Un gêneur obstiné

Le chemin de Croix au Mont à Leux fait partie des 15 chemins vicinaux recensés à Roubaix en 1838. Lorsqu’en 1842 on installe la voie de chemin de fer entre la gare de Roubaix et celle de Tourcoing, elle est amenée à croiser ce chemin au hameau du Fontenoy par un passage à niveau situé près d’une ferme. Le chemin vicinal traverse la voie en formant deux coudes très prononcés.

Plan cadastral de 1845
Plan cadastral de 1845

Cette traversée à niveau n’est pas très gênante à l’époque, mais le trafic sur le chemin augmente progressivement. On le classe en 1867 parmi ceux nécessitant des travaux urgents.

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Mais on décide à la même époque la création d’un boulevard de ceinture. Mis en chantier en 1868, celui-ci empruntera, pour la partie qui nous intéresse, le chemin du Mont à Leux. Les boulevards constituant cette ceinture prendront les noms d’Halluin et d’Armentières de part et d’autre du passage à niveau. Les travaux prévoiront un redressement du chemin au droit du PN. Le plan d’époque nous indique les ancien et nouveau tracés.

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En 1891, la ville décide de paver les trottoirs sur 5 mètres de largeur et demande à la compagnie du Nord de prendre à sa charge le revêtement des trottoirs sur ses emprises. Le plan annexé nous montre qu’une halte, intitulée « arrêt boulevard d’Halluin », et comportant deux quais était établie à cet endroit le long de la voie. On y voit également l’implantation de la maison du garde-barrière.

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Pour faciliter le passage, une passerelle pour piétons est ensuite établie près du passage à niveau. Ceci ne règle pourtant pas les problèmes de circulation des véhicules ; ceux-ci ne font qu’empirer. Le journal de Roubaix annonce en octobre 1930 la suppression du passage à niveau et son remplacement par un passage souterrain situé 180 mètres plus loin, le long du canal. Cette suppression fait partie d’un projet global validé par le ministère et comprenant la suppression d’autres traversées à niveau, comme celles de l’allumette à Croix, du Crétinier à Wattrelos, de Beaurepaire et du Carihem à Roubaix, mais aussi la création d’une voie centrale et d’une gare de débord boulevard industriel (future avenue Motte) et d’une halle des douanes en gare de Roubaix. Le journal publie une photo du passage à niveau, vue vers le boulevard d’Halluin, photo où nous remarquons que la maison du garde-barrière est désormais doublée de deux guérites identiques, placées de chaque côté des voies, permettant la manœuvre des barrières à l’abri des intempéries.

Photo Journal de Roubaix, 1930
Photo Journal de Roubaix, 1930

Mais, deux mois plus tard, le même journal apporte des réserves à ce projet en ce qui concerne le boulevard d’Halluin et se fait l’écho des commerçants, des industriels et de la chambre de commerce qui, par la voix de son président Georges Motte juge que « supprimer le passage à niveau du boulevard d’Halluin… c’est sacrifier l’intérêt général de la ville de Roubaix… ». Dès lors, la suppression semble perdre subitement de son urgence. D’ailleurs, le ministère rapporte la décision, et notre passage à niveau survit au projet. Une photo aérienne nous le montre dans sa configuration de 1953. La ferme qui était là à l’origine a fait place à une entreprise, une passerelle pour piétons traverse les voies, les quais et la halte ont disparu. On voit distinctement deux wagons couverts stationner sur l’embranchement particulier des établissements Vanoutryve.

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Pourtant, le passage à niveau continue à gêner la circulation et à provoquer embouteillages et exaspération des usagers. Nord Matin reprend en 1967 les récriminations du public contre la soixantaine de convois ferroviaires qui empruntent la voie entre Roubaix et Tourcoing dans un article où il qualifie le passage à niveau de « gêneur obstiné ».

Document Nord Matin, 1967
Document Nord Matin, 1967

Tout ceci ne suffit pourtant pas à mettre en place un nouveau projet de remplacement, et la construction ultérieure de la voie rapide le long du canal rend l’itinéraire par l’ancien boulevard de ceinture moins attractif. Le passage à niveau perdure donc encore. Équipé maintenant de barrières automatiques, il est environné de friches et de végétation qui lui donnent un petit air désolé.

