Rue du Vieil Abreuvoir, la rue-piétons

L’une des plus anciennes rues de Roubaix est relativement étroite : elle atteint à peine sept mètres par endroits, et on y rencontre des difficultés de circulation. Les trottoirs manquent également de largeur, et n’incitent pas au « lèche vitrine ». Pourtant, les boutiques y ont toujours été nombreuses : dans la première partie, de la grand place à la rue Nain, elles ont de tout temps constitué le rez de chaussée de presque tous les immeubles, et couvrent, par leur variété, pratiquement tous les besoins.

Photo Nord Eclair 1965

C’est ainsi que dans les années 60, on rencontre, avant la rue Nain, du côté impair successivement une maroquinerie, une chemiserie, un café, une confiserie, un autre chemisier, une boutique vendant des accessoires pour le dessin industriel, une parfumerie, un magasin d’alimentation, une librairie, une coutellerie, et un coiffeur. Côté pair, à droite, après deux cafés,deux boutiques de confection, un magasin de décoration, un marchand de radio-télé, une charcuterie, un coiffeur, un commerce de linge de maison, une teinturerie, une banque, une épicerie et un café.

La partie située entre la rue Nain et la rue du Curé, quoique plus longue que l’autre, a toujours abrité moins de commerces, mais on y voit quand même dans les années 60 quatre cafés, la pharmacie Willot, un antiquaire, un institut de beauté, un commerce radio-télévision, et un cordonnier côté impair, un magasin de cadeaux, un sellier, une agence immobilière, un commerce de fruits, une teinturerie, un opticien, un horloger, un magasin d’imperméables, et un restaurant côté pair.

Pourtant à cette époque, l’abondance de l’offre n’attire qu’une clientèle un peu trop rare au yeux des commerçants de la rue. Prenant exemple sur d’autres villes telles Courtrai et Cologne, l’UCC, l’Union des Commerçants du Centre, sous la houlette de M. Harmand, son président, audacieusement d’interdire la rue aux voitures, pour la réserver aux piétons. Cette proposition qui va de l’avant vise à promouvoir le commerce dans la rue. Les clients de la première partie de la rue (avant la rue Nain) pourront effectuer leurs achats en toute quiétude, sans se préoccuper de la circulation. Répondant à cette demande, la municipalité organise en 1965 une expérience qui va s’étendre sur trois mois dénommée « rue-piétons ». A l’issue de l’expérience, si elle s’avère concluante, elle pourra devenir définitive. L’idée est neuve à cet époque où on privilégie le développement de l’automobile !

On inaugure la rue-piétons, comme la surnomme la presse, avec force personnalités.

Photo Nord Éclair 1965

A l’heure du bilan, les commerçants de la seconde partie partie, celle située entre la rue Nain et la rue du Curé se montrent critiques. Ils n’ont pas fait partie de l’expérience et n’ont pas été consultés. Ils insistent sur l’hiatus important entre les deux parties de la rue : Leurs clients venaient en voiture de la grand place en passant par la partie de la rue désormais interdite aux autos, et ajoutent qu’ils ne profitent pas non plus du passage des piétons qui ne viennent pas jusque là. En bref, ils s’opposent à la confirmation du secteur piétonnier. Nord Matin titre « la rue à piétons piétine ».

En 1979 on reparle de la piétonisation de la première partie. Le projet qui se fait jour complète celui visant la place de la Liberté pour faire un ensemble englobant la grand rue et plusieurs autres, à terme. Le maire, Pierre Prouvost, y voyant un élément de renaissance du centre ville, tend une oreille favorable à la demande et la presse une réalisation toute proche.

Document La Voix du Nord 1979

Cette « piétonisation » doit se faire en relation avec la percée de l’avenue des Nations Unies et la construction du nouveau quartier d’habitations dit « Alma-centre » dont le chantier va de toute manière interrompre la circulation dans la rue du Vieil Abreuvoir. En effet, dans le cadre de ces travaux, une partie des bâtiments côté impair de la seconde partie de la rue vont disparaître. On y voit l’occasion, en prévoyant des magasins au rez de chaussée des nouvelles constructions de renforcer le caractère commercial de la rue. C’est chose faite à la fin de l’année et, dans la foulée, fin novembre 1980, on assiste à l’inauguration de la deuxième partie de la rue.

Photo Nord Éclair

L’inauguration de la seconde partie préfigure la mise en piétonnier de la grand rue entre la place de la Liberté et la grand place, qui doit avoir lieu en 1982. La rue a changé d’aspect : trottoirs supprimés, fil d’eau au centre de la chaussée, installation de luminaires de style ancien au tiers de la largeur de la chaussée et de vasques de verdure. On assiste alors à quelques changements : Nord Éclair s’installe au coin de l’avenue Jean Lebas et la Maison du livre quitte le 21 pour investir l’immeuble de l’ancienne poste au 27, et une pharmacie remplace le crédit agricole, côté pair à la hauteur de la rue Nain. La rue est investie dans toute sa longueur par les piétons.

Comme prévu, des immeubles neufs viennent boucher les « dents creuses » laissées par les démolitions consécutives à la construction de l’avenue des Nations Unies. Leur rez-de-chaussée doit abriter des commerces nouveaux, au nombre de neuf, qui renforceront l’attractivité de la deuxième partie de la rue.

Photo La Voix du Nord 1982

Néanmoins, après le premier engouement, la fréquentation de la zone piétonnière se montre inférieure aux espérances ; les passants se font trop rares : peut-être que l’habitude est prise, et qu’ils préfèrent prendre leur voiture pour se rendre à la périphérie et fréquenter les centres commerciaux des environs.

Photo Lucien Delvarre

La piétonisation ne semble plus suffisante pour attirer la clientèle dans la rue ; on envisage peut-être même comme un inconvénient le fait de d’obliger les chalands à se priver de voiture pour faire les courses. En dernière analyse, on choisit à la fin des années 90 un moyen terme et on décide de laisser à nouveau pénétrer l’automobile dans le secteur piétonnier. Les zones réservées aux piétons sont délimitées par des poteaux métalliques, et on réintroduit le stationnement à certains endroits.

Photo la Voix du Nord 2018

Mais, avec le recul, cette réintroduction ne semble pas avoir eu une action très efficace sur la fréquentation du public, et le promeneur s’y sent toujours esseulé. Décidément cette rue a bien du mal retrouver son animation d’antan !

Les illustrations proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.

Place de la Liberté : on aménage

La décision de reporter grand place le terminus du Mongy une fois prise, on prend l’option de déplacer les voies qui vont désormais emprunter le centre de la place. On supprime celles qui longeaient la banque de France, et on crée une nouvelle courbe.

Les tramways vont circuler là où stationnent les voitures : on se borne dans un premier temps à modifier les traits tracés au sol pour laisser la place aux rails. On fait confiance aux automobilistes qui devront être attentifs à ne pas dépasser les limites fixées pour laisser le libre passage aux motrices.

