Du dispensaire au centre social

C’est en 1910 que la section roubaisienne de la Croix Rouge crée un dispensaire dans les anciens locaux de la boulangerie coopérative l’Union, au cœur du quartier des longues haies, au n°90 de la rue du même nom. Il fut ouvert aux malades le lundi 21 novembre après avoir été béni une semaine plus tôt. Après avoir subi les sévices de la première guerre mondiale, il est restauré en 1924, et ajoute à sa vocation de dispensaire, le recrutement et la formation d’infirmières.

Les élèves infirmières du dispensaire en 1950 Photo Nord Éclair

En 1950, ce dispensaire est toujours actif et ses activités éducatives se sont développées et transformées : on y trouve toujours l’école des infirmières hospitalières, mais également des assistantes sociales et des futures « reines du foyer » selon le titre du journal de l’époque. Ces stages d’instruction sont effectués par des jeunes filles âgées de 19 ans au moins et de 35 ans au plus. Un examen d’entrée attend les postulantes qui ne sauraient justifier d’un niveau d’études générales. Ce sont des élèves infirmières, ou de futures hospitalières, des assistantes sociales, ou simplement des jeunes filles qui viennent se former à la puériculture et aux soins à donner aux malades et aux blessés. Onze médecins viennent donner bénévolement des cours théoriques assistés par trois religieuses, qui jouent le rôle de répétitrices, et donnent des cours de morale professionnelle et des travaux pratiques, donnés dans une salle de démonstration.

La première année d’études est commune aux candidates hospitalières et assistantes sociales, mais les premières auront deux ans à faire avant d’obtenir leur diplôme d’état, alors que les secondes le feront en trois ans. Pendant cette période, elles ont onze mois de stage pratique obligatoire à la clinique, au dispensaire, ou au centre de Comines.

Pour les jeunes filles qui reçoivent un enseignement médico-social, elles obtiennent après une année d’études et sept mois de stage un diplôme d’infirmière croix rouge qui ne leur donne pas le droit d’exercer mais qui les prépare à leur rôle de mère de famille. Cette formation est un premier exemple des animations proposées par la Croix Rouge, qui se complètent  dans le cadre de ses centres sociaux.

La couture au centre social de la Croix Rouge 51 boulevard de Belfort Photo Nord Éclair

Il y en a deux en 1950 à Roubaix, dont la création remonterait à 1947. L’un est situé au 46bis rue de la chaussée dans le quartier de la Guinguette dans un ancien café d’angle, et l’autre est à deux pas du dispensaire des longues haies, au n°51 du boulevard de Belfort. La responsable est Melle Houmer, elle est assistée de quatre monitrices : Melle Jacquart pour l’enseignement ménager, Melle Vandamme pour la bibliothèque, Melle Vanwelden pour le chant danse folklorique et Melle Trackoen pour les expositions et fêtes. Qu’apprend-on dans ces centres ? Tout ce qui a trait à l’entretien du linge familial : utilisation de la laveuse, de l’essoreuse, du matériel de lessive. Ebauche des premières haltes garderies, Bébé est gardé pendant que maman se forme à la préparation du repas, à la pratique de la machine à coudre, des patrons, du fer à repasser électrique. Une bibliothèque pour tous propose un service de prêt et de lecture sur place. Le lieu est convivial, on peut y écouter la radio, bénéficier des services d’un secrétariat social.

Le coin bibliothèque du centre social de la guinguette en 1950 Photo Nord Éclair

Le centre social du boulevard de Belfort disparaîtra, comme le dispensaire, dans l’opération de rénovation du bloc  Anseele au début des années soixante.

Maison de l’enfance

Le chantier de la cité Cil des Trois Baudets a été mené de 1947 à 1949. C’est l’un des premiers lotissements réalisés de ce genre. On peut lire dans la presse de l’époque[1] :

les nombreux visiteurs ont pu constater qu’au beau milieu du vaste chantier on avait laissé un large espace vide. Que de terrain perdu a-t-on pensé ! Eh non, cet espace ne sera pas perdu. Il sera même utilement employé. Car il supportera une maison de l’enfance, qui rendra mille services aux familles nombreuses du quartier. Une maison qui sera aussi une garderie d’enfants, et dans laquelle on donnera des consultations de nourrissons et des consultations médicales.

Au centre de la cité des trois baudets, la maison de l’enfance en 1950 Extrait Photo IGN

Cet article tend à montrer que le projet de la cité des Trois Baudets comprenait donc la construction d’une maison de l’enfance, qui de fait, sera édifiée en 1950. Mme Albert Prouvost de Maigret, dont l’époux est le grand industriel à l’origine du CIL, se voit confier la présidence de l’association.

