L’éphémère champ d’aviation de Beaumont

A l’occasion de l’Exposition Internationale du Nord de la France, qui a lieu à Roubaix de Mai à Novembre 1911, regroupant 3429 exposants français et étrangers, un champ d’aviation de 10 hectares est construit à Hem, dans les plaines de Beaumont et sur les pâtures de la ferme Gorghemetz. Ce terrain s’étend de l’Avenue des Villas à Roubaix (aujourd’hui Avenue Gustave Delory) à la ferme de Beaumont à Hem.

croquis du champ d’aviation et photo aérienne de 1932 montrant en partie son ancien emplacement (Document archives Historihem)

Les installations se composent comme suit : le champ d’aviation, six hangars individuels, une grande tribune, des gradins et un hangar provisoire pour les grandes journées. On y accède par 2 entrées aménagées de part et d’autre du champ d’aviation.

photos des hangars et du public qui se presse pour assister aux exhibitions aériennes (Documents Roubaix 1911 centenaire de l’exposition)

Les organisateurs obtiennent la participation de nombreux aviateurs à de multiples exhibitions sur une période de 5 mois de juin à octobre. Ainsi Edouard Beaud et Florentin Champel animent le champ d’aviation en multipliant les exploits : survol de l’exposition, vols jusqu’à 800 mètres d’altitude, évolutions spectaculaires en virages courts.

Atterrissage d’ Edouard Beaud sur biplan Farman (Document archives Historihem)
L’émoi des habitants face aux avions qui virevoltent (Document Au Temps d’Hem)

Le terrain est aussi une étape du Circuit Européen qui se déroule du 18 juin au 7 juillet 1911. L’étape est remportée par Vedrines, devant Roland-Garros puis Beaumont.

Arrivée des concurrents au champ d’aviation (Document du journal illustré quotidien l’ Excelsior) (Document Au Temps d’Hem)

Les aviateurs sont ovationnés par le public et se voient offrir des gerbes de fleurs par des petites filles.

Vedrines se voit remettre une gerbe de fleurs (Document du journal illustré quotidien l’ Excelsior) (Document Roubaix 1911 centenaire de l’exposition) (Document Au Temps d’Hem)

Le général Lalorre entouré d’officiers aviateurs assiste à l’arrivée des pilotes.

Le général Lalorre et les officiers aviateurs (Document du journal illustré quotidien l’ Excelsior)

Un monoplan, Le Vautour, construit par deux roubaisiens Mrs Allard et Carbonnier, effectue également ses premiers vols lors des exhibitions du champ d’aviation, piloté par Mr Cordonnier lors du meeting du 14 juillet. Enfin, le 30 juillet évoluent dans les airs non seulement Vedrines mais aussi une aviatrice Jeanne Herveux qui fait un vol remarquable sur son biplan.

Vedrines et Jeanne Herveux (Documents archives Historihem et Roubaix 1911 centenaire de l’exposition)

Une fois l’Exposition terminée, les pâtures de la ferme Gorghemetz sont rendues aux placides vaches laitières noires et blanches. La ferme entourée d’eau jusqu’au milieu du vingtième siècle est alors exploitée par la famille Lefebvre et son adresse se trouve au 58 avenue Gustave Delory, bien que ses terres, hormis la maison elle-même se trouvent, pour la plupart, sur la commune de Hem.

Sur la photo aérienne de 1947, on voit clairement la ferme au bord de l’avenue Delory quelques temps avant qu’elle ne soit détruite en vue de la construction du quartier de Beaumont.

Photo aérienne de 1947 (Document IGN)

Dès 1948, le quartier change radicalement d’aspect avec les constructions de la cité des 3 baudets en bas du boulevard Clémenceau. Comme on le constate au fond de la photographie de 1948, au delà de l’avenue Mozart (percée en 1931), les champs et pâtures sont toujours présentes là où s’était dressé le champ d’aviation éphémère près de 40 ans plus tôt.

Début de construction de la cité CIL des 3 baudets (138 logements) en 1948 et la même cité en 2016 (Documents archives Historihem)

Puis dans les 10 années suivantes c’est au tour de la cité jardin Beaumont (381 logements), de voir le jour dans la plaine de Beaumont de l’autre côté de l’avenue Mozart. En mémoire de l’exposition universelle de 1911les rues de la cité portent des noms d’aviateurs célèbres : Vedrines, Roland Garros, Santos Dumont, Hélène Boucher…

Passage d’une ville à l’autre entre 2 maisons de la même rue et dénomination Logicil « Beaumont les aviateurs » (Document collection privée)

La particularité de ce quartier tient au fait qu’il est situé à la fois sur les communes de Hem et de Roubaix mais aussi au fait qu’il est isolé du reste de la ville de Hem, en particulier depuis la mise en service de la voie rapide Roubaix-Villeneuve d’Ascq en 1973.

