Pompiers de Roubaix (Suite 3)

En 1978, les pompiers doivent intervenir à 4 reprises pour des incendies dans l’ancienne usine désaffectée qui se dresse encore sur le futur emplacement de leur nouveau centre secours. Le bâtiment étant ouvert à tous vents, chaque nouveau foyer d’incendie, volontaire ou non, trouve un aliment de choix dans les décombres ou les vieilles boiseries. A chaque fois les flammes gagnent la toiture rapidement mais le feu se laisse éteindre sans résistance.

Dès 1981, le terrain de 12.000 mètres carrés situé boulevard de Mulhouse est prêt à accueillir le nouveau centre de secours. Les bâtiments de l’ancienne teinturerie SATTI (Société Anonyme Textile Teinture et Impression) Guaydet devenue ensuite Jean-Lagrange sont détruits depuis plusieurs mois mais rien ne bouge.

Papier à en-tête et plan de situation de la SATI en 1964 (Documents archives municipales)
L’intervention sur l’usine désaffectée en 1978 et le terrain dégagé du futur centre de secours bd de Mulhouse en 1981 puis le gros-oeuvre terminé en septembre 1983 (Documents Nord-Eclair)

Le projet, très onéreux, doit être réparti sur 3 exercices financiers. Les travaux de terrassement et les fondations devraient donc bientôt commencer mais la construction ne devrait pas être terminée avant 1984. Finalement en 1983, le gros œuvre de la nouvelle caserne est pratiquement terminé et la presse locale titre : A la nouvelle caserne des pompiers, l’ordinateur aux côtés des lances en 1984.

Le corps de bâtiment en arc de cercle, percé d’un autre immeuble, a pris sa forme définitive et on attaque désormais la phase d’aménagement intérieur. Le bâtiment cubique renferme, au rez-de-chaussée le poste de commandement puis le garage avec les portes de travée et les chambres des sapeurs-pompiers. Trois capteurs solaires sur le toit et trois pompes à chaleur contribuent au chauffage de l’immeuble.

Plan de masse et plan du rez-de-chaussée du nouveau Centre de Secours (Documents archives municipales)

Le bataillon Nord y sera hébergé aux côtés du centre de secours de Roubaix et les fichiers répartis entre les différents centres de secours y seront centralisés en un seul programme informatique. De même le standard va absorber toutes les lignes 18 qui jusqu’alors aboutissent dans les différents centres détachés du bataillon Nord. 26 communes rattachées à divers centres passeront ainsi sous son contrôle informatique.

Façade de la nouvelle caserne, poste de commandement en cours d’installation, informaticiens occupés à réaliser les programmes en juillet 1984 (Documents Nord-Eclair)

L’ordinateur à Roubaix ne sera pas utilisé en priorité à des fins administratives mais dans une perspective opérationnelle. Au poste de contrôle de la zone, au rez-de-chaussée du bâtiment cubique par laquelle on accède à la nouvelle caserne, huit terminaux : 3 d’entre eux traitent les appels téléphoniques reçus grâce à un standard relié à un autocommutateur électronique, un autre détermine les moyens à mettre en œuvre, les 4 derniers étant affectés à la gestion des matériels.

Photos de la nouvelle caserne en 1984 (Documents archives municipales)

Le tout nouveau centre de secours est inauguré le 1er octobre 1984 en présence de Mrs Notebart et Diligent, du Colonel Gilardo, directeur départemental de la sécurité civile, du colonel Bronchart, chef de corps, des lieutenants colonels Forzano et Delemme, du capitaine Deloof commandant du centre de secours de Roubaix, de Mr Prouvost, député du Nord, Mrs Delefosse et Doscot, vice-présidents de la Communauté Urbaine, du médecin colonel Poulain et de Mr Perrin, secrétaire général de la Communauté Urbaine.

Les personnalités autour des véhicules, Mr Notebart passant les sapeurs-pompiers en revue, le poste de commandement informatisé (Documents Nord-Eclair)

L’inauguration s’accompagne d’une journée portes ouvertes à l’attention de la population de l’agglomération roubaisienne. La visite des locaux se termine par une exposition composée de 14 stands : comité pharmaceutique régional d’éducation sanitaire et sociale, Haas Elite (extincteurs, etc…), l’amicale des donneurs de sang bénévoles de Roubaix, la société de mycologie du Nord, l’amicale des sapeurs-pompiers de Roubaix, le syndicat des pharmaciens, EDF, la CRAM, la prévention routière, le SMUR de Roubaix, l’association départementale de la protection civile, la Croix-Rouge française et les 5 gestes qui sauvent. Est également annoncée la venue d’un hélicoptère de la protection civile.