La maison de l’enfance à ses débuts Photo Nord Éclair

On se propose à l’époque d’édifier d’autres maisons de l’Enfance, dont le financement sera assuré par le concours financier des industriels de la région, la caisse de sécurité sociale, la caisse d’allocations familiales, et par des dons émanant de personnalités américaines (on cite Mme Patton). Des lieux sont évoqués à la suite de celle des trois Baudets à Hem : Wattrelos, Tourcoing, et les Hauts Champs…Une maison identique sera bel et bien édifiée dans le quartier du Laboureur à Wattrelos. Ces Maisons de l’enfance se présentent alors comme les corollaires indispensables de la grande œuvre sociale du CIL.

Qu’y trouve-t-on ? C’est d’abord un dispensaire complet, avec visites à domicile, nuit et jour, semaine et dimanche, une consultation de nourrissons et une consultation prénatale. On y pratique les vaccinations et les séances d’ultra violets pour les enfants. Un cabinet médical est mis à la disposition du médecin contrôleur de la sécurité sociale.Pour le côté social, on y trouve un bureau de sécurité sociale et une annexe de la caisse d’épargne. Il y a également des permanences de l’association des familles et de l’école des parents. On y donne des cours ménagers, qui s’adressent aux jeunes filles, mais aussi aux mamans, l’après midi  et le soir, on peut même y préparer un CAP. Il y a aussi les  jeudis de loisirs organisés (rappelons qu’en 1950, le jour de congé scolaire est encore le jeudi, le mercredi viendra bien plus tard). Bricolage, peinture, dessin, modelage et pyrogravure sont proposés aux amateurs, ainsi que solfège, bibliothèque et cinéma.

Petites usagères de la maison de l’enfance Photos Huguette

On souhaite bientôt compléter ces animations avec d’autres comme des activités sportives, un ciné club et de la construction de modèles réduits et un atelier menuiserie. Et surtout une salle de spectacle, qui sera réalisée ultérieurement. Dix ans plus tard, la maison de l’enfance des Trois Baudets est progressivement devenue un véritable centre social accueillant. Le taux de fréquentation est élevé, et l’on commence à refuser du monde, d’autant que l’habitat s’est développé, du côté des Hauts Champs, où l’on envisage de créer le même type d’établissement.


[1] Nord Éclair avril 1949

Le projet Dom Bosco

Un précédent article laissait entendre que la maison St Jean Bosco avait été envisagée dès le mois de janvier 1945. De nouvelles découvertes nous amènent à préciser ce point.

Déjà à l’origine de la construction de l’église Ste Bernadette en 1935, l’abbé Carissimo devenu doyen de la paroisse Ste Elisabeth, souhaitait la création d’un nouveau centre d’œuvres charitables dans le quartier des Longues Haies. Son vœu est exaucé au début du mois de décembre 1942, époque à laquelle quelques religieuses se sont installées dans un assez vaste immeuble au n°102 de la rue Bernard. D’après le Ravet Anceau, c’était autrefois l’atelier du charpentier menuisier Vanacker Florin.

Saint Jean Bosco et les sœurs de l’ouvrier Photos Coll Privée

Cette œuvre est mise sous la protection de Saint Jean Bosco, fondateur des patronages dominicaux et de l’ordre des Salésiens, dont la mission consistait à recueillir les enfants pauvres ou abandonnés, à les éduquer et à leur donner une instruction professionnelle susceptible de faire d’eux des bons ouvriers. Saint Jean Bosco n’est pas un inconnu pour les roubaisiens, car il vint prêcher à Roubaix le 11 mai 1883 dans l’église Saint Martin. Il n’était alors que Dom Bosco, et il sera canonisé le 1er avril 1934.  Ce sont les « sœurs de l’ouvrier » dont la maison mère est à Croix, qui vont mettre leur dévouement à la disposition des familles du quartier, en visitant les malades, et en dispensant leur sacerdoce auprès des infirmes, des vieillards et des petits enfants. Elles s’occuperont de soupes populaires, d’ouvroirs et de vestiaires pour les déshérités. A partir de fin janvier 1943, leur chapelle permettra à tous ceux qui le souhaitent, et qui trouvent l’église paroissiale trop éloignée, de remplir leurs devoirs religieux.

L’autel de la chapelle de la maison Saint Jean Bosco Photo Brunin

La chapelle fonctionnait donc dans le cadre de la maison d’œuvres de St Jean Bosco, mais elle s’avéra très vite trop petite. On projeta un moment de construire une chapelle plus importante, sur un vaste terrain où se situait la cour Binet, au n°170, rue des Longues Haies. Un architecte, M. Forest, en dressa les plans, et la maquette fut présentée à la presse. Le projet ne fut jamais réalisé, mais le centre d’œuvres sociales de la rue Bernard continua d’exister et sa chapelle de fonctionner, jusqu’à la disparition intégrale du quartier en 1960.

