Une rue plutôt industrielle

Dans les premières années d’existence de la rue Victor Hugo, les maisons d’habitation sont clairsemées. C’est ainsi qu’en 1903 ne figurent que cinq immeubles dans le Ravet Anceau. Les constructions se mettent en place progressivement, et il faut attendre le début des années 20 pour que les maisons se multiplient vraiment. Par contre, tout au long des années 30, la zone entre la rue Pierre de Roubaix et la rue de Nancy, du côté des numéros impairs, est occupée par les jardins ouvriers de la société des jardins populaires. Ceux-ci disparaissent après la guerre. Les habitants de la rue sont en majorité des ouvriers ou des employés, mais on y rencontre également les demeures d’industriels dont l’usine est installée dans la rue , et notamment l’habitation de M. Craye au n°88, et celle de la famille Stubbe au n°185 . On trouve également après guerre au n°176, à côté de l’entreprise Jacob, M. Loridant-Lefebvre, agriculteur, exploitant la ferme de la rue de Charleroi qui se trouve juste derrière. On y accède depuis la rue par un sentier.

Les domiciles de MM. Stubbe et Craye. Plan archives municipales, photos Jpm

Les commerces sont peu nombreux, même avant la deuxième guerre : on peut parler d’une rue peu commerçante. Dans les premières années, s’installent un boucher au n°3 en 1903, remplacé par un estaminet de 1912 qu’on retrouve jusqu’au début de la deuxième guerre, et, au n°95 un distributeur de bières en bouteilles remplacé par l’épicerie Castelain en 1912. Celle-ci restera ouverte jusqu’après la deuxième guerre et prendra le n°205 lors de la renumérotation de 1928. S’ouvrent également un estaminet au n°97, un marchand de vins au n°2, une épicerie au n°6, et un estaminet au n°78. Au début des années 30, on note l’apparition de deux estaminets au 171 et 173, d’une parfumerie au 175 et d’une mercerie au 150-152. La plupart de ces commerces disparaissent assez vite, si bien qu’en 1959, on n’en trouve plus que deux, une alimentation générale au 215, et l’épicerie Castelain, à qui revient la palme de la longévité.

Plus récemment, s’installe au 4-6 un confiseur en 74, et la boulangerie située au coin de la rue de Lannoy, la pâtisserie Planquaert. « Les craquelins y sont les meilleurs de la région » nous confie Gillette.

Photo coll. particulière

De nombreuses entreprises se sont installées dans la rue Victor Hugo. Dès 1913, la société Jacob et fils dépose une demande pour construire une retorderie, à l’angle de la rue de Charleroi. L’usine est agrandie en 1923, puis en 1933 se voit dotée d’un dispositif réfrigérant. Elle ne cesse son activité que dans la milieu des années 70.

La retorderie Jacob et fils – archives municipales

Au n°25 s’installe dès les années 30 l’entreprise Sani tapis, propriété de Pierre Motte. On la retrouve à la même adresse jusqu’en 1965. En 1923, les bâtiments, construits d’origine en retrait, sont prolongés jusqu’à l’alignement de la rue. A côté, au 27 à l’emplacement des jardins, s’installe en 1932 à 1970 la société Taffin et Cie, apprêteurs, puis tissus en 1953. Très tôt également s’implante au n°91, l’entreprise  Stubbe et Cie, teinturerie sur matières textiles. Elle exercera ses activités jusqu’à la fin des années 5,0 sur deux sites (une annexe au 163 et l’entreprise principale aux numéros 185 à 201). Au n°66, on trouve la société Israël Craye et fils, qui fabrique des tissus pour ameublement de 1931 à 1974. Monsieur Craye reçoit en 1914 l’autorisation de compléter les bâtiments de son usine. Comme il ne peut pas donner suite à cause de la guerre, il lui faut redemander une nouvelle autorisation en 1922.

L’entreprise Craye – photo collection particulière.

Dans le milieu des années 50,  s’installe au n°10 un rechapeur de pneus, A.Prevost. Sa veuve ouvre ensuite de l’autre côté de la rue, au 29, la maison du pneu spécialisée dans le rechapage. « Tous les possesseurs de camions connaissaient. C’était un spécialiste des pneus Michelin, un agent quasi exclusif » témoigne Jean-Louis.