Photo collection particulière
Photo collection particulière
Les autres documents proviennent des archives municipales

 

 

 

 

Les malheurs de la passerelle

Les industries se concentrent de chaque côté du canal, il faut donc un moyen de communication pour mettre en relation lieux de résidence et lieux de travail, quartiers du Pile, du Sartel et de l’Entrepont. Or le canal forme une barrière infranchissable entre le pont du galon d’eau et celui de Beaurepaire. On forme donc le projet, approuvé par la préfecture en 1875, de construire une passerelle à mi-chemin de ces deux ponts, quasiment dans l’alignement de la rue des Soies, entre le quai de Wattrelos et celui du Sartel.

La réalisation de la passerelle ne suit pourtant pas immédiatement cette décision : ni le plan cadastral de 1884, ni les plans de 1886 ne figurent de passerelle. Elle est finalement construite, et apparaît en 1906 sur le plan du Ravet-Anceau :

Plusieurs cartes postales nous la montrent, construite en métal riveté, et environnée par deux silos à charbon.

Ce moyen de communication si utile va malheureusement être détruit en 1918 par les allemands lors de leur départ de Roubaix.

Elle est reconstruite après la guerre, mais en béton. Les escaliers d’accès sont maintenant perpendiculaire à la passerelle elle-même. Une photo nous la montre, vue depuis le quai du Sartel :

Pourtant, les malheurs de cette passerelle ne sont pas terminés : elle sera détruite de nouveau durant la deuxième guerre mondiale, pour n’être reconstruite qu’en 1952, en ciment armé avec des rampes d’accès perpendiculaires accessibles aux cycles et voitures d’enfants. Le nouveau tablier préfabriqué est lancé à travers le canal en prenant appui sur une péniche, l’Etom, appartenant aux établissements Motte de la rue d’Avelghem.

Photos Nord Matin

Souhaitons longue vie à cet ouvrage d’art, l’avatar actuel de la lignée !

Documents archives municipales et bibliothèque numérique de Roubaix

 

 

 

 

Embranchés rue de l’Ouest

Après l’établissement de l’embranchement desservant l’entreprise Dujardin, un autre négociant en charbons, M. Delcroix-Planquart, après accord avec la compagnie du Nord, demande l’autorisation en 1890-1892 d’établir un raccordement de voie traversant la chaussée moyennant un droit annuel de 1000 Francs. L’embranchement devra être fermé par une barrière cadenassée, sauf lors du mouvement des wagons. La ville s’oppose d’abord à l’installation de cette traversée à niveau, répugnant à concéder une partie de l’espace public à un particulier, puis finit par accepter la pose de la voie en 1893. On prévoit ici également la construction de deux cuvettes d’égout aux frais de M. Delcroix.

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L’embranchement des établissements Delcroix. En bas, la plaque tournante d’accès

 Le négoce de charbons du 47 est repris avant la guerre les établissements Mulliez-Delcourt. On retrouvera ce commerce jusque dans les années 70. Durant cette période, la plaque tournante est remplacée par un pont à secteur visible sur la photo aérienne de 1962. On y distingue la voie qui traverse le bâtiment perpendiculaire à la rue, et qui sort dans la cour, desservie par une plaque tournante.

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Document IGN – 1962

 L’entreprise est ensuite remplacée par un casseur de voitures. En 1973, la ville reçoit une demande de démolition pour des locaux industriels situés à cette adresse. Ces locaux sont constitués de hangars et de maisons, dont une vieille bâtisse située sur la rue. On trouve aujourd’hui à cet endroit un groupe de maisons récentes, le hameau du Fresnoy.

Une autre entreprise, la scierie Moïse Rogier fait construire en 1906 un quai de déchargement pavé de 30 mètres de long sur les emprises de la gare, et des barrières permettant d’y accéder directement depuis la rue de l’Ouest. Ces barrières seront remplacées par des portes roulantes en 1923. La scierie elle-même est située plus haut dans la rue d’Epinal. Elle n’a pas changé de nom jusque dans les années 1990. Sur son quai, on a déchargé les animaux destinés à l’abattoir jusque dans les années 50-60. Après 90, ce quai a finalement été démoli pour faire place à l’école Afobat.

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La barrière d’accès

En 1923 La SNCF pose une voie supplémentaire le long de la rue de l’Ouest « pour faciliter la desserte des embranchements particuliers… ». Pour cela elle construit un mur de soutènement.

Cette même année, la société Dubois, Dhont, et Finart demande l’installation d’un portillon permettant d’accéder directement depuis la rue de l’Ouest à ses bureaux, installés sur un emplacement loué dans la cour des marchandises, moyennant la construction d’un escalier qui escaladera le talus. La société Dubois restera implantée très longtemps sur l’emprise de la gare, jusqu’au déclin de celle-ci et à la disparition de son service marchandises.