Le 102 rue Bernard en 1942 et le projet de chapelle Photos Journal de Roubaix

Autour des Hauts Champs

Avant de devenir le quartier qui fut construit de 1958 à 1960, les Hauts Champs étaient constitués de vastes terres agricoles, qui s’étendaient de Lys Lez Lannoy et d’Hem jusqu’à Roubaix. L’appellation concerne d’ailleurs aussi le quartier du Nouveau Roubaix, avant qu’y soient construits les fameux HBM dans les années trente. L’ouverture du boulevard industriel (avenue Motte) a divisé le vaste lieu dit, lequel est également délimité au sud par un chemin venant du hameau des Trois Baudets à Hem rejoignant la ligne de chemin de fer Menin Somain, à l’orée de Lannoy. A l’est, l’usine Motte Bossut terminée en 1903, et le quartier de la Justice constituent le troisième côté de la grande surface triangulaire des Hauts Champs.

Ce vaste espace s’est rempli de logements progressivement après la seconde guerre mondiale. Le Comité Interprofessionnel du Logement réalise la cité des Trois Baudets à Hem de 1947 à 1949. Puis c’est au tour de la cité de la gare de débord, de 1949 à 1951. Jusqu’en 1957, les Hauts Champs seront encore un espace de champs, toutefois occupé par une grande briqueterie, près de laquelle s’édifie un nouveau groupe scolaire, dit des Hauts Champs.

La briqueterie et le groupe scolaire Photo aérienne IGN 1957

Conçue par les architectes Jean Dubuisson et Guy Lapchin, la cité des Hauts Champs sera réalisée de 1958 à 1960. On y retrouve les caractéristiques architecturales en vogue à l’époque : ce sont de grandes barres d’immeubles et de logements collectifs, dont l’espace et la lumière contrastent avec l’habitat enserré et étouffant des courées de la ville industrielle.

La cité des Hauts Champs Photo aérienne IGN 1964

Mais la construction ne s’arrête pas là. Dès 1964, commence la réalisation du Groupe du Chemin Vert, œuvre de l’architecte Robert Puchaux, sous la forme d’un ensemble de logements « cubes ». Puis de 1967 à 1975 seront construits sur Hem l’ensemble de Longchamp, les cités des Trois fermes, de la Lionderie, des Provinces et de la Vallée.

 

Le chantier du chemin vert en 1965 Photo Nord Éclair

En près de vingt ans le grand espace agricole des Hauts Champs a disparu sous les constructions, et s’est trouvé englobé dans un grand ensemble d’habitations, qui a dépassé les limites des communes. Nombre de problèmes sont alors posés, qui ne peuvent être résolus que dans une logique intercommunale. Dès lors, plus question du seul quartier des hauts Champs, mais bien du quartier des Trois Villes, qui associe les villes d’Hem, Lys lez Lannoy et Roubaix.

La deuxième tranche

En septembre 1960, la deuxième tranche des travaux de construction du lycée est terminée. Plusieurs nouveaux bâtiments : l’un pour les classes spécialisées, dans mon souvenir des années soixante, pour les sciences naturelles et la physique chimie, appelé bâtiment E. J’y ai le souvenir pénible des dissections de batraciens. Dans une autre salle réservée aux cours de dessins, au bout du bâtiment, nous avons découvert la peinture avec Monsieur Huguenin, c’était sans doute plus agréable.

La salle de physique chimie Photo NE

Un autre bâtiment a été construit pour les classes du second cycle, il s’agit pour moi du bâtiment F, le dernier avant qu’on arrive aux équipements sportifs. C’est là qu’on suivait les cours de musique de M. North (orthographe non garantie). Après avoir souffert sur les exercices de solfège, nous avions droit à une récompense, du moins c’est ainsi que je le ressentais. Notre professeur se mettait au piano et il interprétait des œuvres dont je n’ai conservé que le plaisir de les entendre. Je dois sûrement à ces deux professeurs, dessin et musique, mon goût pour les arts.

Le bâtiment F photo NE

On trouve ensuite un gymnase/salle des fêtes -selon la presse de l’époque-, qui abrite en son sous sol une piscine miniature. Il est vrai qu’elle n’était pas bien grande, cette piscine, à tel point qu’on pouvait rien qu’en plongeant atteindre l’autre bord sans avoir esquissé le moindre mouvement de natation. Le retour exigeait quand même qu’on s’agite un peu.

La piscine miniature au sous sol du gymnase
L’entrée du gymnase

A côté du gymnase, un bâtiment de logements pour le personnel. Je me souviens qu’un correspondant anglais y a logé pendant quelque temps, et qu’il y reposait ses oreilles écorchées par notre pratique de sa langue natale pendant nos répétitions de groupe rock.