Photo de la maquette du nouveau centre de secours et de l’inauguration ainsi que des pompiers posant dans la cour autour d’un véhicule (Documents archives municipales)
Les pompiers en 1985 dans leurs nouveaux locaux (Documents Nord-Eclair)

En 1985, les roubaisiens assistent à la démolition de l’ancienne caserne, côté Gambetta, à l’explosif, d’abord, avec 1,8 kg de dynamite soit une centaine de charges explosives placées au pied des piliers, et la moitié de la caserne est à terre, déblayée de suite par les pelleteuses. Puis c’est le côté Pierre de Roubaix qui est attaqué au « Punching-Ball », balancé sans ménagement dans les murs depuis un câble attaché à une grue, et le clocheton rend l’âme à son tour. La pierre signant la construction sur laquelle est lisible l’inscription : L.Barbotin, architecte, 1912, est récupérée par les sapeurs-pompiers roubaisiens pour être transportée à la nouvelle caserne du bd de Mulhouse afin d’enrichir le musée des sapeurs-pompiers de Roubaix.

La fin de la légendaire caserne Gambetta a ainsi lieu quelques jours seulement avant la pose de la première pierre de la future Caisse d’Allocations Familiales, qui va disposer de magnifiques bureaux pour remplacer ceux qu’elle occupe actuellement Grande Rue. Un trimestre plus tard la filature Motte-Porisse de la rue Jean Moulin prend feu (sur ce sujet voir sur notre site un précédent article intitulé Motte-Porisse en feu).

La démolition de la caserne en 1985, côté Gambetta (Documents Nord-Eclair et Voix du Nord))
La démolition de la caserne en 1985 (Documents Patrick Vanhove)
La démolition côté Pierre de Roubaix et la récupération de la pierre (Documents Nord-Eclair et Voix du Nord)

Cinq ans plus tard les sapeurs-pompiers du nouveau centre de secours battent tous les records de la métropole avec 7760 interventions au cours de l’année, nombre impressionnant mais assez naturel puisque la population gérée se monte au total à 220.000 habitants.

La 8ème compagnie, la plus importante de la CUDL, y fait face avec un solide effectif de 108 hommes, sous les ordres du capitaine Barthod. Elle vient de se doter d’un nouveau fourgon-compresseur, unique dans toute la CUDL: camion permettant la recharge immédiate des bouteilles d’air pour appareils respiratoires, utilisés par les pompiers dans les locaux enfumés par exemple.

Le capitaine Barthod et le lieutenant Desormeaux devant le fourgon-compresseur flambant neuf en 1990 (Document Nord-Eclair)

En 1994, pour les 10 ans d’ouverture du nouveau centre de secours, une grande journée portes ouvertes est à nouveau organisée avec un festival de démonstrations plus impressionnantes les unes que les autres : voitures en feu, grande tour d’exercice, départs en hélicoptère, grande échelle hissée…

Un monde fou pour voir la grande échelle se déployer, exercice de descente en rappel vertigineuse, démonstration d’intervention en cas d’accident de voiture (Documents Nord-Eclair)

Aujourd’hui le 34 bd de Mulhouse accueille toujours le centre de secours qui va fêter ses 40 ans d’existence l’an prochain. Il se nomme maintenant SDIS : Service Départemental d’Incendie et de Secours. Si l’organisation, le lieu d’hébergement, le matériel et les hommes ont changé depuis la fondation du 1er corps de pompiers de Roubaix la devise des soldats du feu : « sauver ou périr » a traversé les siècles.

Véhicule actuel, le centre de secours vu du bd de Mulhouse et vu du ciel (Documents Facebook des pompiers de Roubaix et google Maps)

Remerciements au archives municipales de Roubaix, à la BNR et à Nord-Eclair pour sa rétrospective de 1968 : la flambante histoire des pompiers de Roubaix.

