Les têtes et la toiture

Avril 1986, la Ville de Roubaix, par la voix de Jacques Catrice, adjoint au maire chargé du commerce, est résolument optimiste sur l’avenir de Roubaix 2000. Après le départ d’Auchan, il fallait trouver une locomotive pour le centre, et c’est chose faite avec AS ECO. Mais il faut que les commerçants se redynamisent et reprennent confiance. Il faut également que les cellules vides soient rapidement occupées. Jacques Catrice rappelle que la municipalité aide et appuie les projets des commerçants dans la mesure de ses possibilités, mais ne s’immisce pas dans leur manière de gérer les affaires. Il est convié aux réunions de l’union du commerce de Roubaix, avec voix consultative, mais pas au-delà.

Roubaix 2000 en 1986 avant sa couverture Photo Nord Éclair

Certes, il y a des raisons d’espérer. Plusieurs commerces vont bientôt s’installer dans le centre commercial, suite à des conditions de location ou d’achat intéressantes. Un poste permanent de police municipale va être installé dans Roubaix 2000 pour sécuriser les lieux et passages. Un projet d’aménagement a été validé par la grande surface et la majorité des commerçants. Dans les six mois qui suivront l’achèvement de la couverture, le centre commercial sera entièrement rempli. Le démarrage des travaux est imminent, et c’est la fin annoncée de la maison des courants d’airs.

Cependant ce n’est pas tout à fait la belle unanimité. M. Michel Jacquart, président du GIE depuis juin 1985, vient de démissionner le 28 mars dernier de son poste de président, décision entérinée par 6 membres sur 8 présents ce jour là. Michel Jacquart, par ailleurs directeur de Naja tourisme, donne ses raisons : en septembre 1985, un accord est intervenu entre les commerçants, la municipalité et la grande surface pour créer un poste de directeur du centre commercial rémunéré par le conseil syndical et chargé de mener toute action en faveur du développement de Roubaix 2000. Il lui semblait important que ce directeur vienne de l’extérieur de la structure. Mais la majorité s’est prononcée pour Madame Macqueron (Maison de la Presse) comme directrice du centre, faute de candidats présentant un profil plus intéressant. M. Jacquart estimait que sur les trois candidats extérieurs au centre qui s’étaient présentés suite à une petite annonce dans la presse, l’un d’eux présentait un profil intéressant. Madame Macqueron a quand même été élue à l’unanimité des membres présents du conseil syndical, fin janvier 1986, pour une mission de trois mois. D’où la démission du président.

Un nouveau président est alors élu pour faire l’intérim. Il s’agit d’André dubois, tenancier du café le Belfort, élu à l’unanimité des membres présents, le 4 avril. Mme Macqueron et lui veulent éviter toute polémique. En mai, un nouveau président sera élu.  Madame Macqueron fait alors le bilan de son activité de directrice depuis janvier. Elle s’est occupée du suivi du dossier de la couverture, de la commercialisation des cellules vides, et des recherches d’économies à faire sur la copropriété. Pour ce dernier point, des compteurs de calories seront installés chez chaque commerçant, et chacun ne paiera que sa consommation, mais toute sa consommation. Elle présente l’argumentaire pour l’arrivée de nouveaux commerçants. Le centre commercial, c’est 46 commerces, dont une grande surface. Une dizaine de cellules déjà aménagées appartenant à des particuliers ou des commerçants sont  immédiatement utilisables, de même que les cellules inoccupées gérées par la mairie. On peut donc accueillir vingt à trente commerces des types les plus divers. Les conditions de vente et de location sont attractives, deux à trois fois moins chers qu’ailleurs. La situation géographique de Roubaix 2000 est très intéressante, en plein centre ville, avec un quartier en plein renouvellement : la caserne des pompiers démolie a laissé place à de nouveaux locaux pour la caisse d’allocations familiales, l’ancien hôtel des postes a été reconverti en université, et l’usine Motte Bossut devenue un centre international de la communication, est en passe d’accueillir les archives du monde du travail. Tout cela augure de l’arrivée d’une nouvelle clientèle constituée d’étudiants, de chercheurs et de fonctionnaires. L’ancien resto self de Roubaix 2000 va d’ailleurs être transformé en restaurant universitaire avec des services midi et soir. Un peu de statistiques pour terminer : 20.000 véhicules passent en moyenne chaque jour devant le centre. Et en moins d’une heure le samedi 27 octobre 1984, 3.500 personnes ont traversé le boulevard Gambetta devant Roubaix 2000 et 2.500 du côté du boulevard de Belfort. Le centre commercial serait-il devenu l’endroit où l’on passe ? Mais tout ce passage garantit-il que les gens s’arrêtent, consomment ou achètent ? L’arrivée de la police municipale et le gardiennage mis en place par les commerçants ont résolu le problème des petits délinquants. Ces arguments ont l’air de satisfaire les membres du GIE, car Madame Macqueron voit sa mission reconduite pour 3 mois.

