En 1947 la guerre n’est pas finie depuis longtemps, on se souvient encore des allemands quand ils se présentaient chez le marchand de légumes, corrects, impeccables, jamais un mot, du moment que qu’il n’y avait pas de résistance. Dans le quartier du Sapin Vert comme partout ailleurs, il y a eu des résistants, des fraudeurs et des gens paisibles. On ne donnait ni les uns ni les autres. Le 13 mai 1944, les anglais ont lâché 56 Tonnes de bombes sur le dépôt de locomotives de la rotonde lequel a sauté. Un témoin rapporte que des dégâts étaient encore visibles près de la rue Boucicaut en 1956.
Le dimanche commence tôt : dès 7 heures, réveil en fanfare par la Jeune Garde de Tourcoing. L’ambiance est très musicale, à 11 heures concert apéritif dans tous les cafés du quartier. Les commerçants du Sapin Vert organisent un grand prix cycliste en début d’après midi sur un circuit de 60 kilomètres. Départ devant la maison Goset 6 rue du Mont à Leux et arrivée devant la maison Charlet 75 rue du Tilleul. Il y a pour 7.500 francs de prix avec le concours de l’Excelsior de Roubaix. La course est réservée aux débutants. Le Club cynophile fait ensuite une démonstration de chiens de défense, rue des Villas avec le concours du Club Cynophile Tourquennois. À 19 h 30, l’Olympique artistique wattrelosien va exécuter ballets et danses au rond point de l’avenue Joffre et de la rue du Haut Vinage. Le lundi 22 septembre, une braderie se déroule à partir de 14 h 00 rues du Tilleul, de l’Union et du Mont à Leux. À 21 heures, rue du Sapin Vert, il y a un feu d’artifice.
En 1947, Yvette a dix sept ans. Elle est née pendant une précédente ducasse du Sapin Vert. Fille de commerçants du quartier, elle travaille chez chez La Vogue à Tourcoing. Elle voit les préparations de la prochaine ducasse. Deux ou trois jours avant, il faut monter les manèges, et la ducasse va durer deux jours. Les commerçants du quartier y participent activement. Le boulanger offre gratuitement petits pains et petits bonbons, le samedi soir pour la retraite aux flambeaux, et il y avait des bons pour aller sur les manèges, offerts par l’union des commerçants.
Puis on s’apprête à élire la Reine du Sapin Vert. L’élection est organisée par l’union des commerçants. Les candidates devaient s’inscrire au café Vanelslander où avait lieu également l’élection. Le jury était composé de commerçants et d’autres personnes. Les filles devaient défiler devant le jury en soulevant la robe pour montrer les jambes. Les candidates sont les jeunes filles du coin, comme Yvette et ses copines du quartier. Il y a Mimi, Jeannine et trois autres filles. Les robes sont prêtées par le comité des commerçants. Yvette sera la Reine 1947. La Reine et ses dauphines ont défilé dans les rues du Sapin vert, sur un char, le dimanche suivant la ducasse. Elle se mariera deux ans plus tard, après avoir fait la connaissance de son futur mari au dancing Métro situé au Laboureur à Wattrelos grâce à Mimi qui était une candidate à l’élection.
Le lundi de la ducasse, on dansait dans tous les cafés au son de la musique (disque ou radio) sauf dans un café où il y avait un orchestre. Les commerçants avaient prévu de faire l’élection du plus beau bébé mais cette idée a été annulée on ne sait pour quel motif.
Remerciements à Patrice pour le témoignage et à Michèle pour la relecture et la correction
Septembre 1970 je rentre en CM2 à l’école de garçons Jean Zay, qui n’était pas encore mixte à l’époque, dans la classe de M. Martineau, un petit homme moustachu à l’éternelle blouse de Nylon bleue. Sans doute pour adoucir le choc, on offre aux élèves des tickets pour des tours de manèges gratuits lors de la ducasse du Sapin-Vert qui a lieu le week-end suivant.
Ah la ducasse ! Elle part de la place du Sapin-Vert où se trouve la “chenille” un manège vieillot mais que nous aimons bien car lorsque la toile, mue par des roues de vélo aux multiples rayons, recouvre complètement les voitures en bois, les filles se mettent à crier alors qu’on ne leur a même pas encore pincé les fesses ! On passe devant le camion du marchand de barbe-à-papa où j’achetais mes fameux chewing-gums à la cannelle avec mes images de monstres à coller (j’en ai déjà parlé, j’étais cinglé de ça), pour descendre la rue du Sapin-Vert. Là, on trouve un marchand ambulant qui vend des raquettes en plastique avec un ballon à gonfler accroché par un élastique, des crécelles en bois, des sifflets imitant le chant du rossignol. Mais ce qui nous intéresse le plus, parmi ce bric-à-brac coloré, ce sont des petites balles en tissu, de la taille d’un œuf, bourrées de chiquettes de papier très serrées et attachées à un élastique très long. On fixe l’extrémité de l’élastique au bout du doigt et hop ! On lance la petite balle de la taille d’un œuf sur le chapeau d’un type ou la crane d’un autre. La balle nous revient instantanément dans la main puis on prend l’air le plus innocent possible. Attention hein ! Il faut être adroit et rapide et choisir un type qui a l’air brave sinon gare au retour de l’élastique !
