Descartes et Beaumarchais

La création de l’ORSUCOMN intervient en 1970. Cette association a été créée en accord avec les administrations, les collectivités locales, la communauté urbaine, les offices d’HLM et plusieurs associations et organismes. Elle a pour objet de promouvoir de manière générale la résorption des courées dans la Communauté Urbaine et d’y concourir activement. Les statuts de cette association ont été déposés en Préfecture du Nord le 28 novembre 1969, et le Ministre de l’équipement et le Secrétaire d’État au logement ont passé convention avec elle le 23 avril 1970. Les programmes de résorption 1970 concernent à Roubaix et pour le quartier de l ‘épeule : l’ilot les Ogiers, l’ilot Vélocipèdes, l’ilot Fort Briet et l’ilot Fort Sioen. Les injonctions de démolir se succèdent. Les forts Briet et Sioen font alors triste figure : maisons inoccupées avec des baies murées, des murs de façade fissurés, des maçonneries dégradées.

Projet du Toit familial pour l’opération Descartes Beaumarchais doc AmRx

Le 2 novembre 1970 c’est la déclaration d’utilité publique qui est annoncée par voie de presse, et consécutivement l’acquisition par voie d’expropriation de plusieurs maisons dans les forts Sioen et Briet. Il est alors question de construire 166 logements au titre du programme à loyer réduit et 72 logements HLM. La démolition commence. C’est à présent l’opération Descartes Beaumarchais, du nom de rues du quartier. La délivrance du permis de construire intervient le 26 avril 1971 et la société « le Toit Familial » va finalement construire 81 logements PLR et 164 HLM. La fin de chantier est finalement déclarée le 10 septembre 1975. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Il y a eu des retards dans la construction qui a été rendue difficile par la faillite du maître d’oeuvre et de plusieurs entreprises, avec comme résultat un retard de deux ans dans les travaux.

Chantiers de l’épeule en 1974 Photo NE

Les locataires se constituent en association et confectionnent un livre blanc de revendications. Une invitation est lancée aux personnalités concernées : le directeur du GIL, la société HLM, mais il n’y aura pas de représentants du préfet, ni de la municipalité . L’association de défense est composée comme suit : M. Hus (président ), Mmes Robert, Gillant et Maes, MM Gouvé, Pelsmaekers, Dopierala, Martini et Bruggeman. Une liste des défauts a été réalisée : halls d’entrée non sécurisés, prospectus bouchant les boîtes aux lettres, on se fait adresser le courrier ailleurs, le nettoyage des entrées n’est pas effectué. Il y a des problèmes avec les ascenseurs et les lumières de secours dans les escaliers sont inexistantes.

Le bâtiment de la rue Descartes en 1977 Photo NE

La qualité intérieure des logements laisse à désirer : dalles de plastique sol se décollent, fissures dans les murs, fuites d’eau, portes ou fenêtres qui ferment mal, plinthes mal posées, peinture qui s’écaille, une seule prise électrique dans la cuisine, immeubles mal insonorisés. La réception définitive des travaux n’a pas eu lieu, mais la société est obligée par la municipalité de louer les appartements. Il faut donc remédier aux problèmes. 64 ont été mis en état, il en reste 96 à faire, c’est la condition de la réception définitive avec comme date limite des travaux juin 1977.

Le lotissement de nos jours Google Maps

Une demande d’abattement sur les loyers en cas de trouble de jouissance est formulée par les locataires et acceptée par les bailleurs. Il faut également faire les extérieurs et sécuriser la circulation avec des stops. Le certificat de conformité sera donné le 27 août 1979, soit quatre ans après la fin de chantier.

 

Fort Sioen et fort Briet

Le fort Sioen et le fort Briet font partie des constructions d’habitat collectif les plus anciennes. La plupart ont été réalisées dans la première partie du XIXe siècle et étaient destinées à loger des ouvriers journaliers. On différencie généralement les forts des courées en signalant que les premiers ont été formaient « des carrés en pleine campagne ». On trouve ainsi dès 1826 selon le plan du cadastre, les forts Wacrenier et Saint Joseph situés assez loin du centre et en pleine campagne. Suivront le fort Wattel en 1833 au Fontenoy Frasez-Bayart à l’Alma en 1838.

