Les travaux de terrassement de l’avenue des Villas sont à peine terminés que les destins de ses deux parties constitutives sont amenés à se séparer. Monsieur Wattine fait remarquer au conseil municipal en 1907 que ce nom unique ne fournit qu’une indication trop vague pour situer un lieu et s’y diriger, et que les autres boulevards de ceinture ont été découpés pour cette même raison. Par ailleurs, on peut remarquer que l’angle droit que forme cette avenue en son milieu suggère des voies différentes. Enfin, elle présente au début du 20ème siècle un manque d’unité évident : une première partie, celle touchant au parc Barbieux, est bordée de belles villas, puis l’avenue traverse une vaste zone coupe à travers champs. Enfin, après le virage, s’installent des usines dans un quartier au caractère plus industriel et populaire .
Plusieurs propositions sont faites pour découper l’ avenue en deux ou en trois parties. Elles s’accordent pour suggérer que la partie située entre la route de Roubaix à Lannoy (rue de Lannoy ) et nouveau boulevard de Roubaix à Hem (boulevard Clemenceau), prendrait la dénomination d’Alfred Motte ; le reste, jusqu’au parc Barbieux, conserverait le nom d’avenue des Villas. La séparation est effective sur ces bases en 1914. Les deux avenues, maintenant séparées, vont désormais évoluer de manière indépendante.
Pour la future avenue Delory, son extrémité côté Barbieux prend tout de suite l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui. Les industriels, très vite attirés par la proximité du « beau jardin », viennent y installer « campagnes » et villas bourgeoises dès avant la première guerre.
La descente de l’avenue Delory vers le Parc de Barbieux
Quant au reste de l’avenue, son caractère champêtre persistera près d’un demi siècle. Elle continuera à traverser la campagne, uniquement bordée par les fermes anciennes de Gourgemetz et de la Haye, jusqu’à ce que les lotissements de maisons individuelles ne remplacent les champs à partir des années 50.
Finalement, l’avenue des Villas ne prendra le nom de Gustave Delory par une décision du conseil municipal en 1925.
En 1899 apparaît au n°121 de la rue du Tilleul une brasserie appartenant à la société Chastelain et Compagnie. Cette société a construit l’année précédente deux maisons en front à rue encadrant un porche qui conduit à la brasserie dite « du Raverdi ».
Document Archives municipales
Elle devient en 1913 la « brasserie de l’Union Roubaix-Wattrelos » sous la forme d’une coopérative. En 1923, son directeur, E. Luesma est également le directeur de la brasserie des docks du Nord. En 1931, apparaît d’ailleurs au n°123 une épicerie des docks du Nord. M. Luesma assurera la direction de la brasserie jusqu’en 1939, tandis que l’épicerie des docks du Nord occupe le n°123 jusque dans les années 60.
Document collection particulière
En 1968 la dénomination est légèrement modifiée et devient « société coopérative Roubaix-Wattrelos ». En 1974, les locaux sont repris par la Grande Brasserie moderne, qui en fait un dépôt.
Curieusement, en 1981 et 1982 on trouve également à la même adresse mention du vélo club de Roubaix, alors qu’en 1988, la grande brasserie moderne reste située à cet endroit. A-t-elle prêté une partie de ses locaux au club sportif ?
Photo Collection particulière
Depuis, les bâtiments ont été réutilisés pour abriter d’autres activités dont nous parlerons ultérieurement.
Jusqu’à la fin des années 60, les terrains situés entre l’usine Motte-Bossut et la rue Jean-Jacques Rousseau étaient occupés par des jardins ouvriers. Une première parcelle, placée le long de l’avenue Motte, verra s’ériger un garage, tandis que le reste sera ensuite dévolu au collège Jean Jacques Rousseau.
Le futur emplacement du collège. Photo IGN
Les travaux de construction du collège débutent en 1975, et l’ouverture est prévue en Septembre. Pourtant, à cette date, les locaux ne sont pas terminés et, comme il y a de la place au Lycée Van Der Meersch, on y héberge provisoirement le collège jusqu’à la fin des travaux qui se fera attendre près de six mois. L’association de parents d’élèves se constitue dès la rentrée.