Il y a aussi l’internat, un immeuble de trois étages, et son dortoir, avec des chambres de trois à cinq lits, rideaux et descentes de lit en cretonne imprimée, pour une capacité d’accueil de 240 internes.

L’internat, ses lavabos et ses tissus en cretonne imprimée

Avec l’achèvement de ces travaux, c’est une centaine de classes qui est mise à la disposition des enfants, un véritable stade scolaire, muni d’équipements et d’installations modernes.

Vue IGN de 1964 avec la répartition des tranches de travaux

Quinze cents élèves peuvent être ainsi accueillis, dans un établissement moderne et aéré, pour un cursus scolaire intégrant les classes primaires jusqu’au baccalauréat.

Une salle polyvalente

L’architecte Pierre Neveu conçoit dès l’origine le groupe scolaire avec une salle des fêtes. Cette caractéristique des groupes scolaires des années trente se retrouve également dans les écoles Jean Macé et Ernest Renan, qui lui sont contemporaines. Cette construction comporte une grande salle, une scène, ainsi que des loges et une cour particulière. Son entrée est située dans l’alignement du couloir desservant les cantines. Un autre accès donne directement sur la rue Jean Macé. Cette salle est prévue pour l’usage scolaire, mais s’ouvre également aux animations d’un quartier en pleine expansion : on y construit les habitations à bon marché, et une nouvelle salle de réunion et de spectacle complète parfaitement les lieux de convivialité pour une population qui grandit en nombre et en âge.

La salle des fêtes aujourd’hui vue scène et opposée Photos PhW

On retrouve régulièrement dans la presse des échos d’événements qui s’y déroulent. A l’occasion de l’inauguration du groupe scolaire Jules Guesde, le dimanche 3 septembre 1933, un grand bal est organisé dans la toute nouvelle salle, accompagné d’un orchestre de premier ordre. Dans l’après midi du lundi 4 septembre, un brillant concert artistique y est organisé, qui regroupe les grands premiers prix, et les meilleurs lauréats des concours de chant du 14 juillet.

Cette salle des fêtes sert de salle des sports pour les scolaires. On peut encore y voir quelques barres de gymnastique au mur, on y pratiquait la danse, et on y jouait d’après les témoins, au volley ball, au ping pong.

La salle des fêtes vue de la cour de l’école Photo PhW

Au hasard des consultations, on découvre que l’amicale Jules Guesde l’utilise en 1935 pour un spectacle d’opérette, pour une soirée dansante en 1950, pour des assemblées générales dans les années 60. La société d’agriculture et des jardins populaires y tient ses conférences. C’est aussi dans cette salle qu’ont lieu régulièrement les bals de Sainte Catherine, Saint Eloi et Saint Nicolas.

En 1963, M. Torion, Président de l’amicale Jules Guesde inaugure là le nouveau foyer des jeunes, pour lequel on prévoit de créer un stand de tir, un ciné club, un club d’aéromodélisme et de philatélie.

Dans les années 70, on trouve trace de nombreux spectacles de cirque, de variétés et de cabaret : en particulier, Mathé Altéry et Lucien Lupi s’y produisent en 1977. En 1975, elle est le cadre du premier spectacle d’animation des quartiers, en accueillant Marcel Ledun et son spectacle de marionnettes.

La messe dans la salle des fêtes Photo Lucien Delvarre

A partir de 1980, le lutteur-club du nouveau Roubaix utilise la salle pour ses entraînements et son assemblée générale. En 1990, après la démolition de l’église Ste Bernadette, et en attendant la construction de la nouvelle église, les offices religieux se déroulent dans la salle des fêtes, qui servira également lors de la cérémonie d’inauguration de la nouvelle église.

Faisant appel à leurs souvenirs, les membres de l’atelier mémoire évoquent les représentations théâtrales, les séances de cinéma, les manifestations  gymniques, les animations diverses qui ont eu lieu dans la salle des fêtes du groupe scolaire.et des bals. On se souvient particulièrement des séances de cinéma scolaire, des activités de l’amicale, le dimanche matin, des jeux de carte (belote).

Les restos du cœur occupent à présent cette vieille salle des fêtes, qu’il faudrait sans doute remettre aux normes afin qu’elle retrouve ses activités.

