Les Orgues de Roubaix

Martin Lehmann a 37 ans ; il est marié et père de 4 enfants. C’est un ancien chanteur d’opéra. Parisien d’origine, il est fou de musique mécanique. L’idée lui vient un jour d’ouvrir un salon de thé où l’ambiance serait confiée à un instrument polyphonique.

Martin Lehmann ( document Nord Eclair )

Arrivé en 1999 à Roubaix, il tombe immédiatement amoureux de la ville. Martin découvre, depuis la Grand Place, l’immeuble du N° 4 de la rue du maréchal Foch. Cet immense bâtiment a longtemps été occupé par la prestigieuse compagnie d’assurances Antwerpia qui a quitté les lieux en 1990, et qui a abrité à la rentrée de cette même année, l’école « Sup de Cré » : école supérieure de créatifs en communication.

document collection privée

Martin Lehmann a un coup de foudre pour cet immeuble, et reste persuadé que cela va donner à son projet initial une dimension qu’il n’imaginait même pas !

Martin fait en effet l’acquisition d’un orgue « Mortier » de 1912 : une pièce rarissime ! Un orgue immense de 8,20 m de haut et 5,20 m de large avec 744 tuyaux et 24 registres ce qui correspond à une harmonie de 70 musiciens

l’orgue Mortier ( document Nord Eclair )
l’orgue Mortier ( document Nord Eclair )

Il décide donc d’ouvrir un cabaret-musique-dancing, unique au monde, dans notre ville, au 4 de la rue du maréchal Foch. Martin Lehmann rencontre M. Boudailliez adjoint à la culture à la mairie pour lui présenter son projet. Ce dernier est séduit par son idée, d’autant que le Musée de l’Art et de l’Industrie « La Piscine » va ouvrir ses portes dans peu de temps. C’est un formidable tremplin pour la ville.

Martin va ainsi réaliser son rêve et se lancer dans un projet très ambitieux : « Les Orgues de Roubaix » en ce début d’année 2000.

la verrière ( document Nord Eclair )

L’orgue Mortier est installé sous l’élégante et lumineuse verrière du 4 rue du maréchal Foch, dans une vaste pièce aux dimensions parfaites. C’est la grande vedette de ce  »musée-cabaret-dancing ». Mais il y a d’autres stars, tels un orgue de barbarie de 32 notes et le fameux jazz-bandophone à 45 touches.

Pour Martin, ce n’est pas qu’un musée, c’est un véritable lieu de vie, de fête et de convivialité.

Martin, en maître des lieux se constitue une formidable collection de musique en faisant refaire à l’orgue Mortier, des symphonies, des opérettes mais également des musiques populaires.

la façade ( document Nord Eclair )

L’établissement « Les Orgues de Roubaix » ouvre le 23 Septembre 2000. Martin Lehmann organise le matin, des visites réservées aux scolaires ou aux groupes, puis le midi, sert des repas simples à prix modérés dans un cadre unique. Ensuite il enchaîne avec des thés-dansant dans l’après-midi et termine le soir par des dîners-spectacles de style Moulin Rouge avec French Cancan et chansons populaires. Le prix de l’entrée est de 250 Frs pour passer une soirée inoubliable.

Ambitieux, Martin contacte des Tours Opérators pour faire venir des touristes étrangers à Roubaix, ainsi que le Grand Hôtel Mercure de Roubaix et les hôtels de toute la métropole en vue de communiquer sur les Orgues de Roubaix.

Instantané de mémoire : « Je veux que cet endroit soit un lieu de mémoire dédié en partie à Roubaix à la formidable aventure collective de cette ville et à sa renaissance. Le bonheur de se réaliser dépasse l’angoisse de se rater. »

Menu du réveillon du 31.12.2000 ( document collection privée )

Pour dynamiser davantage son entreprise, Martin Lehmann prépare la soirée du réveillon du 31.12.2000.

L’équipe devant l’orgue Mortier ( document archives municipales )

En début d’année 2001, l’ ARIC Association des Retraités Indépendants et Cadres y organise un repas spectacle de plus de 200 personnes. Tous les retraités sont ravis d’avoir passé un super moment convivial.

soirée ARIC ( document Nord Eclair )

Malheureusement, Martin Lehmann n’a pas gagné son pari. C’est un échec et les Orgues de Roubaix ferment leurs portes en 2001. Il y croyait pourtant, enthousiaste et passionné. Il a investi beaucoup d’argent pour la rénovation de son orgue, pour les travaux de ré-aménagement du lieu, pour ses fabuleux spectacles de French Cancan . . .