Documents archives municipales

D’autres entreprises, plus éphémères, s’implantent également dans la rue : au 71 apparaît en 61 l’ « usine de la Lys », fabrique de non tissés ; au 75 s’installe l’imprimerie Descamps en 70 ; au 77bis s’implante en 1924 une fabrique de pianos. En 1961, un fabricant de brosses remplace l’annexe Stubbe au 163. Il est lui-même remplacé en 1970 par l’entreprise Sell service, fournitures pour horticulteurs. Au 185, l’usine Stubbe est reprise en 1974 par la SARL DIMA,  une société de chromage.

Au total, la rue semble avoir conservé tout au long de son existence un manque d’unité, dû à la cohabitation de nombreuses usines et d’alignements d’habitations abritant une population majoritairement étrangère à ces entreprises.

 

Avenue des villas : un prolongement

L’avenue des Villas est maintenant ouverte entre la rue de Lannoy et la rue de Barbieux. Pour se rendre au parc, il est prévu d’emprunter la rue Montyon, qui n’est pas achevée. Elle est toujours barrée par une construction, et constituée par le tronçon d’un ancien sentier communal. De plus, elle forme un angle important avec l’avenue des Villas, et sa largeur prévue n’est que de douze mètres contre 30 à l’avenue des Villas. Ces inconvénients inspirent un autre plan : plutôt que de réaliser enfin la rue Montyon, pourquoi ne pas prolonger l’avenue des Villas en ligne droite par une voie de même largeur qu’elle ?

Le prolongement imaginé – Document archives municipales.

 Les propriétaires des terrains nécessaires à la prolongation de l’avenue sont essentiellement la société Lemaire Lefebvre, Edmond Ternynck-Dorneuil, ainsi que Pierre Delsalle-Defives, qui possède les bâtiments situés le long de la rue de Barbieux, juste dans l’alignement de l’avenue qu’ils barrent entièrement.

Dans une lettre datée du 21 Février 1899, certains des propriétaires concernés acceptent de céder les terrains nécessaires pour prolonger l’avenue entre la rue de Barbieux et l’avenue Lenôtre « en prolongation directe et sans courbe ». La ville s’engage à racheter ou à exproprier les deux propriétés implantées sur le passage de la voie, et à déclasser la rue Montyon, en restituant le terrain sur laquelle elle a été tracée. Ce terrain avait été cédé gratuitement quelques années plus tôt par Maxime Brame, qui le tenait de son père, Jules Brame, député et sénateur, également propriétaire du château de Beaumont à Hem. Le reste de ses propriétés a ensuite été cédé à la société Lemaire et Lefebvre, qui les a acquises en 1896. C’est donc elle qui récupérerait les terrains libérés par la rue Montyon.

Un obstacle toutefois , Edmond Ternynck, qui possède un terrain situé le long de l’avenue Lenôtre entre la rue Bossuet à la rue Montyon, et peu soucieux de voir ce terrain amputé et coupé en deux, entend contraindre la ville à tenir ses premiers engagements en ce qui concerne la rue Montyon. Il refuse tout arrangement amiable.

Le tracé est en nette pente (3,4 %) vers l’avenue Lenôtre et les eaux devront s’y déverser. Il faudra y construire un acqueduc pour les recevoir. Le projet est approuvé par le préfet et déclaré d’utilité publique en janvier 1901.

Document archives municipales

On procède activement aux formalités d’expropriation, d’indemnisation et d’acquisition des immeubles en vue de démolition. Edmond Ternynck, mis devant le fait accompli, accepte finalement un règlement à l’amiable. La rue Montyon est déclassée et supprimée, les servitudes la concernant disparaissent et les terrains qui la constituaient sont redistribués à leurs anciens propriétaires.

Les travaux peuvent démarrer. On se borne à niveler la voie nouvelle et à recouvrir le sol de cendrées. Les riverains vont pouvoir construire le long de la nouvelle avenue.

 

 

Victor Hugo aux trois Ponts

Dans la deuxième partie du 19ème siècle, les communications entre le centre de Roubaix et la partie Sud-Est de la commune n’étaient pas très faciles : après avoir emprunté la rue de Lannoy, il fallait suivre des sentiers plus ou moins carrossables, boueux la plupart du temps. On ouvre en 1886 le boulevard de Mulhouse reliant la rue de Lannoy et la nouvelle gare de Roubaix-Wattrelos, mais le hameau des trois ponts reste mal desservi et le besoin d’ouvrir une autre voie de communication se fait sentir.