Quinzaine du logement 1956

Guy Mollet vient inaugurer l’exposition du CIL à Roubaix le 30 septembre 1956 Photo Nord Éclair

Après avoir occupé l’hôtel de ville en 1952, le CIL (comité interprofessionnel du logement) s’installe en octobre 1956 sur l’esplanade du boulevard Gambetta, ordinairement réservée aux foires du printemps et de l’automne…

Petit rappel historique : le CIL a été créé en 1943, sur la base d’une gestion paritaire des syndicats d’employeurs et des syndicats de salariés. Cinq hommes en sont à l’origine : Albert Prouvost, grand industriel textile, Bernard d’Halluin, Président du Syndicat Patronal Textile, Victor Provo, maire socialiste de Roubaix, Robert Payen, syndicaliste CFTC et Gabriel Tétaert, syndicaliste CGT. Ensemble, ils décident de consacrer volontairement 1% de la masse salariale à la construction de logements décents. De là s’est développée quelques temps après, l’allocation logement, imaginée et préconisée en 1938 par l’ingénieur Pierre Kula[1], et qui prend son véritable démarrage à Roubaix Tourcoing, avant de faire l’objet de la loi du 1er septembre 1948.

Le CIL fête donc en 1956 le 13ème anniversaire de sa création, mais également le 10ème anniversaire de la création de la cité expérimentale du Congo[2], qui a permis de lancer la construction de nombreux lotissements. Bâtie en septembre 1946, cette cité expérimentale du Congo à Mouvaux se trouvait à deux pas de l’ancien emplacement du château de l’industriel Vaissier. Une trentaine de logements en maisons jumelées sont présentées aux visiteurs, comme un catalogue de réalisations alliant les techniques et les matériaux les plus divers[3].

Le comité interprofessionnel du logement aura encore recours à cette modalité de présentation des réalisations de son bureau d’études. Ainsi en mars 1953, le modèle U53 est-il présenté à la presse. Il sera adopté pour les chantiers importants de la Mousserie à Wattrelos.

Le quartier de la Mousserie, tel qu’on l’envisage en janvier 1956 Photo Nord Éclair

En 1956, où en est la construction de logements à Roubaix Tourcoing et leurs environs ? Depuis 1946, les chantiers CIL se sont succédé : la cité des Trois Baudets à Hem de 1947 à 1949, et à Roubaix la cité du Galon d’eau à Roubaix, de 1948 à 1949, la cité de la gare de débord de 1949 à 1951, la cité du Pont Rouge en 1950, le lotissement Pigouche Carpeaux en 1951, la Potennerie rouge en 1954. La liste n’est pas exhaustive. Depuis 1946, 9.000 logements ont été construits ou sont en cours de construction. L’exposition montre les différents quartiers nouvellement créés, mais évoque aussi les besoins qui restent à satisfaire : un tiers du programme envisagé il y a dix ans a été réalisé. Il faut à présent sauver et assainir ce qui peut être maintenu du vieil habitat, et édifier d’autres quartiers résidentiels[4].

L’exposition présente un grand nombre d’informations et de réalisations. Sous une grande tente, panneaux et stands photographiques relatent les différents chantiers, mais le slogan de cette exposition, –Déjà un tiers, mais seulement un tiers ?-  est significatif : le programme prévu il y a dix ans n’a été réalisé qu’en partie[5] et des besoins considérables sont encore à satisfaire. Un diorama présente le bulletin de santé de l’habitat de Roubaix Tourcoing et évalue le nombre des logements à détruire, à améliorer à transformer et à construire dans les dix ans à venir. On peut également découvrir les projets d’études du CIL, et connaître quel est le concours des municipalités, des caisses d’épargne, de la caisse d’allocations familiales. On peut y prendre connaissance des initiatives favorisant l’accession à la propriété.

L’exposition accueille également le stand des producteurs de matériaux, et présente deux cellules d’habitation grandeur nature, réalisés à partir d’éléments préfabriqués. La formation professionnelle des adultes y anime un stand.

La grande opération immobilière du moment, c’est le grand chantier de la Mousserie à Wattrelos[6], dont on voit une photo géante dans le cadre de l’exposition, et qui est présentée comme une ville moderne aux vastes aires gazonnées. On peut aller y visiter les logements témoins, un service d’autocars fonctionne entre le boulevard Gambetta et la plaine de la Mousserie à Wattrelos.

La quinzaine du logement va durer jusqu’au 14 octobre 1956. Son entrée est libre, un public nombreux s’y rendra. Des réceptions officielles auront lieu, parmi lesquelles, celle des organismes paritaires, des entrepreneurs, des représentants de la presse régionale. Le conseil municipal de Wattrelos sera reçu à la Mousserie, puis il y aura la journée du bâtiment, avec la participation du syndicat du bâtiment, et une exposition des travaux des stagiaires FPA. Les nouvelles techniques concernant l’industrialisation du bâtiment seront également exposées.

Albert Prouvost Président Fondateur du CIL recevant les représentants des Caisses d’Épargne Photo Nord Éclair

Après la visite des administrateurs des caisses d’épargne, et des représentants des services municipaux, c’est au tour des représentants des CIL de France qui se retrouvent à Roubaix pour la tenue de leur congrès. Enfin, une soixantaine d’architectes parisiens visitent les établissements Pennel et Flipo et l’exposition du CIL.