Sans doute la cohabitation est-t-elle difficile à régler, car on décide très vite d’aménager un site propre pour la voie ferrée. On réserve donc dans l’axe de la place une bande de terrain dont les limites sont matérialisées par des haies basses. Les motrices reprendront leur place au sein de la circulation après la courbe les amenant dans la grand rue. Il leur faudra ensuite cohabiter avec les voitures sur le chemin de retour vers Lille jusqu’à l’entrée du parc Barbieux. Les automobilistes continueront à côtoyer les trams grand rue, grand place et rue du Maréchal Foch d’ailleurs à sens unique, alors que les autobus remplacent les anciens tramways partout ailleurs dans les rues de Roubaix. Ces aménagements sont terminés en 1955.

Les aménagements de la place de la Liberté n’évoluent pas pendant une vingtaine d’années : Une photo de 1976 nous montre qu’à cette date, si les modèles de voitures ont changé, la physionomie de la place n’a pas évolué.

Document collection D.Labbe

Pourtant la circulation n’est plus la même : depuis les années 50 la presse insiste de façon récurrente sur les problèmes liés à la circulation. Nord Matin fait état en 1972 de grosses difficultés dues à la cohabitation avec les piétons qui traversent le boulevard devant le Broutteux. Le problème va trouver sa solution dans la création d’un secteur piétonnier. On projette en effet en 1976 de faire de l’extrémité de la grand rue une voie piétonne pour redonner un attrait au centre ville (voir notre article à ce sujet). Après étude, la décision se précise : le Mongy, un instant menacé par le projet, continuera à emprunter cette section.

Le Mongy emprunte la grand rue – Photo collection D. Labbe

La place de la Liberté est directement concernée par ce projet visant visant également à intégrer le centre historique et Roubaix 2000 dans un seul ensemble à travers le boulevard Gambetta. Les commerçants concernés sont conviés pour information par la chambre de commerce à une visite du secteur piétonnier de Dieppe qui date d’un an. Ils y découvrent un espace dotée de mobilier urbain, où animations et promotions commerciales permettent de donner une âme.

Les commerçants dans la grand rue de Dieppe – Photo la Voix du Nord 1976

Dans le projet pour la place, seule la moitié côté banque de France, placée en sens unique, reste dévolue aux automobilistes. Le reste, le côté commerçant, est partagé entre les transports en commun et les piétons. Un première zone large d’une dizaine de mètres le long des magasins sera ornée de végétaux et de mobilier urbain. L’architecte prévoit des vitrines où les commerçants pourront installer leurs produits. Plus loin, un couloir sera réservé à la circulation des bus entre la zone piétons et la plate-forme centrale du Mongy.

Photo la Voix du Nord

En 77, on attaque les travaux qui vont durer plusieurs mois, mettant les patiences à l’épreuve. La Voix du Nord titre à cette occasion : « il faut souffrir pour être beau » ! L’équipement urbain est complété en 82 par une sanisette, sujet de curiosité pour les roubaisiens.

L’aspect de la place semble attirer les photographes, inspirés également par le spectacle des lumières nocturnes :

Dans années 90, les voies du tramway quittent définitivement la place ; il s’arrête désormais à Eurotéléport. On peut enlever les rails de la place, qui renoue avec les travaux : En effet, le percement des galeries du métro vont livrer une nouvelle fois, à la fin de la décennie, la place aux engins de terrassement. Il faut, après la station Eurotéléport, que les rames changent de direction en passant sous la place pour se diriger vers la grand place, avant, par une nouvelle courbe, de se diriger vers la gare.

Ces travaux terminés, on réaménage la place juste avant le tournant du siècle, et c’est alors un parking qui occupe la majorité de l’espace. Seule demeure ouverte à la circulation une voie placée le long de la banque de France.

La place en 2018 – Photo la Voix du Nord

Les documents proviennent de la médiathèque de Roubaix et des archives municipales.

Place de la Liberté (suite)

En même temps que l’agrandissement de la place, au tout début du 20ème siècle, va intervenir un événement qui va changer sa physionomie : la construction de la banque de France.

En 1871 une succursale de Roubaix-Tourcoing pour cet établissement s’installe rue de Tourcoing, au 115 bis. On crée quelques années plus tard une annexe à Tourcoing. Rien ne s’oppose plus alors au rapprochement de la banque vers le centre de la ville. La vente des locaux de l’ancienne filature Grimonprez va être l’occasion de ce déplacement.

On construit l’immeuble dans l’alignement des anciennes constructions bordant la place. C’est un bâtiment néo-classique comportant un corps central à deux étages flanqué de deux ailes basses.

Dans l’alignement de l’établissement bancaire est érigée une habitation à un étage destinée au directeur de l’établissement. Une double porte donne accès au côté de l’habitation, ainsi qu’au jardin, qui se prolonge jusqu’au boulevard Gambetta. Le premier directeur en est Georges Thoyer.

On construit également sur la grand-rue un petit bâtiment à la curieuse toiture, qui semble coupée en deux, appuyée sur le pignon de la maison voisine. Pour garantir les caves de l’humidité, la ville fait construire un aqueduc qui se déversera dans le Trichon. La porte principale qui donne accès au public ouvre sur la place. Elle est située dans l’axe du bâtiment central.

Un article du Journal de Roubaix datant de 1909 explique que le marché aux charbons ayant disparu, s’installe un « marché aux puces » où les gens peuvent acheter toutes sortes de choses : « …marchandises les plus invraisemblables et les plus dépareillées : c’est le capharnaüm roubaisien… d’où peuvent bien sortir tous ces débris, toutes ces misères ? ».

Une participante aux ateliers mémoire témoigne qu’on trouvait dans sa jeunesse sur ce marché jusqu’à des dentiers et des paires de lunettes usagées. Elle explique que son grand-père n’achetait jamais ailleurs ses lunettes !

Le tramway n’a pas tardé à investir la place. Très vite une ligne de la compagnie des Tramways de Roubaix-Tourcoing, venue du boulevard Gambetta et se branchant en « Y » sur la ligne de la grand rue longe le trottoir des numéros pairs avant de s’écarter pour prendre son virage vers le boulevard. Cette voie, qui rejoint la grand place par la rue Pierre Motte, permet de désengorger la ligne de Wattrelos entre les deux places, et rend inutile un doublement de la voie dans la grand rue, doublement dont l’évocation soulève un tollé chez les commerçants. La photo montre une motrice de la première série prête à négocier courbe et contre-courbe.

Lors de la mise en service des cars « Mongy » en 1909, les quelques voies du terminus Roubaisien sont placées le long du trottoir de la banque de France. Une courbe à 90 degrés permet aux rames d’accéder à la chaussée opposée du boulevard Gambetta en direction de Lille.

Ce terminus est également employé à l’époque par d’autres, telle la ligne S, à destination de Hem, de l’Électrique Lille – Roubaix-Tourcoing. Le tramway S emprunte le boulevard Gambetta avant de prendre la rue du Coq Français. On voit sur la photo qui suit une motrice à essieux de l’ELRT de type 300. Derrière, une remorque placée là à poste fixe sert de cantine pour le personnel. L’autre photo, très postérieure, montre deux motrices 500, à destination de Lille.