Plan cadastral de 1884 – archives municipales

En1889 des propriétaires (Mme veuve Bossut Delaoutre et M. Lievin Her) offrent à la ville le terrain nécessaire pour établir une route de 15 mètres de large allant de la rue de Lannoy à la place des trois Ponts, et une autre, de 12 mètres reliant la précédente au boulevard de Mulhouse.

Ils offrent également la possibilité de prolonger la rue Pierre de Roubaix jusqu’à la future rue sur l’emplacement de l’ancien chemin de Lannoy devenu rue de Maufait.

Après délibération, une demande de déclaration d’utilité publique en vue de la rectification du sentier de Courcelles (ou sentier de la ferme de Courcelles) est déposée au ministère. On donnera à la nouvelle voie le nom de Victor Hugo qui vient de mourir. Le projet prend forme : Cette nouvelle rue, tracée en ligne droite, sera revêtue de scories. L’aqueduc central creusé sous la rue se raccordera à celui de la rue des trois-Ponts, dans lequel se jette déjà le ruisseau des trois-Ponts.

Documents archives municipales

Une adjudication est lancée ; l’entreprise Desplanques est déclaré adjudicataire. Elle réalise les travaux de construction et la réception définitive est faite en 1895. Quelques années plus tard, en 1909, on décide de paver la chaussée sur une largeur de 8 mètres. Une première adjudication échoue, et c’est finalement Jules Waquier et Mme veuve Baudouin sont retenus pour réaliser conjointement le pavage. La réception des travaux a lieu en 1912.

Document archives municipales

L’essor de la ville est tel à cette époque que les constructions ne tardent pas à apparaître. Usines, commerces, et maisons particulières vont très vite s’élever le long de la nouvelle rue…

 

 

 

Emprunts, chantier et tramways

En 1932, les travaux entrent enfin dans une phase active. On s’occupe des immeubles à démolir,c’est à dire les numéros 289 à 299 et l’immeuble à l’angle de la rue de Valenciennes. Le 289 est alors occupé par M. Gertgen, négociant en charbons, le 291 par M. Raux, négociant en matériaux. Huit entrepreneurs soumissionnent à l’appel d’offre pour ces démolitions, et c’est l’entreprise Julien Taillez qui est retenue.

Document Journal de Roubaix

La ville a contracté un emprunt de dix millions et demi de francs pour l’exécution des travaux (voie mère, gare de débord, et suppression des passages à niveau), emprunt gagé sur le produite des surtaxes locales temporaires perçues pendant 30 ans. Mais les travaux de démolition des immeubles expropriés, commencés en 1933, s’arrêtent très vite : par suite de l’augmentation des devis, il manque en 1934 deux millions de francs pour poursuivre. La municipalité fait alors une demande de subvention au ministère. D’autres subventions sont demandées aux conseils Régional et Général. Mais il faut aussi procéder soit à un nouvel emprunt, soit à l’augmentation des surtaxes. Les travaux sont au point mort.

En 1936, on en est toujours à essayer de boucler le budget. Les suppressions des PN du boulevard d’Halluin et du Crétinier sont abandonnées. Seul celle du boulevard Beaurepaire reste à l’ordre du jour. Le ministère refuse la subvention demandée, arguant qu’il ne dispose pas de fonds pour supprimer des passages à niveau autres que sur les routes nationales.

Les travaux ne reprennent qu’en décembre 1937. La crise aidant, un arrêté du ministère du travail réglemente fixe les conditions pour les travaux à réaliser : il faut utiliser de la main-d’œuvre locale comprenant au moins 50% de chômeurs secourus et moins de 10% de travailleurs étrangers. De même, les matériaux employés doivent être français. En 1938 les terrassements sont réalisés par les soins de la SNCF. Pour cela, on construit sur le boulevard deux murs de soutènement et on remblaye entre les deux murs. Enfin le pont lui même, supporté par des piliers, est coulé en béton.

Photo archives municipales

A la demande de l’E.L.R.T, et pour renforcer leur résistance aux chocs éventuels, on décide d’intégrer les pylônes supportant la caténaire (fil trolley aérien alimentant les motrices en électricité) dans la structure du pont. Ils seront eux aussi construits en béton armé et implantés au droit des poutres maîtresses ; ils feront ainsi partie intégrante de l’ossature de l’ouvrage.