Il y a bien eu, certes, des soirées mémorables, mais la mayonnaise n’a jamais vraiment pris. Martin s’est retrouvé bien seul face aux premières difficultés de sa formule, et il en a gros sur le cœur : « c’est un énorme gâchis ». L’orgue est désormais démonté et remballé.

document Nord Eclair

En Janvier 2003, Thierry May commissaire priseur, s’installe dans cet immeuble de la rue du maréchal Foch, pour y créer la société de vente aux enchères de Roubaix.

L’immeuble en 2022 ( Photo BT )

Remerciements aux archives municipales

Nord-Eclair (Suite)

Dans les années 1960, l’imprimerie évolue et se modernise. Elle compte 5200 salariés dans le Nord dont 1500 à Roubaix-Tourcoing, dans la presse et l’édition. De la typographie, ou l’art de disposer les caractères mobiles de façon équilibrée, lisible et harmonieuse, on passe à l’ « offset »,  un procédé d’impression qui est l’amélioration de la lithographie, et l’électronique apporte ses perfectionnements.

Les nouvelles machines de l’imprimerie (Documents Nord-Eclair)

Dans cette optique un permis de démolir est déposé par la société des journaux réunis pour la démolition des 25-27 rue du Collège menaçant ruine, ce qui leur permet d’avoir une entrée par la rue du Collège. Puis un permis de construire est déposé pour un bâtiment à usage d’atelier de linotypes au 71 Grande-Rue en 1962, à ériger dans la cour de l’immeuble devant les ateliers déjà existants.

Plan du nouveau bâtiment pour abriter l’atelier de linotypes (Document archives municipales)

L’année suivante c’est un permis pour la construction d’un bâtiment d’un étage, à usage de bureaux au n°63 Grande-Rue, à la place du bâtiment démoli qui était adossé à l’immeuble de l’Union, qui est déposé. A droite de l’entrée sont alignés en façade sur la rue 7 bureaux et enfin un local vestiaire. A l’étage la disposition et la même avec au bout à droite le service des sports et l’édition belge.

Plan du nouveau bâtiment à usage de bureaux (Documents archives municipales)

Trente ans après la création de Nord-Eclair, une crise profonde touche la presse écrite et surtout les quotidiens régionaux. Quand certains titres s’affaiblissent, se restructurent, voire disparaissent les uns après les autres et face à la nécessité de procéder à de lourds investissements, le titre est absorbé par le groupe Hersant en 1975, groupe fondé par Robert Hersant surnommé le « Papivore » à cause de son appétit insatiable pour l’achat de journaux, de périodiques et de radios FM . Nord-Matin ayant lui-même été racheté par le même groupe en 1967, les 2 titres fusionnent et sortent dès lors de la même imprimerie.

Photo de Robert Hersant (Document Getty)

Jules Clauwaert contribue alors avec la rédaction à la création de 2 sociétés, l’une, industrielle et commerciale, l’autre éditoriale indépendante, liées par contrat pour exploiter et faire vivre Nord-Eclair. Lors de la transformation des structures juridiques de l’entreprise, Jean Catrice prend la présidence du conseil d’administration de la société Nord-Eclair Edition, responsable du contenu du journal. Sa présence symbolise les liens qui rattachent Nord-Eclair à ses origines. Il décède en 1979 des suites d’une longue maladie et ses funérailles sont célébrées en l’église du Saint-Sépulcre.

Jean Catrice en 1977 (Document Nord-Eclair)

Jules Clauwaert quant à lui devient directeur général puis président du Conseil Permanent de Nord-Eclair Edition. Egalement devenu président de l’école supérieure de journalisme de 1965 à 1978, il en demeure ensuite président d’honneur. Chevalier de la légion d’honneur, engagé pour la ville de Roubaix, il décèdera en 2014 à l’âge de 90 ans, salué par le Club de la Presse dont il était l’un des premiers adhérents et dont il avait soutenu la création.

Les locaux 71 Grand Rue dans les années 1970 (Document archives municipales)

En 1978, Nord-Eclair se porte acquéreur de l’usine Lestienne Rue du Caire à Roubaix. Après un passage en photocomposition le quotidien va en effet être imprimé en Offset et sa qualité d’impression et de présentation sera dès lors notablement améliorée. La reconversion technique entamée sera terminée faisant de Nord-Eclair l’une des entreprises de presse les plus modernes de France voire d’Europe.