Les photographies aériennes de 1962 et plus encore de 2021 démontrent comment ce quartier rural aux portes de Roubaix s’est développé au point de ne plus laisser penser qu’une ferme, des champs et un terrain d’aviation ont pu y exister un jour.

Photos aériennes du quartier en 1962 et 2021 (Documents IGN et Google Maps)

Remerciements à Philippe Waret, l’Association Historihem et la Ville de Hem

Le château et la ferme de Beaumont

Le fief de Beaumont à Hem remonte au 13ème siècle et appartient initialement à la Maison de Lannoy. La première représentation que l’on a du château remonte aux années 1640, par l’intermédiaire du chanoine Antoine Sanders, dit « Sanderus », théologien et érudit auteur de nombreux ouvrages au dix-septième siècle. Le domaine se situe au bout du chemin de Beaumont, sur un simple chemin rural.

A l’époque le fief de Beaumont se compose d’un château bâti sur motte avec donjon et chapelle, entouré de grands fossés et d’une cense contenant maison, étables, bergerie, grange, fournil, basse-cour, jardins, prés, pâtures, bois, champs entourés d’eau et terres de labour. (Source historique des « château et cense de beaumont » à Hem Nord publiée par Mr Volpi, basée sur les recherches de Max Barrois)

Croquis du 1er château de Beaumont (Document archives Historihem)

Le domaine se maintient dans son intégrité jusqu’à la révolution. Une vente réalisée en 1732 à la famille Libert (conseiller du roi de France) fait en effet mention :« d’un château seigneurial avec porte, avec une basse cour et plusieurs jardinages entourés d’eaux pour l’usage et la commodité du seigneur et attenant au château, un lieu manoir amassé de granges, étables, fournil et autres édifices à usance de cense, avec prés, pâtures, bois, chaingles (enceintes), eaux, rejets, flots, flégards (sentiers) et terres labourables en plusieurs pièces tenant ensemble et contenant 25 bonniers environ ». (Sources généalogiques et historique des provinces du Nord)

En 1773, le château, en mauvais état, est vendu par la famille Libert à Paul Joseph Dutoit, fermier de Beaumont, et Michel Joseph Letellier maçon à Hem. Ensuite en 1872, c’est Jules Brame Delemer qui devient propriétaire du domaine puis Max Barrois son descendant.

Le journal Nord-Eclair de 1941, dans sa rubrique : Regards sur le passé, publie une photographie du château de Beaumont au début du vingtième siècle. S’agit-il bien du château situé dans le fief de Beaumont comme le laisse supposer l’article du journaliste qui en reprend l’histoire, ou s’agit-il d’une autre propriété ? En effet, dans l’annuaire de 1923, le château de Beaumont est la propriété d’un industriel nommé Glorieux et c’est encore le cas en 1948 mais il s’agit d’une propriété sise au 209, boulevard Clémenceau et non de l’ancienne seigneurie.

Photo du Château au début du 20ème siècle Document Nord-Eclair)

Dans les années 1930, on retrouve l’impressionnante propriété de l’ancien fief de Beaumont sur une vue aérienne au niveau du 12 de l’actuelle rue Montaigne à Hem, à la limite de la ville de Croix.

Photo aérienne du Château de Beaumont en 1932 (Document IGN)

En 1931, la cense de Beaumont est toujours entourée de douves. Elle est gérée par Louis Lienart qui la laissera l’année suivante à son fils Pierre. La pièce d’eau cerne une île où se trouve un chalet. Le château est alors à l’opposé de l’entrée de la ferme.

Photos de la ferme en 1931 (Documents archives Historihem)

En 1944, les propriétaires sont Mrs Barrois et Detroyat (célèbre aviateur). En 1945, le château, loué à l’association : « les amitiés scoutes », devient un lieu de réunion des troupes scoutes et guides. Ainsi, à l’été 1957, les 2000 scouts et guides de France des districts de Roubaix-Tourcoing y organisent une agréable journée de rassemblement.