Le CIL utilise le système des quinzaines, dans le but de présenter ses réalisations, mais également d’intéresser la population à la question du logement sur les thèmes de la location, et de l’accession à la propriété. Ces manifestations s’organisent simultanément avec l’inauguration de nouvelles constructions. La quinzaine d’octobre 1956 intervient quelques temps avant le démarrage des grands chantiers de la cité des Hauts Champs et de l’opération de rénovation du quartier Edouard Anseele.


[1] In Robert Colin, Premier bilan des allocations de logement 1952
[2] Voir ce sujet dans la revue des ateliers mémoire n°1 disponible en médiathèque de Roubaix
[3]ibidem
[4] D’après la presse de l’époque
[5] Ibidem note 2 et 3
[6] La première pierre a été posée le 18 octobre 1954.

Auchan, Sasi, Coop

La cité des Hauts Champs voit ses premiers locataires arriver en 1960. Les appartements sont neufs et modernes : les murs sont peints en blanc, le sol est couvert de lino, il y a des placards de rangement, une salle d’eau et des toilettes privées. Mais ce nouveau quartier de neuf cents logements est une petite ville aux rues caillouteuses, mal desservie par les transports en commun, éloignée de tout service public. Le ravitaillement est un véritable problème. Il n’y a pas de commerce de proximité. Les gens vont faire leur courses dans le quartier de la Justice, rue de Lannoy, ou encore boulevard de Fourmies, et ce n’est pas tout près. Il existe bien des fermes du côté d’Hem, mais elles sont à distance.

Trois enseignes commerciales vont s’installer, avant que les Hauts Champs ne se complètent avec d’autres constructions (Chemin vert, Longchamp), ce qui fera plus que doubler la population résidente.

Le 23 décembre 1961, le Préfet du Nord, M. Hirsch, inaugure un super-marché (avec le tiret) dans une ancienne usine de l’avenue Motte, il y a peu de temps encore une filature de laine. C’est le premier Auchan de France. Il se présente comme un « libre service intégral », propose une surface de 1140 m² de surface de vente et 1200m² de réserves. L’entrée se fait du côté de la rue Braille, et un parking de 200 voitures a été aménagé juste devant, ce qui est signalé comme une nouveauté. Autre nouveauté, le gain de temps, on trouve de tout et on dispose de paniers roulants (sic) qu’on peut amener jusqu’à la voiture. Le gain d’argent est également un argument fort, c’est d’ailleurs la devise du supermarché « plus de marchandises pour moins d’argent ».

Que trouve-t-on dans ce premier super-marché ? Les rayons suivants : épicerie, fruits et légumes, crémerie, boucherie, vins, bières, eaux minérales, confiserie, pâtisserie, boulangerie, produits d’entretien, petite quincaillerie, vaisselle, papeterie, librairie, jouets, disques (avec un appareil d’écoute automatique), rayons textiles et habillement, bonneterie, sous vêtements, linge de maison.

Parmi les invités ou personnalités, les maires d’Hem et de Croix, les représentants du patronat textile Maurice Hannart, Louis Mulliez, le président du centre paritaire du logement Ignace Mulliez, successeur d’Albert Prouvost, promoteur de la cité des Hauts Champs, les PDG des Trois Suisses, de la Redoute…

Le supermarché Sasi est inauguré le 29 avril 1963 avenue Laennec à Hem. C’est le deuxième de la chaîne d’établissements dont Jacques Bruyelle, présent pour l’occasion, est le PDG. Le nouveau magasin fait 350 m² : 190 m² sont consacrés à l’alimentation, produits frais et liquides, et 130 m² au non alimentaire. Un stand boucherie de 35 m² est tenu en concession par un homme du métier, et un stand de teinturerie, blanchisserie, nettoyage à sec est proposé par un des actionnaires du supermarché, les établissements Duhamel.

Le maire d’Hem, des représentants de la direction du CIL, la directrice de la Maison de l’enfance des Trois Baudets, assistaient à l’inauguration. Le gérant associé est M. Lepetit entouré de son PDG et de ses collègues, ainsi que M. Duhamel et Val des teintureries Duhamel, et d’un représentant de la société Delespaul.

C’est le 12 avril 1965 que les Coopérateurs de Flandre et d’Artois inaugurent leur 686e point de vente COOP, dans le quartier des Hauts Champs, rue Emile Zola prolongée. A cette époque en effet, la rue Degas n’existe pas encore, car les sols de la rue n’ont pas été viabilisés. C’est un super COOP de 235 m² conçu selon les plans de l’architecte Houdret. Parmi les invités, un représentant de la ville de Roubaix, quelques directeurs de sociétés. Les premiers gérants sont les M et Mme Lefebvre.