Ces bâtiments récents et leur infrastructure correspondent aux besoins du quotidien soucieux de pouvoir installer ses nouvelles rotatives afin de moderniser l’ensemble du journal, tout en maintenant l’emploi dans une agglomération déjà durement touchée par la crise.

Annonce de l’achat des locaux de la rue du Caire (Document Nord-Eclair)
Locaux rue du Caire (Documents GraphiLine et collection privée)

A l’invitation de Nord-Eclair, Pierre Prouvost, maire de Roubaix, son épouse, plusieurs de ses adjoints, des conseillers municipaux et des chefs de service de la mairie visitent les nouveaux locaux avec André Defrance, directeur général de Nord-Eclair et Nord Print, et Jules Clauwaert, directeur de Nord-Eclair Edition, entourés de nombreux collaborateurs. Les discours sont l’occasion de saluer le pluralisme de la presse dans notre région mais aussi une opération visant au maintien de l’emploi sur Roubaix.

Le conseil municipal reçu dans les nouveaux locaux en janvier 1979 (Documents Nord-Eclair)

Le permis de construire déposé en mairie de Roubaix pour procéder à une extension de l’usine sur le n°15 de la rue du Caire permet de se rendre compte de l’importance de la surface totale qui couvre les numéros 15 à 21 de la rue. La répartition des services est bien démontrée dans les plans de l’intérieur sur lesquels apparaissent notamment les salles de mise en page et celle des rotatives et de l’expédition.

Les plans de 1978 (Documents archives municipales)

Instantané de mémoire : « Mon père avait commencé sa carrière à la Croix du Nord à Lille avant d’intégrer l’imprimerie du journal Nord-Eclair en tant que linotypiste ( personne qui travaille sur une linotype, machine à composer et à fondre les caractères d’imprimerie par lignes ). A cette époque il avait dû se former pour pouvoir travailler sur les nouvelles machines Offset. L’évolution était nécessaire pour pouvoir poursuivre sa carrière dans la presse écrite ».

André Defrance, déclare à tous ceux qui oeuvrent à la sortie du journal, photograveurs, rotativistes, service d’expédition, etc sa vive satisfaction devant la promptitude avec laquelle toute l’équipe technique s’est adaptée au nouveau matériel moderne. Il trinque avec son personnel avant que les rotatives offset fassent jaillir le journal du jour. Nord Print est l’imprimerie du journal Nord-Eclair et imprime alors une dizaine de titres dont, pour la plupart, des journaux nationaux mais aussi des publications étrangères comme « El Pais ».

Fête dans les nouveaux locaux (Document Nord-Eclair)
Publicités de 1979, 1986 et 1995 (Documents Nord-Eclair)
Les locaux dans la rue du Caire lors de l’installation (Documents archives municipales)

A suivre…

Article dédié à André Delmée, salarié de Nord-Eclair pendant la quasi totalité de sa carrière.

Remerciements aux Archives Municipales de Roubaix

Briqueterie de Hem (Suite)

Dans les années 1980, à Hem, c’est le fils du fondateur Mr Delfosse qui dirige l’usine. Le produit est toujours fabriqué à l’ancienne, afin de lui assurer une qualité maximale permettant à cette entreprise de continuer à fonctionner. L’argile et la glaise sont extraites de carrières creusées dans les terrains environnant l’usine à l’aide d’excavatrices puis transportées par locotracteurs sur 6 kms de voie ferrée. Les carrières sont rebouchées au fur et à mesure avec des ordures ménagères.

Une excavatrice en fonctionnement en 1980 (Document Nord-Eclair)

Puis dans des doseurs on ajoute un peu de schiste à la terre pour éviter les fissures avant de passer le mélange dans une machine dont la fonction consiste à enlever les résidus métalliques et les cailloux. Puis il est broyé et fortement humidifié dans une sorte d’énorme pétrin. Après mise en forme le pain rectangulaire d’un mètre environ est découpé en tranches ou briques.

Les placeurs entreposent alors les briques dans les séchoirs et forment des murs de 200.000 unités tout en veillant à laisser des intervalles entre les briques pour permettre une meilleure circulation de l’air. Une fois sèches, soit au bout de 15 jours par beau temps et plus d’un mois en cas d’intempéries prolongées, les briques sont retirées des hangars pour être cuites au four.