Pompiers de Roubaix (Suite 1)

Mais 20 ans plus tard deux nouveaux incendies se déclarent à la filature monstre, sur 2 mois de temps, lesquels s’avèrent fatals à la vieille usine. L’incendie fatal commence par un nettoyage :

« Le contremaître Fassin raconte qu’il devait surveiller deux salles de l’usine, situées aux deuxième et troisième étages. Il arrive un quart d’heure avant le début du travail fixé à 6 heures, passe chez le concierge pour prendre un bec de gaz au moyen duquel il doit ensuite allumer ceux des salles dont il a la charge ; pendant ce temps les fileurs et leurs aides arrivent progressivement pour commencer le nettoyage des métiers, comme tous les samedis. »

Une jeune rattacheuse de 14 ans raconte la scène « Mon fileur prenait son temps avant la mise en mouvement de la machine en nettoyant d’avance l’arbre de transmission et la poulie de renvoi, passant horizontalement au-dessus des métiers, à cet effet avec une brosse à la main, il nettoya l’arbre dans le sens de sa longueur, poussant ainsi vers la poulie les poussières qui se massèrent et finirent par former un petit volume. »

Avant la fin du nettoyage la machine se met en route, projetant la poussière sur un bec de gaz, enflammant le métier à filer, puis l’usine toute entière… La famille Motte-Bossut décide de rapatrier la production dans des bâtiments annexes voisins : la deuxième usine Motte-Bossut (siège actuel des Archives du Monde du Travail), construite en 1863, à côté de ce qui était un bras mort du canal de Roubaix et qui devint le boulevard Gambetta.

Elle est aménagée de telle sorte que les risques d’incendies soient limités (les planchers en bois étaient un facteur de risque extrêmement important). Plus aucun matériau de construction inflammable : des « voûtains en briques » reposant sur des poutres en fer et des poteaux en fonte. Cette usine, au profil si particulier évoquant un château fort, on la connaît encore aujourd’hui.

La nouvelle usine Motte-Bossut (Document collection privée)

Durant toute cette période de nombreux soldats du feu laissent leur vie dans les incendies qu’ils combattent. Ainsi en 1859, le pompier César Delannoy, chute depuis le 4ème étage d’une plate-forme à demi-gelée dans les Ets Motte Bossut et Cie et meurt à l’hôpital des suites de ses blessures. En 1870, c’est Louis Desmet qui meurt dans l’incendie de l’Estaminet Au Lapin Gris sur la Grand Place. Et en 1901, dans le sinistre frappant les Ets Charles Tiberghien, rue du Pays, les 3 pompiers Notte, Wante et Vercoutère trouvent la mort en faisant leur devoir (Sur ce sujet se référer à un précédent article paru sur notre site sous le titre Les pompiers Notte, Wante et Vercoutère).

A cette époque la compagnie des pompiers de Roubaix compte 181 hommes et possède 9 pompes dont une aspirante et refoulante et une rotative. Dix ans plus tard la ville compte 80.000 habitants et les manufactures se font de plus en plus nombreuses. Le corps communal de sapeurs-pompiers relève à compter de 1875 du ministère de l’intérieur et certains peuvent être recrutés sous statut militaire.

Les pompes à bras, crochets à feu et boyaux graissés commencent à faire vieux jeu et la ville fait l’acquisition d’un appareil révolutionnaire pour l’époque : la pompe à vapeur. Elle peut débiter 1300 litres à la minute alors que l’antique pompe à bras n’en produisait que 250 à 300. L’engin, solidement construit comprend un châssis porteur nanti d’un timon permettant d’atteler deux chevaux rapides. La pompe elle-même comprend un appareil moteur alimenté par une chaudière verticale en cuivre rouge. Une chauffe de 10 à 15 minutes suffit à la mettre sous pression. En l’allumant dès l’avis d’incendie, les lances peuvent donc être mises en batterie dès l’arrivée sur les lieux du sinistre.

En 1883, Roubaix connait le plus grand sinistre de son histoire avec 12 piqurières des Ets Dillies et Cie qui trouvent une mort affreuse dans l’incendie de leur usine. Les bâtiments qui abritent alors 700 à 800 ouvriers au peignage, à la filature ou au tissage, alignent leurs murs le long de quatre rues : du Coq Français, des Longues Haies, des Filatures et Saint-Jean.

Dans un atelier de piqurage du 2ème étage travaillent une quarantaine de piqurières pour la plupart des jeunes filles âgées de 15 à 25 ans. Au cours de manipulations une bouteille de benzine se brise dont le contenu se répand sur le sol et dans la cage d’escalier. Là un bec de gaz allumé enflamme le liquide et en une seconde les flammes embrasent l’étage et l’escalier.