Photos Gillham et collection D.Labbe

A ce terminus est adjoint un vaste kiosque dont le soubassement bas est maçonné et les parois complètement vitrées. Le toit est plat, à la différence des kiosques de la compagnie des TRT qui présentent une toiture à quatre pentes douces. Un peu plus tard, on accole un urinoir au kiosque-abri des trams. L’odeur qui s’en dégage alimentera les conversations de roubaisiens pendant des années !

Photos collection D.Labbe

Dans les années 50, on organise un parking en arêtes de poisson pour sacrifier aux besoins accrus de places de stationnement. L’opération se borne à matérialiser les places par de la peinture.

Photo Nord Matin 1951

La démolition du kiosque surviendra en 1954, en vue de la modification du tracé de la ligne due au report du terminus du Mongy à la grand Place. Les journaux s’entendent pour saluer la disparition de l’urinoir.

A suivre.

Les documents proviennent de la médiathèque et des archives municipales.

Un orchestre des années 60

Les années 60 ont connu un phénomène particulier dont on n’a pas eu l’exemple dans les périodes antérieures, l’apparition d’une quantité impressionnante – on en compte plusieurs dizaines à Roubaix et environs – de petits orchestres de jeunes amateurs, nés de la vague musicale venue des États-Unis et répandue en France par les radios, en particulier Europe I, toute jeune station alors, qu’on écoute sur la nouvelle merveille, le transistor.

Ces groupes sont tous plus ou moins constitués de la même façon, trois guitares électriques, récemment commercialisées, et une batterie – et souvent un chanteur. Ils se forment par une volonté propre, au gré des connaissances et des circonstances, avec un désir commun de reproduire la musique qui envahit les ondes à destination des jeunes, qu’on appelle à l’époque les teenagers.

Nous allons évoquer cette période à travers les souvenirs d’un membre – appelons-le Robert – d’un de ces orchestres.

Guitares Eko et Norma – documents FetishGuitar.com

Le père de Robert avait joué du violon dans sa jeunesse. Il poussa donc tout naturellement son fils vers la musique et c’est ainsi que Robert apprit à jouer du violon, vers 11 ans, à l’école de musique de Mouvaux. A ce moment apparaissent sur les ondes tout une série de chanteurs et d’orchestres instrumentaux émules d’un nouveau rythme et de sonorités nouvelles permises par l’utilisation de ces nouveaux instruments.

C’est un choc pour toute une génération, et, en particulier, pour Robert, qui rêve à 15-16 ans de jouer cette musique. La guitare devient le sujet favoris des conversations à l’école et petit à petit, il abandonne l’archer de son violon pour en gratter les cordes comme il le ferait avec une guitare. Voyant cela, son père se décide à aller lui acheter l’instrument rêvé dans un petit magasin à Tourcoing où Robert avait repéré un petite guitare rouge, pas trop chère, une guitare sèche comme on dit à l’époque pour les instruments dont le son n’est pas amplifié électroniquement. C’est une Egmond, qu’on peut équiper de micros.

La première guitare de Robert – photo Jpm

Il faut maintenant apprendre à en jouer. Le père de Robert connaît dans son entreprise quelqu’un qui joue de la guitare. Il lui propose d’accompagner son fils dans cet apprentissage. C’est ainsi que Robert s’initie aux accords et aux arpèges et jouant des chansons de Brassens.

Cette base acquise, et désireux de jouer des morceaux plus modernes, il se tourne vers la Maison des Jeunes et de la Culture de Tourcoing où il rencontre d’autres jeunes partageant la même passion, encadrés par un adulte qui les guide dans leur approfondissement et les aide à faire progresser leur technique.

Robert commence ainsi à jouer de la guitare rythmique, mais aussi les solos : en effet, en dehors des morceaux purement instrumentaux, chaque chanson à l’époque comporte un « pont » entre deux refrains où le guitariste du groupe joue en solo une variante de la mélodie.

Guitares Meazzi – documents FetishGuitar.com

Plus tard, la MJC oriente Robert vers un orchestre qui démarre à Roubaix, près du boulevard Descat. Il intègre ce groupe avec lequel il répète tous les jeudis, alors jour de congé scolaire. Ne pouvant pas stocker sur place leur matériel, ils répètent sans batterie, impossible à transporter chaque semaine. Ils la remplacent par une seule caisse à qui revient la tache de marquer le rythme. Robert, lui, doit transporter sur sa mobylette l’ampli qu’il a acheté d’occasion…

Le groupe comprend trois musiciens et ne comporte pas de basse. Robert y dispose d’une guitare électrique, prêtée. En effet, l’initiateur du groupe dispose, après la dissolution d’un précédent orchestre, du matériel complet qui est entreposé dans l’arrière-salle du café paternel. Malheureusement, les répétitions ne peuvent pas se dérouler sur place à cause du bruit que génère ce type d’ensemble, et il faut répéter dans un endroit plus isolé, ce qui explique ces allées et venues de matériel.

Mais Robert ne reste pas très longtemps dans le groupe. En effet, il entend parler à la MJC d’un autre orchestre, dont le soliste vient de partir à l’armée, et qui cherche à le remplacer. Il se présente au Nouveau Roubaix, où répète le groupe, et celui-ci l’accueille dans ses rangs. Le voici soliste. Privé de chanteur, parti sous les drapeaux, le groupe se spécialise dans l’instrumental, dont la tête de file est représentée à l’époque par les Shadows, un groupe anglais. Robert rachète à l’ancien soliste, qui vient de s’acheter une Fender (le nec plus ultra à l’époque), sa guitare, une Kent. Elle possède quatre micros et, merveille, un vibrato qui lui permet de reproduire les effets sonores des groupes connus.

La Kent de Robert – photo Jpm

C’est l’époque où le Carioca, cinéma de Lys lez Lannoy, situé près de la Justice, offre à sa jeune clientèle une salle de dancing et prend le risque de proposer à certains jeunes orchestres qui se constituent la possibilité de jouer une ou deux chansons pour se faire connaître du public local. L’orchestre saisit l’occasion aux cheveux, et se produit sur scène pour faire ses preuves.

Documents provenant du Blog de Juluis59

Ils obtiennent ensuite quelques engagements, notamment à la braderie de la rue de l’Hommelet, où ils sont financés par la municipalité, mais aussi dans des salles familiales où ils jouent deux ou trois morceaux entre les prestations d’un orchestre au style plus « traditionnel ». Les cachets se montent à peu de chose, d’autant que les concerts ne sont ni nombreux, ni réguliers : inutile d’espérer acheter du matériel avec ces ressources ! Les activités de l’orchestre se résument donc le plus souvent aux répétitions.

Nouveau venu dans l’orchestre, Il faut à Robert apprendre tous les morceaux joués par le groupe. Au début, il joue la basse, laissant à un autre le soin d’assurer le solo des titres qu’il ne connaît pas encore bien. A l’époque, on ne trouve pas ou très peu de partitions (qu’on achète rue de Lannoy) pour les groupes instrumentaux. Il faut se débrouiller et acheter les 45 tours des morceaux qu’on veut jouer puis les passer et repasser mesure par mesure sur un électrophone pour les jouer à l’oreille et les apprendre par cœur. Chacun travaille ainsi sa partie chez soi, et on met le tout en commun lors des répétitions. Le répertoire de l’orchestre se monte à une quinzaine de morceaux.