Le nouveau principal, venant du collège d’Avion, est nommé en Mai. Il est provisoirement logé au collège Samain, rue d’Alger et participe aux réunions de chantier dès son arrivée . Il noue de bonnes relations avec l’équipe de Ferret Savinel, constructeur de l’ouvrage. Même si l’essentiel était déjà fixé, ces réunions lui permettent de faire quelques remarques prises en compte sur des points de détail (par exemple, il n’était pas prévu de clôture extérieure à l’origine). Au mois de Juin, les travaux en sont au stade des fondations, et en Septembre, l’ossature est en place. Ensuite, le reste des bâtiments s’est monté assez vite.
Photo La Voix du Nord
Dès la fin des travaux, au printemps 76, près de 400 élèves intègrent les nouveaux locaux, mais les repas du midi continuent à être assurés au Lycée Van Der Meersch. Les effectifs de demi-pensionnaires n’étant pas très importants, il n’a pas paru intéressant de nommer du personnel, et les élèves font ainsi le trajet en rangs tous les midis accompagnés d’un surveillant. La salle polyvalente sert donc à d’autres usages que la restauration : animations, réunions, spectacles… Le collège est prévu pour 600 élèves avec une SES (Section d’éducation spécialisée incluant un enseignement professionnel). Pour les garçons, il devait y avoir deux sections, mais une seule ouvre finalement : la menuiserie. Pour les filles, c’est la section traditionnelle à l’époque : enseignement ménager. Le corps enseignant est très jeune. Son dynamisme fait que tout marche dès le début sans aucun problème.
A proximité se trouvaient le garage Renault, et l’usine Motte-Bossut qui fonctionnait encore à l’époque ; elle a fermé quelques années plus tard. Sa cheminée émettait des noirons un peu agressifs, qui avaient tendance à esquinter les carrosseries des voitures du garage, ainsi que celles des riverains de Hauts Champs. Les plaintes n’empêchèrent pourtant pas l’usine de fumer !
Les officiels visitent une classe le jour de l’inauguration – photo La Voix du Nord
C’est M. Desmullier, vice-président de la communauté urbaine accompagné du recteur d’Académie, M. Niveau qui a procédé, en novembre 1976, à l’inauguration du collège, en même temps que ceux de Hem et de Lys. Ce jour là, justement, il faisait un temps un peu couvert, et les émanations de la cheminée étaient particulièrement présentes. Aux officiels qui regardaient ces fumées derrière les vitres, le principal fit remarquer que l’environnement n’était pas excellent ! Les mesures de qualité de l’air, installées par la suite, n’auraient jamais indiqué grand chose. L’usine travaillait alors jour et nuit, et c’était par ailleurs assez bruyant la nuit.
Un beau jour, on a appris qu’ils déménageaient les machines, et ça a commencé à agiter les syndicats. Le déménagement a duré deux jours complets. Et là, il n’y a plus eu de fumées ! Ça faisait partie de l’évolution d’une ville et de la vie.
Photos collection particulière
Réalisé grâce au témoignage d’Henri que nous remercions bien chaleureusement.
Dans les premières années d’existence de la rue Victor Hugo, les maisons d’habitation sont clairsemées. C’est ainsi qu’en 1903 ne figurent que cinq immeubles dans le Ravet Anceau. Les constructions se mettent en place progressivement, et il faut attendre le début des années 20 pour que les maisons se multiplient vraiment. Par contre, tout au long des années 30, la zone entre la rue Pierre de Roubaix et la rue de Nancy, du côté des numéros impairs, est occupée par les jardins ouvriers de la société des jardins populaires. Ceux-ci disparaissent après la guerre. Les habitants de la rue sont en majorité des ouvriers ou des employés, mais on y rencontre également les demeures d’industriels dont l’usine est installée dans la rue , et notamment l’habitation de M. Craye au n°88, et celle de la famille Stubbe au n°185 . On trouve également après guerre au n°176, à côté de l’entreprise Jacob, M. Loridant-Lefebvre, agriculteur, exploitant la ferme de la rue de Charleroi qui se trouve juste derrière. On y accède depuis la rue par un sentier.