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 Autre embranché, on trouve en 1892 au 14-16 de la rue les établissements Petit père et fils, eux aussi négociants en charbon. Leurs entrepôts sont situés quai du blanc-Seau à Tourcoing.

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Néanmoins, cette société se raccorde aux voies SNCF derrière la halle petite vitesse grâce à un embranchement particulier qu’on trouve représenté sur un plan de la gare de 1906 :

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Dès avant la première guerre, c’est la société Lepoutre-Six qui a prend la suite. Sur l’en-tête, seuls les bureaux sont au n°16, le chantier reste situé quai du Blanc-Seau à Tourcoing. mais l’embranchement reste utilisé sur place. Une photo aérienne de 1962 semble montrer un autre chantier charbon en face, de l’autre côté rue de l’Ouest.

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Document IGN

 Pour donner accès aux zones de stockage, en contrebas des voies, on dut faire établir un « ascenseur pour wagons » qui permettait de descendre ceux-ci depuis le niveau des voies de la gare jusqu’à celui de la rue de l’Ouest.

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Publicité 1966

  En 1977 on trouve au numéro au 16 les sociétés Maplex-Nord, matériel pour horticulteurs et Delespierre-Leman, correspondants SNCF, installés également au 37-39. Aujourd’hui, toute cette partie à droite de la rue a fait place à une pelouse.

 Les documents proviennent des archives municipales.

 

Un premier embranché à la petite vitesse

Lors de la construction de la gare en 1888, la compagnie des chemins de fer du Nord établit une rue débouchant sur la rue de Mouvaux pour desservir la cour des marchandises dite de la « petite vitesse », dévolue aux transports non urgents et bénéficiant, puisque acheminés plus lentement, d’un tarif préférentiel. Cette rue, future rue de l’Ouest, est pavée et la municipalité offre, au début des années 1860, de l’incorporer au réseau public et d’assurer son entretien. Elle la prolonge jusqu’au chemin du Fresnoy et demande à la compagnie de chemin de fer de reporter l’entrée de la cour des marchandises au débouché de cette voie.

La rue de l’Ouest sera traversée par des embranchements particuliers, voies ferrées établies sur le domaine public pour permettre aux wagons d’être déchargés directement dans l’enceinte de l’entreprise raccordée sans perte de charge. Une photo aérienne de 1962 nous permet de situer le premier de ces embranchements.

 embranchements-96dpiDocument IGN

 La photo montre le long de la passerelle le raccordement des établissements Dujardin. Un wagon tombereau stationne sur la plaque tournante permettant l’orientation à 90 degrés nécessaire à la desserte de l’embranchement et, dans l’enceinte de l’entreprise, deux autres plaques permettant de faire pénétrer les wagons sous les hangars de stockage. On distingue également un autre embranchement traversant la rue de l’Ouest au droit des établissements Mulliez-Delcourt, primitivement établi pour la société Delcroix-Planquart. Nous en reparlerons dans un prochain sujet.

Ces deux embranchements apparaissent sur le plan des voies de 1906:

1906-96dpiPlan compagnie du Nord 1906

Observons ce raccordement, établi très tôt, dont on voit l’origine dans la cour de la petite vitesse devant la halle :

plaques-RBX_MED_CP-96dpiDocument médiathèque de Roubaix

Dès 1862, la société Dujardin et Douterluigne, installée face à la gare, à l’angle de la future rue du Fresnoy, demande un raccordement aux voies marchandises de la compagnie du Nord, qui traverserait le chemin d’accès à la gare. Cette voie est établie, mais elle produit une cassure dans la pente de la chaussée et l’eau s’accumule à cet endroit. La société est contrainte en 1867 d’installer à ses frais une bouche d’égout pour évacuer les eaux stagnantes. En 1903 s’installe au 37 une brasserie, sous le nom de Dujardin et Delemazure, brasseurs. En 1912 est construit un bâtiment à usage d’écurie.

La raison sociale change et devient en 1921 la société anonyme « Les charbonneries du Nord ». Celle-ci s’oppose alors au versement d’une redevance concernant la voie ferrée, au prétexte que la voie ferrée a été établie plus d’un an avant que la rue de l’Ouest fasse partie du domaine public. La municipalité rétorque que l’autorisation d’utiliser le raccordement était révocable à out moment ; finalement l’affaire s’arrange.

En 1927 c’est sous la dénomination de « société anonyme des charbonnages » qu’est envoyée une demande pour construire sur le chantier un hangar de 300m2, les bureaux sont toujours 1 rue du Fresnoy. Dix ns plus tard, la société, redevenue « Dujardin » propose d’installer transversalement à la rue de l’Ouest une conduite pour récupérer dans leur propre aqueduc les eaux pluviales qui s’accumulent à la plaque tournante située dans les emprises de la gare, et qui dessert leur embranchement.

