ un château  qu’ il désigne comme  » le château d’ Halluin ». Face à l ‘ actuelle rue de Rocroi – qui relie la rue Dupuy de Lôme à la rue de la Potennerie- existait une entrée permettant d’ accéder au château. Sur la droite de cette entrée  se trouvait l’ habitation du concierge et, encore à droite de ce logement, un jardin potager qui allait  jusqu’ à la rue Jules Guesde.

Selon M Fleurbayx ,  la façade du  » château d’ Halluin » était tournée vers la rue Jean- Baptiste Notte. Il place un deuxième château , le  » château Huet » ,  le long de cette même rue et un troisième , plus petit , plutôt  » manoir » dit-il,  le long de la rue Jules Guesde , le « château Derville ».  Une grande entrée existait précisément rue Jules Guesde et permettait d’ accéder à l’ un ou à l’ autre de ces  châteaux, aucune clôture n’existant entre eux. Sur la gauche du château d’ Halluin se trouvait une petit point d’ eau ou pièce d’ eau et sur le terrain Huet , côté rue Montgolfier, une sorte de pavillon de chasse.

« Je ne suis jamais entré  » , dit Georges Fleurbayx.  »  Sauf pour aller chercher mon ballon,  passé au dessus du mur …Le devant du château, personne ne le voyait. … Une seule fois quand même , on y est allé : c’était pour  ma promesse scout , vers 1935. « 

Madame Fleurbayx se souvient également :  » moi, j’ allais à l’ école Notre Dame de Toute Bonté. L’ église Saint Jean-Baptiste juste à côté était une église  aisée  ( sic) . Les d’ Halluin venaient. Nous , on était assis avec l’ école sur les côtés, eux , comme tous ceux des châteaux, avaient leurs chaises à leurs noms, réservées dans la nef centrale. On respectait ça…Une fois, l’ école a été autorisée à faire la procession chez Huet. On  est entré par la rue Jules Guesde , en venant de l’ église St Jean-Baptiste et on a fait le tour du château en procession . Ca nous a marquées. C’était magnifique pour nous. On a été dans les jardins. C’était dans les années 1935. Je me souviens que ma petite sœur faisait un ange avec des ailes et moi je tenais les cordons de la statue de la Vierge. « 

La fin de la Grande Barre

 

La grande barre photo NE

L’immeuble collectif qui allongeait ses trois cents mètres à cheval sur les territoires d’Hem et de Roubaix a d’abord été dénommé B13, car il faisait partie d’ l’opération des 1200 logements démarrée en 1958, et partagée entre le quartier des Hauts Champs pour les trois quarts et le quartier de la Potennerie pour le quart restant. Les tous premiers locataires avaient quitté soit une courée ou une vieille maison sans confort pour venir découvrir un luxe nouveau : salle de bains, chauffage central, grandes pièces éclairées par de grandes baies vitrées. Une grande pelouse bordait toute la longueur de la construction[1].

Dès 1968, surgissent les premiers problèmes. On parle de la dégradation des logements, due à la mauvaise qualité de la construction, mais aussi au surpeuplement et au fait que les habitants n’entretiennent pas correctement leurs logements. Le journaliste de l’époque évoque même un problème d’éducation des locataires. Petit à petit, les ménages dynamiques[2] quittent le secteur et l’on craint une nouvelle ghettoïsation. Il y a ceux qui peuvent partir et ceux qui ne peuvent pas et qui disent : nous sommes là parce qu’il n’y avait de place ailleurs, si nous pouvions en partir…

Les Hauts Champs sont considérés comme une cité dortoir : où sont la salle de spectacle, le comité des fêtes, la ducasse, les jardins d’enfants et les terrains de sports ? La crise du textile produit ses effets. On venait à Roubaix parce que l’employeur y assurait le logement, et on venait de partout, car les roubaisiens et tourquennois ne représentent qu’à peine 50% des locataires nouvellement installés. En 1968, on considère que 55% des familles sont en situation précaire. La répartition des types de logements ne correspond plus à la demande : en moyenne la famille type des Hauts Champs est composée de cinq personnes, et le nombre de F4 est insuffisant.

La décennie suivante voit augmenter la dégradation de l’habitat et des conditions de vie. Les détériorations volontaires et l’incivilité se sont ajoutées aux problèmes de vieillissement du patrimoine immobilier. Cette zone urbanisée sur les chapeaux de roue, connaît au début des années quatre-vingt, les désagréments d’un chauffage qui ne fonctionne plus, l’humidité, les vitres et portes cassées, les problèmes de robinetterie détériorée, de persiennes cassées. Dans le quartier s’installe un climat d’insécurité. Deux cent cinquante réclamations par jour sont adressées au GIL pour une population de 27.000 habitants !

Dès lors la grande barre plonge dans le chaos : odeurs nauséabondes, éclairages dégradés, appartements inoccupés, portes défoncées, trous béants. La grande barre est abandonnée par la majorité des locataires et son état de délabrement devient inquiétant, d’autant que la drogue et le squat y ont fait leur apparition.

On parle déjà de démolition depuis 1979. Mais il faut reloger les derniers habitants et rembourser les emprunts : la construction de la grande barre, soit 330 logements, a coûté 11 millions de francs (en 1958) et il reste la moitié à rembourser. Le coût de la démolition n’est pas négligeable, surtout pour le transport des gravats et matériaux. Enfin, cette démolition est annoncée, elle démarrera le lundi 16 septembre 1985 et durera quatre mois. Le grand immeuble de classe est à la casse. La CSCV[3] y voit l’échec d’une politique de construction dont les locataires ont largement payé le prix. Avec cette démolition débute le plan de développement social des quartiers[4]. Au moment où les bulldozers et les grues commencent à transformer la Grande Barre en un amas de gravats dans une poussière dense, on ignore qui suivra…

Photo Nord Éclair

[1] Propos de Madame Nadine Duquenne, arrivée dans le quartier des Hauts Champs en 1962, relatés par Nord Eclair en 1985
[2] L’expression est celle du journaliste
[3] Confédération Syndicale du Cadre de Vie
[4] C’est au cours des années 1980 qu’une approche globale, à la fois sociale et urbanistique, des problèmes spécifiques aux villes modernes est apparue nécessaire. Cette prise de conscience a mené à la création d’un ministère de la ville en 1991.