Les domiciles de MM. Stubbe et Craye. Plan archives municipales, photos Jpm
Les commerces sont peu nombreux, même avant la deuxième guerre : on peut parler d’une rue peu commerçante. Dans les premières années, s’installent un boucher au n°3 en 1903, remplacé par un estaminet de 1912 qu’on retrouve jusqu’au début de la deuxième guerre, et, au n°95 un distributeur de bières en bouteilles remplacé par l’épicerie Castelain en 1912. Celle-ci restera ouverte jusqu’après la deuxième guerre et prendra le n°205 lors de la renumérotation de 1928. S’ouvrent également un estaminet au n°97, un marchand de vins au n°2, une épicerie au n°6, et un estaminet au n°78. Au début des années 30, on note l’apparition de deux estaminets au 171 et 173, d’une parfumerie au 175 et d’une mercerie au 150-152. La plupart de ces commerces disparaissent assez vite, si bien qu’en 1959, on n’en trouve plus que deux, une alimentation générale au 215, et l’épicerie Castelain, à qui revient la palme de la longévité.
Plus récemment, s’installe au 4-6 un confiseur en 74, et la boulangerie située au coin de la rue de Lannoy, la pâtisserie Planquaert. « Les craquelins y sont les meilleurs de la région » nous confie Gillette.
Photo coll. particulière
De nombreuses entreprises se sont installées dans la rue Victor Hugo. Dès 1913, la société Jacob et fils dépose une demande pour construire une retorderie, à l’angle de la rue de Charleroi. L’usine est agrandie en 1923, puis en 1933 se voit dotée d’un dispositif réfrigérant. Elle ne cesse son activité que dans la milieu des années 70.
La retorderie Jacob et fils – archives municipales
Au n°25 s’installe dès les années 30 l’entreprise Sani tapis, propriété de Pierre Motte. On la retrouve à la même adresse jusqu’en 1965. En 1923, les bâtiments, construits d’origine en retrait, sont prolongés jusqu’à l’alignement de la rue. A côté, au 27 à l’emplacement des jardins, s’installe en 1932 à 1970 la société Taffin et Cie, apprêteurs, puis tissus en 1953. Très tôt également s’implante au n°91, l’entreprise Stubbe et Cie, teinturerie sur matières textiles. Elle exercera ses activités jusqu’à la fin des années 5,0 sur deux sites (une annexe au 163 et l’entreprise principale aux numéros 185 à 201). Au n°66, on trouve la société Israël Craye et fils, qui fabrique des tissus pour ameublement de 1931 à 1974. Monsieur Craye reçoit en 1914 l’autorisation de compléter les bâtiments de son usine. Comme il ne peut pas donner suite à cause de la guerre, il lui faut redemander une nouvelle autorisation en 1922.
Dans le milieu des années 50, s’installe au n°10 un rechapeur de pneus, A.Prevost. Sa veuve ouvre ensuite de l’autre côté de la rue, au 29, la maison du pneu spécialisée dans le rechapage. « Tous les possesseurs de camions connaissaient. C’était un spécialiste des pneus Michelin, un agent quasi exclusif » témoigne Jean-Louis.
Documents archives municipales
D’autres entreprises, plus éphémères, s’implantent également dans la rue : au 71 apparaît en 61 l’ « usine de la Lys », fabrique de non tissés ; au 75 s’installe l’imprimerie Descamps en 70 ; au 77bis s’implante en 1924 une fabrique de pianos. En 1961, un fabricant de brosses remplace l’annexe Stubbe au 163. Il est lui-même remplacé en 1970 par l’entreprise Sell service, fournitures pour horticulteurs. Au 185, l’usine Stubbe est reprise en 1974 par la SARL DIMA, une société de chromage.
Au total, la rue semble avoir conservé tout au long de son existence un manque d’unité, dû à la cohabitation de nombreuses usines et d’alignements d’habitations abritant une population majoritairement étrangère à ces entreprises.