Les séchoirs (Document Nord-Eclair)
Le four (Document Nord-Eclair)

Le four est maintenant un bâtiment de 2 étages de 80 mètres de long. Les briques sont entassées au niveau inférieur dans un compartiment dont le plafond est percé de plusieurs trous. Le charbon est introduit régulièrement par le haut et les briques sont cuites à une température de 1000 degrés.

Le travail à l’intérieur du four après la cuisson (Document Nord-Eclair)

L’industrie de la brique est une activité saisonnière dans la mesure où l’on ne peut fabriquer les briques que pendant 6 mois puisqu’il serait impossible de les faire sécher naturellement en hiver. Mais le four tourne toute l’année sur les réserves faites à la bonne saison. On ne l’éteint qu’une fois par an pour les indispensables réparations. 38 personnes sont donc employées pour la fabrication et la cuisson pendant 6 mois mais seulement 20 à 22 l’hiver. Les saisonniers sont alors essentiellement portugais et nord-africains.

Malgré la mécanisation intervenue améliorant les conditions de travail par rapport au début du siècle, le travail en briqueterie est toujours pénible : la poussière à la fabrication, la chaleur dans le four et le poids des briques rendent le métier difficile et les ouvriers sont payés au rendement.

Photos aériennes de 1992 et 1999 (Documents Historihem)

Pendant 20 ans encore la briqueterie de Hem continue à fonctionner avec plus ou moins de difficultés mais elle ne parvient pas à fêter son centenaire. Les réalités économiques finissent par la rattraper et à l’aube du 21ème siècle sa démolition est inéluctable, d’autant que la production a dû cesser en 1999, faute d’argile.

La vingtaine de salariés restants a dû être licenciée et les grues et marteaux piqueurs sont entrés en action pour raser les bâtiments. Le plus gros morceau du chantier s’est avéré être le vieux blockhaus en béton armé datant de la guerre et sur lequel une grue piqueuse s’est cassé les dents. Les stocks de briques restant en ce début d’année 2000 s’écoulent lentement et près d’un million et demi d’entre elles sont encore en vente.

Le blockhaus en cours de démolition et les palettes de briques à vendre (Documents Historihem)

En 25 ans le paysage de la rue du Calvaire s’est considérablement modifié comme en témoignent ces 2 photos aériennes prises l’une en 1975 à un moment où la briqueterie est encore en pic d’activité, produisant 25.000 briques par jour et celle de 2000 où la démolition est terminée.

Vues aériennes du 187 rue du Calvaire en 1975 et 2000 (Documents IGN)

Actuellement reste, au milieu des nouvelles entreprises implantées dans la zone d’activité des 4 Vents, au 187 rue du Calvaire, le siège social de la société anonyme Briqueteries de l’Entreprise Roubaix et environs, créée en 1957. Bernard Delfosse en est le président et l’activité, d’après le site société.com, est la fabrication de briques, tuiles et produits de construction, en terre cuite. Sur place on constate encore à ce jour la présence d’une boîte à lettres au nom de l’entreprise.

Les boîtes aux lettres du 187 rue du Calvaire (Document photo IT)

A la même adresse se situe également la société anonyme Vermeulen Matériaux, spécialisée dans le secteur d’activité du commerce de gros (commerce interentreprises) de bois et de matériaux de construction. Un panneau au nom de cette entreprise est apposé à la grille donnant accès au site.

Vue du site et du panneau apposé sur la grille (Document photo IT)
Vue aérienne du 187 rue du Calvaire en 2022 (Document Google Maps)

Remerciements à l’association Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leur ouvrage Hem d’hier et d’aujourd’hui.

Le 1 rue Ma Campagne

Lorsqu’on se trouve au coin de la rue Jean Moulin et de la rue Ma Campagne, une maison qui porte le numéro 1 dans cette dernière rue attire d’emblée les regards par ses dimensions majestueuses. Elle a abrité la famille de Lucien Meillassoux au siècle dernier.

Photo Jpm

Lucien est issu d’une famille de teinturiers arrivés à Roubaix, le père, les cinq fils et leurs familles, en 1868 à l’appel d’Alfred Motte pour fonder en partenariat la teinturerie Motte et Meillassoux au 94 de la rue du coq Français. Les Meillassoux se sont installés à différents endroits dans Roubaix : grand rue dans le quartier de l’Entreponts (voir l’article correspondant dans le blog), boulevard d’Armentières, boulevard de Cambrai, rue Darbo, boulevard de Paris.