Photo Nord Eclair

On en est à la couverture de la chaussée. Une adjudication est lancée pour le pavage de la rampe, du pont lui-même, du rond-point près du pont du Sartel, et de la rampe d’accès vers Leers. On pose les rails du tramway. La double voie du boulevard Beaurepaire se réduit à une voie unique sur la rampe et le pont à cause de la largeur du tablier. Les tramways ne pourront donc pas s’y croiser. Il reste enfin à procéder aux essais de résistance du pont avant la mise en service, et le pont devrait être mis en service à la fin du mois de décembre. Mais, nouveau contretemps, le gel intense interrompt les travaux de pavage, et ce n’est que mi-janvier que la circulation peut enfin emprunter le pont.

Documents Journal de Roubaix

 

 

Les travaux laborieux

Document Archives municipales

L’adjudication pour la construction de l’avenue des Villas est faite à Jules Desplanques, entrepreneur à Roubaix, choisi parmi six soumissionnaires. Le cahier des charges, établi en septembre 1876, précise que l’entrepreneur doit terminer les travaux dans un délai de huit mois sous peine d’une amende de 10 francs par jour de retard. La partie entre Barbieux et la rue Carpeaux doit être terminée dans les trois mois.

Les travaux commencent dans le courant du mois de novembre 1896 au droit de la rue Carpeaux. Ceux-ci sont réalisés à la pelle, les déblais étant transportés à l’aide de wagonnets traînés par des chevaux sur des rails provisoires. Pour parvenir au profil prévu par le service de la voirie, il faut araser des buttes, au niveau de la rue de Barbieux, de la rue Carpeaux, au débouché de la rue Henri Régnault, après le boulevard de Fourmies. L’entrepreneur est tenu de commencer les travaux au droit de la rue Carpeaux, point le plus bas prévu pour la première partie du tracé.

Le profil en long de la future avenue.
On voit bien que la voie future descend continuellement depuis la rue de Barbieux jusqu’au point bas au carrefour de la rue Carpeaux, puis remonte jusqu’au boulevard de Fourmies avant de redescendre jusqu’à la rue de Lannoy.

Mais rien ne semble se passer comme prévu. En février 97, une note de service adressée à M. Desplanques, déplore que …les travaux de terrassement vers la rue de Barbieux marchent avec une lenteur désespérante, et menace d’appliquer les sanctions prévues au cahier des charges,  les travaux étant arrêtés soit par le mauvais vouloir soit par l’impuissance de l’entrepreneur...

Au mois de juin, les riverains se plaignent également et constatent qu’…il est notoire que M. Desplanques est incapable de donner aux chantiers l’activité nécessaire pour assurer l’achèvement des travaux, même avant la mauvaise saison.

L’entrepreneur est mis en demeure d’augmenter le nombre des ouvriers et de terminer les travaux.

Fin juillet, il est constaté qu’il n’est qu’à la moitié de sa besogne, et qu’il organise mal le travail de ses terrassiers  faisant conduire à plus de 150 mètres des terres qui trouveraient leur emploi à moins de 20 mètres du lieu d’extraction… et que par ailleurs, les travaux réalisés ne sont pas satisfaisants : l’aqueduc est construit avec des briques absolument informes, la chaussée est insuffisamment remblayée, contrairement aux ordres reçus. Les autorités menacent de refuser la réception des travaux, de ne pas payer le transport des remblais sur les trottoirs, et d’organiser une régie au compte de l’entreprise. L’entrepreneur proteste en arguant de la pluie, du mauvais état du sol.

Carte de 1886 surchargée du tracé des voies nouvelles- document archives municipales

Les seuls points possibles pour l’évacuation des eaux étaient le riez des trois ponts, près de la rue Carpeaux, l’aqueduc de la rue de Lannoy et la drève de l’Espierre dans le quartier de la Justice.

En mars 1898, la rue n’est toujours pas utilisable, et les riverains se plaignent. Le directeur du service de la voirie constate lors d’une visite qu’il n’y a qu’un seul ouvrier sur le chantier ! La circulation des tramways, arrêtée par les travaux rue de Lannoy, doit impérativement être reprise, sous peine de dommages et intérêts à la compagnie des tramways. Les plantations d’arbres prévues ne pourront être faites à la saison prévue. En juin, il a accumulé une amende correspondant à 226 jours de retard !