L’avenue des Villas est maintenant ouverte entre la rue de Lannoy et la rue de Barbieux. Pour se rendre au parc, il est prévu d’emprunter la rue Montyon, qui n’est pas achevée. Elle est toujours barrée par une construction, et constituée par le tronçon d’un ancien sentier communal. De plus, elle forme un angle important avec l’avenue des Villas, et sa largeur prévue n’est que de douze mètres contre 30 à l’avenue des Villas. Ces inconvénients inspirent un autre plan : plutôt que de réaliser enfin la rue Montyon, pourquoi ne pas prolonger l’avenue des Villas en ligne droite par une voie de même largeur qu’elle ?
Le prolongement imaginé – Document archives municipales.
Les propriétaires des terrains nécessaires à la prolongation de l’avenue sont essentiellement la société Lemaire Lefebvre, Edmond Ternynck-Dorneuil, ainsi que Pierre Delsalle-Defives, qui possède les bâtiments situés le long de la rue de Barbieux, juste dans l’alignement de l’avenue qu’ils barrent entièrement.
Dans une lettre datée du 21 Février 1899, certains des propriétaires concernés acceptent de céder les terrains nécessaires pour prolonger l’avenue entre la rue de Barbieux et l’avenue Lenôtre « en prolongation directe et sans courbe ». La ville s’engage à racheter ou à exproprier les deux propriétés implantées sur le passage de la voie, et à déclasser la rue Montyon, en restituant le terrain sur laquelle elle a été tracée. Ce terrain avait été cédé gratuitement quelques années plus tôt par Maxime Brame, qui le tenait de son père, Jules Brame, député et sénateur, également propriétaire du château de Beaumont à Hem. Le reste de ses propriétés a ensuite été cédé à la société Lemaire et Lefebvre, qui les a acquises en 1896. C’est donc elle qui récupérerait les terrains libérés par la rue Montyon.
Un obstacle toutefois , Edmond Ternynck, qui possède un terrain situé le long de l’avenue Lenôtre entre la rue Bossuet à la rue Montyon, et peu soucieux de voir ce terrain amputé et coupé en deux, entend contraindre la ville à tenir ses premiers engagements en ce qui concerne la rue Montyon. Il refuse tout arrangement amiable.
Le tracé est en nette pente (3,4 %) vers l’avenue Lenôtre et les eaux devront s’y déverser. Il faudra y construire un acqueduc pour les recevoir. Le projet est approuvé par le préfet et déclaré d’utilité publique en janvier 1901.
Document archives municipales
On procède activement aux formalités d’expropriation, d’indemnisation et d’acquisition des immeubles en vue de démolition. Edmond Ternynck, mis devant le fait accompli, accepte finalement un règlement à l’amiable. La rue Montyon est déclassée et supprimée, les servitudes la concernant disparaissent et les terrains qui la constituaient sont redistribués à leurs anciens propriétaires.
Les travaux peuvent démarrer. On se borne à niveler la voie nouvelle et à recouvrir le sol de cendrées. Les riverains vont pouvoir construire le long de la nouvelle avenue.
Dans la deuxième partie du 19ème siècle, les communications entre le centre de Roubaix et la partie Sud-Est de la commune n’étaient pas très faciles : après avoir emprunté la rue de Lannoy, il fallait suivre des sentiers plus ou moins carrossables, boueux la plupart du temps. On ouvre en 1886 le boulevard de Mulhouse reliant la rue de Lannoy et la nouvelle gare de Roubaix-Wattrelos, mais le hameau des trois ponts reste mal desservi et le besoin d’ouvrir une autre voie de communication se fait sentir.
Plan cadastral de 1884 – archives municipales
En1889 des propriétaires (Mme veuve Bossut Delaoutre et M. Lievin Her) offrent à la ville le terrain nécessaire pour établir une route de 15 mètres de large allant de la rue de Lannoy à la place des trois Ponts, et une autre, de 12 mètres reliant la précédente au boulevard de Mulhouse.
Ils offrent également la possibilité de prolonger la rue Pierre de Roubaix jusqu’à la future rue sur l’emplacement de l’ancien chemin de Lannoy devenu rue de Maufait.
Après délibération, une demande de déclaration d’utilité publique en vue de la rectification du sentier de Courcelles (ou sentier de la ferme de Courcelles) est déposée au ministère. On donnera à la nouvelle voie le nom de Victor Hugo qui vient de mourir. Le projet prend forme : Cette nouvelle rue, tracée en ligne droite, sera revêtue de scories. L’aqueduc central creusé sous la rue se raccordera à celui de la rue des trois-Ponts, dans lequel se jette déjà le ruisseau des trois-Ponts.