Le programme est le suivant : une messe en plein air célébrée par l’aumônier d’une fraternité scoute, un déjeuner au restaurant installé pour l’occasion ou un pique-nique sous les arbres du parc verdoyant, un kayak pour naviguer sur la rivière, une exposition de peintures, des manèges et de nombreux jeux, un junicode suivi des nombreuses démonstrations organisées par les scouts et guides qui, dans la soirée, procèdent au renouvellement des feux de la Saint-Jean.

La fête champêtre de 1957 (Documents Nord-Eclair)

Pourtant la même année la presse annonce la prochaine disparition du château et de la ferme pour permettre la création d’une magnifique cité résidentielle. Fort heureusement le site sera finalement épargné et la construction se fera autour permettant aux futures résidences de bénéficier d’un cadre exceptionnel et surtout assurant la préservation d’un patrimoine historique.

Prochaine disparition du château et de la ferme (Documents Nord-Eclair)

Les derniers gérants sont le couple Meyer jusqu’en 1961. La Cense est ensuite rachetée puis aménagée, en 1962, par Mr Remi Ange Silvio Volpi, industriel roubaisien dans la teinture à façon au 232 boulevard de Fourmies.

En 1947 et 1962, les vues aériennes montrent un domaine toujours aussi imposant sans autre demeure dans le voisinage immédiat.

Photos aériennes de 1947 et 1962 (Documents IGN)

Dans les années 1970, le domaine, fort bien entretenu, est toujours très champêtre. En revanche, dès 1976, les habitations se densifient et en 2021, l’ancienne cense de Beaumont est environnée de maisons.

Photos des années 1970 (Documents collection privée)

Photos aériennes de 1976 et 2021 (Documents IGN et Google Maps).

Vue de l’étendue du domaine sur le plan de la ville (Document Google Maps)

Pourtant la construction en elle-même n’a pas beaucoup changé et lorsque l’on observe de plus près la photographie de l’entrée du domaine côté ferme, en venant de la rue Boileau, on s’aperçoit que le porche crénelé déjà observé sur les photos de 1931 se retrouve à l’identique sur les photos actuelles.

Photo du porche actuel (Document archives Historihem)

Le 12 rue Montaigne est aujourd’hui le siège de l’entreprise de recherche-développement en autres sciences physiques et naturelles de Mr Luis Gonzales Alvarez. De nos jours, lorsque l’on passe dans la rue Montaigne on ne voit aucune trace de l’ancien domaine ; seul un petit portail blanc, à côté du numéro 6, donnant sur une allée marque l’entrée de l’ancien château. Dans la rue Boileau, le portail n’est pas plus grand mais une petite plaque indique la présence de la Cense de Beaumont. Au fond de l’allée on distingue le porche crénelé dont la photographie figure ci-dessus.

Photo du portail côté Boileau (Document Google Maps)

Remerciements à l’Association Historihem 

L’Auberge de Beaumont

Dans les années 1920, au 143 rue de Beaumont, se trouve l’épicerie de L. Nisse. Ce commerce est repris, dans les années 1930, par E. d’Havé. Le magasin est situé dans un quartier calme, à proximité de la rue Payen, et à deux pas de la ferme de M. Cruque, agriculteur, sur la place du Travail.

La rue de Beaumont en 1926 : à droite, un des bâtiments de la ferme Cruque ( document BNR )

Ce commerce devient ensuite un estaminet, géré successivement par Mme Ledocte dans les années 1940 et L. Grave dans les années 1950.

Dans les années 1960, le café se nomme : « Au Moniteur » Peut-être y avait il un rapport avec l’endroit tout proche place du Travail, où se déroulaient les épreuves pour passer le permis de conduire.

Modification de la façade en 1964 ( document Archives Municipales )

En 1964, le tenancier Kurt Gronow, qui demeure 121 rue Pierre de Roubaix, demande au bureau d’études Clément Dassonneville, à Menin, une modification complète de la façade de son établissement. Les travaux s’élèvent à 14.220 Frs. Dans les années 1970 1980 l’établissement change plusieurs fois de propriétaire. Les enseignes se succèdent également : La Serre et Le Rustique.