Pourtant, les membres de la famille semblent avoir une prédilection pour la zone délimitée par les rues du Moulin, Ma Campagne, de Valmy et St Jean. C’est dans cet espace que bon nombre des enfants Meillassoux vont s’installer. En effet, on ne compte pas moins de huit ménages, entre oncles et cousins, dans ce périmètre  : deux familles au 28 et 30 rue St Jean, une rue du Moulin, deux rue de Valmy, deux rue du coq Français, alors que Lucien Meillassoux habite avec son épouse Louise Noblet le 1 rue Ma Campagne. Ceci est dû, sans doute, à la proximité de la teinturerie rue du Coq Français.

Les Meillassoux, d’après L’association Motte et Meillassoux (Revue du Nord 1969)

Tout le quartier est en 1860 la propriété de Mme Veuve Achille Delaoutre, et en 1892 celle de Mme veuve Alfred Motte, qui habite alors rue St Jean. C’est d’ailleurs elle qui fait ouvrir la rue de Valmy dans l’emprise de son jardin, en 1896. On constate sur la photo suivante, prise en 1951, la partie intérieure du pâté de maisons est encore majoritairement composée de jardins, alors que le reste du terrain est occupé par les petites sœurs des pauvres qui y construisent un asile de vieillards et une chapelle au 52 rue St Jean (voir le sujet qui y est consacré sur notre blog).

Photo IGN 1951

La photo suivante est prise après la construction de la clinique et la découpe du jardin, mais avant la démolition des deux maisons rue de Valmy.

Lucien Meillassoux est né en 1879. Il habite en 1896 28 rue St Jean, chez ses parents Jean et Eugénie Coret. Il se marie en 1904 à l’église St Martin avec Louise Noblet, fille d’un fabricant de tissus, et le jeune ménage s’installe au 43 rue Dammartin, où naîtra en 1905 le premier fils André. Lucien aura comme voisin son frère Alfred, au numéro 49.

Les 28 rue St Jean et 43 rue Dammartin – Photos Google et Jpm

En 1911, on retrouve le ménage au numéro 1 rue Ma Campagne avec un deuxième fils, Paul, né en 1908. Une fille, Thérèse, suivra en 1913.

Selon les plan cadastraux, la construction de la maison et du jardin a nécessité la démolition d’autres bâtiments relativement anciens : trois maisons le long de la rue Ma Campagne, construites entre 1816 et 1826, et une rangée de huit maisons perpendiculaires à la rue, dont les trois premières sont édifiées avant 1845 et les autres avant 1884.

plan cadastral 1884

Cette maison forme un triangle adossé à la rue et à la propriété précédente. Elle possède trois étages ; son toit plat est orné d’une verrière éclairant l’intérieur de la maison, assombri par un mur borgne du côté de la mitoyenneté.

Une porte simple en permet l’accès depuis la rue, alors qu’une volée de marches donne accès au jardin d’agrément.

Photo Jpm

On construit un garage au fond du jardin en 1928. Pour cela, on fait appel à l’architecte Albert Bouvy à Roubaix. La maison restera la propriété de la famille Meillassoux jusque dans les années 60.

Photo IGN 1951

Louise décède en1951 et Lucien en 1966, La maison reste inhabitée durant une longue période.

Pendant ce temps, on assiste en 1965 à la construction au 34 rue St Jean d’une clinique de taille modeste au départ. En prévision d’agrandissements futurs, une partie des jardins intérieurs du pâté de maisons est acquise. Sur le reste des terrains, rue de Valmy, on trouve encore en 1968 la veuve Meillassoux-Pate au 64, alors que le 82 abrite un foyer des vieillards. Quelques années plus tard, cette partie est rachetée par la Cudl avec l’idée d’y construire des logements après démolition des deux maisons. C’est à cette occasion que le jardin du 1 rue Ma Campagne disparaît. Une clôture cernant de près la maison est édifiée. Pendant quelques temps, cet ensemble est un terrain vague que les habitants et le comité de quartier aimeraient pouvoir récupérer.

Photos Le vilain petit canard

Dans les années 70, la clinique s’agrandit du côté de la rue St Jean avec deux ailes supplémentaires et un parking. Il faut alors démolir le numéro 30 gagner de la place. Du côté du coin des rues Ma Campagne et de Valmy rien ne change. Il faut attendre les années 90 pour que la clinique soit agrandie, cette fois de ce côté. On crée un parking sur l’ancien jardin du numéro 1, on démolit l’ancien garage pour faire place à la nouvelle extension qui s’avance vers la rue de Valmy.

