Les numéros impairs

Entre le boulevard Gambetta et la rue des Longues Haies, un estaminet fait le coin de la rue du Moulin depuis 1886. Siège de nombreuses sociétés, il va néanmoins connaître une fin brutale puisqu’il va s’effondrer lors de travaux effectués en 1964.

Le café de la ligue des sports, vu depuis et vers le boulevard Gambetta

Les photos montrent que l’estaminet, dont la façade principale donne sur le boulevard Gambetta, ouvre également sur le coin des rues du Moulin et des longues Haies. On y remarque que les rails du tramway, dédoublées au carrefour, se réunissent en une voie unique qui remonte la rue.

Document Nord Eclair

Une photo de l’estaminet effondré permet de voir le débouché de la rue Edouard Anseele et le bas de la rue Jean Moulin. L’angle est formé par un commerce. En 1886, c’est un estaminet, tenu par F.Wacrenier. La charcuterie Vrambout s’y installe à partir de 1914, qui devient boucherie sous le même nom en 1955, et, reprise par M.Libert, un commerce de volailles en 1974.

Document La Voix du Nord

On trouve après le coin et jusqu’à la rue St Jean une suite quasi ininterrompue de commerces, dont quatre estaminets, en 1886. Au coin de la rue St Jean, en particulier, se situe un débit de boissons, d’abord au nom de Mazurel, puis deviendra l’estaminet Bus, puis Deffrennes, puis Carette jusqu’à la deuxième guerre.

Société réunie devant l’estaminet du 61

Le 7, après avoir abrité un estaminet, devient une bonneterie à partir de 1908. A l’enseigne du « bas roubaisien », elle s’étend au 11 à partir de 1929. En 1965, un opticien y établit son commerce. Au 9 est installé un libraire en 1908. La boutique devient une imprimerie en 1925, puis une papeterie en 1929, pour redevenir une librairie en 1932, et jusque dans les années 60.

Les commerces du 7 et du 9

En 1903 s’installe au 53 la brasserie coopérative Quint-Delvallée, qui prendra vite pour enseigne « La Confiance ». On y retrouve un magasin d’usine dans les années 70 :

Document la Voix du Nord

Mais les entreprises industrielles sont également très présentes dans la rue. A partir de 1895, s’installent au 21 le tissage Florimond Watel, et, du 23 au 45, la teinturerie Motte et Bourgeois. Celle-ci prend successivement les noms des établissements Motte et Marquette à partir de 1908, puis Société anonyme des établissements Hannart frères & Motte et Marquette réunis au début des années 20. L’entreprise installe ensuite ses bureaux au 53 de la rue. Les maisons aux numéros 47 à 53 se vident progressivement jusqu’en 1914, rachetés pour abriter au 45-47-49 la teinturerie Burel. Au début des années 30, le tissage est repris par Alfred Motte frères et Jules Porisse qui installent leurs bureaux aux numéros 17 à 21. L’entreprise prend en 1955 le nom de filature des Longues Haies et en 65 celui des laines du chat botté.

Au 33 en 1955, Renault installe son département véhicules d’occasion, prélude à une extension beaucoup plus importante, qui aura raison de tout le bas de la rue, côté impair…

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Les autres documents proviennent de la bibliothèque numérique de Roubaix

 

En bas de la rue

La rue du Moulin, une des plus anciennes voies de Roubaix, a très vite été densément bâtie. Si on considère la partie basse de la rue, entre le boulevard de Paris et la rue du Havre pour les numéros pairs, on est surpris du nombre de commerces, d’entreprises et de courées de part et d’autre de l’école municipale.

Le bas de la rue, côté pair – vues depuis et vers la rue Neuve
Le bas de la rue, côté pair – vues depuis et vers la rue Neuve

Ce côté pair présente avant la première guerre une profusion d’estaminets : on en compte pas moins de 12 avant la rue du Havre ! Les commerces de bouche y sont également bien représentés : une charcuterie, quatre épiceries et deux crèmeries. D’autres commerces complètent ce panel : la pharmacie au coin du boulevard de Paris, une blanchisserie, un marchand de couleurs, un buraliste, deux magasin vendant des étoffes, une coiffeuse, un marchand de journaux. Sans oublier , tout au bas de la rue, la serrurerie Liagre, déjà présente en 1886 :

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Cette partie de la rue abrite également d’autres métiers artisanaux : trois ferblantiers, un teinturier, un vannier, un ébéniste, deux tailleurs, un cordonnier. Il n’y a pratiquement pas de maison sans boutique ! Les maisons d’habitation sont renvoyées dans des courées, généralement attenantes à un estaminet. On trouve ici au 22 la cour Delmarle, au 42 la cour Dubar, au 64 la cour Loridant, et, au 70 la cour Brabant.