On passe devant les manèges aux pompons, délaissant tank, voitures de sport ou autobus qui sont faits pour les petits. On snobbe encore plus le manège des canards qui voguent sur de l’eau un peu croupie et dont les yeux lumineux les font ressembler à des cousins de Donald Duck sous amphétamines, pour aller directement aux autos-tamponneuses. Là, faut faire gaffe de pas trop se frotter à la bande de la Mousserie, descendue de leur quartier pour l’occasion, Un décor en bois peint représentent des couples de jeunes qui dansent le twist, enfin j’imagine qu’ils dansent le twist, vu qu’ils se tortillent. Il y a de grosses notes de musique et même une clé de sol dessinées sortant d’un juke-box. Deux énormes baffles rouge et noir crachent le tube des Aphrodite’ child “It’s five o’clock” mais la voix de Demis Roussos et les arpèges de Vangelis sont couverts par le bruit des cris, des rires et des chocs des voitures les unes contre les autres. La classe c’est quand tu arrives à faire monter une copine avec toi, pas question de lui laisser le volant bien sûr, ton père l’a répété plusieurs fois déjà : Il faut se méfier des femmes au volant ! Et puis c’est qui l’homme, hein ? Bon, si la copine est sympa, on ira, peut-être, jusqu’à lui offrir une bague du manicrac. Plaisir d’offrir, joie de recevoir… même si on préfèrerait plutôt se payer un squelette en plastique fluo, ou encore mieux, un porte-clé avec une femme nue qui fait la danse du ventre !
Pas mal de stands de tir se trouvent dans cette ducasse. Carabines à plombs pour viser une petite cible rouge et blanche (level 1), casser une pipe blanche (level 2) voire une ficelle (Level 3) ! Stand de fléchettes avec ballons à crever mais mon préféré : un stand avec fusil à flèches. Il faut viser des silhouettes de “Bunny et ses amis” réalisés en bois peint. Une fois atteinte, la silhouette bascule et fait stopper une roue qui tournait derrière elle. La roue s’arrête sur un chiffre compris entre 1 et 4. Quelquefois la ventouse de la flèche reste collée sur la silhouette, ça veut dire qu’on est vraiment balèze ! En fonction du chiffre obtenu on reçoit des bâtons de nougat enrobés dans du papier brillant mais là où c’est bizarre c’est qu’on peut garder les nougats pour les échanger à la fin de la ducasse contre un Bambi en peluche. Mais attention, il en faut vachement des nougats pour obtenir ce satané Bambi ! Et puis, j’aime bien les nougats moi… Bof de toute façon il était moche ce Bambi, c’était même pas le vrai, le vrai il a pas un pelage mauve ! Et puis des peluches, je peux toujours essayer d’en gagner une à la loterie. C’est simple : on achète des petits tickets roses roulés dans une bague en plastique, on déroule pour voir si les numéros correspondent à ceux qui ont été désignés par le hasard de la grande roue qui tourne. Parfois on gagne une poupée géante, un pistolet en plastique ou un service à café en alu mais on peut aussi bien se retrouver avec un kilo de sucre en morceaux et là c’est la honte car tu dois te trimballer ton paquet de sucre pendant toute la ducasse !
Le top du top c’est de gagner une bouteille de mousseux. Il suffit d’aller au stand qui présente plein de bouteilles vides. Là on te donne trois petits anneaux en bois et il faut essayer d’entourer le goulot d’une bouteille avec l’anneau. Oui, ça parait facile comme ça mais en fait non. Je n’ai jamais gagné de bouteille ! Bah, ça m’aura évité de faire comme mon pote Bernard qui a gagné sa bouteille et a tenu à la boire en cachette. On a dû le raccompagner chez lui, il avait vomi partout du mousseux chaud et pissé dans son froc !
Pas de manège de chevaux de bois à cette époque, non la ducasse du sapin-vert est une ducasse moderne ! Que les derniers manèges dans le vent comme… Le transalpin ! Le roi des manèges, situé tout au bout de la ducasse, comme s’il fallait le mériter, à l’intersection de la rue des écoles. Un tour en avant, un tour en arrière, ça file, ça décoiffe. On fait la queue pour les tickets au guichet. Faut dire que le type dedans prend son temps et toutes les minutes il allume son micro et meugle : “Allons-y jeunesse, en voiture, en voiture ! Venez rouler, venez vibrer. Le transalpin n’attend pas !”. C’est aussi le manège le plus cher : 1,50 franc alors que les autres sont à 1 franc. Mais ça vaut la peine, seulement… faut aimer la vitesse, c’est pas pour les chiffes-molles et les dégonflés ! Quand on a tout dépensé nos sous, s’il nous reste quelques pièces au fond de la poche, on se paye des croustillons hollandais tout chauds, avec le sucre glace dessus. Là, tu comprends pourquoi, faut surtout pas en manger avant d’aller dans le transalpin, surtout quand il part à l’envers ! C’est gras les croustillons, pas faciles à digérer…
Quelle chance j’ai d’habiter dans un quartier avec une si belle foire aux manèges ! C’est marrant de penser que là, juste derrière le mur, il y a mon école et sa cour de récré. Je suis dans un autre monde, on est dimanche et demain la cloche sonnera, on rentrera en classe en se disant que, tout près, de l’autre coté du mur, il y a les manèges… Vivement 16h30 mes parents voudront peut-être bien que je fasse un ou deux tours avant de rentrer à la maison de la rue Marcel Vaneslander et puis j’ai envie d’aller dans les avions… Ouais je sais c’est pour les petits de 8 ans et j’ai dix ans mais peut-être qu’avec un peu de bol les copains ne me verront pas !
