Les Orgues de Roubaix

Martin Lehmann a 37 ans ; il est marié et père de 4 enfants. C’est un ancien chanteur d’opéra. Parisien d’origine, il est fou de musique mécanique. L’idée lui vient un jour d’ouvrir un salon de thé où l’ambiance serait confiée à un instrument polyphonique.

Martin Lehmann ( document Nord Eclair )

Arrivé en 1999 à Roubaix, il tombe immédiatement amoureux de la ville. Martin découvre, depuis la Grand Place, l’immeuble du N° 4 de la rue du maréchal Foch. Cet immense bâtiment a longtemps été occupé par la prestigieuse compagnie d’assurances Antwerpia qui a quitté les lieux en 1990, et qui a abrité à la rentrée de cette même année, l’école « Sup de Cré » : école supérieure de créatifs en communication.

document collection privée

Martin Lehmann a un coup de foudre pour cet immeuble, et reste persuadé que cela va donner à son projet initial une dimension qu’il n’imaginait même pas !

Martin fait en effet l’acquisition d’un orgue « Mortier » de 1912 : une pièce rarissime ! Un orgue immense de 8,20 m de haut et 5,20 m de large avec 744 tuyaux et 24 registres ce qui correspond à une harmonie de 70 musiciens

l’orgue Mortier ( document Nord Eclair )
l’orgue Mortier ( document Nord Eclair )

Il décide donc d’ouvrir un cabaret-musique-dancing, unique au monde, dans notre ville, au 4 de la rue du maréchal Foch. Martin Lehmann rencontre M. Boudailliez adjoint à la culture à la mairie pour lui présenter son projet. Ce dernier est séduit par son idée, d’autant que le Musée de l’Art et de l’Industrie « La Piscine » va ouvrir ses portes dans peu de temps. C’est un formidable tremplin pour la ville.

Martin va ainsi réaliser son rêve et se lancer dans un projet très ambitieux : « Les Orgues de Roubaix » en ce début d’année 2000.

la verrière ( document Nord Eclair )

L’orgue Mortier est installé sous l’élégante et lumineuse verrière du 4 rue du maréchal Foch, dans une vaste pièce aux dimensions parfaites. C’est la grande vedette de ce  »musée-cabaret-dancing ». Mais il y a d’autres stars, tels un orgue de barbarie de 32 notes et le fameux jazz-bandophone à 45 touches.

Pour Martin, ce n’est pas qu’un musée, c’est un véritable lieu de vie, de fête et de convivialité.

Martin, en maître des lieux se constitue une formidable collection de musique en faisant refaire à l’orgue Mortier, des symphonies, des opérettes mais également des musiques populaires.

la façade ( document Nord Eclair )

L’établissement « Les Orgues de Roubaix » ouvre le 23 Septembre 2000. Martin Lehmann organise le matin, des visites réservées aux scolaires ou aux groupes, puis le midi, sert des repas simples à prix modérés dans un cadre unique. Ensuite il enchaîne avec des thés-dansant dans l’après-midi et termine le soir par des dîners-spectacles de style Moulin Rouge avec French Cancan et chansons populaires. Le prix de l’entrée est de 250 Frs pour passer une soirée inoubliable.

Ambitieux, Martin contacte des Tours Opérators pour faire venir des touristes étrangers à Roubaix, ainsi que le Grand Hôtel Mercure de Roubaix et les hôtels de toute la métropole en vue de communiquer sur les Orgues de Roubaix.

Instantané de mémoire : « Je veux que cet endroit soit un lieu de mémoire dédié en partie à Roubaix à la formidable aventure collective de cette ville et à sa renaissance. Le bonheur de se réaliser dépasse l’angoisse de se rater. »

Menu du réveillon du 31.12.2000 ( document collection privée )

Pour dynamiser davantage son entreprise, Martin Lehmann prépare la soirée du réveillon du 31.12.2000.