Une deuxième bouteille explose alors et une ceinture de feu encercle les ouvrières qui, affolées, tentent de se sauver. Si une quinzaine de femmes réussit à s’échapper par les toits, cinq d’entre elles se jettent par les fenêtres dans la rue ou la cour de l’usine, se tuant sur le coup ou se blessant grièvement. Celles qui restent sont acculées par les flammes à l’extrémité de la salle où leurs corps sont retrouvés carbonisés.

Ets Dillies et Cie reconstruits après l’incendie (Documents Voix du Nord)

Au tout début du XXe siècle, un poste central de télégraphe est installé à la caserne avec appareil Morse et téléphone. Quatre appareils Morse sont disposés aux 4 coins de la ville et permettent d’avertir instantanément la caserne en cas d’incendie et de communiquer les premiers renseignements sur la nature et l’importance du sinistre. Par ailleurs 36 avertisseurs sont disposés dans les quartiers de Roubaix et il suffit de casser la vitre et d’appuyer sur un bouton pour qu’une sonnerie retentisse dans la caserne. Le lieu de l’incendie est alors identifié au 1er coup d’oeil puisqu’au tableau une lampe indique le numéro de l’avertisseur. Chaque usine est par ailleurs munie d’un avertisseur directement relié à la caserne.

Il existe également un service de guet qui veille 24h/24 du haut de la tour de Notre-Dame (clocher le plus élevé de Roubaix). Trois guetteurs s’y relaient jour et nuit pour épier le moindre signe de fumée, la moindre lueur rouge. Ils rendent compte par téléphone ou par transmetteur Morse de leurs observations.

Les pompiers en exercice ou en intervention dans les années 1910 (Documents BNR)

Une fois l’incendie détecté se met en place tout un système d’alertes avec pas moins de 55 tocsins de rue : grosses cloches servant à avertir les pompiers volontaires qu’un sinistre a pris naissance dans leur secteur. Il y a également 6 tocsins d’église mis en branle électriquement à partir de la caserne des pompiers.

Sitôt le signal donné chacun endosse son équipement avant de se rendre dans le centre annexe du quartier pour y sortir les pompes à bras (il en existe 9 disséminées dans la ville) tandis que les véhicules plus importants : pompes à vapeur et grandes échelles arrivent directement de la caserne centrale.

Ainsi en 1896, lors de l’incendie du peignage Alfred Motte et Cie, rue d’Avelghem, de nuit, le tocsin se fait entendre dans toutes les paroisses de la ville tandis que l’avertisseur situé Grande Rue, prévient le poste central à la caserne. En peu de temps l’incendie ravage la moitié du corps de bâtiment et les pompiers mettent de suite la pompe à vapeur en batterie rue des Soies et les autres pompes rue d’Avelghem le long du canal et Quai de Wattrelos. Avec le renfort des pompiers de Tourcoing et de ceux de l’usine Holden de Croix, le sinistre est enfin maîtrisé au petit matin et une seule victime est à déplorer.

Défilé de pompiers boulevard de Paris en 1905 et revue de pompiers devant l’ancienne bourse en 1908 avant sa destruction (Documents BNR)

En 1904, la ville fait l’acquisition de 3 masques « pare-vapore » lesquels permettent de rester plus de 30 minutes dans les fumées et les émanations nocives d’un incendie. En 1906, obligation est faite par arrêté municipal aux véhicules de laisser la place aux voitures de pompiers. L’hôtel des pompiers est à l’époque le témoin de nombreuses fêtes joyeuses et animées notamment à la Saint-Mamert, alors patron des pompiers. Enfin en 1908, une nouvelle pompe à vapeur remplace l’une des 2 anciennes, vendue l’année précédente car obsolète.

A suivre…

Remerciements au archives municipales de Roubaix, à la BNR et à Nord-Eclair pour sa rétrospective de 1968 : la flambante histoire des pompiers de Roubaix.

Pompiers de Roubaix

C’est au Moyen-Age, en 1477, que Roubaix, alors gros bourg rural d’une centaine de « feux » (familles), devient la proie des flammes pour la 1ère fois dans le cadre de la rivalité entre le roi de France Louis XI et son rival le puissant duc de Bourgogne. Tournai est occupée et Wattrelos et Roubaix brûlées par les troupes du roi de France.