Photos IGN 1976 et 1995

En 1983 le numéro 1 est inhabité. Un peu plus tard, la maison est vendue et partagée en appartements. Un syndicat de copropriété se crée en 1989. Mais, en 2013 la mairie reçoit une demande de permis pour construire un hangar juste à côté de la maison à l’emplacement de l’ancienne grille. Le permis est refusé parce que le projet « porterait atteinte au caractère architectural de cette grande maison bourgeoise ».

Photos du projet

A ce jour, la maison n’a pas changé extérieurement. Les copropriétaires continuent à profiter de cette magnifique maison dans laquelle les travaux se poursuivent encore aujourd’hui.

Photo Jpm

Parmi les maisons « Meillassoux » de ce périmètre, seules celle-ci et le 28 rue St Jean subsistent aujourd’hui, toutes les autres sont démolies.

Nous remercions l’Institut Géographique National, ainsi que les archives municipales et la médiathèque de Roubaix pour les informations qu’elles mettent à la disposition du public.

Le café Saint-Louis

Cet établissement est ouvert par Charles Vanhasbroucq, en Novembre 1888, au 123 rue Jean Jaurès à Hem et repris 10 ans plus tard par son fils Louis. Ce café barbier est toujours en activité avant guerre et, en 1945, on y parle encore de Marie Bonne-Soupe, une des tenancières du passé.

Le Saint-Louis en façade et un gros plan sur la superbe céramique d’origine figurant au fronton du café (Documents Nord-Eclair)
Le Saint-Louis sur 2 CPA du début du 20ème siècle (Documents collection privée)

Sur la carte postale du haut on voit clairement à gauche du café un commerce démontable, car fait de cloisons de bois. Il s’agit de la boucherie Lelièvre dans les années 1950, à laquelle succède Quinton poissons dans les années 1960, que l’on retrouve au n°117 dans les Ravet-Anceau de l’époque.

On y voit aussi une épicerie sur le coin de la rue Louis Loucheur en face au n° 118, alimentation générale Flahaut dans les années 50, puis Coop Dekeukekeire-Baron dans les années 1960-70, qui deviendra par la suite une boucherie chevaline, Wanin puis Haze dans les années 1980. Pendant ces périodes le Saint-Louis est géré par les Saelens dans les années 1950-60 puis Carette et ensuite Lejeune dans les années 1970-80.

Dans les années 1950, beaucoup d’événements sont fêtés au Saint-Louis. C’est notamment le cas, en 1956, quand « La Gauloise » y fête la Sainte-Cécile lors d’un banquet à l’issue duquel, en présence de Mr Leplat, maire de Hem, il est procédé à une distribution de distinctions aux membres de cette clique, crée en 1923 par Mr Sueur.

(Document Nord-Eclair)

Dans les années 1970 l’établissement sert de siège à l’association « Les amis du Saint-Louis », comité d’entraide aux aînés du quartier. Une cagnotte réunie grâce aux fêtes du quartier, permet, en 1975, d’offrir à une trentaine de convives du 3ème âge un menu soigné, dans une ambiance conviviale et de leur remettre des colis.

Soleil dans les cœurs au Saint-Louis (Document Nord-Eclair)
Publicité de l’époque (Document Historihem)

Les festivités du comité du Saint-Louis se déroulent sur un week-end. Le samedi Gérard Pau, son accordéon et ses musiciens, font virevolter les couples dans la rue Jean Jaurès.

Les festivités au Saint-Louis (Document Nord-Eclair)

Le dimanche est organisée une course cycliste, le prix Emile Delcourt, dont le départ a lieu devant l’établissement et à laquelle participe une petite centaine de coureurs. Le nom de ce grand prix est celui d’un coureur cycliste très connu à Hem, s’étant classé 5ème dans le Paris-Roubaix.

Emile Delcourt pendant le Paris-Roubaix à Hem Bifur (Document Hem d’hier et d’aujourd’hui)
Le départ des coureurs devant le café St Louis en 1976 (Document Nord-Eclair) et 1977 (Document Historihem)

Le café Saint-Louis est alors toujours le siège du comité des anciens du Saint-Louis mais il se tourne également vers le sport en qualité de sympathisant de l’USH (Union Sportive Hémoise) née de la fusion du club de foot du foyer Saint Corneille et du Football-Club de Hem le 16 mai 1964. Il est enfin le siège de la pétanque jusqu’à la création de l‘association « Pétanque Club des Trois Baudets » le 24 septembre 1979 .

