L’école de la rue du Moulin

La façade vers 1910 ( document archives municipales )

Les anciens bâtiments de l’hôpital de Roubaix situés au 32 34 rue du Moulin ( rue Jean Moulin aujourd’hui ) à Roubaix depuis le XV° siècle, sont démolis en 1866.

Cette date est incertaine, car sur le plan de 1847 ci-dessous, on distingue des lits d’hôpital dans le bâtiment dont les plans sont très voisins de la structure actuelle de l’immeuble. Il est donc permis d’avoir un doute sur le fait que la façade pourrait être antérieure à l’école et avoir été construite en 1847.

Plan de 1847 ( document JP. Devulder )

A la place, sur ce terrain qui appartient toujours aux Hospices Civils de Roubaix, est alors construite une maison d’habitation pour les frères de la Doctrine Chrétienne.

C’est un immeuble imposant d’une façade de 25m de large et d’une profondeur de 10m. Les murs ont une épaisseur de 50 centimètres ! Les frères des écoles chrétiennes arrivent rue du Moulin en 1867 ; ils y créent la communauté du Vénérable de La Salle. Seize chambres sont à l’étage pour les vingt-deux frères qui logent dans le bâtiment visible de la rue. Ils instruisent dans les six classes situées sur 2 niveaux, 3 au rez de chaussée et 3 à l’étage, dans un bâtiment situé de l’autre côté de la cour intérieure et relié à l’immeuble principal par une coursive à droite, qui abrite la buanderie, la cuisine et l’arrière cuisine pour le stockage des denrées.

L’école vue de la cour intérieure ( document archives municipales )

En 1882, suite à la loi Jule Ferry, l’école des frères de la rue du Moulin devient une école communale de garçons ( puis par la suite, une école de filles ). La croix qui surplombe le fronton est alors décrochée.

Sur le toit, on distingue encore la croix ( document JP Devulder )

L’école, devenue communale, en 1883, compte 547 élèves pour 6 classes ! On ne peut pas en conclure qu’il y avait 91 élèves par classe car il y avait un roulement avec notamment les classes du midi pour les enfants-ouvriers, qui apprenaient à lire et écrire pendant leur pause-déjeuner. Ces classes sont séparées de l’immeuble de la rue du Moulin et deviennent l’école de la rue Chanzy, ( aujourd’hui école Edmond-Rostand ).

Au dessus de la porte d’entrée : école communale ( document JP Devulder )

Les frères quittent Roubaix, après une longue période de résistance rendue possible grâce au soutien conjoint de la population ouvrière et des instances patronales, pour ériger à Estaimpuis, les fondements de ce qui deviendra par la suite le collège Jean Baptiste de la Salle. Leurs logements rue du Moulin deviennent alors des logements urbains traditionnels pendant près d’un siècle.

Ensuite, il faut attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que le bâtiment se transforme. En 1948, Roger Vanovermeir s’installe dans le bâtiment au N° 34 pour y vendre ses meubles.

documents collection privée

La façade du rez de chaussée de la rue Jean Moulin est alors complètement transformée et surtout dévastée ! Elle est percée pour laisser apparaître les larges vitrines du commerce de meubles. Les lettres « école communale » de 1882 disparaissent momentanément ( elles seront retrouvées au moment de la restauration en 2016 ). Roger Vanovermeir et sa famille occupent personnellement quelques pièces, situées à l’arrière du magasin . Roger Vanovermeir reste dans les locaux pour la vente de ses meubles, de 1947 à la fin des années 1970.

Au début des années 1960, au fond de la cour intérieure, un mur est construit à une distance de deux mètres, le long de l’école ( le bâtiment a été retravaillé avec l’ajout de couloirs couverts pour créer des circulations entre les classes ). Les 6 salles de classe continuent d’accueillir des élèves qui entrent dès lors à l’école Edmond Rostand par la rue Chanzy située juste derrière.