Un Teppaz de l’époque – Photo site hubert.frappier.free.fr

Mais, au bout des 18 mois fatidiques, le guitariste solo en titre revient, ses obligations militaires accomplies, et Robert quitte le groupe. Il a alors 18-19 ans. Les sorties avec les copains au Colisée, puis la rencontre de sa future épouse mettent un terme à ses envies de se produire sur scène. Là s’arrête donc son expérience de musicien et son témoignage. Merci à lui.

Les Shadows – Photo Rolling Stones Stories – Overblog

La place de la Liberté

Au 15ème siècle, Pierre de Roubaix fait édifier une chapelle dédiée au St Sepulchre le long du chemin de Wattrelos, à ce qui était alors l’extrémité de la grand-rue, dans l’alignement de la rue Pauvrée. Un hospice pour les vieillards la jouxte. Le jardin s’étend jusqu’au Trichon. À la fin du 17ème siècle l’édifice brûle dans l’incendie du centre ville, mais il est reconstruit. Lors de la révolution, il est vendu comme bien national, et on le retrouve ensuite propriété des hospices de Roubaix qui le cèdent finalement à la municipalité.

Plan cadastral 1804 et Journal de Roubaix 1933

En 1815 on installe les services de la douane dans l’ancienne chapelle. Sur les jardins, côté Trichon, est édifiée une caserne de gendarmerie. Le reste de l’espace accueille le marché aux charbons. Un numéro du Journal de Roubaix de 1909 nous retrace ainsi cette époque : Les chariots, appelés « carabeux » apportaient le charbon de bois depuis la forêt de Mormal. Celui-ci était utilisé par l’industrie pour la préparation des laines. Ils se dirigeaient vers un terrain vague devant la chapelle… La place va garder le nom de marché aux charbons jusqu’en 1848. La rue qui longe les habitations est baptisée rue du Sépulchre.

Plan cadastral 1826

Peu de temps après, un plan de 1832 nous montre que les bâtiments de l’Hospice ont disparu et qu’on a ajouté un corps de bâtiment à la gendarmerie, qui forme maintenant un « U ». Celle-ci, servant de caserne a sans doute vu ses effectifs augmenter entre-temps.

La gendarmerie est située face au canal, creusé récemment. La rue de Lannoy le traverse sur le pont dit « de la gendarmerie ». Entre le canal et la gendarmerie, le terrain appartient au fabricant Bulteau-Prouvost, dont l’usine borde la rue du Galon d’eau.

Plan 1832

Mais le bâtiment de la chapelle se dégrade et les douaniers le quittent. L’ensemble est rasé. La place ainsi dégagée prend le nom de place du Sépulchre pour peu de temps, car on y plantera lors de la révolution de 1848 un peuplier, l’arbre de la Liberté au milieu du marché et la place prendra ainsi son nom définitif.

Eugène Grimonprez-Delaoutre, fils de Pierre Grimonprez et d’Hyacinthe Bulteau va ériger une filature sur le terrain situé entre la gendarmerie et le chemin de halage du canal.

Plan cadastral 1845

Même si les bâtiments de la gendarmerie brûlent en 1877, amenant les gendarmes à partir s’installer rue des Arts, et que la ville devient propriétaire de l’ancienne caserne qui appartenait au département, l’issue de la place vers le canal reste toujours étranglé. L’usine Grimonprez empêche encore le débouché de la place vers le boulevard Gambetta.

Les photos suivantes nous montrent, la première, les bâtiments de l’usine face au boulevard Gambetta, qu’arpentent les promeneurs, avec, à gauche la silhouette du café du Broutteux, et, la suivante, les constructions situées le long de la place jusqu’au coin de la grand rue.

Photos Nord Matin 1952

En 1889, la filature a cessé ses activités, et les bâtiments qui empiètent sur la place appartiennent à Léontine Grimonprez, veuve d’Alfred Philippe Motte. Les autres, le long de la place, sont à sa belle-mère, la veuve Liévine Grimonprez-Delaoutre, veuve du filateur Eugène Grimonprez. En outre, le coin situé en face du Broutteux, est loué au brasseur Desurmont qui y a installé un cabaret.

La municipalité, après maintes discussions, frappe d’alignement le bâtiment en mauvais état, pour empêcher les travaux de réparation et forcer ainsi sa démolition. Elle a l’idée d’y construire un théâtre puis, cette idée étant abandonnée, elle veut simplement élargir la place. Une délibération municipale de 1890 souligne que le passage entre la place et le boulevard est trop étroit pour laisser le passage aux tramways. La mairie cherche donc à acheter l’immeuble pour le démolir. Il est à noter sur le plan suivant que le passage entre l’ancienne filature et les autres bâtiments a pris le nom de rue de Lannoy, dont il est le prolongement.

Le bâtiment à démolir

Des pourparlers ont lieu avec la municipalité pour l’immeuble débordant sur la place, que Mme Grimonprez a vendu à la veuve Motte, venant elle-même de décéder en 1899. Pour ce qui est des bâtiments longeant la place et comportant des écuries et remises, les contacts sont pris avec la banque de France, qui cherche à s’implanter dans le centre-ville. Les interlocuteurs sont donc les héritiers, représentés par Albert Motte. Entre-temps, le bâtiment qui fait obstacle à l’ouverture de la place menace ruine aux dires des services de la voirie, ce qui permet à la ville, soucieuse des deniers publics, de marchander le prix d’achat. On finit en 1900 par tomber d’accord sur la vente, et la mairie va s’empresser de démolir une partie des bâtiments, tout en conservant la partie louée par M.Desurmont jusqu’à expiration de son bail en 1905. La photo suivante nous montre l’ancienne filature partiellement démolie entre 1901 et 1906. A gauche le café du Broutteux, et au fond, la grand rue.

Photo Nord Matin 1952

En 1906, la dernière partie de l’usine disparaît finalement. La ville va maintenant pouvoir aménager la place notablement agrandie, le marché aux charbons gagner un surcroît de superficie, et la banque de France ériger son agence.

Document collection particulière

A suivre…

Les documents proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.

Quatre maisons à l’Entrepont

Le carrefour de la grand rue et de la rue d’Alger s’orne dès la fin du 19ème siècle de quatre belles maisons de maître, dont trois aujourd’hui disparues, assorties de parcs imposants. Au vu des photos anciennes, on ne peut s’empêcher de s’intéresser à ces propriétés. Quelle est leur histoire, pour qui ont-elles été construites, qui les a habitées ?

Les quatre propriétés – Photo IGN 1947

Cette histoire remonte à 1868, lors que Alfred Motte choisit de s’associer avec les frères Meillassoux pour fonder la teinturerie Motte et Meillassoux frères, installée rue du Coq Français. Venus de Suresnes, les Meillassoux s’installent alors à Roubaix.