L’auberge dans les années 1980 ( document Archives Municipales et Nord Éclair )

A la fin des années 1980, Jean Pierre Pirlet reprend l’établissement qui devient « l’Auberge de Beaumont ». Deux ans plus tard, en 1990, aidé par son chef de cuisine Alain Dequidt, il ajoute à ses deux menus existants de 75 Frs et 125 Frs, des plateaux de fruits de mer.

document collection privée

On peut déguster désormais, le plateau du mareyeur de 24 huîtres fines de claire d’Oléron pour 120 Frs, et le plateau de fruits de mer composé d’huîtres, langoustines, crevettes, bouquets, amandes et un tourteau, pour le prix de 150 Frs. Un arrivage quotidien des fruits de mer et crustacés assure une fraîcheur des produits inégalable. Jean Pierre Pirlet propose également la livraison de plateaux à domicile et la vente à emporter. Il fait aussi profiter sa clientèle de son expérience en matière de champagnes et de vins blancs.

document collection privée

En 1996, Frédéric Mégnien et son épouse Kira reprennent l’auberge de Beaumont. Ils arrêtent la vente de fruits de mer et se dirigent vers une cuisine plus traditionnelle, avec un accueil sympathique et convivial. Frédéric devient  »Maître Restaurateur » ( titre honorifique délivré par l’Etat )

document collection privée

L’engagement de Frédéric : une cuisine réalisée sur place à partir de produits bruts, majoritairement frais, intégrant les circuits courts. Il cuisine des produits de saison, comme les asperges en Avril, le gibier et les champignons à l’automne…

Frédéric et Kira Mégnien ( document Nord Eclair )

Dans les années 2000, un incendie ravage le premier étage ; l’établissement reste alors fermé plusieurs mois pour travaux. En 2007, les époux Mégnien quittent l’auberge pour ouvrir un établissement à Lille puis à Villeneuve d’Ascq.

documents : L’Expresso

En 2008, l’auberge de Beaumont est reprise et devient : L’Expresso. Le nouveau gérant, Jean François Choquet propose désormais une cuisine italienne et française : restauration traditionnelle, vente de pizzas sur place ou à emporter.

Remerciements aux Archives Municipales.

La ferme du Petit Beaumont

La ferme, vue depuis la place du Travail – Photo Coll. B. Thiebaut

Le tramway G, venant du Boulevard du Cateau, contournait la place par la droite pour emprunter la rue Henri Regnault en direction d’Hem.

Placée depuis le 18e siècle au carrefour de deux chemins devenus la rue de Beaumont et le boulevard du Cateau, là où a été tracée la place du Travail, cette ferme, appelée également ferme du petit Beaumont, dépendait du fief du Raverdi. Enfermée autour de sa cour par des murs épais, elle témoigne d’une époque où il fallait se barricader pour se défendre des attaques des bandes pillards, les Catulas, qui battaient la campagne.

J.B. Destombes a été un des censiers de la ferme vers 1830. Il s’est opposé aux droits d’octroi taxant les produits des fermes des alentours à l’entrée de Roubaix bourg, au moment où la partie Sud de Roubaix, dénommée Roubaix Campagne demande son autonomie par rapport à la partie citadine et industrielle. Elle fait partie des 7 fermes encore vivantes après guerre, bien que la plupart de leurs terres aient été déjà livrées aux constructions. Pourtant, Nord Éclair nous assure en 1949 que ce sont encore « de véritables censes avec du fumier, des chevaux, une étable. Bref, de vraies fermes, avec des toits croulants, de vieux murs tapissés de lierre, des arbres vénérables, des haies vives et des fermières en sabots et tabliers bleus. »

Cruque1949-96dpi La ferme. Photo Nord-Éclair
Au fond à gauche, l’habitation. Au fond à droite la grange, devant étable, écurie, et laiterie

En 1885, la ferme appartient à la famille Loridant frères et sœurs. A partir de 1887, et jusqu’en 1922, le Ravet-Anceau nous indique JB Cruque. On y trouve en 1939 la veuve L.Cruque-Loridant. En1955 Jean Cruque l’habite encore, mais ne l’exploite plus.

Au début des années 50, on veut rectifier le tracé de la rue de Beaumont. La ferme est frappée d’alignement. Il faut démolir le bâtiment bas comprenant le porche d’entrée, ainsi que le pignon de la partie habitation. Cette partie disparaît fin 1952.

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Les parties frappées d’alignement. Photos Nord Matin
On remarque le coude que faisait la rue de Beaumont pour déboucher sur la place.

Mais les trois autres corps sont toujours là, l’habitation raccourcie d’une bonne part. Enfin, la municipalité décide de racheter l’ensemble des bâtiments restants pour y construire une école. C’est chose faite en 1957, et l’école s’élève sur la pâture qui se trouvait derrière la ferme, la dernière portion des terres qui constituaient la cense. Dans un deuxième temps, sur l’emplacement des bâtiments finalement démolis sera construite la cour de récréation.