Roubaix au Moyen-Age ( Document Voix du Nord)

Deux siècles plus tard, un terrible incendie prend dans les maisons de bois aux toits de chaume, lequel ravage toute une partie de la ville. Il éclate dans la rue Pauvrée, gagne et dévore la chapelle du Saint-Sépulcre (à l’emplacement de la Banque de France, Place de la Liberté) et se répand le long de la Grand Rue et jusqu’à la Grand Place avant de s’arrêter à l’Hôpital Sainte Elisabeth dont seules les toitures sont atteintes. L’église Saint Martin et le château sont épargnés.

Roubaix à l’époque en croquis (Document Thierry Prouvost)

Les moyens de secours prévus à l’époque contre les incendies paraissent alors pour le moins dérisoires : sept douzaines de seaux en cuir acquis 2 ans plus tôt et confiés à 14 particuliers, avec injonction de les pendre à l’entrée de leur logis et d’en faire bonne garde, c’est là la totalité du premier matériel de secours mentionné à Roubaix dans un document officiel.

A l’orée du 18ème siècle, les échevins de Roubaix et Tourcoing passent un accord de mutuelle assistance et se munissent à cette fin de seaux, d’échelles et de crochets. Pourtant malgré la volonté des édiles les premières collaborations ne vont pas de soi, les pompiers de Roubaix se perdant dans la campagne entre les deux villes alors qu’ils voulaient porter secours à Tourcoing.

Quelques années plus tard lorsque les troupes de l’empire austro-hongrois font le siège de Lille, les dragons du Prince de Hesse mettent Roubaix à feu et à sang. Le château, la salle échevinale et l’hôpital sont mis à sac et bon nombre de maisons sont abattues, dégradées ou livrées aux flammes.

Ancienne enseigne du cabaret « A la réunion des pompiers » situé sur la Grand Place (Document Nord-Eclair)
Extrait du règlement du premier corps de pompiers de Roubaix (Document Nord-Eclair)

Si les pompes à incendie commencent alors à être utilisées à Paris ce n’est en revanche pas l’usage à Lannoy, Tourcoing et Roubaix (alors la moins importante des trois villes). A Roubaix, les ruraux habitant à l’extérieur des haies de l’enceinte du bourg se refusent à faire les frais d’un matériel coûteux surtout destiné à protéger les gens de la ville. De ce fait c’est décidé : Roubaix n’aura pas ses pompes. La première pompe à bras de Roubaix n’est donc acquise qu’après la révolution après plusieurs années d’épargne car elle coûte très cher.

Quant au premier corps de pompiers volontaire de la ville, sa constitution n’a lieu qu’en 1805,en raison du développement de la commune et de l’accroissement de son artisanat textile. Il se compose de 21 hommes y compris un chef. Les pompiers de l’époque ne perçoivent aucun salaire et, le maire n’ayant aucun budget pour le faire, c’est aux habitants que la ville fait appel pour leur assurer certaines gratifications pour leurs bons services.

Les soldats du feu sont alors dotés d’un splendide uniforme : habit gris mêlé, doublure écarlate, collet, revers et parements en velours noir avec passe-poil rouge, boutons en cuivre jaune, pantalon gris mêlé, guêtres noires et casque en cuivre jaune. 10 ans plus tard la compagnie augmente jusqu’à 80 hommes et son matériel est complété de 2 pompes munies de leurs agrès.

Extrait de règlement corps de pompiers de la ville en 1829 (Document Archives Municipales)

Le corps communal de sapeurs-pompiers est constitué en 1831 et fait alors partie de la garde nationale. Leur uniforme est encore plus magnifique : habit bleu foncé, collet, parements de velours noir, passe-poil rouge, pantalon et gilet bleu, boutons jaunes, demi guêtres noires et bien sûr casque en cuivre. La compagnie se voit adjoindre une musique d’instruments en cuivre dont les musiciens portent le colback (bonnet en forme de cône tronqué). Par ailleurs, à leur demande ils sont bientôt munis d’une arme qu’ils arborent fièrement lors de leurs défilés.

Médaille décernée aux sapeurs pompiers de la ville qui s’activent autour d’une pompe à bras (Document Nord-Eclair)

En 1840, la ville achète une partie de terrains et de bâtiments provenant de l’ancien Hôpital Sainte-Elisabeth et un grand bâtiment à usage de filature et d’habitation rue Neuve. L’Hôtel de Ville et un Hôtel des pompiers sont construits de 1844 à 1846 sur une partie de ces 2 terrains tandis que le reste est affecté à divers services municipaux : bibliothèque, archives, salles de Musique, Musée et Bureau de Police de Sûreté.