La proximité des deux familles est affirmée en 1883 par le mariage d’Étienne Motte avec Louise Meillassoux, Le père d’Étienne, qui porte le même prénom, est le frère d’Alfred Motte ; sa mère est Catherine Desurmont. Louise est fille d’André, un des frères Meillassoux et de Léontine Duval. Son frère, Edouard Meillassoux, est marié à Germaine Desmazières.

Étienne Motte fonde une filature de coton à l’angle de la rue d’Alger et de la grand rue. Il fait construire au coin de ces deux rues, dans une enclave de l’usine, une maison entourée d’un parc. Le document ci-dessous montre l’usine ; le parc et la maison sont visibles en bas à droite.

Le recensement de 1906 nous indique qu’Étienne Motte, né en 1852 et filateur de coton habite la maison sise au 393 grand rue. A cette époque, sa femme Louise est malheureusement déjà décédée à l’âge de 27 ans. Leurs enfants Étienne, Jacques, Marie, Jean Marie, Ursule et Catherine vivent avec leur père. Une photo ancienne montre, à gauche, la maison, qui présente, sur le coin, un curieux angle rentrant et une vaste façade sur la grand-rue. Un bâtiment bas la prolonge côté rue d’Alger. Un mur de clôture ferme le parc côté grand rue. Il s’étend jusqu’au dépôt des tramways.

Étienne Motte décède à son tour en 1919. Son fils Étienne, troisième du nom, époux depuis 1907 de Germaine Pollet habite la maison avec sa famille. Après la guerre, on retrouve à cette adresse dans le Ravet-Anceau jusqu’aux années 60 Motte-Lepoutre, industriel.

Mais l’usine ferme et, en Juin 1970 la communauté urbaine achète l’ensemble du terrain aux établissements Motte. On prévoit d’y construire deux établissements scolaires. Les constructions ne traînent pas et on ouvre le collège Samain en 1972. Le Lycée Rostand le suit de près, qui ouvre en 1977.

Sur l’emplacement de la maison d’Étienne Motte s’étend une pelouse située devant le bâtiment des logements des personnels administratifs du Lycée.

Pratiquement en face, la société Motte et Cie possède dès 1884 une propriété côté pair de la grand rue, comprenant une maison prolongée par des bâtiments annexes sur le jardin, qui s’étend jusqu’à la rue d’Avelghem. Cette maison prendra plus tard le numéro 308.

 

Plan cadastral 1884

En 1886 s’y installe André Meillassoux, le beau-père d’Étienne Motte. Cette installation est provisoire, car, dès 1903 il s’installe au 349, de l’autre côté de la rue, laissant la maison à Edouard Meillassoux, son fils, né en 1873, et peigneur sur laines. Il y vit avec sa femme Germaine Desmazieres et ses jeunes enfants Jacques et Pierre. La famille séjourne au 308 jusqu’à la deuxième guerre.

Photo IGN 1965

En 1953 c’est la famille d’Henri Meillassoux et de Marie-Louise Wattel, qu’on retrouve dans la maison jusque dans les années 60. Henri est fils d’Emile Meillassoux et Marguerite Wibaux, petit fils d’Edouard Meillassoux-Desmazieres.

La propriété existe encore aujourd’hui et semble bien entretenue. La grande fenêtre de droite au rez de chaussée a remplacé en 1924 les deux fenêtres originalement séparées par un trumeau.

Photo Google

Revenons à André Meillassoux, l’associé des Motte qui traverse la grand rue en 1903 pour venir habiter au 349, au coin même de la rue d’Alger où il a fait construire une demeure dont la demande de permis de construire date d’octobre 1898. Le recensement de 1906 l’y trouve, avec sa femme Léontine Duval et ses enfants Cécile et Emile ; on y mentionne la profession de peigneur sur laines.

La maison, carrée et de belle apparence, possède sur l’arrière une partie plus basse et une extension vitrée semi-circulaire sur le parc, surmontée d’un balcon.

Nord Eclair nous en livre en 1964 une vue prise depuis le jardin.

André Meillassoux décède en 1917, sa veuve reste dans la maison. En 1939, la propriété est vide selon le Ravet-Anceau. Après guerre, s’y installe le foyer de jeunes filles du peignage Alfred Motte, ainsi que le terrain d’activités physiques inter-entreprises de Roubaix-Tourcoing. Plus tard, la mairie achète la propriété de 10 000 mètres carrés en 1964, pour en faire don aux HLM dans le but d’y construire un foyer des jeunes travailleurs. Celui-ci est construit en 1968 et inauguré en 1969. Il est aujourd’hui transféré place Chaptal et l’ancienne propriété est à l’abandon.

La dernière de nos quatre maisons se situe à quelques mètres de là, au numéro 296. Elle est construite à la fin des années 1880 et abrite à partir de 1891 la famille Browaeys. Le brasseur Jean baptiste Browaeys est né en 1866, en Belgique. Il a épousé cette même année Jeanne Tiers née en 1872.

Le 296 dans les années Le 296 dans les années 80

Vue de la rue, la maison, régulière en apparence, cache un plan de toiture très curieux qu’on découvre grâce aux photos aériennes. Le parc, assez vaste, s’étend jusqu’à la rue d’Avelghem.

Photo IGN 1965

Jean Baptiste décède en 1901 et sa veuve continue d’habiter la maison avec ses filles Jeanne, Antoinette, et Madeleine, ainsi que son fils Jean. Elle héberge également sa belle-mère Colette Verbrugghe et son beau-frère Pierre, employé par Jean-Baptiste. La famille vient du quartier du Fresnoy, puisqu’en 1896, Colette, veuve, habitait 87 rue de Rome avec son fils Pierre, employé brasseur, alors que son autre fils, Jean Baptiste, et sa femme Jeanne habitent le 81 de la même rue. Quittant le 296, la famille va ensuite s’installer non loin de là au 77 rue de la Conférence en 1913. Elle y est toujours en 1920.

La maison est habité ensuite par diverses personnes, dont, dans les années 50 par l’ industriel L. Blanchot-Baumann.

Dans les années 80, le parc est réduit par la construction rue d’Avelghem d’un immeuble qui a abrité un temps les élèves policiers dans l’attente de l’ouverture de l’école d’Hem. Le reste de la propriété disparaît plus tard, ainsi que la maison, dont on conserve pourtant la façade. Celle-ci sert plusieurs années, persiennes fermées, conjointement au mur d’enceinte, à interdire l’accès au terrain. Sur l’ancien jardin on construit enfin l’ensemble de logements collectifs l’Echo dont l’architecte a daigné préserver la partie basse de la façade de l’ancienne maison.

Photo Google

Ce reste de façade et la maison du 308 restent les seuls témoins des demeures de maître qui existaient à cet endroit, ornements d’un quartier par ailleurs populaire.

Les documents proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.