L'entrée de la cour Delmarle de nos jours. Photo Jpm
L’entrée de la cour Delmarle de nos jours. Photo Jpm

Les entreprises industrielles sont bien présentes aussi, avec une fabrique de pompes, qui deviendra un atelier de fonderie au 38, juste à côté de l’école, et, au 50-52, l’entreprise D’Halluin-Grenu, puis D’Halluin-Namur en 1901, puis Bayart père et fils.

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Entre les deux guerres, peu de changements. Un maréchal ferrant s’installe au 36, un marchand de chaussures au 72, un marchand de jouets au 44 et un marchand de cycles au 62, remplaçant d’autres commerces. Exemple de stabilité, la pharmacie au coin du boulevard de Paris, reste tenue par M. Constant depuis 1885 jusque dans les années 50… Une affaire de famille !

La droguerie Molinier a pris, en 1922, la suite de la serrurerie Liagre
La droguerie Molinier a pris, en 1922, la suite de la serrurerie Liagre

Autre exemple de stabilité, les débits de boisson restent très nombreux : la proportion d’estaminets ne varie pas sensiblement.

L'estaminet Derly, au numéro 40
L’estaminet Derly, au numéro 40

Après la deuxième guerre, même pérennité. La droguerie Molinier perdure sous le nom de Dupont-Delalé jusque au seuil des années 70. Le salon de coiffure, installé au 12 depuis le début des années trente se retrouve au même endroit en 1874 ! Le 80, au coin de la rue du Havre est un commerce d’alimentation depuis les années 20 jusqu’à aujourd’hui, après qu’on y ait vendu des gaufres en 1914, et du beurre en 1922.

Au premier plan le carrefour de la rue du Havre et le n°80
Au premier plan le carrefour de la rue du Havre et le n°80

Si les premières maisons ont été détruites récemment, les autres sont toujours debout, et les façades de la partie remontant jusqu’à la rue du Havre n’ont pratiquement pas changé. Elles mériteraient pourtant quelques travaux de rénovations !

 

 

 

 

 

 

 

Renault et le carrefour

A côté du café des Arcades s’installe après la première guerre un garage automobile. Il est constitué d’un bâtiment sans étage perpendiculaire au boulevard Gambetta et dont le pignon comporte une grand-porte encadrée de deux fenêtres. La construction se prolonge par un mur longeant le boulevard jusqu’à la propriété suivante. Ce garage a pour propriétaires MM. Dourlens en1922 et Lemaire en 1926. Cette même année les maisons jumelles de mesdames veuve Armand Masson et veuve Motte-Cordonnier voisinent avec le café des arcades du côté de la rue Neuve.

Le garage côté boulevard Gambetta, et les deux maisons jumelles côté rue Neuve-documents médiathèque de Roubaix

Pourtant, ces deux belles maisons disparaissent en 1930 pour laisser place à la société des automobiles Renault. Cette même société, une fois implantée rue du Maréchal Foch, va faire en sorte de s’agrandir. Elle achète le garage et le terrain qui le jouxte pour s’installer sur le boulevard Gambetta en 1935. Le café des Arcades est maintenant enclavé dans dans l’emprise du garage Renault. Cette situation perdure jusqu’après la guerre (en 1939, on trouve au 55 monsieur Lemoine et le siège social du radio club du Nord de la France).

Le café en 1946-photo Nord Éclair

Mais cette situation ne aurait durer. En effet, en 53, Renault a pris possession du numéro 55 et possède maintenant un ensemble cohérent.. Le café est démoli et le constructeur automobile reconstruit sur l’angle un bâtiment cohérent avec le reste du garage.

Le garage en 1962. Photo Nord Éclair
L’extrémité du garage après 1963-Document collection particulière

La régie ne s’en tient pas là, et décide de moderniser en 1980 l’aspect et l’organisation intérieure du bâtiment. Elle dépose une demande de permis de construire assorti d’un plan pour ce qui sera l’ultime avatar de la concession.