RA1955Dujardin-96dpiDocument archives municipales – 1955

 En 1946 a lieu l’installation de la société Crépy pneus au 37-39. Monsieur Crépy épousant une demoiselle Dujardin, le terrain est séparé en deux, l’activité pneus est enclavée dans l’entreprise de charbons. On est contraint de démolir deux belles maisons le long de la rue de l’Ouest pour agrandir la cour aux combustibles.

Crepy 1948-96dpiDocument archives municipales – 1948

Dans les années 1970-1980, c’est la fin du commerce des charbons. A sa place s’installent les transports Delespierre et Leman, remplacés ensuite par Nordisk France (toujours un transporteur). A cette époque disparaît la voie de raccordement, devenue inutile après plus de cent ans de service.

 

 

 

 

 

Le cauchemar du PN 157

Le passage à niveau des Trois Ponts, alias PN 157 en 1963 Photo Nord Éclair

 Le passage à niveau du Carihem, alias le PN 157, situé entre les Trois Ponts et la route de Leers, était le cauchemar des automobilistes. Placé trop près des voies de garage, il était souvent fermé à cause des manœuvres de wagons, au moment de leur placement sur les embranchements des différentes usines auxquelles ils étaient destinés. La répartition des wagons selon leur destination respective alimentait 25 embranchements en 1963, ce qui entraînait que le PN 157 était pratiquement toujours fermé. Ce passage à niveau obligeait les automobilistes pressés d’aller vers Leers à retraverser le quartier des Trois Ponts pour aller rejoindre le pont de Beaurepaire. Il barrait également l’accès au stand de tir du Carihem, et à la décharge du même endroit. Un témoin nous rapporte que la SNCF a employé toute une famille comme gardes barrières, le père, la mère et les deux fils qui étaient jumeaux.

Vue aérienne du PN157 en 1962 Cliché iGN

Les files d’attente de véhicules ne favorisaient guère la circulation, aussi il est bientôt question d’établir une passerelle au dessus de la voie ferrée, pour désenclaver le quartier et faciliter la circulation vers Leers et Wattrelos. Le quartier est alors en plein développement, la cité des trois Ponts s’étend, on parle de la création d’un tri pour les colis postaux au Carihem, soit vingt wagons supplémentaires à prévoir, tout cela va donc augmenter encore la circulation.

Deux solutions sont à l’étude : soit  rectifier le passage à niveaux des Trois Ponts et le remplacer par un passage supérieur, soit le remplacer par un autre passage à niveau automatique situé plus loin, pour aboutir rue du Carihem par l’avenue du Parc des Sports prolongée, derrière le lycée. Le financement de ces travaux est assuré dès 1963 par le fonds spécial d’investissement routier, qui a planifié l’aménagement de la rue de Carihem et la suppression du PN 157.

Une passerelle pour le Carihem

L’opération Carihem, croquis de Marcel Pinot Nord Éclair

 Le principe du passage supérieur est retenu, mais un nouvel élément vient modifier le dossier. En 1967, les avenues Motte et Salengro ont reçu la vocation provisoire de voie rapide vers la frontière belge. En fait il sera bientôt question de faire la jonction entre une voie rapide de contournement par les quatre cantons (Villeneuve d’Ascq) vers Dottignies. Un avant projet pour ce qu’on appelle désormais l’opération Carihem, est estimé à 5 millions de francs. La passerelle permettrait la jonction avec la Belgique, mais également avec le projet de pénétrante prévu sur le parcours du canal qu’on projetait de combler !

Passerelle et aménagements en 1972 Photo Nord Éclair

Au-delà de la passerelle, il y a aussi l’aménagement des rues de dégagement, Salengro, Carihem, Cohem, Brame, alors qu’on est en train de bâtir la nouvelle cité des Trois Ponts. En 1970, l’avenue du Parc des Sports est prolongée, un passage à niveau automatique est installé. C’est la fermeture définitive du PN 157, dit des Trois Ponts, une passerelle pour piétons enjambe la voie, et on commence les travaux.