L’avenue Motte au fil du temps (suite)

Après la vague importante de constructions individuelles au début des années 50, la décennie suivante va apporter son lot de transformations. Les années 60 vont voir l’installation d’ Auchan dans l’ancienne usine Frasez. Les déplacements du matin et du soir des ouvriers vont faire place aux allées et venues ininterrompues de familles issues des classes moyennes venues faire, en voiture, le plein de bonnes affaires. Cet afflux régulier va désormais animer toute cette partie de l’avenue.

La vue du parking reflète le niveau social des clients du supermarché : mises à part l’antique Citroën 11 familiale et et la 403, alors haut de gamme chez Peugeot, les voitures en stationnement reflètent plutôt les gammes basses et moyennes des constructeurs.

Photo Nord Matin 1961

Le commerçants ne s’y trompent pas et se montrent attirés par cette clientèle potentielle. C’est ainsi qu’on expose sur le parking du matériel de camping, le loisir de masse de l’époque, bien propre à intéresser la clientèle du supermarché.

Photo la voix du Nord 1963

Dans le même temps, les dernières zones de jardins bordant l’avenue entre l’église et l’usine Motte-Bossut vont disparaître pour laisser place à un ensemble de collectifs formant la cité des Hauts Champs. Ces constructions environnées d’espaces paysagés constituent une zone plutôt agréable à vivre, habitée à l’origine dans une large mesure par des jeunes ménages modestes en attente de pouvoir s’offrir un pavillon individuel.

Conjointement à ceux des collectifs du Chemin neuf qui viennent de s’élever derrière Auchan, les nouveaux habitants de ce nouveau quartier à l’architecture bien dans le ton de l’époque vont contribuer, par leurs déplacements, à animer cette zone,.

Photo la voix du Nord 1966

Avec les années, la végétation implantée va ajouter, ainsi que les platanes qui poussent tout le long de la bande centrale, à l’agrément de notre avenue.

Photo Jpm

Au milieu des années 70, signe des temps, et témoin de l’affluence des autos, vient s’installer, tout à côté de l’église, et profitant d’un des derniers terrains libres, une station service à l’enseigne de la Shell.

Photo Lucien Delvarre

Cette station arrive en terrain déjà occupé : elle s’ajoute à la pompe installée quelques années plus tôt sur le parking même d’Auchan, ainsi qu’au garage des sports, situé au coin de la rue de Lannoy depuis le début des années 1950 et reconverti en station-service.

De fait, les véhicules affluent dans cette voie. Pour mettre un peu d’ordre dans cet masse de véhicules, on voit apparaître, dans les années 70, une série de feux rouges, aux carrefours importants de l’avenue, signe de l’importance de la circulation à cette époque. En 1980 Nord Éclair en compte huit sur 2500 mètres, y incluant ceux de l’avenue Roger Salengro, et espère que la mise en service de la future antenne sud va contribuer à diminuer les embouteillages,

Photo Nord-Eclair

Le paysage évolue au gré des apparitions et disparitions de commerces qui suivent les lois économiques. Au milieu des années 80, Auchan émigre sous d’autres cieux, remplacé d’abord par AS-Eco, puis par Intermarché qui finit par démolir la vieille filature pour construire un magasin neuf.

A la même époque, l’usine Motte-Bossut cesse ses activités. Les bâtiments sont transformés en « première galerie commerciale de magasins d’usine d’Europe » (La Voix du Nord 1984).

Autre évolution au début des années 90, la démolition de l’église Sainte Bernadette. Devenue trop grande pour les besoins du culte, elle va être remplacée par une neuve, plus petite, située en face, près de la salle des fêtes de l’école.

L’ancienne et la nouvelle – Photos Lucien Delvarre

L’espace ainsi libéré va être utilisé pour l’implantation du siège de la société Camaïeu, alors en pleine expansion. Les trajetAujourd’hui, cette avenue, toute en contrastes, autant par l’ambiance qu’elle dégage, différente selon les tronçons, qu’à son animation, désordonnée aux heures de pointe, mais incitant à la promenade à d’autres moments, reste un bel ornement des quartiers sud.s des employés vont accroître la circulation et les espaces verts prévus autour des bâtiments la végétalisation de l’endroit.

Document La voix du Nord 1990

Enfin, les années 90 verront la remise en état et le réaménagement paysager du terre-plein central qui va faire alternativement cohabiter zones de promenade et parkings. Cet aménagement aboutit en 1996 à l’inauguration de l’allée Crupelandt, dont les pavés mènent au vélodrome.

Photo Jpm

Aujourd’hui, cette avenue, toute en contrastes, autant par l’ambiance qu’elle dégage, différente selon les tronçons, qu’à son animation, désordonnée aux heures de pointe, mais incitant à la promenade à d’autres moments, reste un bel ornement des quartiers sud.

Les documents proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.

L’avenue Motte au fil du temps

Au tout début du vingtième siècle, est tracée l’avenue des villas, pour former une nouvelle ceinture au sud de Roubaix. C’est une voie constituée de deux alignements formant un angle droit. La partie sud de cette avenue, entre le boulevard Clemenceau qui mène au centre d’Hem et la rue de Lannoy, sera rebaptisée en 1908 avenue Alfred Motte, du nom de l’industriel roubaisien décédé 20 ans plus tôt. C’est alors une chaussée recouverte de scories, bordée de deux larges trottoirs herbeux plantés d’arbres, qui traverse les champs.

Photo collection Lucien Delvarre

Les constructions ne borderont l’avenue que très progressivement. La première est l’usine de velours Motte-Bossut, dont un bâtiment arbore la date de 1903. La photo suivante montre cette usine dans son état actuel, après les travaux de surélévation du bâtiment à étages.

Photo l’Usine

Les déplacements des ouvriers aux heures des changements de postes constituera la première animation de cette voie tracée dans la nature. Ces déplacements se font d’abord à pied puis , au fil du temps, il faut chercher la main-d’œuvre de plus en plus loin et, dans les dernières années, arrivées et départs se feront en car.

Document l’Usine

Mais n’anticipons pas et revenons aux premiers moments de l’avenue…

Il faut attendre la première guerre pour voir apparaître dans cet environnement campagnard, à la limite d’Hem, près de l’actuel rond-point, une série de baraques construite à usage de casernement pour les troupes anglaises. Ces baraquements ne disparaîtront que pendant la deuxième guerre.

Photo collection B.Thiebaut

Ce n’est vraiment que dans les années 25 et suivantes que, peu à peu, la deuxième partie de la voie commence à prendre une allure résidentielle, justifiant son appellation première. C’est, côté impair, la rangée entre la rue Marlot et la rue Louis Braille, ainsi que, les maisons situées entre cette même rue et la rue Leconte-Baillon. Côté pair on ne rencontre que la belle maison de M. Craye près la rue de Lannoy.

Photos Jpm

Pratiquement au même moment, la construction de collectifs, les Habitations à Bon Marché, va apporter une tonalité plus populaire à l’avenue, alors que son caractère industriel va se renforcer par l’édification du tissage Léon Frasez en face de l’usine Motte-Bossut ainsi que l’installation d’une voie ferrée et d’une gare de débord. A cette occasion, des travaux d’aménagement modifient profondément l’aspect de cette artère. On arrache les arbres, et on pose la voie sur un large terre-plein central séparant deux chaussées.