Documents archives municipales
Une adjudication est lancée ; l’entreprise Desplanques est déclaré adjudicataire. Elle réalise les travaux de construction et la réception définitive est faite en 1895. Quelques années plus tard, en 1909, on décide de paver la chaussée sur une largeur de 8 mètres. Une première adjudication échoue, et c’est finalement Jules Waquier et Mme veuve Baudouin sont retenus pour réaliser conjointement le pavage. La réception des travaux a lieu en 1912.
Document archives municipales
L’essor de la ville est tel à cette époque que les constructions ne tardent pas à apparaître. Usines, commerces, et maisons particulières vont très vite s’élever le long de la nouvelle rue…
En 1932, les travaux entrent enfin dans une phase active. On s’occupe des immeubles à démolir,c’est à dire les numéros 289 à 299 et l’immeuble à l’angle de la rue de Valenciennes. Le 289 est alors occupé par M. Gertgen, négociant en charbons, le 291 par M. Raux, négociant en matériaux. Huit entrepreneurs soumissionnent à l’appel d’offre pour ces démolitions, et c’est l’entreprise Julien Taillez qui est retenue.
Document Journal de Roubaix
La ville a contracté un emprunt de dix millions et demi de francs pour l’exécution des travaux (voie mère, gare de débord, et suppression des passages à niveau), emprunt gagé sur le produite des surtaxes locales temporaires perçues pendant 30 ans. Mais les travaux de démolition des immeubles expropriés, commencés en 1933, s’arrêtent très vite : par suite de l’augmentation des devis, il manque en 1934 deux millions de francs pour poursuivre. La municipalité fait alors une demande de subvention au ministère. D’autres subventions sont demandées aux conseils Régional et Général. Mais il faut aussi procéder soit à un nouvel emprunt, soit à l’augmentation des surtaxes. Les travaux sont au point mort.
En 1936, on en est toujours à essayer de boucler le budget. Les suppressions des PN du boulevard d’Halluin et du Crétinier sont abandonnées. Seul celle du boulevard Beaurepaire reste à l’ordre du jour. Le ministère refuse la subvention demandée, arguant qu’il ne dispose pas de fonds pour supprimer des passages à niveau autres que sur les routes nationales.
Les travaux ne reprennent qu’en décembre 1937. La crise aidant, un arrêté du ministère du travail réglemente fixe les conditions pour les travaux à réaliser : il faut utiliser de la main-d’œuvre locale comprenant au moins 50% de chômeurs secourus et moins de 10% de travailleurs étrangers. De même, les matériaux employés doivent être français. En 1938 les terrassements sont réalisés par les soins de la SNCF. Pour cela, on construit sur le boulevard deux murs de soutènement et on remblaye entre les deux murs. Enfin le pont lui même, supporté par des piliers, est coulé en béton.
Photo archives municipales
A la demande de l’E.L.R.T, et pour renforcer leur résistance aux chocs éventuels, on décide d’intégrer les pylônes supportant la caténaire (fil trolley aérien alimentant les motrices en électricité) dans la structure du pont. Ils seront eux aussi construits en béton armé et implantés au droit des poutres maîtresses ; ils feront ainsi partie intégrante de l’ossature de l’ouvrage.
Photo Nord Eclair
On en est à la couverture de la chaussée. Une adjudication est lancée pour le pavage de la rampe, du pont lui-même, du rond-point près du pont du Sartel, et de la rampe d’accès vers Leers. On pose les rails du tramway. La double voie du boulevard Beaurepaire se réduit à une voie unique sur la rampe et le pont à cause de la largeur du tablier. Les tramways ne pourront donc pas s’y croiser. Il reste enfin à procéder aux essais de résistance du pont avant la mise en service, et le pont devrait être mis en service à la fin du mois de décembre. Mais, nouveau contretemps, le gel intense interrompt les travaux de pavage, et ce n’est que mi-janvier que la circulation peut enfin emprunter le pont.