Le 24 Mai 1846, la mairie inaugure le premier hôtel des pompiers de Roubaix au cours d’une cérémonie attirant une foule importante sur ce terrain communal contigu à la place de la Mairie auquel on accède en passant entre la mairie et l’ancienne bourse du commerce. Il s’agit d’un bâtiment fort spacieux, composé au rez-de-chaussée d’un vaste local pour le dépôt du matériel et d’une buvette, et à l’étage de salons particuliers pour les réunions du conseil d’administration et la réunion du corps tout entier.

Les corps de pompiers des villes et communes voisines de France comme de Belgique y sont conviés. La fête militaire commence par un tir à la cible horizontale au cours duquel s’affrontent toutes les compagnies et subdivisions de compagnies de sapeurs-pompiers. Parallèlement, toutes les musiques accompagnant les détachements de pompiers participent à un festival au cours duquel chacune joue 2 morceaux de son choix. C’est la musique des pompiers de Roubaix qui ouvre le festival et celle de la garde nationale qui le clôture. Enfin un bal est offert aux détachements étrangers le soir dans le bâtiment tout juste inauguré.

L’ancienne mairie et l’ancienne bourse avant 1907 et une photo de la cour de l’hôtel des pompiers de l’époque (Documents BNR et Nord-Eclair)
Plan de l’Hôtel des pompiers : vue du rez-de-chaussée et coupe longitudinale et extrait du document relatif à l’inauguration (Documents archives municipales)
Dans le petit musée de cet hôtel des pompiers : une pompe de 1815, un drapeau de 1843, des haches et le portrait d’un des plus illustres capitaines de pompiers de la ville : Argillies, mort au feu dans l’incendie du café des Arcades (Document Nord-Eclair)

Un échange de courriers entre le maire de Roubaix et le préfet du Nord démontre que les risques d’incendie dans les manufactures sont à l’époque connus, les ouvriers qui travaillent et fabriquent la nuit compromettant ainsi la sécurité publique et pouvant occasionner des incendies. Pourtant la conclusion est que des mesures prohibitives seraient préjudiciables à l’activité commerciale de la ville dont les produits acquièrent alors une réputation de plus en plus étendue.

Les sinistres sont en effet nombreux dans les usines de Roubaix dans les décennies qui suivent. Ainsi en 1833, la filature Desvignes-Duquesnoy, rue Neuve est la proie des flammes mais fort heureusement grâce au déploiement rapide des grandes échelles, les ouvriers sont sains et saufs. En 1845, c’est la filature Duriez Fils rue de la Fosse aux Chênes puis celle de A.Dervaux et Delattre-Libert qui subissent un énorme incendie.

Et, la même année, soit l’année de sa construction, c’est l’incendie de l’usine « monstre » : la première filature Motte-Bossut, située près de l’emplacement de la future Grand Poste . Les roubaisiens la trouvaient gigantesque et impressionnante avec ses lueurs de chaudières rougeoyant dans la nuit.

Chariot pour pompe à bras et petit matériel dans un catalogue de la 2ème moitié du 19ème siècle (Document archives municipales)

Les pompiers ne disposaient alors que d’une simple pompe à bras. Les boyaux ou tuyaux devaient être graissés régulièrement. La presse de l’époque décrit la scène:« dépourvus de moyens efficaces pour arrêter l’incendie (…) Plusieurs de ces malheureux poussaient des cris lamentables, d’autres voulaient se précipiter par les fenêtres. On en vit un se laisser glisser adroitement d’étage en étage et parvenir jusqu’à terre sans accident. Quelques-uns descendirent au moyen des cordes enlevées à leurs métiers.  »

Heureusement qu’à l’époque, le canal n’était pas loin : le pont de l’Union reliait alors la rue de la Tuilerie à la rue de l’Union en enjambant le canal qui suivait le tracé du boulevard Leclerc. A noter la forme caractéristique des casques de cuivre portés par les soldats du feu à l’époque. L’usine est alors sauvée pour un temps.

L’usine monstre (Document collection privée)
L’incendie (Documents collection privée)

A suivre…

Remerciements au archives municipales de Roubaix, à la BNR et à Nord-Eclair pour sa rétrospective de 1968 : la flambante histoire des pompiers de Roubaix.