La photo suivante reflète l’aspect un peu « banlieue industrielle »  du début de l’avenue de cette époque.

La construction de l’église Sainte Bernadette en 1935 va encore diversifier cet ensemble composite ponctué encore de nombreuses zones vertes investies par d’innombrables jardins ouvriers.

En mai 1940 est établi un sens unique qui met un terme à une circulation anarchique : désormais, les usagers doivent obligatoirement emprunter la chaussée située à droite dans le sens de la marche à l’exclusion de l’autre, et stationner sur le côté droit de la chaussée. Pour le reste, la guerre suspend provisoirement l’évolution des aménagements.

Photo Lucien Delvarre 1942

Mais, dès le début des années 50, l’aspect de la voirie change considérablement. Rendue quasiment inutile par la maigre implantation des usines dans ce qu’on avait voulu boulevard industriel, la voie ferrée est supprimée et on lotit l’emplacement de la gare de débord. A cet emplacement s’élèvent alors des maisons construites toutes sur le même modèle, bientôt suivies par d’autres, bâties en face, dans l’angle des avenues Motte et Delory. Dans le même temps, on aménage le terre-plein central pour en faire une promenade plantée de platanes.

Photo Nord Eclair 1955

Ces constructions qui s’ajoutent aux collectifs et cette promenade un peu sommairement aménagée donne au début de l’avenue entre le rond-point et l’église l’aspect populaire simple, clair et net qu’il a gardé aujourd’hui.

Photo coll. Particulière

A suivre …

Les documents proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.

Les autres estaminets de la Fraternité

Nous avons vu, dans un article précédent, que six cafetiers pétitionnaires situés près de la place de la Fraternité demandaient en 1908 des envols de ballons depuis cette place. Poussés par la curiosité, nous avons recherché les détails sur les trois premiers de ces signataires. Voyons maintenant ce que nous avons pu découvrir à propos des autres.

Louis Lemaire, le pétitionnaire venant en quatrième position dans la liste, est déjà propriétaire du n°395 en 1907, alors que les champs bordent son immeuble, bien que ne figurant pas encore dans le Ravet-Anceau. Des carte postales nous montrent la façade arborant fièrement entre les fenêtres du premier une magnifique moitié de muid. Le commerce est à l’enseigne de la distillerie roubaisienne.

Le commerce prendra le n°371 à partir de 1913 après remise à jour de la numérotation. Cette même année, l’estaminet passe dans les mains de Laurent-Barenne. L’année suivante, il est dirigé par A. Leroy, puis, en 1922 par G. Fiévet-Dupire, en 1924-25 par Raymond Baisier. On trouve ensuite derrière le comptoir en 1930 L.Namur, de 1935 à 1939 E. Vandemaele.

Le 371 à l’époque de Raymond Baisier

La photo suivante nous présente trois estaminets voisins avant la première guerre : ce sont ceux de Laurent-Barenne avec le demi-tonneau au 371, de M. Vanderplanken au 373-375 et de D. Carlier au 377.

Après la guerre, le commerce change de destination : F. Vanderdonckt y vend des cycles en 1953 et 1955, puis on y trouve un lavoir, dont la première vivandière est en 1958 Mme Orzechowski dont l’activité se poursuivra après 1973. En 1984 l’immeuble abrite finalement le Crédit Mutuel qu’on retrouve encore aujourd’hui. La forme des fenêtres a changé et le tonneau a disparu.

Photo Jpm

Désiré Carlier tient son commerce au 458, au coin même de la rue Cordonnier. L’immeuble a déjà plus de vingt ans car on y trouve en 1886 L. Desmettre, un maréchal ferrant. Ça devient un estaminet à partir de 1891, sans que nom de l’exploitant figure au Ravet-Anceau, alors que L.Desmettre, le maréchal, est allé s’installer un peu plus loin, au 506. Le débit de boissons est repris en 1897 par R. Vanhaezebrouck, puis, en 1899 par la veuve Fourcy. Vient ensuite en 1903 V. Desmettre, puis en 1908 Désiré Carlier, qui va s’installer ensuite au 377. Le commerce devient une épicerie peut-être également un débit de boissons) avec, en 1913, J. Herreng, un autre des signataires, précédemment situé à côté, au 460.

Après la première guerre, c’est une habitation. Elle le restera jusqu’à la fin des années 50. En 1963 vient s’installer dans le quartier la caisse d’épargne. Celle-ci fait démolir la maison pour y construire ses nouveaux locaux.

Photo du haut : Nord Matin

La photo suivante montre que la façade a été modifiée ultérieurement : le nombre de fenêtres est différent et le revêtement a été refait avec des briques de parement. Ces modifications datent sans doute du moment des travaux d’extension qui signent la fin du 460. Cette nouvelle façade est celle qu’on peut encore voir aujourd’hui.

En 1913, Désiré Carlier, venant comme nous l’avons vu du numéro 458, vient s’installer au 377 pour y reprendre l’estaminet tenu alors par F. Delfosse. L’emplacement est bien situé au coin de la place et de l’avenue Julien Lagache, en plein sur le trajet de ceux qui, descendant du tramway, se rendent à l’hôpital. Ce monsieur Delfosse était déjà cabaretier en 1908, mais ne figure pas dans la liste des signataires de la pétition. Le bâtiment date du début des années 1900 ; il a été construit sur un terrain qui appartenait en 1897 à Alphonse Dubar.

En 1914 l’établissement devient débit de tabacs. Monsieur Carlier décède et on retrouve sa veuve à la tête du café en 1924. Elle l’exploite jusque dans la première moitié des années 30. En 1935, et jusqu’en 1939 le tabac est au nom de G. Buyssens. Puis, après la guerre , c’est sa veuve qui en prend la direction.

L’établissement après la deuxième guerre

Elle cède le commerce en 1962 à H. Vankeunebroucke. Les propriétaires se succèdent : ce dernier est remplacé en 1968 par P. Bonvin et, en 1973, par Mme Billon-Brutin. Aujourd’hui, le café-tabacs arbore désormais l’enseigne du Renouveau, est sous la férule de Bhiri Adel.

Photo Jpm

Le dernier des signataires, Demoucron habite déjà au numéro 397 en 1907. Le Ravet-Anceau de 1908 indique Demoucron-Baudart, estaminet. Les bizarreries de la numérotation font que, au fil des années, on retrouvera ce commerce sous les numéros 373, puis 373-375 après la première guerre, puis de nouveau 373, alors que le 375 a disparu dans la rue, puisque que le numéro suivant est le 377, placé au coin. L’établissement présente une façade relativement large avec trois fenêtres, dont une aveugle, au premier étage. Les photos d’époque nous montrent que les vitrines indiquent « Epicerie-Buvette » aux chalands.