 Où se trouvait donc exactement cette supérette ? Les témoins la situent juste à côté du local de la chaufferie, de l’autre côté d’un sentier remontant vers la rue Joseph Dubar. Aujourd’hui tout a disparu, chaufferie et magasins, des témoins se souviennent qu’un marchand de fruits et légumes a succédé à la COOP, et il y aurait eu un salon de coiffure. En 1983, un plan établi pour la rénovation du bâtiment Degas porte la mention anciens commerces, là où à peine vingt ans plus tôt une supérette est venue s’implanter au milieu du quartier. Ce fut aux dires des témoins la seule tentative de commerce de proximité intra Hauts Champs.

Inauguration du lycée

Le dimanche 30 septembre 1956, c’est le Président du Conseil en personne, Guy Mollet, qui vient inaugurer le nouveau lycée, qui est ouvert depuis l’automne 1955. L’achèvement de la première tranche des travaux a permis d’accueillir 450 élèves à la rentrée d’octobre 1955. Le lycée n’est donc encore à cette date qu’un collège classique et moderne, car il reçoit les élèves du premier cycle et des classes élémentaires.

Le bâtiment B du lycée en 1956 Photo Nord Éclair

La seconde tranche de travaux lui permettra de devenir un lycée, où seront groupées les classes du premier et second cycle, c’est-à-dire de la sixième aux classes terminales. Bâti sur un vaste terrain, composé de bâtiments reliés par une galerie qui fait fonction de préau, le nouvel établissement possède également une cour d’honneur, une bibliothèque qui surplombe la cour d’honneur, à droite de laquelle se trouve la loge du concierge et les garages à vélo. Les bâtiments terminés sont les suivants : le bâtiment B celui des classes du premier cycle, quinze classes et sept études, le bâtiment C pour les classes élémentaires, onze classes et un préau couvert. Il y a aussi le bâtiment des cuisines, du réfectoire, qui peut recevoir 650 demi-pensionnaires et 180 internes. Il y a également une infirmerie qui peut héberger douze malades. Voilà ce que découvrira Guy Mollet.

Le Président du Conseil Guy Mollet Photo Collection privée et Nord Éclair

Qui est donc le Président du Conseil que reçoit Roubaix ? Élu maire et conseiller général d’Arras en 1945, puis député du Pas-de-Calais en 1946, Guy Mollet devient la même année secrétaire général de la SFIO, jusqu’en 1969. Il est ministre d’État dans les gouvernements Blum (1946-1947) et Pleven (1950-1951) et vice-président du Conseil dans le cabinet Queuille (mars-juillet 1951). Fidèle soutien du gouvernement de Pierre Mendès France, il lui succède en 1956. Président du Conseil (1er février 1956-13 juin 1957) Entre octobre et novembre 1956, il gère la crise du canal de Suez. À propos de l’Algérie, la guerre est pour lui « imbécile et sans issue », l’indépendance est dictée par le bon sens. Il a accordé leur indépendance à la Tunisie et au Maroc, et fait voter la loi-cadre Deferre, qui accorde l’autonomie à l’Afrique noire et annonce l’indépendance. Son cabinet fait adopter une troisième semaine de congés payés, la vignette automobile pour financer l’aide aux personnes âgées sans ressources, des mesures d’aide au logement. En mars 1957, seront signés les traités instituant la Communauté économique européenne (CEE).

Voilà l’homme qu’accueille Roubaix, pour deux réceptions, trois inaugurations, et un banquet. Il arrive d’Arras en voiture à 9 h 30 sur la Grand Place de Roubaix salué comme il se doit par la Marseillaise. Il prononce un premier discours dans la salle du conseil municipal, procède à une remise de décorations, reçoit la plaquette d’honneur de la ville, puis signe le livre d’or. A 10 h00, il se rend en cortège au monument aux morts du boulevard Leclerc pour y déposer une gerbe, tandis que le 43e RI sonne l’appel aux morts. Puis Guy Mollet gagne le lycée en remontant le boulevard de paris, les avenues Jean Jaurès, Gustave Delory, Alfred Motte et Roger Salengro.

Maurice Lefévre, le second Proviseur du Lycée, accueil des officiels Photos Nord Éclair

C’est un nouveau proviseur qui l’accueille, M. Maurice Lefévre, qui vient tout juste de remplacer M. Agnès parti à Constance. Originaire de l’Aisne, il a fait toute sa carrière dans l’académie de Lille, et il vient du collège de Béthune où il était principal depuis 1946.