Vue de la passerelle pratiquement terminée Photo Nord Éclair

Le « passage supérieur » du Carihem est le premier ouvrage réalisé sur la voie express des Quatre Cantons à Dottignies, destinée à désenclaver Roubaix. Il sera inauguré le samedi 10 février 1973 après plus de deux ans de travaux. Pendant ce temps, l’antenne de Roubaix piétine du côté d’Hem, et on commence à parler de voies sur berge sur le canal. L’inauguration fut double, puisqu’on célébra aussi l’ouverture du groupe scolaire Léo Lagrange dans le quartier des Trois Ponts. Cette passerelle eut pour effet de couper le Carihem du quartier des Trois Ponts, et d’intensifier la circulation vers le centre commercial de Leers et la zone industrielle de Roubaix Est.

Descente de la passerelle, le jour de l’inauguration Photo Nord Éclair

 

Un carrefour de tramways

Ancien chemin d’accès vers le moulin seigneurial, la rue du Haut Moulin est classée, ainsi que la rue de Lille, dans le réseau des voies urbaines en 1836. Elle prolonge la rue Neuve passée la rue de Lille. Au milieu du 19e siècle, elle troque son nom contre celui de rue du Moulin. Elle deviendra rue Jean Moulin en 1963.

Le bas de notre rue du Moulin sert de limite au du canal ouvert en 1843, qui s’arrête là en cul de sac. Il était prévu d’établir la jonction avec le tracé de Croix à travers les Hauts de Barbieux (actuel parc de Barbieux), mais des difficultés imprévues conduisent à l’abandon du chantier et à la réalisation d’un nouveau tracé au Nord. L’ancien canal est alors comblé entre la rue du Moulin et le pont Nyckès de 1873 à 1883. Sur son emplacement, on crée un boulevard central qui prend alors le nom de boulevard Gambetta. Le chantier du canal au delà de la rue du Moulin, abandonné, constituera l’avenue de l’Impératrice et le parc qui la prolonge. Cette avenue prendra en 1871 le nom de boulevard de Paris. On ne tarde pas à orner l’extrémité du boulevard Gambetta d’une fontaine.

Plan de 1867 – Document archives municipales

L’évolution des techniques fait que ce carrefour très passant ne tarde pas à être traversé de nombreuses voies ferrées. En 1878 la compagnie des Tramways de Roubaix et Tourcoing (TRT) met en service les premières lignes de tramways à chevaux, dont la ligne 1, menant de Croix à Tourcoing, qui emprunte la rue de Lille pour tourner à angle droit dans la rue Neuve. Cette ligne est construite à écartement normal (1m44), alors qu’en 1881, la ligne F des tramways à vapeur de la compagnie des tramways de Lille et de sa banlieue (TELB), également à voie normale, et menant de Lille à Roubaix par Croix, emprunte également cette même voie.

En 1894, les tramways à chevaux cèdent la place à des motrices électriques à la TRT. Celles-ci étant désormais à écartement métrique (1m), les rues neuve et de Lille doivent recevoir quatre files de rails imbriquées (écartement normal pour TELB et métrique pour les TRT). Mais le nombre de voies traversant notre carrefour va encore se multiplier. En effet, une ligne nouvelle ligne 2 bis, puis A bis) conduit à partir de 1905 de la grand-Place vers l’hospice Barbieux par la rue Neuve et le boulevard de Paris. Une autre ligne nouvelle emprunte la rue Neuve et la rue du Moulin et traverse la zone qui nous occupe aux alentours de 1900 vers le Raverdi et le boulevard de Fourmies (ligne 10, puis I).

1909 voit la mise en service du grand boulevard parcouru par le Mongy, sous les couleurs de l’ELRT, l’Électrique Lille-Roubaix -Tourcoing, à écartement métrique lui aussi. Il emprunte le boulevard de Paris par des voies longeant chacun des trottoirs et traverse la rue Jean Moulin pour poursuivre sa route par le boulevard Gambetta jusqu’à son terminus situé place de la Justice. Par la suite, la TRT abandonne la ligne vers Croix aux TELB, et la rue Neuve perd à cette occasion ses quatre files de rails pour ne conserver que sa voie métrique. En effet, le parcours de cette ligne est modifié en 1908 ; venant de la rue de Lille, elle rejoint désormais la grand-place par le boulevard Gambetta et la rue Pierre Motte. Quelle densité de voies ferrées à cet endroit !

Les voies traversant le carrefour en 1914. Document archives municipales

Ce plan de voies va se simplifier au fil du temps jusqu’à la suppression finale des tramways « urbains ». Seules les voies du Mongy demeureront. Elles vont modifier leur itinéraire et emprunteront la rue du Maréchal Foch dans les années 50 à la suite du prolongement de la ligne de la place de la liberté à la grand-Place et la constitution d’une raquette de retournement.

