La Feuilleraie (suite)

Mais, en 1939, quelques jours avant la déclaration de guerre, les époux Catrice quittent leur propriété pour se rendre dans les Côtes du Nord (Côte d’Armor actuellement) avec le couple de concierges. C’est le jardinier, Henri Mazurelle, resté à Hem, qui est chargé de la surveillance de la maison et du potager.

Photo des époux Catrice (Document SER)
Photo de la demeure vue de la rue de Lille (Document Hem Images d’Hier)

Il leur donne les informations suivantes: Du 2 au 11 octobre 1939, 2 officiers français, capitaines d’infanterie, occupent la maison. Un médecin major militaire installe son cabinet médical dans la maison du concierge avec 4 soldats infirmiers.

A partir du 11 octobre, ils sont remplacés par des militaires anglais du 2ème bataillon des Grenadiers Guards: 3 officiers supérieurs logent dans la maison, 3 ordonnances et 2 ou 3 cuisiniers logent dans la conciergerie. Une dizaine d’officiers viennent prendre leurs repas (petit déjeuner, lunch, thé et dîner) tous les jours dans la grande salle. Un agent de liaison français, officier interprète complète cet Etat-Major.

En Octobre 1939 les officiers anglais posent sur le perron et réception de l’état major dans la salle à manger (Documents Historihem)

Le 17 Octobre le duc de Gloucester, fils de Georges V, dîne à la Feuilleraie en compagnie de 18 officiers. Fin Octobre 1939, l’un des fils Catrice dîne avec les officiers et en novembre une grande réception est organisée au château Catrice. En décembre le Colonel Cornish, qui habite la demeure, écrit à Edouard Catrice pour lui souhaiter un joyeux Noël et le remercier de son hospitalité.

Le 1er janvier 1940 est fêté au château avec menu en français et, en avril, arrive un régiment d’infanterie anglais. A la fin du mois le Colonel Cornish écrit à nouveau à Edouard Catrice pour lui annoncer son départ et le remercier à nouveau de son hospitalité. Début mai les pelouses du parc sont nettoyées en vue de la réception du Duc de Windsor. Puis le 12 mai les anglais quittent la propriété définitivement.

Menu du nouvel an 1940 (Document Historihem)

La propriété reste alors inoccupée jusqu’à l’arrivée des allemands et, alors qu’elle avait été soigneusement entretenue par les anglais, la maison est pillée par des civils français dans l’intervalle… Puis de fin mai à décembre 1940, les allemands occupent une première fois la propriété.

Pendant cette première occupation les meubles sont dispersés, le billard installé dans la chapelle et la belle vaisselle et la verrerie fine disparaissent. Dans la crainte d’une probable nouvelle occupation allemande, les enfants Catrice font alors l’inventaire de ce qui a été pillé, déménagé ou cassé. Puis ils sauvent ce qui peut encore être sauvé.

En 1941, la demeure est à nouveau occupée par les allemands. D’après le jardinier, resté sur place, qui, dans un premier temps, peut continuer à cultiver le potager pour son usage personnel, 5 femmes viennent chaque jour effectuer le nettoyage.

L’année suivante l’entrée sur la rue de Lille est élargie afin de permettre le passage des camions. Une route est faite à travers les jardins et les jeux de tennis à base de pavés recouverts de scories. D’une largeur de 4 mètres, elle passe par le chemin au milieu du potager et du bois pour aboutir à la haie du domaine de la Marquise.

Puis le nombre de troupes augmente et le château en loge 130 du grenier à la cave tandis que 10 soldats habitent la conciergerie. Dès lors le jardinier, à l’origine de ces informations, n’est plus autorisé à pénétrer dans la propriété. On sait seulement que tout le bois est couvert de munitions, de même que la propriété voisine appartenant à la Marquise.

En septembre 1944, à la veille de la libération, de violentes explosions secouent les 2 domaines pendant des heures. Il ne reste que des ruines du château de la Marquise mais celui d’Edouard Catrice, bien que fortement endommagé, résiste grâce à ses murs extérieurs épais et à sa charpente en grosses poutres de fer.

Pierre Catrice, l’un des fils de la famille, se rend sur place dès le départ des allemands et prend la mesure des dégâts, tant à l’intérieur de la maison (toiture soufflée, huisseries et cloisons intérieures démolies) que dans son parc où les arbres sont déchiquetés et où demeurent un grand nombre d’obus de tous calibres, en caisses ou en tas, non explosés.