Le Président du Conseil procède à une visite éclair de la bibliothèque et des classes d’études du premier bâtiment, puis l’on se retrouve dans la grande salle du réfectoire, pour la réception et les discours. Le maire de Roubaix, Victor Provo, prend la parole, raconte la réalisation pratique de l’ouvrage, rend hommage aux constructeurs, vante le cadre et conclut en ces termes : Puisse ce lycée fournir les chercheurs, les savants, les techniciens dont l’Humanité a besoin.

M. Brunol, directeur de l’enseignement du second degré prend ensuite la parole au nom du ministre de l’éducation, et c’est au tour de Guy Mollet. Il dit que ces inaugurations d’établissements secondaires lui procurent les plus grandes joies, car il est de la maison de la grande famille universitaire. Ancien enseignant, il se décrit comme un pédago en politique, mais qui doute au sens noble du terme. Il définit l’éducation, cet ensemble de méthodes par lequel une génération se poursuit dans la suivante, en assurant la continuité d’une action. Il évoque la perspective positive du nouveau lycée : les élèves habitués à des locaux où règnent la clarté, le confort et l’hygiène, ne pourront plus jamais admettre la plaie sociale du taudis, dans leur vie d’homme. Il rend hommage au corps enseignant, parle des réformes en cours et dit l’importance de l’élément intellectuel dans la formation et la culture des jeunes. Il termine en rendant hommage à Roubaix qui fait tant pour la République, tandis que retentit la Marseillaise exécutée par la Grande Harmonie.

Il s’en va ensuite inaugurer le groupe scolaire de la Potennerie, puis c’est une visite à la salle Watremez où se tient le salon international du tourisme et de la fleur. Après avoir traversé la nouvelle cité de la Mousserie, Guy Mollet regagne le centre de Roubaix et va s’incliner devant le monument de Jean Lebas. Il préside enfin un grand banquet au Grand Hôtel où il prononce un discours de politique générale (crise de suez, l’Europe en chantier…). Il quitte Roubaix dans l’après midi pour se rendre à Lomme pour d’autres inaugurations.

Une vie pour le commerce

Fils d’un chapelier d’origine belge, Jean Déarx est né le 24 mars 1885, au domicile de ses parents, rue de Lille. Il va poursuivre la profession familiale et la développer. Avant la première guerre, il crée l’industrie de la chapellerie cousue. On le trouve installé après la guerre comme fabricant de casquettes au n°21 de la rue de Lannoy, et il a installé ses ateliers au n°4 de la rue Bernard. Au-delà, il va consacrer sa vie à la défense et à l’extension du commerce. Dans sa branche, il sera Président de la chambre syndicale des fabricants de casquettes, chapeaux piqués et uniformes du nord de la France et vice-président de la fédération nationale de la Chapellerie.

Le magasin du Chapelier Jean, 21 rue de Lannoy Collection Particulière

A Roubaix, il sera premier vice-président de la chambre de commerce de Roubaix, Président fondateur de la fédération des syndicats commerciaux de Roubaix et de ses cantons, Président fondateur du salon des arts ménagers de Roubaix et Président de la fédération des groupements commerciaux de Roubaix et de ses cantons. Il a aussi été juge au tribunal du commerce.

Tout cet engagement ne l’empêche pas de s’investir encore dans d’autres domaines. Il a fait la première guerre mondiale, est décoré de la croix du Combattant, et pendant la seconde guerre a été interné comme résistant à la prison de Loos en 1944. Il n’est donc pas étonnant de le retrouver président d’honneur de l’Union des réformés et mutilés de Roubaix, Lannoy et leurs cantons, et vice président des résistants internés et déportés.

Il est également délégué cantonal, administrateur du conservatoire de musique de Roubaix, administrateur du lycée de jeunes filles, administrateur et membre du conseil technique de l’ENSAIT et Président d’honneur de la FAL.

Fait Officier de la légion d’honneur en 1947, lors du passage du Président de la République à Roubaix, Jean Déarx est promu commandeur de la légion d’honneur le 8 mars 1957.

Jean Déarx Photo Nord Éclair

Mais l’un des titres honorifiques qui lui tenait sans doute beaucoup à cœur, c’est la présidence  d’honneur de l’union des commerçants de la rue de Lannoy. Car Jean Déarx s’opposa de toutes ses forces à la destruction du début de la rue de Lannoy, participant même à un contre-projet pour le centre commercial de Roubaix 2000. Mais rien n’y fit. Jean Déarx ne quittera pas la rue de Lannoy, car il se réinstallera aux n°111-113, et ainsi évitera le centre de transit du Lido. Il ne connaîtra pas réellement le centre commercial Roubaix 2000, car il décède le 25 août 1972, soit quelques jours avant l’inauguration officielle. Avec Jean Déarx, c’est une figure importante du Roubaix des grandes rues commerçantes qui disparaît.