Intéressons nous maintenant aux bâtiments formant le coin rue de Lille-rue Neuve-boulevard Gambetta : Ils ont également beaucoup évolué au cours des années. A l’angle de la rue Neuve et du boulevard Gambetta on trouve à la fin du siècle un estaminet sous les noms de Farvacque en 1885, Lecreux en 1900, à l’enseigne du café des Arcades.

Le café des arcades – document médiathèque de Roubaix

Traversons la rue Neuve. Sur le trottoir d’en face, à l’angle de la rue de Lille, côté rue Neuve, une épicerie et une boucherie appartenant toutes deux à la famille Scarceriau. L’épicerie deviendra très vite un bureau de tabacs et la boucherie se transformera en estaminet sous la direction de M. Desmarez avant 1904. Le pan coupé de ce commerce arbore sur la photo une splendide peinture murale ! Sur le même coin, mais côté rue de Lille, on trouve une charcuterie au 2, et l’hôtel du Nord au 4.

L’extrémité de la rue neuve après 1908 – A gauche l’estaminet Desmarez et la rue de Lille . Au fond une motrice électrique des TRT – document médiathèque de Roubaix

Mais le sujet est à peine effleuré, et nous le compléterons lors d’un prochain article…

 

Beaurepaire : le dernier pont

Si la construction du pont Beaurepaire a connu bien des vicissitudes et des atermoiements, la lenteur de son élaboration n’aura pourtant pas été synonyme de longévité, et, peu après sa mise en service, il commence à faire parler de lui. Dès1962, des fissures sont constatées, qui conduisent à l’ interdire aux plus de 9 tonnes. Par ailleurs, la Voix du Nord, faisant écho à de nombreuses réclamations, dénonce en 1963 le danger représenté par le virage situé à l’entrée du pont, trop brusque et sans visibilité. 1967 voit s’effectuer des travaux de colmatage des fissures, et on ré-augmente le poids maximum admissible sur le pont pour le porter à 15 tonnes. Ces travaux ne sont pourtant pas suffisants, et, en 1972, un contrôle de routine effectué par la SNCF met en évidence une fissure importante qui s’accroît dans le tablier du pont. Les ponts et chaussées prennent d’urgence la décision d’interdire aux poids lourds le transit par le pont. Cette fois-ci, le poids total autorisé est ramené à 3 tonnes et demi. Heureusement, le pont du Carihem, qui vient d’entrer en service, permet de dévier le flot de camions en direction de Wattrelos et Leers.

Photo Nord Eclair.

Ces mesures sont encore insuffisantes et, en 1976, les fissures s’agrandissant et les poutres maîtresses semblant trop faibles, on décide de démolir complètement le pont et de le reconstruire à neuf. La voie d’accès du côté de Wattrelos sera élargie pour faciliter la circulation : des îlots directionnels seront créés pour séparer les courants de circulation vers Roubaix, Watrrelos et Leers à la place du terre-plein existant. On lance une enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, et les riverains sont consultés, qui pourront faire toutes les remarques nécessaires. Le chantier devrait durer un an et s’étendre sur 1977 et 1978. Pendant ce temps, les véhicules devront emprunter le pont du Carihem ou le pont Nickès.

Photo Nord Eclair

 

Mais, malgré l’état du tablier qui s’aggrave, les préliminaires traînent et les travaux de démolition ne sont finalement programmés qu’en septembre 1979. On complète le projet en y incluant des pistes cyclables. La largeur du pont passera ainsi de 11 à 13 mètres. Une passerelle provisoire permettra aux piétons de traverser les voies du chemin de fer. Les îlots directionnels prévus comporteront des feux rouges.

Finalement, les travaux commencent en Juillet 80 par la construction d’un échafaudage en bois et de la passerelle pour les piétons, suivies par les premiers travaux de démolition.

Photos Nord Eclair

La passerelle est édifiée à quelques mètres à droite du pont lorsqu’on vient de Roubaix. Elle relie le chemin qui longe l’usine Stein à la rue Boucicaut, de l’autre côté des voies. On prévoit d’adoucir le fameux virage côté Roubaix, vilipendé en 1963 par la Voix du Nord, grâce à la démolition d’un bâtiment de l’usine Lepoutre, situé à l’intérieur de la courbe. Au mois d’Août, l’ancien pont a disparu. On pose les piles du nouveau, puis les poutres principales, et enfin le tablier.