Le manège Transalpin est extrait d’un magnifique site sur les manèges de foire dont voici l’adresse :http://ducasses-du-nord.e-monsite.com. Régalez-vous !
Ducasse du chemin neuf 1 et 2 du Nouveau Roubaix 3 Photos Nord Éclair
L’atelier mémoire a collecté dans la mémoire de ses membres le souvenir des ducasses qui animaient autrefois les quartiers sud. Où se déroulaient-elles ? A quel moment ? La liste n’est pas close et cet article se présente comme un appel à témoignages. Il faut rappeler qu’autrefois, la ducasse était une fête traditionnelle de village, en Belgique et dans le Nord de la France, qui trouvait son origine dans le mot dédicace désignant la consécration d’une église, d’un oratoire et par extension la fête annuelle commémorant cet événement. Ducasse est la forme picarde pour fête patronale, fête publique, comme kermesse, mot issu du flamand désigne une fête patronale, une fête de village. La dédicace se commémorait annuellement par une fête dont la procession était le centre. Il s’agissait de faire le tour de la paroisse selon un itinéraire immuable, à l’image de ce qui se déroule encore en Italie ou en Espagne. On accompagnait les reliques ou la statue du saint patron qui visitait ainsi ses terres et les protégeait. Après les dévotions, c’était l’heure du repas, puis venait le moment des jeux et des réjouissances populaires : attractions foraines, concert, jeu de balle, tir à l’arc, et bal pour terminer la fête.
Les ducasses contemporaines sont devenues des fêtes publiques communales, locales ou de quartiers. A Roubaix, on se souvient encore de la Foire qui se déroulait pendant quinze jours le lundi après Quasimodo, soit la deuxième quinzaine d’avril, sur l’esplanade des boulevards Leclerc et Gambetta, avant que l’automobile et les transports en commun aient raison de cet espace public. Chaque quartier avait également sa ducasse dont nous avons tenté de retrouver la trace pour les quartiers sud.
Les recherches menées auprès de la mairie des quartiers sud nous apprennent que les forains présentent des demandes d’installation individuelle ou collective à la Ville. Le Service Animation traite ces demandes, établit l’autorisation, fait le lien avec le Service des Finances pour les droits de place et avec les Services Techniques de la Ville pour l’ouverture des compteurs (eau, électricité) et éventuellement d’autres prestations (barrières, …). Actuellement, les installations ont lieu en mai et en octobre/novembre sur les places de la Fraternité et du Travail. Il existe d’autres installations plus ponctuelles dans le cadre de festivités (Fête du 1er Mai Place du Travail, brocante de la Rue Ingres en Septembre). Cette organisation met en évidence que les ducasses sont à présent plus des fêtes foraines liées à des événements publics, festifs, voire commerciaux.
Un membre de l’atelier rapporte que les forains distribuaient des tickets gratuits pour des tours de manège, mais que l’argent de poche de l’époque ne permettait pas de suivre toutes les fêtes foraines qui étaient relativement nombreuses et rapprochées dans le temps. Une liste datée de 1963 nous donne chronologiquement les ducasses suivantes : le 26 mai, ducasse du Nouveau Roubaix, 29 septembre ducasse du Moulin. On en trouve d’autres dans la presse : une ducasse des Hauts Champs du 29 avril au 7 mai en 1967, une ducasse du Chemin Neuf fin mai 1967 entre les bâtiments de la rue Braille. La ducasse du Nouveau Roubaix avait encore lieu en octobre 1972 : on la situe alors sur le terrain rouge de la rue Fragonard, mais des souvenirs plus anciens la repèrent place Charles Spriet ou en face des HBM…En 1971, la Place du Travail accueillait encore une fête foraine du 11 au 21 novembre.
Pour s’y retrouver, il faudra découvrir si la fête foraine s’associe à une manifestation particulière : c’est le cas de la ducasse de novembre de la Place du Travail, qui se déroulait en même temps que l’animation commerciale du boulevard de Fourmies en 1971. La ducasse est-elle liée à la braderie, autre événement régulier de tous les quartiers roubaisiens ? Les recherches ne font que commencer. Roubaisiens, à vos souvenirs !
Ducasse des Hauts Champs 1 et Place du Travail 2 Photos Nord Éclair