Photo de Pierre Catrice lors de l’évocation de son passé de résistant en 1994 (Document Nord-Eclair)
Le bois en septembre 1945 (Document Historihem)

Edouard Catrice étant décédé à Roubaix en 1943 et son épouse en 1947 et aucun de leurs 10 enfants héritiers ne désirant conserver la propriété, il est alors décidé de la mettre en vente. A noter que l’un des fils, Jean, sera le premier gérant du Journal Nord-Eclair à Roubaix (sur ce sujet un article est à découvrir en 3 parties sur notre site, intitulé Nord-Eclair).

Photo de Jean Catrice, résistant, à la libération (Document Nord-Eclair)

Le 24 mars 1946, l’assemblée municipale de Hem décide l’acquisition de la propriété Catrice comprenant la villa, la maison de concierge ainsi qu’une parcelle de terrain d’une superficie d’un ha, 85 ares et 35 ca pour le prix de 2.046.842 F, somme qui sera couverte par un emprunt en 30 ans.

Photo aérienne de la propriété en 1947 (Document IGN)

La maison de maître sera aménagée en Mairie et deux écoles seront construites dans le parc, l’une pour remplacer l’école de garçons Victor Hugo, trop vétuste, et l’autre l’école de filles Pasteur, endommagée par les explosions du dépôt de munitions de la Marquise (sur ces deux sujets voir les articles parus sur notre site intitulés l’école Victor Hugo et l’école Pasteur)

A suivre avec un article sur la mairie…

Remerciements à l’association Historihem et à la Société d’Emulation de Roubaix.

 

Nord-Eclair

Suite de deux articles précédemment édités et intitulés Journal de Roubaix :

Jean Catrice, né le 26 août 1903, est le fils d’Edouard Catrice, industriel du textile, installé à Lys-lez-Lannoy en association avec Jean Deffrennes-Canet depuis 1890. A la fin de ses études, il entre donc comme ses frères dans l’entreprise paternelle.

Usine d’Edouard Catrice (Document Tissage Art de Lys)

Son premier engagement c’est à l’ACJF (Association Catholique de la Jeunesse Française) où il crée des liens durables avec de nombreux jeunes de toutes conditions sociales.

Il épouse Claire en 1928 et le couple aura 7 enfants. Dès 1933, il adhère au Parti Démocrate Populaire dont il devient vice-président en 1936. En 1939, il est mobilisé en tant que lieutenant et chargé de la sécurité de la gare de Lille. Après avoir mis sa famille en sécurité dans la Sarthe il regagne Roubaix avec son frère cadet Pierre pour rejoindre l’usine familiale.

En 1940, avec la grande offensive allemande dans les Ardennes, l’exode commence mais leur famille reste à Berck où elle s’est installée au retour de la Sarthe pendant que Jean et Pierre cherchent à gagner l’Angleterre pour se réengager mais sans succès. C’est donc le retour à Roubaix pour les 2 frères et leurs familles et l’entrée dans la résistance.

Photo de Jean Catrice (Document site Assemblée Nationale)

Deux périodes se succèdent alors pour Jean : la résistance active en 1941-42 puis la participation à l’organisation centralisée de la résistance dans le Nord et à la fondation du comité départemental de la libération en 1943. Deux autres tâches l’attendent ensuite : la recherche des futurs nouveaux préfets du Nord-Pas-de-Calais et la suppression de la presse ayant collaboré avec l’ennemi au profit de l’installation d’une nouvelle presse.

Suivant les instructions générales venues d’Alger, Jean Catrice devient délégué régional à l’information, titre confirmé à la libération. Les anciens journaux locaux sont répartis entre les différents partis politiques et le Journal de Roubaix revient aux démocrates chrétiens.

Jean nommé délégué régional à l’information (Document Nord-Eclair)

Pendant ce temps, depuis 1943, rue de Paris, à Lille, dans un ancien couvent, paraît Nord Matin, journal de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière). L’homme fort de Nord Matin, grand résistant sera Augustin Laurent, président du Comité départemental de Libération (avant Jules Houcke) et futur maire de Lille.

En 1944, c’est Jean Catrice qui annonce la libération à Radio-Lille. Dès 1944, il devient vice-président du MRP (Mouvement Républicain Populaire). Elu député de 1946 à 1955, en tant que représentant du MRP, il n’est pas réélu à la législature suivante et décide alors de se consacrer à sa famille et à Nord-Eclair, le journal qui a pris la place du Journal de Roubaix.