L’équipe devant l’orgue Mortier ( document archives municipales )

En début d’année 2001, l’ ARIC Association des Retraités Indépendants et Cadres y organise un repas spectacle de plus de 200 personnes. Tous les retraités sont ravis d’avoir passé un super moment convivial.

soirée ARIC ( document Nord Eclair )

Malheureusement, Martin Lehmann n’a pas gagné son pari. C’est un échec et les Orgues de Roubaix ferment leurs portes en 2001. Il y croyait pourtant, enthousiaste et passionné. Il a investi beaucoup d’argent pour la rénovation de son orgue, pour les travaux de ré-aménagement du lieu, pour ses fabuleux spectacles de French Cancan . . .

Il y a bien eu, certes, des soirées mémorables, mais la mayonnaise n’a jamais vraiment pris. Martin s’est retrouvé bien seul face aux premières difficultés de sa formule, et il en a gros sur le cœur : « c’est un énorme gâchis ». L’orgue est désormais démonté et remballé.

document Nord Eclair

En Janvier 2003, Thierry May commissaire priseur, s’installe dans cet immeuble de la rue du maréchal Foch, pour y créer la société de vente aux enchères de Roubaix.

L’immeuble en 2022 ( Photo BT )

Remerciements aux archives municipales

La rectification du carrefour

Pour faire face à l’afflux de trafic au carrefour, on se préoccupe dès 1886 de favoriser la circulation des tramways. Devant le conseil municipal, M. Roche défend le projet de dégager l’alignement de la rue Neuve (de nos jours, rue du Maréchal Foch), en démolissant les immeubles entre la rue de Lille et le boulevard de Paris,  pour faciliter le passage des tramways de Lille. En effet, la rue de Lille obliquait alors vers la gauche pour rejoindre la rue Neuve en suivant l’alignement de la rue des Loups. Pour aller à droite en direction du boulevard de Paris, il fallait contourner un groupe de maisons placées dans le prolongement de la rue du Moulin, dont l’axe ne correspondait pas à celui de la rue Neuve.

Cet îlot appartient alors aux hospices de Roubaix, et les immeubles sont loués à un certain nombre de commerçants. On trouve au coin de la rue de Lille (n°1) et de la rue du Moulin (n° 2 et 4) un vieil estaminet à l’enseigne de l’ancienne barque d’or, au nom de M.Desbarbieux. Au n°6 de la rue du moulin, un sellier, M. Dupureur-Barot, au n°8 un négociant en vins, M.Coulon-Cuvelier, et au n°10, un autre estaminet au nom de M.Depauw. Rue de Lille, avant la rue des Loups, il y a une pâtisserie au n°3, au nom de R.Vanhaelst. On voit sur le plan qui suit les cinq commerces concernés et en rouge, le tracé du nouvel alignement.

Le projet en 1911 – document archives municipales

Le projet est pourtant reporté pour des raisons financières, le bail de ces commerçants ne se terminant qu’en 1924, ce qui représente des indemnités conséquentes à verser. En 1910, on reprend l’idée, et les immeubles situés entre la rue de Lille et le boulevard de Paris et appartenant aux hospices de Roubaix sont frappés d’alignement pour dégager les entrées de la rue du Moulin et de la rue de Lille, qui serait ainsi redressée. Les immeubles concernés sont un cabaret au coin du boulevard de Paris loué à M Desurmont, brasseur, et tenu par M. Dubus, un tapissier au n°6, Mme Veuve Rohart, un bourrelier au n°4, M. Dupureur, et l’estaminet de la barque d’or au n°2, au nom cette fois d’Henri Duvillers.. Au n°3 de la rue de Lille se trouve toujours la pâtisserie Vanhelst, et un terrain est loué à la compagnie des tramways de Lille à l’angle du boulevard de Paris.

Par ailleurs, il est également prévu d’exproprier trois immeubles situés au bord du boulevard de Paris, où exercent le boulanger Moreau, le photographe Shettle, et le marchand de vins Grimonprez. Il s’agit en fait de démolir tous les immeubles situés entre la rue de Lille et le boulevard de Paris jusqu’au débouché de la rue des Loups, pour créer une vaste place publique… La commission concernée juge que pour des raisons financières, il vaut mieux s’en tenir à la première partie du projet.