 Projet de toiture publié par Nord Éclair

Qu’en est-il des travaux ? En avril 1986, Michel Ripoli, architecte à Wasquehal, présente le projet de couverture du centre commercial. Il rappelle que cela fait un an et demi qu’on travaille sur ce  projet, et que les avis divergeaient entre ceux du bas et ceux du haut, entre les commerçants et la mairie…Il évoque les projets : aménager un hôtel sur la moitié de l’étage, un promoteur était intéressé, mais pas de suite. Une réhabilitation totale était souhaitée, mais le budget ne le permettait pas. On voulait aussi refaire toute la décoration intérieure, là aussi, ce n’était pas possible, on verrait plus tard. Il fallait donc parer au plus pressé, et s’occuper de la couverture. Cette toiture va recouvrir 3000 m² de surface, ce qui est actuellement à découvert, plus les passages latéraux, et les auvents existants seront supprimés. Il s’agira d’une couverture en polycarbonate, matériau transparent ou translucide. Le translucide est plus résistant à la chaleur, mais il faut attendre l’avis de la commission de sécurité. Transparent, c’est évidemment plus agréable. MM Ripoli et Sauvage (lui est architecte à Marcq en Baroeul) ont travaillé avec le bureau d’études SETRAC à Lille qui a participé à la construction de Roubaix 2000 en 1968. Ils sont donc bien au fait de l’existant. La toiture sera soutenue par des charpentes métalliques, qui reposeront sur les piliers de béton actuels. Mais le toit ne se posera pas par ses extrémités latérales, il y aura un petit jour. Pour le support des plaques de polycarbonate, on utilisera une sorte de treillis métallique et les arches seront en aluminium. Il est précisé que ce type de couverture est souvent utilisé dans les bâtiments scolaires, les halls publics, les équipements sportifs. Quand les travaux seront finis, on remettra bien sûr la sonorisation, les lumières d’ambiance et la vidéo.

Projet de toiture publié par Nord Éclair

 La demande de permis de construire a été déposée en avril 1986. Il faut compter deux mois pour la réponse municipale, puis deux mois pour la réponse de la Direction Départementale de l’équipement à Lille, à cause de la proximité du site Motte Bossut classé bâtiments de France. Les travaux débuteraient donc en septembre pour se terminer en décembre.

Malfaçons !

Janvier 1981. Le centre commercial Roubaix 2000 est dans un état déplorable. C’est une véritable passoire : l’eau pénètre partout et cause des dégâts importants. Cinq pompes fonctionnent constamment pour que le parking souterrain ne soit pas inondé. Des crevasses apparaissent, des joints de dilatation, de la rouille. Tout ceci est du à des malfaçons. Et l’on apprend que la ville a engagé une procédure depuis 1972, année d’inauguration, et que le syndic des commerçants a pris la suite en 1975, notamment  pour faire jouer la garantie décennale.

La pluie à l’étage ! Photo Nord Éclair

On brocarde l’architecte, grand prix de Rome, qui a conçu un véritable blockhaus en centre ville. Même si les commerçants ont payé de leurs deniers la pose de glaces au rez-de-chaussée pour couper les courants d’air, l’étage de Roubaix 2000 reste ouvert à tous vents. On dénonce dans la presse l’irresponsabilité des promoteurs et l’inconscience des entreprises. Le tribunal doit établir les responsabilités des entrepreneurs, et la bataille d’experts est engagée. On parle d’ores et déjà de réhabilitation, à l’image de ce qui se passe pour les constructions d’autres grands prix de Rome, situés dans les quartiers sud de la ville. Il s’agit en effet de procéder à des réparations urgentes, et de fermer le centre pour qu’il soit à l’abri de la pluie et du vent.

La fermeture du rez-de-chaussée Photo Nord Éclair

Entre-temps Roubaix 2000 perd l’un de ses défenseurs les plus actifs. Roger Fruit était le Président du Groupement d’Intérêt Économique du centre commercial depuis 1973. Il faisait partie des quelques commerçants qui avaient connu les péripéties des déménagements successifs. Ayant repris en 1957 la maroquinerie de son père, située 56 rue de Lannoy, Monsieur Fruit s’en va occuper en 1964 un magasin du centre de transit du Lido, avant de rejoindre le nouveau centre en 1972. Il décède en ce mois de janvier 1981. La bataille juridique engagée pour cause de malfaçons sera plaidée en mars 1981. On évalue les réparations à plus d’un million et demi de francs. Les entreprises pourront faire appel, ce qui repoussera d’autant l’exécution des réparations. Des travaux conservatoires sous contrôle d’expert sont envisagés…Malgré toutes ces péripéties, les commerçants croient encore à la réussite du centre commercial, comme le montre leur important budget publicitaire. Auchan joue son rôle de locomotive en drainant plus de 100.000 clients chaque année, les aménagements pour le tramway et l’arrivée prochaine du métro ne peuvent que renforcer leur optimisme.

A l’étage, la galerie des courants d’air Photo Nord Éclair

Cependant, il faut bien constater que 13% des cellules commerciales sont encore vides, et ce sont celles qui subissent le plus l’humidité. Il reste l’étage à couvrir, et les soixante dix commerçants sont prêts à assumer la dépense d’un million de francs que couterait une telle opération. Enfin, il y a le problème du parking, sous utilisé, à cause de l’humidité et de la sécurité. Il est bien proposé qu’il soit gratuit, mais est-ce vraiment une solution ?