Extrait du cadastre 1845 doc AmRx

Le fort Sioen daterait de cette époque, on le voit figurer sur un plan de 1845, en pleine campagne. On y accéde alors par le vieux chemin vert, future rue de la perche, qui recoupe la nouvelle rue de l’embranchement ouverte après 1838 (rue de Lille aujourd’hui). Il se distingue toutefois des autres forts par sa conception quadrangulaire en forme de trapèze, les autres forts étant plutôt construits en alignements, dont certains donneront des rues. Cette forme spécifique favorise sans aucun doute la lumière et l’aération de ce type de construction. Le fort Briet qui viendra s’ajouter plus tard, reprend la tradition des forts alignés.

Extrait du cadastre 1884 doc AmRx

Qui a donc construit ces ensembles de maisons ? Les forts portent les noms de leurs propriétaires, ou de ceux qui les ont construits. La famille Sioen a donné d’importants fabricants du textile. Parmi eux, Achille Sioen Pin qui fut conseiller municipal roubaisien avant 1870. Mais le fort existait déjà alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Par contre son père et son oncle, Médard et Louis Sioen ont très bien pu le faire construire. Le premier était officier de santé et le second docteur et consul de Belgique à Tourcoing.

La famille Briet se répartit de part et d’autre de Roubaix : à Wattrelos, ce sont des fermiers et propriétaires. De cette branche est issu Adolphe Briet le directeur de la GBM. À Croix ce sont également des propriétaires terriens qui se trouvent à deux pas de l’épeule. La famille a donc fait construire à la fois pour un bon rapport de rente mais aussi pour loger des ouvriers journaliers. Henri Briet-Frémaux est le plus connu à Roubaix où il sera conseiller municipal et membre de la commission des logements insalubres dans les années 1880.

Derrière l’église Saint Sépulcre, les deux forts CP Coll Particulière

Un rapport de cette commission nous permet d’avoir une description des deux ensembles : concernant le fort Briet situé rue de la Perche, il s’y trouve une bande de pavage et un fil d’eau longeant les maisons. Le sol est irrégulier, largeur de la cour 11 mètres, les eaux ménagères s’écoulent difficilement, les cabinets d’aisance quoique bien situés (entendre à l’extérieur) sont mal tenus, il y a un puits, l’eau est potable et abondante, les maisons sont à étage, la plupart sont sales, mal tenues. Pour les maisons Sioen du fort Sioen de la rue de la Perche, des bandes de pavage avec des fils d’eau longent les différentes rangées de maisons, cour large et aérée, les eaux ménagères s’écoulent bien, le sol est propre, il y a un puits, l’eau est bonne et abondante, plusieurs cabinets d’aisance sont sales, maisons en mansardes, la plupart sont propres.

L’urbanisation va rattraper le quartier champêtre de l’épeule et on constate que les rues vont venir encadrer les forts. Ainsi la rue Descartes est viabilisée en 1872, la rue de l’industrie en 1880, la rue d’Isly est réalisée de 1880 à 1894. Le très ancien chemin vert est devenu la rue de la Perche en 1867. Les nouvelles rues entourent les forts, ce qui détermine les accès aux dits forts : on accède au Fort Briet par le n°115 de la rue de l’industrie et par la rue de la Perche 66 ou 76. Il y a un accès au fort Sioen au milieu de la rue Descartes. L’église Saint Sépulcre toute proche date de 1873.

De 1929 à 1931, un certain nombre d’habitants locataires du fort Sioen ont racheté leur maison, et ils y réalisent des travaux, principalement la pose de sanitaires, et l’agencement d’un jardinet. Les premières injonctions à démolir de 1969 concernent le fort Briet, dont certaines maisons représentent un danger pour la sécurité publique.

à suivre