L’adjudication pour la construction de l’avenue des Villas est faite à Jules Desplanques, entrepreneur à Roubaix, choisi parmi six soumissionnaires. Le cahier des charges, établi en septembre 1876, précise que l’entrepreneur doit terminer les travaux dans un délai de huit mois sous peine d’une amende de 10 francs par jour de retard. La partie entre Barbieux et la rue Carpeaux doit être terminée dans les trois mois.
Les travaux commencent dans le courant du mois de novembre 1896 au droit de la rue Carpeaux. Ceux-ci sont réalisés à la pelle, les déblais étant transportés à l’aide de wagonnets traînés par des chevaux sur des rails provisoires. Pour parvenir au profil prévu par le service de la voirie, il faut araser des buttes, au niveau de la rue de Barbieux, de la rue Carpeaux, au débouché de la rue Henri Régnault, après le boulevard de Fourmies. L’entrepreneur est tenu de commencer les travaux au droit de la rue Carpeaux, point le plus bas prévu pour la première partie du tracé.
Le profil en long de la future avenue.
On voit bien que la voie future descend continuellement depuis la rue de Barbieux jusqu’au point bas au carrefour de la rue Carpeaux, puis remonte jusqu’au boulevard de Fourmies avant de redescendre jusqu’à la rue de Lannoy.
Mais rien ne semble se passer comme prévu. En février 97, une note de service adressée à M. Desplanques, déplore que …les travaux de terrassement vers la rue de Barbieux marchent avec une lenteur désespérante, et menace d’appliquer les sanctions prévues au cahier des charges, les travaux étant arrêtés soit par le mauvais vouloir soit par l’impuissance de l’entrepreneur...
Au mois de juin, les riverains se plaignent également et constatent qu’…il est notoire que M. Desplanques est incapable de donner aux chantiers l’activité nécessaire pour assurer l’achèvement des travaux, même avant la mauvaise saison.
L’entrepreneur est mis en demeure d’augmenter le nombre des ouvriers et de terminer les travaux.
Fin juillet, il est constaté qu’il n’est qu’à la moitié de sa besogne, et qu’il organise mal le travail de ses terrassiers faisant conduire à plus de 150 mètres des terres qui trouveraient leur emploi à moins de 20 mètres du lieu d’extraction… et que par ailleurs, les travaux réalisés ne sont pas satisfaisants : l’aqueduc est construit avec des briques absolument informes, la chaussée est insuffisamment remblayée, contrairement aux ordres reçus. Les autorités menacent de refuser la réception des travaux, de ne pas payer le transport des remblais sur les trottoirs, et d’organiser une régie au compte de l’entreprise. L’entrepreneur proteste en arguant de la pluie, du mauvais état du sol.
Carte de 1886 surchargée du tracé des voies nouvelles- document archives municipales
Les seuls points possibles pour l’évacuation des eaux étaient le riez des trois ponts, près de la rue Carpeaux, l’aqueduc de la rue de Lannoy et la drève de l’Espierre dans le quartier de la Justice.
En mars 1898, la rue n’est toujours pas utilisable, et les riverains se plaignent. Le directeur du service de la voirie constate lors d’une visite qu’il n’y a qu’un seul ouvrier sur le chantier ! La circulation des tramways, arrêtée par les travaux rue de Lannoy, doit impérativement être reprise, sous peine de dommages et intérêts à la compagnie des tramways. Les plantations d’arbres prévues ne pourront être faites à la saison prévue. En juin, il a accumulé une amende correspondant à 226 jours de retard !
Au moment de solder des travaux, en mai 1899, on constate que l’entrepreneur a dépensé plus que les crédits prévus. Il faut imputer cela au budget supplémentaire de l’exercice courant.
En Décembre 99, l’entrepreneur proteste par voie d’avocat contre la somme qu’on lui alloue pour la réception des travaux, la déclarant insuffisante. Le service de la voirie lui répond que si des conseils lui ont été donnés, c’est sur sa demande formelle et parce que le soussigné le sait presque illettré et incapable de lire et d’appliquer un plan… et qu’enfin, il n’est rien dû à M. Desplanques».