L’estaminet Dubus au numéro 10 – document coll. particulière

La ville reprend les baux et fait évacuer les occupants pour pouvoir démolir, mais Dupureur regimbe : il n’envisage pas d’abandonner aussi précipitamment une maison de commerce aussi bien placée dans l’intersection des plus belles et des plus vitales artères de la ville… La guerre survient, qui repousse les travaux de démolition. Ceux-ci sont finalement réalisés, et l’Écho du Nord nous montre en 1930 une palissade couverte d’affiches et de panneaux publicitaires cachant un terrain vague, et qualifié de véritable lèpre dans le quartier. On voit que les immeubles à l’entrée du boulevard de Paris sont toujours debout.

Le site en 1930 – photo Echo du Nord

En 1932 voit le jour un projet de construction d’un immeuble moderne, et le journal l’Égalité précise que le syndicat d’initiative les amis de Roubaix intervient pour que l’immeuble soit conçu dans le style flamand, bien dans la note locale. On décide aussi de démolir les n° 2 à 10 du boulevard Paris, appartenant à la « foncière des Flandres », avant de construire l’immeuble de rapport. Ces bâtiments, dont on voit le premier sur la photo précédente et qu’on retrouve sur la suivante, abritent au n°2, à l’angle, le pâtissier Vanhelst,  exproprié en 1912 du n°3 rue de Lille, et qui a repris la boulangerie de M. Moreau, le photographe Shettle au n°4, un expert comptable au n°6, suivi des entrepôts du Nord, négociant en vins.

Les immeubles à démolir – document collection particulière

Les travaux vont bon train et l’immeuble prend forme l’année suivante. L’Égalité déclare : par son architecture il se rapproche de l’Hôtel des Postes, tout voisin, et, comme cette construction, il ne manque pas d’élégance.

L’immeuble en construction – photo l’Egalité 1933
Le même, terminé – document médiathèque de Roubaix

Mais l’histoire de ce carrefour ne s’arrête pas là, et nous ne manquerons pas de la détailler davantage…

Les expropriés du carrefour

Les expropriations ont donc lieu en deux temps : d’abord en 1912 pour la rangée de la rue Jean Moulin et l’extrémité de la rue de Lille, en 1932 pour la partie bordant le boulevard de Paris. Essayons de voir ce que deviennent ces commerçants.

En ce qui concerne les expropriations de 1912, le pâtissier Van Haelst quitte le 3 rue de Lille et fait quelques mètres pour s’installer au 2 boulevard de Paris, où nous allons le retrouver en 1932. Le commerce de tapis, tenu par Mme veuve Rohart-Mahieu s’installe rue St Georges  (aujourd’hui la rue du général Sarrail) où elle ré ouvre son commerce au numéro 22. Elle change son activité en 1923 pour vendre de la la bonneterie. Le sellier Dupureur reste sur place jusqu’en 1914, puis cesse apparemment son activité et on perd sa trace à Roubaix après la guerre.

Au moment de l’expropriation de 1912, l’estaminet de la barque d’or, qui avait donné son nom au carrefour ferme. Son tenancier, Henri Duvillers, traverse alors la rue de Lille pour s’implanter sur le trottoir d’en face au 4, où il reprend l’hôtel de Paris. Il y restera jusque vers 1925, année où monsieur Gyselinck reprendra l’hôtel.

L’enseigne de la barque d’or ne disparaît pourtant pas, puisqu’on la retrouve immédiatement au 64 bis de la rue Neuve où il orne désormais la façade du cabaret de M. Desmarez. Un cliché datant de la première guerre nous le montre à son nouvel emplacement.

La barque d’or et le café des arcades pendant la première guerre – document Médiathèque de Roubaix

Noter la flèche indiquant la « Kommandantur » sur le mur du café à gauche de la porte du café des Arcades. On voit que l’enseigne « la barque d’or » a remplacé le nom du propriétaire C. Desmarez, qui s’y trouvait depuis 1904. Il tient son commerce jusqu’à la fin des années 20, et cède son fonds en 1930, le nouveau propriétaire étant désormais Auguste Meegens-Desmarez – probablement son gendre. Celui-ci demande en 1933 l’autorisation de faire des travaux sur sa façade, bien que le bâtiment soit partiellement frappé d’alignement, considérant le fait qu’il abrite le siège du syndicat des cabaretiers.