Au moment de solder des travaux, en mai 1899, on constate que l’entrepreneur a dépensé plus que les crédits prévus. Il faut imputer cela au budget supplémentaire de l’exercice courant.

En Décembre 99, l’entrepreneur proteste par voie d’avocat contre la somme qu’on lui alloue pour la réception des travaux, la déclarant insuffisante. Le service de la voirie lui répond que si des conseils lui ont été donnés, c’est sur sa demande formelle et parce que le soussigné le sait presque illettré et incapable de lire et d’appliquer un plan…  et qu’enfin, il n’est rien dû à M. Desplanques».

Celui-ci revient à la charge en octobre 1901 pour dire que c’est la mairie qui l’a obligé à commencer les terrassements au niveau de la rue Carpeaux, dont l’aqueduc n’était pas encore construit et qu’à cause de cela,  … la ville a rendu le travail… d’une difficulté inouïe. L’eau jaillissait au premier fer de louchet.  Il décrit les difficultés des travaux : les chevaux… s’enfonçaient jusqu’au ventre… et  toutes les terres se vidaient au fond de la tranchée au fur et à mesure qu’on la vidait… On était parfois des journées sans avancer d’un millimètre. Il demande donc, en raison des difficultés exceptionnelles de terrassement et des transports, une plus-value

Enfin les travaux s’achèvent et la rue est tracée. Elle consiste en une chaussée recouverte de scories, sous laquelle est placé un aqueduc central, et deux trottoirs plantés d’arbres. Elle traverse les champs. En 1906, le Ravet Anceau signale, près de la rue de Barbieux, la présence d’un estaminet côté impair, de trois maisons côté pair, et rien d’autre avant l’usine de velours Motte-Bossut qui vient d’être construite (1903) à l’autre extrémité de l’avenue.

L’avenue dans les années 30, vue prise en direction de Barbieux – Photo Collection Bernard Thiebaut

 

 

 

 

 

De l’usine au super marché

Aux numéros 43 et suivants de la rue Jules Guesde, entre l’impasse Saint Louis et la rue de Denain, s’installe à partir de 1893 la teinturerie Derreumaux. Elle disparaît à la deuxième guerre, après cinquante ans d’activité. Après la guerre, et jusqu’à la fin des années 60, c’est la teinturerie R. Lenfant et Cie qui s’installe sur les lieux. Au début des années 70 la teinturerie, désaffectée et en mauvais état, est reprise par une société de distribution alimentaire de haute Somme, « la ruche Picarde » dont le siège social est à Amiens.

Les emprises de la teinturerie en 1953

A sa demande, et au vu de l’état des bâtiments, une autorisation de démolir est donnée à la société, qui désire implanter un super marché. Dans un premier temps, elle envisage de conserver et de réaménager certains des anciens locaux situés au fond de la propriété, et de démolir ceux situés dans la partie avant, face à la rue Jules Guesde, pour laisser place à un parking. Elle dépose donc une demande de permis de construire en ce sens.

Mais des difficultés apparaissent : une enquête des services de sécurité menée en 1974 insiste sur le mauvais état de l’ensemble et conclut que les charpentes des bâtiments à conserver sont vétustes et dangereuses. L’inspecteur constate qu’ils « menacent ruine ». Il faut refaire à neuf toutes les structures si l’on veut y recevoir du public. A la suite de quoi, la société « la ruche Picarde » requiert maître Verkindere de constater l’état des lieux. Celui-ci ne peut que constater le l’état inquiétant des locaux et le danger qu’ils représentent pour le public.

Photos prises sur les lieux par Maître Verkindere

Par ailleurs, le préfet du Nord rejette la demande de permis de construire pour non conformité aux règlements concernant la hauteur des constructions. Enfin, le bâtiment donnant sur la rue de Denain est frappé d’alignement. Tout est donc à revoir ! Finalement, les travaux de reconstruction sont tout de même menés à bien dans le respect des règles d’implantation et de sécurité.

Le magasin porte l’enseigne « Nova » et la conserve jusqu’en 1980. Ensuite le super marché devient un « Miniper »., puis devient « Unico » en 1987. Il est finalement repris par l’enseigne Lidl, qui a entrepris récemment une reconstruction des bâtiments en suivant les normes environnementales actuelles.