En 1913 donc, c’est un estaminet. M.Vanderplanken son débitant, devient boucher en 1922 et le reste jusqu’au début des années 30. En 1935 le commerce redevient un café, tenu par Ernest Chuin jusqu’à la guerre. Ensuite, le café ferme remplacé en 1953 par la pâtisserie Gérard, gérée par G. Boussemart, puis M. Halland en 1955, qui la rebaptise Pâtisserie de la Fraternité en 1968. Il poursuivra son commerce jusqu’en 1988. C’est, aujourd’hui encore, une boulangerie.

Photo Jpm

On peut remarquer que, à l’instar des mousquetaires, les six estaminets deviennent en fait sept, à la suite des déplacements de certains de nos signataires et que seuls les deux du coin de l’avenue Lagache sont restés des cafés jusqu’à nos jours. On remarque également que les carrières de cafetier autour de la place sont brèves : aucun des pétitionnaires ne poursuivra sa carrière au delà de la guerre. Ont-ils eu le temps de faire fructifier leurs affaires grâce aux lâchers de ballon qui ont ensuite pris place sur la place de la Fraternité ?

Photo collection B.Thiebaut

Les documents proviennent de la médiathèque de Roubaix et des archives municipales.

Les estaminets de la Fraternité

Une pétition datée du 19 juin 1908 réunit six signataires, déclarant tous être cabaretiers patentés place de la Justice, qui vient d’être rebaptisée le 22 avril pour prendre le nom de place de la Fraternité. Ils ont pour nom Louis Foelix, Veuve Equinet, Isidore Herreng, Lemaire, Désiré Carlier, et Demoucron, et demandent « s’il ne serait pas possible de faire monter le ballon, le 14 juillet, sur la place désignée plus haut ». Ils se plaignent que « les fêtes locales nous font perdre tous leurs clients, qui se rendent dans le centre ».

La pétition

Six cabarets, cela semble beaucoup pour une place qui ne comprend que très peu de commerces. L’envie nous vient de les localiser et de voir ce qu’ils sont devenus.

Au moment de la pétition, la place est récente : elle est tracée dans les champs depuis le milieu des années 1890 ; l’avenue Julien Lagache l’est au début des années 1900 de même que l’avenue Linne. Les constructions n’ont pas encore émergé autour de la place. Seuls quelques rares bâtiments s’élèvent le long de la rue de Lannoy près de l’intersection avec l’avenue Lagache. D’autres, plus nombreux et construits de manière pratiquement continue, sont édifiés entre l’avenue Cordonnier et la rue du Chemin Neuf. C’est là qu’il faudra rechercher nos signataires et non autour de la place proprement dite.

Les constructions vers 1908

Reprenons la liste des signataires dans l’ordre.

Louis Foelix occupe en 1908 l’immeuble faisant le coin de l’avenue Julien Lagache, celui qu’on voit à droite sur la photo. Il porte à l’époque le numéro 401, mais, à la suite d’une renumérotation, il portera en 1913 le numéro 379, qui ne changera plus ensuite jusqu’à aujourd’hui. On remarque l’estaminet en liesse sur la photo d’inauguration de l’hôpital. Assurément, le cabaret a été construit dès l’ouverture de l’avenue.

Louis Foelix reprend l’estaminet à un monsieur Loridan, propriétaire avant 1907. Sur une photo d’avant la construction de l’abri du tramway affiche, on peut lire en grand son nom sur la façade. En 1913, la veuve Carlier y officie pour quelques années. Celle-ci a-t-elle un rapport de famille avec le Désiré Carlier du 377 ? En 1924, c’est L. Carlier (C.Carlier, sans doute son frère, y habite, alors qu’il exerce la profession d’infirmier).

De 1935 à 1955, la débitante est Mme Vandenbulcke, puis Mme Dupriez préside en 1958 aux destinées de l’établissement qui a pris le nom de café de la Fraternité. On trouve ensuite en 1962 Mme Pleyou, en 1964 L.Demey. Mme Raux en 1973, alors qu’en en 1978, M. Raux dirige une entreprise de taxis parallèlement au café tenu par Mme.

Aujourd’hui, le café est toujours en activité ; il est animé par Jean Claude Galand.

Photo Jpm

La veuve Equinet, deuxième signataire de la pétition, qui tenait commerce d’allume-feux dès 1903 au numéro 423, face à l’avenue Cordonnier, s’est donc recyclée dans le débit de boissons sans changer d’adresse. En 1913 son estaminet est repris par A. Spriet, jusqu’à la fin des années 1920. En 1930 celui-ci devient épicier, toujours à la même adresse, alors qu’un L. Spriet, peut-être son fils, électricien, habite également la maison. En 1935, le commerce redevient un estaminet, conduit par G.Planque jusqu’à la guerre. En 1953, c’est un magasin d’électricité générale, Leng-Picard, qu’on retrouve jusqu’en 1958 alors que, à partir de 1955, un garage automobile au nom de F.Vanderdonckt figure quelques années à la même adresse que le café. En 1962 les électriciens se spécialisent dans la radio-télévision, alors que le garage devient garage de la Fraternité jusqu’en 1978.

En 1983 M. Senkiwski a repris le commerce de radio-télé et le garage, lui, disparaît en 1984.

Quatre ans plus tard, les locaux du 423 abritent un commerce de matériels de collectivités au nom de Carosello diffusion, qui vient de déménager en traversant la rue depuis le numéro 460.

C’est aujourd’hui une maison d’habitation dont l’étroitesse laisse imaginer les dimensions de l’estaminet d’origine. La vitrine du commerce a disparu, mais la grille du garage est inchangée.

Photo Jpm

Le troisième signataire, Isidore Herreng tient son activité de cafetier en face du précédent, au 460, la deuxième maison après la rue Cordonnier. On le retrouve à cette adresse grâce au recensement de 1906 où il est indiqué qu’il est tisserand, mais que son épouse, Angèle-Marie, est épicière.

Le Ravet-Anceau de 1908, lui, nous indique J.Herreng, épicier. Il passe ensuite au 458, mieux situé, où on le retrouve en 1913 et 1914, toujours comme épicier selon le Ravet-Anceau. Il est permis de penser que l’épicerie débitait également des boissons comme souvent à l’époque. Par ailleurs, on peut raisonnablement imaginer que le J du prénom est indiqué par erreur, et qu’il s’agit bien d’Isidore Herreng, notre signataire.

Au 460 s’installe alors V. Seigneur, mercier jusqu’en 1939, année où il cesse ses activités commerciales. On verra en 1953 dans l’immeuble s’installer la poissonnerie de Mme Decroix., qui cède son commerce en 1964 à Mme R. Delbarre, remplacée elle-même par Mme Sauvage en 1968, puis par A. Bourlet en 1973. Ce commerce disparaît enfin en 1978, et c’est, en 1983, Carosello diffusion, matériels pour collectivités, qui reprend les locaux pour quelques années avant de traverser la rue pour s’installer en face, où on le retrouve au 423 en 1988.

Finalement, la caisse d’épargne sise au 458 s’agrandit au détriment du 460, qui disparaît alors.

Le 460 entre 1983 et 1988

Nous découvrirons dans un prochain article ce que sont devenus les autres estaminets de la Fraternité.

Les documents présentés proviennent de la médiathèque de Roubaix et des archives départementales.