Le café de la barque d’or et ses propriétaires dans les années 30 – documents Médiathèque de Roubaix

En 1939, on trouve toujours M. Meegens derrière son comptoir. En 1953, la barque d’or est passée dans les mains de monsieur Housay. Aujourd’hui, l’établissement, devenu café-restaurant, se trouve toujours au même emplacement.

L’estaminet aujourd’hui – Photo collection particulière
 

 Pour ce qui est des expropriations de 1932, on retrouve au 2, à l’angle, R.Van Haelst , le pâtissier exproprié en 1912 du 3 rue de Lille et qui a repris la boulangerie de M. Moreau.  Apparemment très attaché à notre carrefour, celui-ci s’est relogé sur place puisqu’il rouvre sa pâtisserie au numéro 14 du boulevard de Paris ! Il cessera ses activités en 1935, et la pâtisserie deviendra un magasin d’antiquités.
A. Shettle, dont la boutique de photographe se trouvait au 47 de la rue de Chanzy, s’installe dès 1893 au 4 du boulevard de Paris, à l ’emplacement de l’estaminet Hermain. Il fait (re)faire sa vitrine en 1904, alors que la propriété appartient à M. Derville-Wibaux. On le retrouve à la même adresse  en 1932. Après la la démolition et la construction du nouvel immeuble de rapport, il reprend son activité quasiment au même endroit et ré ouvre  son commerce au 1 de la rue de Lille en 1935. Encore un commerçant qui reste attaché à ce carrefour !

Documents collection particulière

En 1956 la raison sociale devient Shettle et ses fils, puis en 1988, Shettle photo vidéo. C’est aujourd’hui une agence immobilière qui est installée dans ce local.

Renault et le carrefour

A côté du café des Arcades s’installe après la première guerre un garage automobile. Il est constitué d’un bâtiment sans étage perpendiculaire au boulevard Gambetta et dont le pignon comporte une grand-porte encadrée de deux fenêtres. La construction se prolonge par un mur longeant le boulevard jusqu’à la propriété suivante. Ce garage a pour propriétaires MM. Dourlens en1922 et Lemaire en 1926. Cette même année les maisons jumelles de mesdames veuve Armand Masson et veuve Motte-Cordonnier voisinent avec le café des arcades du côté de la rue Neuve.

Le garage côté boulevard Gambetta, et les deux maisons jumelles côté rue Neuve-documents médiathèque de Roubaix

Pourtant, ces deux belles maisons disparaissent en 1930 pour laisser place à la société des automobiles Renault. Cette même société, une fois implantée rue du Maréchal Foch, va faire en sorte de s’agrandir. Elle achète le garage et le terrain qui le jouxte pour s’installer sur le boulevard Gambetta en 1935. Le café des Arcades est maintenant enclavé dans dans l’emprise du garage Renault. Cette situation perdure jusqu’après la guerre (en 1939, on trouve au 55 monsieur Lemoine et le siège social du radio club du Nord de la France).

Le café en 1946-photo Nord Éclair

Mais cette situation ne aurait durer. En effet, en 53, Renault a pris possession du numéro 55 et possède maintenant un ensemble cohérent.. Le café est démoli et le constructeur automobile reconstruit sur l’angle un bâtiment cohérent avec le reste du garage.

Le garage en 1962. Photo Nord Éclair
L’extrémité du garage après 1963-Document collection particulière

La régie ne s’en tient pas là, et décide de moderniser en 1980 l’aspect et l’organisation intérieure du bâtiment. Elle dépose une demande de permis de construire assorti d’un plan pour ce qui sera l’ultime avatar de la concession.

Le même garage à partir de 1980-document archives municipales

Cet état restera inchangé jusque dans les années 2000 alors que Renault, ayant entre-temps acquis un terrain rue Jean Moulin sur l’ancienne emprise de l’usine Motte, et construit sur une partie de cet espace un garage dédié à l’entretien des véhicules, investit finalement l’ensemble du terrain pour s’y implanter en totalité, quittant alors le coin du boulevard Gambetta. L’ancien bâtiment est alors partiellement démoli et transformé pour une autre utilisation.