Le mur construit devant les 6 classes de l’école ( photo BT )

Pendant quelques années ( fin des années 70, début des années 80 ), l’immeuble connait une déshérence, provoquée par plusieurs facteurs : fermeture puis incendie de l’usine Motte Porisse, située juste en face, puis un véritable « tsunami » en matière d’urbanisme avec carrément la disparition d’une partie de la rue Jean Moulin pour la création de l’avenue André Diligent et de la ZAC Motte Porisse. L’immeuble se retrouve alors, pendant une décennie, assez isolé dans un environnement extrêmement difficile de friches ou de ruines. La défaillance financière des occupants de l’époque accentue cette déchéance ( défaut d’entretien manifeste, mauvais locataires…le terme de squat a été prononcé )

Au début des années 1980, le bijoutier Marc Vieille et son épouse Yvette, dont le commerce est situé juste à côté au 28 30 rue Jean Moulin, rachètent le bâtiment à la barre du tribunal. L’immeuble très bien construit reste solide mais est assez délabré. Marc entreprend de le rénover pour qu’il soit aux nouvelles normes et de le transformer en résidence étudiante. Le 1° étage est alors composé de 15 logements ( 7 studios avec commodités à l’intérieur et 8 chambres. Un très grand appartement compose le 2° étage.

C’est à cette époque que le locataire Roger Vanovermeir quitte les lieux. Ensuite, le commerce est occupé à plusieurs reprises par des commerçants locataires qui ne restent guère longtemps, jusqu’à ce que Robert Bedaghe signe un bail de location pour installer son atelier d’encadrements à l’enseigne « Arts Décors ». La partie arrière ( les pièces qu’occupait personnellement Roger Vanovermeir ) se transforme en réserve. L’ancienne cour de récréation devient un parking pour une dizaine de véhicules

document archives municipales

Robert Bedaghe souhaite prendre sa retraite en 2006, d’autant qu’il apprend que son bail ne sera pas renouvelé. Les propriétaires, Mr et Mme Vieille souhaitent, quant à eux, se séparer de cet immeuble.

Marie-Anne Devulder, gérante de la société d’encadrement « Pictual », possédant 4 magasins dans le Nord, se positionne pour reprendre le matériel et les stocks de la société Arts Décors, mais ni le fonds de commerce, ni l’entreprise.

En juin 2006, Marc Vieille propose alors à Jean Pierre et Marie-Anne Devulder de leur céder l’immeuble. Dans un premier temps, ils déclinent l’offre, puis se ravisent et finalement font l’acquisition de l’immeuble en février 2007.

L’atelier de fabrication Pictual de Bondues trop petit, est donc transféré à Roubaix dans les locaux de l’ex société Arts Décors

Témoignage de Jean-Pierre : Ce qui nous intéressait, c’était d’abord l’atelier d’encadrement qui se trouvait au rez-de-chaussée. Nous avions trois magasins de cadres et un atelier-magasin au centre de Bondues. Ici, c’était beaucoup plus grand. Nous avons acheté, d’abord comme un simple investissement locatif. Et puis nous sommes tombés amoureux, devant la richesse inouïe de l’histoire des lieux

à suivre . . .

Remerciements à Jean-Pierre et Marie-Anne Devulder, ainsi qu’aux archives municipales.

Les bijouteries « Vieille »

Dans les années 1950, Marc Vieille est ouvrier horloger dans une petite entreprise à Morteau dans le Doubs. C’est l’époque où les commerçants en horlogerie se déplacent chez leurs fabricants pour y effectuer leurs achats en montres, pendules et réveils. G. Dallenne, horloger installé à Roubaix au 30 rue du Moulin, est reçu par Marc Vieille. Au cours de l’entretien, le commerçant lui annonce son intention prochaine de céder son affaire. Marc est ambitieux et souhaite créer un jour son commerce. Il étudie alors, la possibilité d’enfin s’installer à son compte.

L’affaire est conclue, et en 1960, Marc et son épouse Yvette quittent leur Doubs natal et arrivent à Roubaix avec leurs 3 enfants pour gérer leur commerce à l’enseigne : « AU 4° TOP ».

Publicité 1966 ( document Nord Eclair )

Marc a un très grand savoir-faire en horlogerie, Yvette a un sens inné du commerce. Ils ne comptent pas leurs heures de travail et les affaires fonctionnent de façon très satisfaisante. En 1967, ils achètent la maison voisine, au 28 de la rue, ( rebaptisée rue Jean Moulin ) à Roger Gaspar négociant en vins.