 Les documents utilisés proviennent des archives municipales.

 

Un pont pour Beaurepaire

Le chemin vicinal d’intérêt commun n°142 (pour nous le boulevard Beaurepaire) traverse la voie ferrée par un passage à niveau. Il se dirige ensuite à droite vers Leers, avec un accès à gauche vers Wattrelos par la passerelle de l’écluse du Sartel.

Plan du quartier en 1899

 Cette traversée à niveau pénalise énormément les usagers du tramway venant ou se rendant à Leers, qui rédigent en 1919 une pétition exposant « la gêne considérable que leur cause le transbordement qui s’effectue sur cette ligne à la traversée du passage à niveau du Chemin de Fer de Somain à Tourcoing. » En effet, depuis la construction de la ligne, les voyageurs doivent descendre du tramway avant le passage à niveau, traverser les voies à pied, puis reprendre un autre tramway pour poursuivre leur voyage, car la compagnie des chemins de fer s’oppose à une traversée à niveau de ses voies. De son côté, l’E.L.R.T a présenté deux projets d’estacade permettant au tramway d’enjamber la voie ferrée. Ces projets sont rejetés en 1908 et en 1920 par le conseil municipal, celui-ci considérant que les rampes d’accès représentant une emprise de 100 mètres de longueur de part et d’autre des voies rendraient le boulevard incommode et feraient subir une dépréciation aux propriétés riveraines.

Les choses en restent là jusqu’en 1924, une conférence réunit alors à Paris au siège social de la compagnie du Nord les parties intéressées. On y évoque la possibilité d’un passage supérieur. Le conseil municipal s’empare du projet, et l’approuve au mois de Juin. L’année suivante, on approuve également la substitution d’un pont fixe au pont levis du Sartel. On décide de réaliser ces transformations. Ce pont fixe sera placé non loin de l’écluse. On construira le pont sur le chemin de fer dans l’alignement du nouveau pont sur le canal et le boulevard Beaurepaire formera un coude vers la gauche au niveau de la rue de Valenciennes pour desservir ces nouveaux ponts sur un remblai rectiligne. La ligne du tramway empruntera ce nouveau pont avant de se diriger vers Leers.

Les intérêts particuliers s’éveillent, chacun essayant de s’adapter à la situation nouvelle. En 1926 la société anonyme des foyers automatiques demande la construction d’un mur de clôture le long du boulevard Beaurepaire, et en commence la construction, arguant d’un « accord verbal » avec l’ingénieur en chef du département, accord nié par l’intéressé, celui-ci précisant « que les autorisations verbales n’existent pas dans mes bureaux ». Le projet inclut une modification du tracé de la rue de Valenciennes pour permettre le passage du tramway. En effet, la rampe d’accès au pont fait que la rue de Valenciennes se trouvera en contrebas du boulevard : on y accèdera par un escalier. La société anonyme des foyers automatiques proteste immédiatement contre ce projet de déviation qui morcellerait son propre terrain et interdirait la possibilité d’un embranchement particulier. Elle propose de faire emprunter au tramway les rues Molière et de Sévigné. La compagnie des tramways propose même de supprimer carrément la desserte de la gare du Pile, la ligne ne quittant plus le boulevard et continuant directement vers Leers.

Le projet primitif prévoit un pont de 34 mètres, mais la compagnie du Nord envisage maintenant un pont de 100 mètres pour favoriser la création d’embranchements particuliers desservant les usines voisines : filature Lepoutre Bonneterie, société des levures et alcools, établissements Petit (accusés d’avoir acheté des terrains dans l’unique but de faire une bonne opération lors des expropriations). La municipalité proteste contre l’augmentation du prix du projet, et ajoute que l’augmentation de la longueur du pont devrait conduire à l’élargissement de sa chaussée pour éviter des encombrements de circulation. La société Lepoutre, propriétaire d’une filature le long du boulevard voudrait récupérer la bande de terrain séparant sa clôture du mur de soutènement en échange d’un morceau de son terrain nécessaire à l’implantation de la rampe d’accès au pont.