A la libération de Roubaix, les forces françaises libres décrochent le drapeau de la Kommandantur à l’Hôtel de Ville (Photo Voix du Nord)
Jean Catrice avec le général De Gaulle et avec ses amis résistants Mrs Teitgen et Defaux en 1944 (Documents Nord-Eclair)

C’est Jean Catrice qui est logiquement nommé gérant du nouveau journal : Nord-Eclair, qui prend possession de l’imprimerie et de la salle de rédaction du Journal de Roubaix. Dans le premier numéro, Nord-Eclair, sous-titré organe de la Libération Française, règle ses comptes avec les journaux du Nord qui ont poursuivi leur activité pendant les 4 années de guerre : « A Nord-Eclair, il n’y a que des résistants de la première heure ce qui lui donne le droit d’acclamer la victoire et de travailler demain à l’avenir du pays ».

Le journal affiche de suite son inspiration chrétienne, préparé dans la clandestinité par deux professeurs de l’université catholique de Lille : René Thery, responsable régional de Témoignage Chrétien et Louis Blanckaert, membre du comité directeur du mouvement de résistance La Voix du Nord. La nouvelle équipe se met en place autour de Léon Robichez, rédacteur en chef et Jules Clauwaert, éditorialiste.

Nord-Eclair du 05 septembre 1944 et Nord-Matin annonçant la libération (Documents Wikipedia et Remembrance 14-45)

En 1942, Léon Robichez était employé au service du contentieux du Journal de Roubaix. Il était chargé en fait de préparer clandestinement la parution d’un nouveau journal pour la Libération, en vertu d’un accord passé entre Jacques Demey, directeur du quotidien paraissant alors sous contrôle allemand, et les chefs du RIC : le Rassemblement démocratique des résistants d’inspiration chrétienne dont Jean Catrice est l’un des fondateurs. Il devient directeur politique de Nord-Éclair au départ des occupants en septembre 1944 et quittera le journalisme en 1951.

Photo de Léon Robichez (Document dictionnaire biographique Le Maitron)

En 1944, Jules Clauwaert, est diplômé de l’école supérieure de journalisme de Lille, issu de la résistance, et entre comme éditorialiste à Nord-Eclair. Il en deviendra rédacteur en chef par la suite. C’est un homme de conviction, démocrate chrétien, attaché à la liberté et au pluralisme de la presse qui incarne ce quotidien démocrate et social d’inspiration chrétienne.

Photo de Jules Clauwaert (Document Club de la Presse)

C’est en 1946 qu’a lieu le procès du Journal de Roubaix. Son directeur est condamné à 2 ans de prison et l’éditorialiste à 5 ans. Les autres journalistes sont acquittés. La société des Journaux Réunis est dissoute et un quart de ses biens sont confisqués au profit de l’état. D’anciens adjoints du directeurs du Journal de Roubaix se retrouvent de fait dans la direction du nouveau journal.

L’audience de Nord-Eclair s’étend bien vite à toute la région et toute une équipe remarquable de journalistes se constitue autour de Léon Robichez et Jules Clauwaert. Léon Robichez est l’élément de liaison entre le journal et le MRP, lequel, parti de rien, devient rapidement l’un des plus puissants partis de France.

Le journal, tout comme le mouvement politique, se font ardents défenseurs de la cellule de base qu’est la famille et de la liberté de l’enseignement. Leurs préoccupations sociales apparaissent évidentes dans un après-guerre période de graves difficultés économiques.

Dès 1956, des travaux doivent être entrepris en deux temps dans les locaux de la Grande-Rue. Dans un premier temps un permis de démolir est déposé pour abattre l’ancien hôtel particulier racheté 50 ans plus tôt à Jean Lefebvre-Soyer par la société des journaux réunis. Le demande est édifiante : vaste et important immeuble inoccupé, autrefois entièrement à usage d’habitation, irréparable et inhabitable par suite du manque d’entretien prolongé des couvertures, toitures et chéneaux.

L’ancien hôtel particulier dans la cour (Document collection privée)

Le rapport d’enquête relate que l’immeuble concerné comporte plusieurs caves en sous-sol, au rez-de-chaussée : 10 pièces de grandes dimensions, 2 vestibules, WC, cour, jardin et 2 escaliers vers les étages, sachant que ceux-ci ne peuvent être visités en détail par les services de la mairie par suite de leur délabrement et afin d’éviter tout risque inutile. Le local menaçant ruine et constituant un danger le permis de démolir est accordé.

Dans un 2ème temps un permis de transformation des bureaux est sollicité. La partie droite dans laquelle se situaient les anciens jardins va ainsi être investie par l’installation d’une nouvelle surface dévolue à des bureaux supplémentaires.

Plan des bureaux actuels (Document archives municipales)
Plan des bureaux transformés (Document archives municipales)

A suivre…

Article dédié à André Delmée, salarié de Nord-Eclair pendant la quasi totalité de sa carrière.

Remerciements aux Archives Municipales de Roubaix