Quelques vues aériennes nous permettent d’apprécier l’évolution du site au fil des années :

Photos IGN

En 1932, le pont n’existe pas encore et le boulevard Beaurepaire n’est coupé que par le passage à niveau et l’écluse. En venant de Roubaix, une route sur la gauche mène au nouveau pont du Sartel,qu’elle atteint par une courbe. Le carrefour ne montre aucun aménagement spécial. En 1962, le premier pont conduit en ligne droite au pont du Sartel, au prix d’une courbe prononcée au niveau de l’usine Stein. Le terre-plein central de forme triangulaire sépare, au carrefour, les courants de circulation. L’ancienne extrémité du boulevard Beaurepaire est maintenant une impasse. La photo de 1983 montre le nouveau pont, plus large, et dont la courbe a été adoucie grâce à la démolition partielle des bâtiments situés au bas et à droite de la photo. Les circulations entre Wattrelos, Leers et Roubaix sont séparées par des îlots directionnels, renforcés par une importante signalisation peinte sur la chaussée . Retour à la simplicité en 2010, où ce dispositif complexe est remplacé par un rond-point. Le pont Beaurepaire, lui, n’a pas changé, si les bâtiments industriels qui l’enserraient côté Roubaix ont disparu.

 

Emprunts, chantier et tramways

En 1932, les travaux entrent enfin dans une phase active. On s’occupe des immeubles à démolir,c’est à dire les numéros 289 à 299 et l’immeuble à l’angle de la rue de Valenciennes. Le 289 est alors occupé par M. Gertgen, négociant en charbons, le 291 par M. Raux, négociant en matériaux. Huit entrepreneurs soumissionnent à l’appel d’offre pour ces démolitions, et c’est l’entreprise Julien Taillez qui est retenue.

Document Journal de Roubaix

La ville a contracté un emprunt de dix millions et demi de francs pour l’exécution des travaux (voie mère, gare de débord, et suppression des passages à niveau), emprunt gagé sur le produite des surtaxes locales temporaires perçues pendant 30 ans. Mais les travaux de démolition des immeubles expropriés, commencés en 1933, s’arrêtent très vite : par suite de l’augmentation des devis, il manque en 1934 deux millions de francs pour poursuivre. La municipalité fait alors une demande de subvention au ministère. D’autres subventions sont demandées aux conseils Régional et Général. Mais il faut aussi procéder soit à un nouvel emprunt, soit à l’augmentation des surtaxes. Les travaux sont au point mort.

En 1936, on en est toujours à essayer de boucler le budget. Les suppressions des PN du boulevard d’Halluin et du Crétinier sont abandonnées. Seul celle du boulevard Beaurepaire reste à l’ordre du jour. Le ministère refuse la subvention demandée, arguant qu’il ne dispose pas de fonds pour supprimer des passages à niveau autres que sur les routes nationales.

Les travaux ne reprennent qu’en décembre 1937. La crise aidant, un arrêté du ministère du travail réglemente fixe les conditions pour les travaux à réaliser : il faut utiliser de la main-d’œuvre locale comprenant au moins 50% de chômeurs secourus et moins de 10% de travailleurs étrangers. De même, les matériaux employés doivent être français. En 1938 les terrassements sont réalisés par les soins de la SNCF. Pour cela, on construit sur le boulevard deux murs de soutènement et on remblaye entre les deux murs. Enfin le pont lui même, supporté par des piliers, est coulé en béton.

Photo archives municipales

A la demande de l’E.L.R.T, et pour renforcer leur résistance aux chocs éventuels, on décide d’intégrer les pylônes supportant la caténaire (fil trolley aérien alimentant les motrices en électricité) dans la structure du pont. Ils seront eux aussi construits en béton armé et implantés au droit des poutres maîtresses ; ils feront ainsi partie intégrante de l’ossature de l’ouvrage.

Photo Nord Eclair

On en est à la couverture de la chaussée. Une adjudication est lancée pour le pavage de la rampe, du pont lui-même, du rond-point près du pont du Sartel, et de la rampe d’accès vers Leers. On pose les rails du tramway. La double voie du boulevard Beaurepaire se réduit à une voie unique sur la rampe et le pont à cause de la largeur du tablier. Les tramways ne pourront donc pas s’y croiser. Il reste enfin à procéder aux essais de résistance du pont avant la mise en service, et le pont devrait être mis en service à la fin du mois de décembre. Mais, nouveau contretemps, le gel intense interrompt les travaux de pavage, et ce n’est que mi-janvier que la circulation peut enfin emprunter le pont.

Documents Journal de Roubaix

 

 

Un pont pour Beaurepaire

Le chemin vicinal d’intérêt commun n°142 (pour nous le boulevard Beaurepaire) traverse la voie ferrée par un passage à niveau. Il se dirige ensuite à droite vers Leers, avec un accès à gauche vers Wattrelos par la passerelle de l’écluse du Sartel.