Celui-ci revient à la charge en octobre 1901 pour dire que c’est la mairie qui l’a obligé à commencer les terrassements au niveau de la rue Carpeaux, dont l’aqueduc n’était pas encore construit et qu’à cause de cela, … la ville a rendu le travail… d’une difficulté inouïe. L’eau jaillissait au premier fer de louchet. Il décrit les difficultés des travaux : les chevaux… s’enfonçaient jusqu’au ventre… et toutes les terres se vidaient au fond de la tranchée au fur et à mesure qu’on la vidait… On était parfois des journées sans avancer d’un millimètre. Il demande donc, en raison des difficultés exceptionnelles de terrassement et des transports, une plus-value…
Enfin les travaux s’achèvent et la rue est tracée. Elle consiste en une chaussée recouverte de scories, sous laquelle est placé un aqueduc central, et deux trottoirs plantés d’arbres. Elle traverse les champs. En 1906, le Ravet Anceau signale, près de la rue de Barbieux, la présence d’un estaminet côté impair, de trois maisons côté pair, et rien d’autre avant l’usine de velours Motte-Bossut qui vient d’être construite (1903) à l’autre extrémité de l’avenue.
L’avenue dans les années 30, vue prise en direction de Barbieux – Photo Collection Bernard Thiebaut
Aux numéros 43 et suivants de la rue Jules Guesde, entre l’impasse Saint Louis et la rue de Denain, s’installe à partir de 1893 la teinturerie Derreumaux. Elle disparaît à la deuxième guerre, après cinquante ans d’activité. Après la guerre, et jusqu’à la fin des années 60, c’est la teinturerie R. Lenfant et Cie qui s’installe sur les lieux. Au début des années 70 la teinturerie, désaffectée et en mauvais état, est reprise par une société de distribution alimentaire de haute Somme, « la ruche Picarde » dont le siège social est à Amiens.
Les emprises de la teinturerie en 1953
A sa demande, et au vu de l’état des bâtiments, une autorisation de démolir est donnée à la société, qui désire implanter un super marché. Dans un premier temps, elle envisage de conserver et de réaménager certains des anciens locaux situés au fond de la propriété, et de démolir ceux situés dans la partie avant, face à la rue Jules Guesde, pour laisser place à un parking. Elle dépose donc une demande de permis de construire en ce sens.
Mais des difficultés apparaissent : une enquête des services de sécurité menée en 1974 insiste sur le mauvais état de l’ensemble et conclut que les charpentes des bâtiments à conserver sont vétustes et dangereuses. L’inspecteur constate qu’ils « menacent ruine ». Il faut refaire à neuf toutes les structures si l’on veut y recevoir du public. A la suite de quoi, la société « la ruche Picarde » requiert maître Verkindere de constater l’état des lieux. Celui-ci ne peut que constater le l’état inquiétant des locaux et le danger qu’ils représentent pour le public.
Photos prises sur les lieux par Maître Verkindere
Par ailleurs, le préfet du Nord rejette la demande de permis de construire pour non conformité aux règlements concernant la hauteur des constructions. Enfin, le bâtiment donnant sur la rue de Denain est frappé d’alignement. Tout est donc à revoir ! Finalement, les travaux de reconstruction sont tout de même menés à bien dans le respect des règles d’implantation et de sécurité.
Le magasin porte l’enseigne « Nova » et la conserve jusqu’en 1980. Ensuite le super marché devient un « Miniper »., puis devient « Unico » en 1987. Il est finalement repris par l’enseigne Lidl, qui a entrepris récemment une reconstruction des bâtiments en suivant les normes environnementales actuelles.
Les documents utilisés proviennent des archives municipales.
Le chemin vicinal d’intérêt commun n°142 (pour nous le boulevard Beaurepaire) traverse la voie ferrée par un passage à niveau. Il se dirige ensuite à droite vers Leers, avec un accès à gauche vers Wattrelos par la passerelle de l’écluse du Sartel.