Les travaux à la fin des années 2000-Document collection particulière

 

Le film du carrefour

A l’origine, la circulation est clairsemée. Les seuls aménagements sont, dans les années 1910, ceux effectués pour faciliter le passage des tramways : on redresse l’extrémité de la rue de Lille en supprimant le bloc d’immeubles de la barque d’Or de manière à avoir un débouché direct vers le boulevard Gambetta. La circulation automobile est peu dense ; seuls les piétons semblent indisciplinés.

La circulation dans les années 20

Ensuite, la circulation automobile augmente progressivement. Dans les années 30, la rue du Maréchal Foch et la rue de Lille sont en double sens, ce qui accroît les difficultés. Pourtant, on voit que la voie de tramway forme une bretelle permettant stationnements et manœuvres au beau milieu du carrefour, ce qui en dit long sur la densité de la circulation à cette époque. Une photo aérienne de 1932 ne montre encore aucun d’aménagement pour faciliter l’écoulement du trafic.

La rue du Maréchal Foch en double sens

Néanmoins, en 1935, le Journal de Roubaix indique que le trafic, particulièrement dense au carrefour, est perturbé par un chantier. (on supprime l’ancien égout au bout de la rue de Lille pour en faire un nouveau qui suit le nouveau tracé et se jette dans celui du boulevard Gambetta).
En venant du boulevard Gambetta, il faut contourner le monument aux morts pour se diriger vers le boulevard de Paris. On construit un terre-plein juste en face du monument pour séparer ce trafic de celui venant de la rue du moulin vers la rue de Lille et la rue du maréchal Foch. On dote ce terre-plein d’une signalisation lumineuse dans les années 50.

Le terre-plein et le monument aux morts

Mais la circulation automobile s’accroît considérablement, et, en 1962 Nord Eclair nous précise que le carrefour est un point névralgique de la circulation roubaisienne. La rue du Maréchal Foch passe en sens unique.  En 1961 on tente d’améliorer la situation en plaçant un agent dans une guérite, de même qu’au coin du boulevard Gambetta et de la place de la Liberté. On prévoit un éclairage permettant de bien voir l’agent.


L’agent de la circulation à l’oeuvre – photos Nord Eclair et Nord Matin

Ce fonctionnaire sera ensuite remplacé par des feux rouges. Il devient nécessaire d’aménager le carrefour. Pour cela, on décide de déplacer le monument aux morts, qui empêche la relation directe entre les boulevards Gambetta et de Paris en obligeant à un contournement rendu plus contraignant encore par le terre-plein. On parle également de la création d’îlots directionnels. Les travaux d’aménagement débutent en 1964. Le monument aux morts est reculé, et on  le crée un terre-plein plus étroit, permettant un raccordement entre les deux boulevards par une large  courbe. Deux îlots triangulaires sont installés, le premier au débouché de la rue de Lille, l’autre à celui du boulevard Gambetta, permettant de mieux diriger les flux. On aménage le terre-plein avec des murets et une pelouse.

Photos La Voix du Nord 1964 et aérienne IGN 1976

Notre carrefour voit ensuite d’autres transformations, essentiellement dus au déplacement des rails de tramway. Celui-ci cesse de desservir la grand-place, son terminus étant reporté à Eurotéléport.  Les rails disparaîssent dans la rue du Maréchal Foch, et  qui les voies empruntent dans les années 90 un trajet proche de l’axe de la chaussée.  Le terre-plein triangulaire devant le garage Renault est étiré pour bien séparer les véhicules se dirigeant vers le boulevard du Général De Gaulle de ceux empruntant la rue de Lille.

Le carrefour de nos jours – Photo Géoportail-IGN

Renault et le carrefour

A côté du café des Arcades s’installe après la première guerre un garage automobile. Il est constitué d’un bâtiment sans étage perpendiculaire au boulevard Gambetta et dont le pignon comporte une grand-porte encadrée de deux fenêtres. La construction se prolonge par un mur longeant le boulevard jusqu’à la propriété suivante. Ce garage a pour propriétaires MM. Dourlens en1922 et Lemaire en 1926. Cette même année les maisons jumelles de mesdames veuve Armand Masson et veuve Motte-Cordonnier voisinent avec le café des arcades du côté de la rue Neuve.