Plan du quartier en 1899

 Cette traversée à niveau pénalise énormément les usagers du tramway venant ou se rendant à Leers, qui rédigent en 1919 une pétition exposant « la gêne considérable que leur cause le transbordement qui s’effectue sur cette ligne à la traversée du passage à niveau du Chemin de Fer de Somain à Tourcoing. » En effet, depuis la construction de la ligne, les voyageurs doivent descendre du tramway avant le passage à niveau, traverser les voies à pied, puis reprendre un autre tramway pour poursuivre leur voyage, car la compagnie des chemins de fer s’oppose à une traversée à niveau de ses voies. De son côté, l’E.L.R.T a présenté deux projets d’estacade permettant au tramway d’enjamber la voie ferrée. Ces projets sont rejetés en 1908 et en 1920 par le conseil municipal, celui-ci considérant que les rampes d’accès représentant une emprise de 100 mètres de longueur de part et d’autre des voies rendraient le boulevard incommode et feraient subir une dépréciation aux propriétés riveraines.

Les choses en restent là jusqu’en 1924, une conférence réunit alors à Paris au siège social de la compagnie du Nord les parties intéressées. On y évoque la possibilité d’un passage supérieur. Le conseil municipal s’empare du projet, et l’approuve au mois de Juin. L’année suivante, on approuve également la substitution d’un pont fixe au pont levis du Sartel. On décide de réaliser ces transformations. Ce pont fixe sera placé non loin de l’écluse. On construira le pont sur le chemin de fer dans l’alignement du nouveau pont sur le canal et le boulevard Beaurepaire formera un coude vers la gauche au niveau de la rue de Valenciennes pour desservir ces nouveaux ponts sur un remblai rectiligne. La ligne du tramway empruntera ce nouveau pont avant de se diriger vers Leers.

Les intérêts particuliers s’éveillent, chacun essayant de s’adapter à la situation nouvelle. En 1926 la société anonyme des foyers automatiques demande la construction d’un mur de clôture le long du boulevard Beaurepaire, et en commence la construction, arguant d’un « accord verbal » avec l’ingénieur en chef du département, accord nié par l’intéressé, celui-ci précisant « que les autorisations verbales n’existent pas dans mes bureaux ». Le projet inclut une modification du tracé de la rue de Valenciennes pour permettre le passage du tramway. En effet, la rampe d’accès au pont fait que la rue de Valenciennes se trouvera en contrebas du boulevard : on y accèdera par un escalier. La société anonyme des foyers automatiques proteste immédiatement contre ce projet de déviation qui morcellerait son propre terrain et interdirait la possibilité d’un embranchement particulier. Elle propose de faire emprunter au tramway les rues Molière et de Sévigné. La compagnie des tramways propose même de supprimer carrément la desserte de la gare du Pile, la ligne ne quittant plus le boulevard et continuant directement vers Leers.

Le projet primitif prévoit un pont de 34 mètres, mais la compagnie du Nord envisage maintenant un pont de 100 mètres pour favoriser la création d’embranchements particuliers desservant les usines voisines : filature Lepoutre Bonneterie, société des levures et alcools, établissements Petit (accusés d’avoir acheté des terrains dans l’unique but de faire une bonne opération lors des expropriations). La municipalité proteste contre l’augmentation du prix du projet, et ajoute que l’augmentation de la longueur du pont devrait conduire à l’élargissement de sa chaussée pour éviter des encombrements de circulation. La société Lepoutre, propriétaire d’une filature le long du boulevard voudrait récupérer la bande de terrain séparant sa clôture du mur de soutènement en échange d’un morceau de son terrain nécessaire à l’implantation de la rampe d’accès au pont.

 
Le terrain de la société Lepoutre qui doit être exproprié. Photo Nord Eclair

En 1931, on en est à discuter du montant que devra verser l’ELRT pour la réalisation du projet. De nombreux échanges de correspondance, permettent à chacun de défendre ses arguments. Il faut dire que les fonds manquent pour financer les travaux pourtant nécessaires : le directeur des travaux municipaux souligne « qu’il est désirable que la construction du P.S. Du boulevard Beaurepaire ne soit plus remise, en raison… de l’importance des travaux à exécuter qui nécessiterait l’emploi de nombreux ouvriers et serait, par conséquent, de nature à réduire les secours aux chômeurs actuellement payés par votre administration. ». Ce dernier argument fera avancer la décision.

Documents Archives municipales de Roubaix