Plan du quartier en 1899
Cette traversée à niveau pénalise énormément les usagers du tramway venant ou se rendant à Leers, qui rédigent en 1919 une pétition exposant « la gêne considérable que leur cause le transbordement qui s’effectue sur cette ligne à la traversée du passage à niveau du Chemin de Fer de Somain à Tourcoing. » En effet, depuis la construction de la ligne, les voyageurs doivent descendre du tramway avant le passage à niveau, traverser les voies à pied, puis reprendre un autre tramway pour poursuivre leur voyage, car la compagnie des chemins de fer s’oppose à une traversée à niveau de ses voies. De son côté, l’E.L.R.T a présenté deux projets d’estacade permettant au tramway d’enjamber la voie ferrée. Ces projets sont rejetés en 1908 et en 1920 par le conseil municipal, celui-ci considérant que les rampes d’accès représentant une emprise de 100 mètres de longueur de part et d’autre des voies rendraient le boulevard incommode et feraient subir une dépréciation aux propriétés riveraines.
Les choses en restent là jusqu’en 1924, une conférence réunit alors à Paris au siège social de la compagnie du Nord les parties intéressées. On y évoque la possibilité d’un passage supérieur. Le conseil municipal s’empare du projet, et l’approuve au mois de Juin. L’année suivante, on approuve également la substitution d’un pont fixe au pont levis du Sartel. On décide de réaliser ces transformations. Ce pont fixe sera placé non loin de l’écluse. On construira le pont sur le chemin de fer dans l’alignement du nouveau pont sur le canal et le boulevard Beaurepaire formera un coude vers la gauche au niveau de la rue de Valenciennes pour desservir ces nouveaux ponts sur un remblai rectiligne. La ligne du tramway empruntera ce nouveau pont avant de se diriger vers Leers.
Les intérêts particuliers s’éveillent, chacun essayant de s’adapter à la situation nouvelle. En 1926 la société anonyme des foyers automatiques demande la construction d’un mur de clôture le long du boulevard Beaurepaire, et en commence la construction, arguant d’un « accord verbal » avec l’ingénieur en chef du département, accord nié par l’intéressé, celui-ci précisant « que les autorisations verbales n’existent pas dans mes bureaux ». Le projet inclut une modification du tracé de la rue de Valenciennes pour permettre le passage du tramway. En effet, la rampe d’accès au pont fait que la rue de Valenciennes se trouvera en contrebas du boulevard : on y accèdera par un escalier. La société anonyme des foyers automatiques proteste immédiatement contre ce projet de déviation qui morcellerait son propre terrain et interdirait la possibilité d’un embranchement particulier. Elle propose de faire emprunter au tramway les rues Molière et de Sévigné. La compagnie des tramways propose même de supprimer carrément la desserte de la gare du Pile, la ligne ne quittant plus le boulevard et continuant directement vers Leers.
Le projet primitif prévoit un pont de 34 mètres, mais la compagnie du Nord envisage maintenant un pont de 100 mètres pour favoriser la création d’embranchements particuliers desservant les usines voisines : filature Lepoutre Bonneterie, société des levures et alcools, établissements Petit (accusés d’avoir acheté des terrains dans l’unique but de faire une bonne opération lors des expropriations). La municipalité proteste contre l’augmentation du prix du projet, et ajoute que l’augmentation de la longueur du pont devrait conduire à l’élargissement de sa chaussée pour éviter des encombrements de circulation. La société Lepoutre, propriétaire d’une filature le long du boulevard voudrait récupérer la bande de terrain séparant sa clôture du mur de soutènement en échange d’un morceau de son terrain nécessaire à l’implantation de la rampe d’accès au pont.
Le terrain de la société Lepoutre qui doit être exproprié. Photo Nord Eclair
En 1931, on en est à discuter du montant que devra verser l’ELRT pour la réalisation du projet. De nombreux échanges de correspondance, permettent à chacun de défendre ses arguments. Il faut dire que les fonds manquent pour financer les travaux pourtant nécessaires : le directeur des travaux municipaux souligne « qu’il est désirable que la construction du P.S. Du boulevard Beaurepaire ne soit plus remise, en raison… de l’importance des travaux à exécuter qui nécessiterait l’emploi de nombreux ouvriers et serait, par conséquent, de nature à réduire les secours aux chômeurs actuellement payés par votre administration. ». Ce dernier argument fera avancer la décision.