Le garage côté boulevard Gambetta, et les deux maisons jumelles côté rue Neuve-documents médiathèque de Roubaix

 Pourtant, ces deux belles maisons disparaissent en 1930 pour laisser place à la société des automobiles Renault. Cette même société, une fois implantée rue du Maréchal Foch, va faire en sorte de s’agrandir. Elle achète le garage et le terrain qui le jouxte pour s’installer sur le boulevard Gambetta en 1935. Le café des Arcades est maintenant enclavé dans dans l’emprise du garage Renault. Cette situation perdure jusqu’après la guerre (en 1939, on trouve au 55 monsieur Lemoine et le siège social du radio club du Nord de la France).

Le café en 1946-photo Nord Éclair

Mais cette situation ne aurait durer. En effet, en 53, Renault a pris possession du numéro 55 et possède maintenant un ensemble cohérent.. Le café est démoli et le constructeur automobile reconstruit sur l’angle un bâtiment cohérent avec le reste du garage.

Le garage en 1962. Photo Nord Éclair
L’extrémité du garage après 1963-Document collection particulière

La Régie ne s’en tient pas là, et décide de moderniser en 1980 l’aspect et l’organisation intérieure du bâtiment. Elle dépose une demande de permis de construire assorti d’un plan pour ce qui sera l’ultime avatar de la concession.

Le même garage à partir de 1980-document archives municipales

Cet état restera inchangé jusque dans les années 2000 alors que Renault, ayant entre-temps acquis un terrain rue Jean Moulin sur l’ancienne emprise de l’usine Motte, et construit sur une partie de cet espace un garage dédié à l’entretien des véhicules, investit finalement l’ensemble du terrain pour s’y implanter en totalité, quittant alors le coin du boulevard Gambetta. L’ancien bâtiment est alors partiellement démoli et transformé pour une autre utilisation.

Les travaux à la fin des années 2000-Document collection particulière
 

 

 

La rectification du carrefour

Pour faire face à l’afflux de trafic au carrefour, on se préoccupe dès 1886 de favoriser la circulation des tramways. Devant le conseil municipal, M. Roche défend le projet de dégager l’alignement de la rue Neuve (de nos jours, rue du Maréchal Foch), en démolissant les immeubles entre la rue de Lille et le boulevard de Paris,  pour faciliter le passage des tramways de Lille. En effet, la rue de Lille obliquait alors vers la gauche pour rejoindre la rue Neuve en suivant l’alignement de la rue des Loups. Pour aller à droite en direction du boulevard de Paris, il fallait contourner un groupe de maisons placées dans le prolongement de la rue du Moulin, dont l’axe ne correspondait pas à celui de la rue Neuve.

Cet îlot appartient alors aux hospices de Roubaix, et les immeubles sont loués à un certain nombre de commerçants. On trouve au coin de la rue de Lille (n°1) et de la rue du Moulin (n° 2 et 4) un vieil estaminet à l’enseigne de l’ancienne barque d’or, au nom de M.Desbarbieux. Au n°6 de la rue du moulin, un sellier, M. Dupureur-Barot, au n°8 un négociant en vins, M.Coulon-Cuvelier, et au n°10, un autre estaminet au nom de M.Depauw. Rue de Lille, avant la rue des Loups, il y a une pâtisserie au n°3, au nom de R.Vanhaelst. On voit sur le plan qui suit les cinq commerces concernés et en rouge, le tracé du nouvel alignement.

Le projet en 1911 – document archives municipales

Le projet est pourtant reporté pour des raisons financières, le bail de ces commerçants ne se terminant qu’en 1924, ce qui représente des indemnités conséquentes à verser. En 1910, on reprend l’idée, et les immeubles situés entre la rue de Lille et le boulevard de Paris et appartenant aux hospices de Roubaix sont frappés d’alignement pour dégager les entrées de la rue du Moulin et de la rue de Lille, qui serait ainsi redressée. Les immeubles concernés sont un cabaret au coin du boulevard de Paris loué à M Desurmont, brasseur, et tenu par M. Dubus, un tapissier au n°6, Mme Veuve Rohart, un bourrelier au n°4, M. Dupureur, et l’estaminet de la barque d’or au n°2, au nom cette fois d’Henri Duvillers.. Au n°3 de la rue de Lille se trouve toujours la pâtisserie Vanhelst, et un terrain est loué à la compagnie des tramways de Lille à l’angle du boulevard de Paris.