Ils font appel à Marcel Cauwel décorateur situé au 50 rue de Lille pour la transformation de la façade et l’aménagement complet de l’intérieur. Cet agrandissement leur permet de développer des gammes de bijouterie et d’orfèvrerie.

Publicité 1971 ( document collection privée )

En 1977, Auchan V2 s’ouvre à Villeneuve d’Ascq. Un nouvel hypermarché, certes, mais cette fois-ci, avec une énorme galerie marchande sur deux niveaux. Marc saisit l’opportunité et implante son magasin à l’enseigne « Vieille » dans une cellule, que le centre commercial lui propose. Il décide d’intégrer le groupement de détaillants bijoutiers indépendants :  »Alliance 2000 ».

Le magasin Vieille dans la galerie marchande Auchan V2 ( document P. Vieille )
Publicité commune aux deux magasins en 1978 ( document collection privée )

Le succès est immédiat ; Marc Vieille continue son envie d’entreprendre, et agrandit son magasin à V2 en reprenant la cellule voisine de son commerce, puis en créant un autre point de vente, toujours à V2 à l’enseigne « Place Vendôme » à un emplacement un peu plus éloigné. Marc Vieille devient président de l’association des commerçants de V2 en 1979.

agrandissement du magasin ( document P. Vieille )
le magasin « Place Vendôme » à V2 ( document P. Vieille )

Marc est toujours ambitieux, curieux et insatiable. Il continue donc son développement en ouvrant un magasin dans le centre commercial Auchan à Leers, dans les années 1980.

le magasin de Leers ( document P. Vieille )

Au début des années 1990, son énorme envie d’entreprendre l’amène à ouvrir un magasin toujours à l’enseigne « Vieille » dans le magnifique centre commercial à « Euralille » et en 1998 enfin, un magasin dans la galerie d’Auchan Roncq.

le magasin d’Euralille ( document P. Vieille )

Marc est récompensé d’un Mercure d’Or , en 1996 par le ministère du Commerce et de l’Artisanat

Mercure d’Or ( document P. Vieille )

Marc prend sa retraite à 67 ans, ferme le magasin de détail de la rue Jean Moulin, mais continue de gérer la comptabilité et les boutiques des galeries marchandes des centres commerciaux.

Marc et Yvette dans leur magasin de Roubaix en 1996 ( document Nord Eclair )
documents Nord Eclair

Marc a toujours entretenu d’excellentes relations avec ses confrères. En 2001, lorsque Eric Belmonte, le Président de la chaîne de magasins « Histoire d’Or » lui propose de reprendre ses 4 magasins, Marc accepte, car c’est encore une occasion à saisir. Les 4 magasins prennent donc l’enseigne Histoire d’Or. Les salariés des boutiques Vieille gardent leur emploi. La société de Marc Vieille est dissoute.

Son fils, Patrice qui l’aidait depuis de nombreuses années, décide de créer son atelier dans les locaux de la rue Jean Moulin. Il assure le S.A.V pour la réparation des articles de bijouterie, pour les particuliers et les confrères détaillants.

L’atelier du 28 30 rue Jean Moulin en 2008 ( documents archives municipales )

En 2011, Patrice Vieille décide de vendre l’immeuble du 28 30 rue Jean Moulin pour installer son atelier dans un espace plus spacieux et mieux adapté. Il s’installe en 2011 au 13 Boulevard Leclerc, où il est toujours de nos jours. Patrice assure la création, la transformation et la réparation de bijoux. Les affaires sont florissantes, et de nos jours, une douzaine de personnes travaillent dans l’entreprise.

( documents P. Vieille )

Maxime Vieille, le fils de Patrice, travaille dans l’atelier depuis une vingtaine d’années. Il prendra la succession, lorsque Patrice prendra une retraite bien méritée, d’ici peu.

Depuis 1960, trois générations ont donc développé l’entreprise Vieille : plus de 60 années d’expérience et de professionnalisme au service de la clientèle.

Maxime et Patrice Vieille dans leur atelier ( Photo BT )

Remerciements à Patrice et Maxime Vieille ainsi qu’aux archives municipales.