 
Le terrain de la société Lepoutre qui doit être exproprié. Photo Nord Eclair

En 1931, on en est à discuter du montant que devra verser l’ELRT pour la réalisation du projet. De nombreux échanges de correspondance, permettent à chacun de défendre ses arguments. Il faut dire que les fonds manquent pour financer les travaux pourtant nécessaires : le directeur des travaux municipaux souligne « qu’il est désirable que la construction du P.S. Du boulevard Beaurepaire ne soit plus remise, en raison… de l’importance des travaux à exécuter qui nécessiterait l’emploi de nombreux ouvriers et serait, par conséquent, de nature à réduire les secours aux chômeurs actuellement payés par votre administration. ». Ce dernier argument fera avancer la décision.

Documents Archives municipales de Roubaix

Un nouveau boulevard de ceinture

Désireux d’obtenir une desserte pour leurs terrains, les propriétaires concernés par le projet du nouveau boulevard de ceinture s’engagent en mars 1891 à céder gratuitement les parcelles nécessaires à la construction d’un boulevard de 30 mètres de largeur entre la rue d’Hem et la rue de Lannoy, à condition que la ville exécute à ses frais dans l’année 1892 les travaux de nivellement. Ils s’engagent également à intervenir pour les 2/3 dans les frais de pavage. En 1895-96, la proposition s’étoffe : les futurs riverains proposent maintenant de céder les terrains situés entre la rue de Barbieux et la rue de Lannoy. Ils s’engagent également à contribuer pour une somme de 30 Francs du mètre d’avenue aux travaux de construction, à poser les bordures de trottoir et à mettre en bon état des trottoirs d’une largeur de 8 mètres. Ceux-ci seront pavés sur trois mètres, le reste étant simplement empierré. La ville devra niveler la route large de 14 mètres et poser un aqueduc central, planter d’arbres l’avenue, et proposer à la compagnie des tramways l’établissement d’une ligne empruntant la voie nouvelle et la reliant à la gare.

Profil en travers de la nouvelle voie

Ces riverains sont, pour la partie entre les rues de Barbieux et l’actuelle rue Edouard Vaillant (chemin n° huit) Paul Masurel, Constant Legrand et la veuve Spriet-Pluquet. Ensuite, jusqu’à la hauteur de la ferme de Gorghemetz, Auguste Pigouche-Beaucourt. Les terrains aux environs de l’actuelle rue Carpeaux sont la propriété des hospices de Roubaix et, à partir de la rue Henri Regnault jusqu’au chemin numéro neuf (l’actuelle rue du chemin neuf), incluant la ferme de la Haie, la société Lefebvre et Lemaire, dont le mandataire est Julien Lefebvre-Delemazure, négociant, 44 rue du Curoir. On trouve enfin jusqu’à la rue de Lannoy la veuve Constantin Descats et les héritiers Leconte-Baillon.

Le directeur de la voirie municipale attire l’attention du conseil sur l’intérêt qu’il y aurait à ouvrir cette voie, rappelant le succès rencontré par l’ouverture de la précédente ceinture (les boulevards de Reims et de Lyon). Il décrit cette nouvelle artère qui partirait de la rue Montyon jusqu’au débouché de la rue Descats qui serait incorporée dans son tracé. Il précise que la voie pourra facilement être prolongée jusqu’à la route de Leers, au-delà de la voie ferrée, pour constituer la nouvelle ceinture au sud de Roubaix.

Une délibération du conseil municipal, considérant que des usines commencent à s’installer sur ces « vastes plaines », représentant une population de près de 1000 ouvriers et potentiellement 200 maisons, adopte l’idée de la création de cette nouvelle avenue.

Tout est désormais prêt pour passer à la phase active de la réalisation du projet .

Les documents proviennent des archives municipales

 

 

 

Les 90 logements du Boulevard de Reims

Le parc de la Potennerie est racheté avant la dernière guerre par la caisse d’assurances sociales « la Famille », et revient lors de la création de la sécurité sociale à la caisse primaire de Roubaix. En 1950, la ville s’en porte acquéreur pour y construire un centre médico-social, projet finalement abandonné. C’est alors l’office départemental des HLM qui le reprend. On y construira les immeubles constituant les groupes de la Potennerie rouge et de la Potennerie blanche. Après ces travaux, il demeure une bande de terrain libre, située derrière l’ancien mur du parc, en bordure du boulevard de Reims. Elle est rétrocédée à l’office public d’ HLM de Roubaix qui va y construire 90 logements de tailles diverses pour y reloger les derniers habitants du secteur Edouard Anseele.