Par ailleurs, il est également prévu d’exproprier trois immeubles situés au bord du boulevard de Paris, où exercent le boulanger Moreau, le photographe Shettle, et le marchand de vins Grimonprez. Il s’agit en fait de démolir tous les immeubles situés entre la rue de Lille et le boulevard de Paris jusqu’au débouché de la rue des Loups, pour créer une vaste place publique… La commission concernée juge que pour des raisons financières, il vaut mieux s’en tenir à la première partie du projet.

L’estaminet Dubus au numéro 10, le tapissier aau numéro 8 et vue des  démolitions 
documents Journal de Roubaix et coll. particulière

La ville reprend les baux et fait évacuer les occupants pour pouvoir démolir, mais Dupureur regimbe : il n’envisage pas d’abandonner aussi précipitamment une maison de commerce aussi bien placée dans l’intersection des plus belles et des plus vitales artères de la ville… La guerre survient, qui repousse les travaux de démolition. Ceux-ci sont finalement réalisés, et l’Écho du Nord nous montre en 1930 une palissade couverte d’affiches et de panneaux publicitaires cachant un terrain vague, et qualifié de véritable lèpre dans le quartier. On voit que les immeubles à l’entrée du boulevard de Paris sont toujours debout.

Le site en 1930 – photo Echo du Nord

En 1932 voit le jour un projet de construction d’un immeuble moderne, et le journal l’Égalité précise que le syndicat d’initiative les amis de Roubaix intervient pour que l’immeuble soit conçu dans le style flamand, bien dans la note locale. On décide aussi de démolir les n° 2 à 10 du boulevard Paris, appartenant à la « foncière des Flandres », avant de construire l’immeuble de rapport. Ces bâtiments, dont on voit le premier sur la photo précédente et qu’on retrouve sur la suivante, abritent au n°2, à l’angle, le pâtissier Vanhelst,  exproprié en 1912 du n°3 rue de Lille, et qui a repris la boulangerie de M. Moreau, le photographe Shettle au n°4, un expert comptable au n°6, suivi des entrepôts du Nord, négociant en vins.

Les immeubles à démolir – document collection particulière

Les travaux vont bon train et l’immeuble prend forme l’année suivante. L’Égalité déclare : par son architecture il se rapproche de l’Hôtel des Postes, tout voisin, et, comme cette construction, il ne manque pas d’élégance.

L’immeuble en construction – photo l’Egalité 1933
Le même, terminé – document médiathèque de Roubaix
 

Mais l’histoire de ce carrefour ne s’arrête pas là, et nous ne manquerons pas de la détailler davantage…

 

 

 

Un carrefour de tramways

Ancien chemin d’accès vers le moulin seigneurial, la rue du Haut Moulin est classée, ainsi que la rue de Lille, dans le réseau des voies urbaines en 1836. Elle prolonge la rue Neuve passée la rue de Lille. Au milieu du 19e siècle, elle troque son nom contre celui de rue du Moulin. Elle deviendra rue Jean Moulin en 1963.

Le bas de notre rue du Moulin sert de limite au du canal ouvert en 1843, qui s’arrête là en cul de sac. Il était prévu d’établir la jonction avec le tracé de Croix à travers les Hauts de Barbieux (actuel parc de Barbieux), mais des difficultés imprévues conduisent à l’abandon du chantier et à la réalisation d’un nouveau tracé au Nord. L’ancien canal est alors comblé entre la rue du Moulin et le pont Nyckès de 1873 à 1883. Sur son emplacement, on crée un boulevard central qui prend alors le nom de boulevard Gambetta. Le chantier du canal au delà de la rue du Moulin, abandonné, constituera l’avenue de l’Impératrice et le parc qui la prolonge. Cette avenue prendra en 1871 le nom de boulevard de Paris. On ne tarde pas à orner l’extrémité du boulevard Gambetta d’une fontaine.