Le même garage à partir de 1980-document archives municipales

Cet état restera inchangé jusque dans les années 2000 alors que Renault, ayant entre-temps acquis un terrain rue Jean Moulin sur l’ancienne emprise de l’usine Motte, et construit sur une partie de cet espace un garage dédié à l’entretien des véhicules, investit finalement l’ensemble du terrain pour s’y implanter en totalité, quittant alors le coin du boulevard Gambetta. L’ancien bâtiment est alors partiellement démoli et transformé pour une autre utilisation.

Les travaux à la fin des années 2000-Document collection particulière

 

Le film du carrefour

A l’origine, la circulation est clairsemée. Les seuls aménagements sont, dans les années 1910, ceux effectués pour faciliter le passage des tramways : on redresse l’extrémité de la rue de Lille en supprimant le bloc d’immeubles de la barque d’Or de manière à avoir un débouché direct vers le boulevard Gambetta. La circulation automobile est peu dense ; seuls les piétons semblent indisciplinés.

La circulation dans les années 20

Ensuite, la circulation automobile augmente progressivement. Dans les années 30, la rue du Maréchal Foch et la rue de Lille sont en double sens, ce qui accroît les difficultés. Pourtant, on voit que la voie de tramway forme une bretelle permettant stationnements et manœuvres au beau milieu du carrefour, ce qui en dit long sur la densité de la circulation à cette époque. Une photo aérienne de 1932 ne montre encore aucun d’aménagement pour faciliter l’écoulement du trafic.

La rue du Maréchal Foch en double sens

Néanmoins, en 1935, le Journal de Roubaix indique que le trafic, particulièrement dense au carrefour, est perturbé par un chantier. (on supprime l’ancien égout au bout de la rue de Lille pour en faire un nouveau qui suit le nouveau tracé et se jette dans celui du boulevard Gambetta).
En venant du boulevard Gambetta, il faut contourner le monument aux morts pour se diriger vers le boulevard de Paris. On construit un terre-plein juste en face du monument pour séparer ce trafic de celui venant de la rue du moulin vers la rue de Lille et la rue du maréchal Foch. On dote ce terre-plein d’une signalisation lumineuse dans les années 50.

Le terre-plein et le monument aux morts

Mais la circulation automobile s’accroît considérablement, et, en 1962 Nord Eclair nous précise que le carrefour est un point névralgique de la circulation roubaisienne. La rue du Maréchal Foch passe en sens unique.  En 1961 on tente d’améliorer la situation en plaçant un agent dans une guérite, de même qu’au coin du boulevard Gambetta et de la place de la Liberté. On prévoit un éclairage permettant de bien voir l’agent.


L’agent de la circulation à l’oeuvre – photos Nord Eclair et Nord Matin

Ce fonctionnaire sera ensuite remplacé par des feux rouges. Il devient nécessaire d’aménager le carrefour. Pour cela, on décide de déplacer le monument aux morts, qui empêche la relation directe entre les boulevards Gambetta et de Paris en obligeant à un contournement rendu plus contraignant encore par le terre-plein. On parle également de la création d’îlots directionnels. Les travaux d’aménagement débutent en 1964. Le monument aux morts est reculé, et on  le crée un terre-plein plus étroit, permettant un raccordement entre les deux boulevards par une large  courbe. Deux îlots triangulaires sont installés, le premier au débouché de la rue de Lille, l’autre à celui du boulevard Gambetta, permettant de mieux diriger les flux. On aménage le terre-plein avec des murets et une pelouse.

Photos La Voix du Nord 1964 et aérienne IGN 1976

Notre carrefour voit ensuite d’autres transformations, essentiellement dus au déplacement des rails de tramway. Celui-ci cesse de desservir la grand-place, son terminus étant reporté à Eurotéléport.  Les rails disparaîssent dans la rue du Maréchal Foch, et  qui les voies empruntent dans les années 90 un trajet proche de l’axe de la chaussée.  Le terre-plein triangulaire devant le garage Renault est étiré pour bien séparer les véhicules se dirigeant vers le boulevard du Général De Gaulle de ceux empruntant la rue de Lille.

Le carrefour de nos jours – Photo Géoportail-IGN

Le café effondré

Au confluent de la rue des longues Haies, de la rue du Moulin et du boulevard Gambetta s’installe très tôt un estaminet. Tenu par M. A.Barot en 1886, l’estaminet change assez souvent de propriétaire et de raison sociale (c’est le Club des Méli-mélo, en 1895). Il abrite très vite diverses sociétés tels que le stade Roubaisien dès 1922, la société des anciens militaires de l’armée de mer, la société des médaillés et le syndicat des contremaîtres en 1925, et surtout la ligue des sports, qu’on retrouve là durant presque toute l’histoire de l’établissement.

