Les trois bâtiments qui se trouvent rue du Hutin et rue de l’Espierre ont été construits par le CIL en 1959 et 1960. Après une visite des officiels en mai 1960, les appartements sont mis en location en octobre. Ils correspondent aux n°65 et 73 de la rue du Hutin pour le premier bâtiment, soit vingt appartements identiques. Et deux autres bâtiments juste derrière, dans la rue de l’Espierre, dont le tracé perpendiculaire à la rue du Hutin qui traverse le lotissement : cinq entrées pour le premier et deux entrées pour le second plus petit. Soit un ensemble de 90 appartements.
La description d’un appartement nous est proposée par une des locataires, membre de l’atelier : dès le rez-de-chaussée, on accède directement à deux appartements. Tous les appartements du bâtiment sont strictement identiques, même surface, même disposition. On y accède par une petite entrée, où se trouvent un petit placard, et les WC. On entre ensuite dans le séjour sur la droite, avec une très grande fenêtre, les appartements sont très bien exposés. Le soleil se lève du côté du séjour et se couche dans la cuisine, qui est rectangulaire avec deux grandes fenêtres. Il y a aussi une petite salle de bain avec une fenêtre, on ne peut y accéder que par la cuisine, sans doute à cause de la disposition des canalisations. Au bout du séjour, on a un petit couloir sans porte et deux chambres de part et d’autre de ce couloir. Il y avait des placards dans les appartements, ils sont d’origine, et dans l’espace entre les deux chambres, on a monté un genre de dressing, avec des portes coulissantes en bois, qu’on a ensuite enlevées pour mettre des tentures, c’est assez profond et assez haut. Ces placards, c’était bien pour les jeunes ménages, ça évitait d’acheter des meubles.
Il reste encore quelques locataires qui sont là depuis le début, ils m’ont raconté qu’au début, ils étaient chauffés avec des feux à charbon. Autrefois les caves communiquaient et elles avaient une petite cellule réservée au stock de charbon. Puis elles ont servi pour des dealers, elles ont été finalement condamnées en 2009, autant l’accès par le bloc que par l’extérieur. Les charges n’ont pas été réduites pour autant. Sur la droite au rez-de-chaussée droit du n°65, il y a eu des ilotiers qui avaient une permanence. Ils ont fermé rapidement. Après il y a eu un gardien, c’était son logement de fonction.
Depuis 20 ans que je suis là, les bailleurs se sont succédé : l’Opac de Roubaix, puis Roubaix habitat maintenant c’est LMH. Il y a eu du changement concernant les espaces verts. Quand je suis arrivée, il y avait de la verdure, c’était magnifique, des arbres, de la végétation, on entendait les oiseaux dès le matin. Après la réhabilitation, ils ont tout coupé, les arbres soi-disant malades, pour faire un parking. Ça ne nous laisse plus de place pour les espaces verts, et ils en ont encore enlevé pour placer les conteneurs de récupération, alors on plante des fleurs en bas de nos fenêtres, sur le devant des fenêtres ou les petits parterres non exploités, dans la descente d’escalier. Entre voisins on se passe des plantes et des graines. Ils ont fait le parking sans concertation, ils ont dessouché les arbres avec des bulldozers. Les gens ont commencé à se garer, du jour au lendemain, le parking s’est ajouté à nos charges, du coup boycott du parking qui s’est retrouvé vide, on se garait dans la rue. Après, quelques locataires paient leur place, et comme des gens venaient se garer sans payer, on a mis des poteaux fixes et noirs pour empêcher le passage, du coup les véhicules de secours ne peuvent plus passer.
Pour l’époque, fin des années cinquante, l’accès à l’électricité et à l’eau courante, c’était moderne. Il y avait des locataires portugais, algériens, français, qui arrivaient dans des appartements avec confort, salle de bains, on disait pièce d’eau à cette époque. C’était des ouvriers du textile ou des travailleurs du bâtiment. Le chauffage central individuel au gaz était installé quand je suis arrivée. En 2009, il y a eu une réhabilitation extérieure, remise aux normes des vieilles chaudières, les sanitaires, mais le double vitrage date des années quatre-vingt. Les changements sont difficiles à obtenir : par exemple, les lampadaires, on en a sur la façade arrière du bâtiment, et on a du mal à faire changer les ampoules. La grande transformation, c’est l’évacuation des eaux usées, on a une colonne d’évacuation qui est à l’intérieur du mur de cuisine, entre chambre et cuisine, alors quand c’est bouché, je ne vous parle pas de l’odeur. Comme maintenant tout le monde a un lave-vaisselle, une machine à laver, le débit a augmenté. On voit aussi qu’il y a un changement des mentalités, à cause du mode de vie. Aujourd’hui, c’est chacun chez soi et chacun pour soi. Quand je suis arrivée là j’ai été bien accueillie, il y avait de tout, les enfants jouaient dehors, les mamans se rassemblaient devant le bloc, on papotait. Aujourd’hui, c’est bien différent.