Plan de 1867 – Document archives municipales

L’évolution des techniques fait que ce carrefour très passant ne tarde pas à être traversé de nombreuses voies ferrées. En 1878 la compagnie des Tramways de Roubaix et Tourcoing (TRT) met en service les premières lignes de tramways à chevaux, dont la ligne 1, menant de Croix à Tourcoing, qui emprunte la rue de Lille pour tourner à angle droit dans la rue Neuve. Cette ligne est construite à écartement normal (1m44), alors qu’en 1881, la ligne F des tramways à vapeur de la compagnie des tramways de Lille et de sa banlieue (TELB), également à voie normale, et menant de Lille à Roubaix par Croix, emprunte également cette même voie.

En 1894, les tramways à chevaux cèdent la place à des motrices électriques à la TRT. Celles-ci étant désormais à écartement métrique (1m), les rues neuve et de Lille doivent recevoir quatre files de rails imbriquées (écartement normal pour TELB et métrique pour les TRT). Mais le nombre de voies traversant notre carrefour va encore se multiplier. En effet, une ligne nouvelle ligne 2 bis, puis A bis) conduit à partir de 1905 de la grand-Place vers l’hospice Barbieux par la rue Neuve et le boulevard de Paris. Une autre ligne nouvelle emprunte la rue Neuve et la rue du Moulin et traverse la zone qui nous occupe aux alentours de 1900 vers le Raverdi et le boulevard de Fourmies (ligne 10, puis I).

1909 voit la mise en service du grand boulevard parcouru par le Mongy, sous les couleurs de l’ELRT, l’Électrique Lille-Roubaix -Tourcoing, à écartement métrique lui aussi. Il emprunte le boulevard de Paris par des voies longeant chacun des trottoirs et traverse la rue Jean Moulin pour poursuivre sa route par le boulevard Gambetta jusqu’à son terminus situé place de la Justice. Par la suite, la TRT abandonne la ligne vers Croix aux TELB, et la rue Neuve perd à cette occasion ses quatre files de rails pour ne conserver que sa voie métrique. En effet, le parcours de cette ligne est modifié en 1908 ; venant de la rue de Lille, elle rejoint désormais la grand-place par le boulevard Gambetta et la rue Pierre Motte. Quelle densité de voies ferrées à cet endroit !

Les voies traversant le carrefour en 1914. Document archives municipales

Ce plan de voies va se simplifier au fil du temps jusqu’à la suppression finale des tramways « urbains ». Seules les voies du Mongy demeureront. Elles vont modifier leur itinéraire et emprunteront la rue du Maréchal Foch dans les années 50 à la suite du prolongement de la ligne de la place de la liberté à la grand-Place et la constitution d’une raquette de retournement.

Intéressons nous maintenant aux bâtiments formant le coin rue de Lille-rue Neuve-boulevard Gambetta : Ils ont également beaucoup évolué au cours des années. A l’angle de la rue Neuve et du boulevard Gambetta on trouve à la fin du siècle un estaminet sous les noms de Farvacque en 1885, Lecreux en 1900, à l’enseigne du café des Arcades.

Le café des arcades – document médiathèque de Roubaix

Traversons la rue Neuve. Sur le trottoir d’en face, à l’angle de la rue de Lille, côté rue Neuve, une épicerie et une boucherie appartenant toutes deux à la famille Scarceriau. L’épicerie deviendra très vite un bureau de tabacs et la boucherie se transformera en estaminet sous la direction de M. Desmarez avant 1904. Le pan coupé de ce commerce arbore sur la photo une splendide peinture murale ! Sur le même coin, mais côté rue de Lille, on trouve une charcuterie au 2, et l’hôtel du Nord au 4.

L’extrémité de la rue neuve après 1908 – A gauche l’estaminet Desmarez et la rue de Lille . Au fond une motrice électrique des TRT – document médiathèque de Roubaix

Mais le sujet est à peine effleuré, et nous le compléterons lors d’un prochain article…