La partie du canal de Roubaix qui menait du Sartel à la barque d’Or, rendue impraticable par manque de profondeur, est désormais inutile par suite du choix d’un autre itinéraire qui contourne la ville. C’est par ailleurs devenu un égout à ciel ouvert à l’odeur pestilentielle, même s’il figure en bleu pastel sur le plan cadastral de 1845.
Les riverains aimeraient qu’ils soit comblé pour en faire une promenade, un boulevard ou un square et ils seraient prêts dans ce cas à céder gratuitement les terrains limitrophes des quais. Le terrain de 35000 mètres carrés, qui appartient à l’état, est d’abord loué à la ville pour le franc symbolique par arrêté préfectoral en 1881.
La municipalité se décide à combler l’ancien canal, en le déclarant zone de décharge publique. La partie comblée s’étend progressivement depuis la barque d’or (rue du Moulin) d’abord jusqu’au pont de l’Union (rue du Coq Français), puis celui de la gendarmerie (rue de Lannoy), celui du Galon d’eau, (rue Pierre de Roubaix), jusqu’à atteindre le nouveau canal. Enfin, comblement achevé, on nivelle le terrain et on y crée en 1887 une voie centrale et deux voies latérales séparées par des terre-pleins.
Finalement, les terrains, domaine de l’état, seront échangés en 1905 avec la Ville contre d’autres, expropriés pour créer un port au Sartel. On remarque sur le plan ci dessous l’élargissement du canal pour permettre le retournement des péniches.
On voit sur la photo suivante, prise avant 1909, que le boulevard Gambetta était alors très industrialisé. On y distingue au premier plan à gauche le peignage Allart, puis la rue Nadaud, très étroite à l’époque, et le tissage Muliez-Eloi, qui prendra en 1910 le nom de tissage Deveer. On distingue au fond le nouveau canal et le bouquet d’arbres derrière le quai de Wattrelos, au premier plan l’un des deux terre-pleins et la voie centrale, réservée à l’époque aux cavaliers et « voitures suspendues ». On voit également que le transport était dévolu aux camions à chevaux et voitures à bras.
En décembre 1907, un rapport commission présenté par Jules Cléty acte la décision municipale de créer un square sur les terre-pleins et la voie centrale du boulevard. Ce square, représentant 2350m² doit se situer à l’extrémité du boulevard, entre le boulevard de Colmar, là où débouche la rue de Longues Haies, et le canal. La dépense prévue est de 6800 francs. Les travaux seront réalisés par une entreprise, alors que les services de la voirie auront à charge de rapporter les terres nécessaires.
La réalisation suit très vite la décision et, en Août 1909 a lieu la réception de ces travaux, exécutés par M. Ponthieux, entrepreneur à Tourcoing. Le plan prévoit un square tout en longueur, conservant les deux chaussées latérales. On y voit un massif central circulaire fleuri, encadré de deux pelouses, l’ensemble formant un ovale allongé. Une grande partie du terrain est réservé à des allées pour la promenade et des espaces pour les jeux des enfants. Le pourtours est garni d’arbustes. La photo suivante nous présente le square au début de son existence ; les plantations sont récentes et n’ont pas encore eu le temps de prendre de l’ampleur.
On y voit au fond la courbe du canal, au premier plan à droite le débouché de la rue des longues Haies et du boulevard de Colmar, qui forme un espace libre triangulaire. A gauche le tissage Deveer, flanqué de l’estaminet Lietar. Les promeneurs ont déjà investi les allées.
Très vite, on vote l’installation d’une grille de clôture, qui sera réalisée par l’entrepreneur roubaisien Lauwers-Lemaire. Les travaux sont réceptionnés en juillet 1910.
La première guerre voit l’armée d’occupation utiliser toutes les ressources locales : Les espaces verts servent de pâture pour les chevaux, les arbres et arbustes sont utilisés comme bois de chauffage. En 1920, le conseil municipal décide de remettre en état les plantations dévastées par les troupes allemandes dans tout Roubaix. Il est question de replanter plus de 1400 arbres. L’année suivante on achète une tonne et demi de semences pour gazon.
Notre square va alors traverser une période tranquille qui se prolongera jusqu’après la seconde guerre. Le tissage prend le nom en 1922 de P Hennion, et la végétation prend de l’ampleur, comme on le voit sur la photo aérienne qui suit, datée de 1932. Le bâtiment qu’on remarque sur le terre-plein à gauche du square et en face de l’usine Allart est un poste de distribution électrique.
Mais le square vit ses dernières années. Un court article de la Voix du Nord de 1964 évoque les derniers temps du square : on y explique qu’ayant été vandalisé puis remis en état de nombreuses fois, on a fini par l’abandonner à son sort. Alors, en 1950, la création de immeubles Galon d’eau correspond à la période où le square est délaissé. Les plantations disparaissent, l’espace est en friche.
En effet, c’est l’époque où la circulation automobile prime et on trace une voie de circulation sur l’ancien square. Il faut dire que, dès 1952, on envisage de construire un nouveau pont à l’emplacement de l’ancien ; il faudra renforcer les accès à ce pont. En attendant, on utilise cet espace en 1953 pour y installer une partie des manèges de la foire.
Le projet définitif de 1959 prévoit un pont beaucoup plus large dont la rampe d’accès sera dans le prolongement du boulevard Gambettta et aboutira rue d’Avelghem. Il concernera directement l’emplacement du square, qui est remblayé en 1965 comme en atteste la photo aérienne des travaux qui suit.
Le nouveau pont aura sonné le glas de notre square, placé là un peu par hasard, sans qu’on sache trop pourquoi, et de taille trop modeste, pour peser suffisamment lors du choix des nouveaux schémas de circulation.
Les documents proviennent de la médiathèque de Roubaix et des archives municipales.