Le terrain qui servira à la construction – photo Nord Matin

Les travaux démarrent en octobre 1960. Les appartements disposeront du chauffage central individuel ; ils seront peints et tapissés avant d’être livrés. Les techniques de construction sont nouvelles : certains éléments (murs intérieurs, plafonds et escaliers) sont coulés au pied des immeubles, puis on les installe ensuite en place. Cette technique permet d’accélérer la construction : par exemple, les évidement pour le passage des canalisations sont prévus lors de la coulée.

La construction – photos Nord Eclair et la Voix du Nord

On remarque que l’ancien mur du parc et sa porte monumentale ne sont abattus qu’à la fin des travaux .

Contrairement aux autres immeubles du quartier, l’architecte a prévu quatre magasins au rez-de chaussée de l’immeuble situé le long du boulevard de Reims. Ces magasins sont occupés dès livraison : En 1968, on trouve un poissonnier, M. Pauwels au 272, un « Bazar de la Potennerie » au 280, qui deviendra en 1973 une agence immobilière. Au 288 une épicerie (magasin EGE), au nom de M. Decaestecker, qui tient également une autre épicerie « Aux fruits de Provence » au 296. En 1978, un pédicure s’installe au 272, tandis que le 280 devient un salon de coiffure.

Photos Nord Eclair et Jp Maerten

On constate que l’immeuble a peu changé depuis sa construction, et qu’il est resté en bon état. On pourrait faire cette remarque pour la plupart des immeubles de brique rouge construits à Roubaix vers cette époque.

Le PN 156 de Beaurepaire

Le boulevard de Beaurepaire est tracé au début des années 1870. Peu après, la voie ferrée reliant les gares de Roubaix et Roubaix-Wattrelos (gare du Pile) est posée : Il faut désormais que le boulevard traverse les voies. On installe donc un passage à niveau gardé (c’est le passage à niveau n°156 de la ligne de Somain à Roubaix et Tourcoing). Les emprises de la compagnie des chemins de fer du Nord sont assez larges : elles comportent 3 voies et incluent une bande de terrain supplémentaire permettant une extension éventuelle du nombre de voies. La maison du garde-barrière est placée à côté du château d’eau servant à alimenter les locomotives stationnées en gare. Y est accolée la cabane permettant la manœuvre des barrières.

Photo Nord Eclair

 Mais la ligne de tramway de Roubaix à Leers doit suivre le boulevard Beaurepaire. On veut éviter la traversée à niveau des voies du chemin de fer. On aurait pu faire franchir les voies au tramway par une passerelle comme au petit Lannoy sur la ligne 2 Lille-Leers ou au Sapin Vert pour la ligne 3 Leers-Roncq, mais on choisit de partager la ligne en deux : la ligne H conduit les voyageurs de la gare de Roubaix à la gare du Pile, par le boulevard Beaurepaire, la rue Molière, et la rue de Sévigné. Là, ils doivent descendre et aller jusqu’au passage à niveau pour emprunter la ligne 6, qui les conduira à la place de Leers. Cette lacune oblige les voyageurs à parcourir à pied la distance entre les deux têtes de ligne, ce qui leur permet accessoirement de passer par le bureau de l’octroi, judicieusement placé à cet endroit…

En février 1930, sont prévus dans l’ensemble des grands travaux à caractère ferroviaire (installation de la gare de débord et de la voie-mère avenue Motte, aménagement d’une douane en gare de Roubaix-Ville) la suppression de différents passages à niveau (boulevard d’Halluin et Crétinier rue de Cartigny). Le journal officiel déclare « urgents les travaux définis au projet… en vue des améliorations à réaliser dans les gares de Roubaix et de Roubaix-Wattrelos et à leurs abords».  L’Écho du Nord annonce la prochaine disparition du PN, « qui, sur la route de Leers, entrave si gravement la circulation des voitures et surtout du tramway, puisqu’il entraîne un transbordement de voyageurs ». Un arrêté préfectoral met en place une enquête sur le remplacement du PN par un passage supérieur (où la route surplombe la voie ferrée). Les habitants auront quinze jours pour prendre connaissance du dossier déposé à la mairie et apporter leurs remarques.

Les premiers à se réjouir de ce projet sont assurément les usagers du Tramway, qui pourront ainsi voyager de Roubaix à Leers en évitant un transbordement incommode. Il ne reste qu’à réaliser les travaux…

Photo Journal de Roubaix