Documents médiathèque de Roubaix

 Le 7 octobre 1964, alors qu’on réaménage le carrefour, le café de la ligue des Sports, propriété de Mme Veuve Florin-Caron, est lui aussi en travaux : on y effectue des transformations sous la direction d’un architecte Lillois, M. Buhot. Brusquement, alors que les ouvriers se trouvent providentiellement dans la cave du café, une grande partie de l’immeuble s’effondre. Le mur de la maison voisine, au 1 rue Edouard Anseele, est suffisamment lézardé pour qu’on doive évacuer ses occupants et leur trouver un gîte provisoire.

Photos Nord Eclair

 Le tribunal administratif de Lille estime que l’estaminet est lui-même dans un tel état qu’il faut l’abattre. On fait appel à une entreprise de démolitions R. Maill, qui intervient avec circonspection, des craquements continuant à se faire entendre. Finalement, le danger paraissant évident pour les ouvriers, on abat ce qui reste du bâtiment à l’aide du bulldozer. On s’affaire ensuite déblayer les gravats et pour rouvrir la rue du Moulin au plus tôt.

Photo Nord Eclair

 On se demande un instant s’il faut reconstruire le café, mais on y renonce apparemment, puisque les photos aériennes des années suivantes montrent d’abord le chantier clôt par une palissade, puis transformé en parking dans les années 80. Finalement, la percée de l’avenue des paraboles et les constructions qui la bordent remodèlent complètement l’ancien carrefour.

Photo collection particulière
 

Une ferme rue du Moulin

L’historien Théodore Leuridan fait mention au 19ème siècle, à la naissance du sentier du petit Beaumont, d’une ferme enserrée entre la rue d’Hem, la rue de Bouvines, et la rue du Moulin, qui faisait partie de la seigneurie de la Masure. Il précise que la ferme était tenue par la famille Vernay, et qu’en 1834, Antoine de Vernay a fait partie des protestataires voulant la séparation administrative entre  Roubaix ville (le centre) et Roubaix campagne (les territoires agricoles situés autour de ce centre).

La cense (plan cadastral de 1845) en situation sur une photo aérienne Géoportail actuelle

Les recensements effectués en 1836 et 1851 font référence à un cultivateur nommé Desvernay Antoine , époux de Ludivine Lauridan  à la tête d’une nombreuse famille comprenant trois fils et six filles. Mais, au fil des années, le quartier se bâtit sur les terres de la ferme qui doit alors cesser son activité. C’est ainsi que le Ravet Anceau de 1875 n’indique plus de cultivateur à cet endroit. Par contre, il fait état en 1886 d’une veuve Devernay, propriétaire au 153 de la rue du Moulin.

A partir de 1895, le numéro au 153 abrite un rentier, mais on trouve trois autres adresses en remontant la rue. Des maisons ont donc remplacé la ferme. De même, les bâtiments le long de la rue d’Hem sont des habitations individuelles à partir du n°1. Le bâtiment de l’ancienne cense a-t-il été démoli ou reconverti en habitations ? En tout cas, le plan cadastral de 1884 le montre partagé en habitations qui en reprennent la forme exacte.

Document archives municipales

La partie arrière de la ferme constitue six maisons formant l’impasse Devernay, placée perpendiculairement à la rue de Bouvines.  On retrouve cette situation sur cette photo aérienne de 1953 :

Document archives municipales

En  1964,  à la demande de M. Devernay, le propriétaire, on décide de démolir les maisons numéro  1,3,5,7 et 9 rue d’Hem, 157 à 163 rue Jean Moulin, 2,4 et 6 rue de Bouvines, ainsi que les habitations de l’impasse Devernay, ce qui représente toute l’ancienne emprise de la ferme. Ces maisons sont frappées d’interdiction d’habiter en 1967, et les immeubles murés au fur et à mesure du départ des locataires. En 1974, l’autorisation de démolir est donnée et la Société Anonyme Roubaisienne d’Habitations Ouvrières y fait construire 12 logements H.L.M. à la place de ces bâtiments anciens insalubres. Ces logements sont aujourd’hui encore, visibles sur le site. Il est permis de se demander si leur pérennité approchera celle des bâtiments qu’ils auront remplacé…

Document Géoportail – IGN