Publicité de l’époque (Document Historihem) Publicité de 1982 (Document Office Municipal d’Information)

30 ans plus tard en 2001, les habitudes sont bousculées dans l’un des plus anciens estaminets de la commune, habituellement théâtre de paisibles parties de belote, où l’équipe des débutants de l’Olympic Hémois se voit offrir une belle parure, sérigraphiée aux armes du Saint-Louis, par la gérante du café depuis 1993 : Jacqueline Dellemme.

L’équipe revêtue de son nouveau maillot (Document Nord-Eclair)

Le café retrouve alors des airs des fêtes qui s’y déroulaient dans les années 1950-60. La bâtiment quant à lui n’a subi que très peu de transformations et la magnifique céramique est toujours présente au fronton de l’établissement où elle trône encore 20 ans plus tard dans les années 2020 alors que le commerce est toujours en activité et ouvert toute la semaine.

La façade du café dans les années 2020 et le café dans la rue Jean Jaurès (Documents Google Maps)

Remerciements à la ville de Hem, l’association Historihem et Jacquy Delaporte pour son ouvrage Hem d’hier et d’aujourd’hui

Une partie de la Grand Place disparaît

Dans les années 1960, le développement de l’automobile rend la circulation de plus en plus difficile à Roubaix et en particulier, dans le centre ville.

Déjà en 1958, on a démoli le magasin de vêtements d’Albert Devianne, qui se trouvait à l’angle de la rue Jeanne d’Arc, pour dégager le carrefour des Halles. De cette façon les automobilistes venant de la Grand Place peuvent avoir un accès plus aisé sur le boulevard Leclerc via la Grand Poste.

La façade du magasin d’Albert Devianne ( document M. Devianne )
Document Nord Eclair 1958

En cette fin d’année 1967, pour améliorer le trafic, le conseil municipal décide donc de démolir une partie du quartier du centre ville : quelques maisons au N° 1, 3 et 9 de la rue du Château, jusqu’à l’allée du Lido, et cinq maisons sur la Grand Place du N° 18 au 20 ter, ce qui permettra de donner plus d’espace au centre commercial du Lido situé juste derrière, et un meilleur accès au parking via la rue de l’hôtel de ville.

Ces travaux d’élargissement et de rénovation vont coûter 115 millions d’anciens francs, somme importante mais nécessaire pour avoir un centre ville digne de ce nom. Ces démolitions permettront en 1968 une meilleure circulation entre la rue de l’Hötel de Ville et la rue Pierre Motte.

Plan du quartier ( documents Nord Eclair )

Sur la photo ci-dessous, à droite se trouvent : le café du Commerce au N° 20, puis l’opticien Fraignac au 20 bis et les draperies Aubanton-Gigieux au 20 ter. De l’autre côté de la place, au N° 21 le commerce Michou : boucherie-volailles-crémerie se trouve sous l’Hôtel du Centre, dont l’entrée se situe 1 rue Pierre Motte.

Photo 1967 ( document collection privée )

Sur la Grand Place, au N° 18, à l’angle de la rue du Château, se trouve le magasin du Tailleur Devlaminck, depuis les années 1920, où plusieurs générations se sont succédé. C’est une immense bâtisse sur 4 niveaux. Daniel Devlaminck, exproprié, s’installera ensuite au 4 rue du Maréchal Foch.

Pub Devlaminck 1967 ( document Nord Eclair )
Façade du 18 ( document archives municipales )
Façade du 4 rue Foch ( document Nord Eclair )

Au N° 19 se situe le café de l’Etoile reconnaissable à son superbe vitrail au dessus de la porte d’entrée.

La façade du 19 ( document archives municipales )

Puis au N° 20 se trouve le café du Commerce. L’immeuble est bâti sur deux niveaux. Au dessus du 1er étage figure un immense panneau publicitaire pour la marque de chocolat et confiserie de Delespaul-Havez.

la façade du 20 ( document archives municipales )

L’opticien Fraignac est implanté au 20 bis depuis les années 1910. Il partira ensuite au 26 de la Grand Place.

Le 20 ter est occupé, également depuis les années 1910, par Aubanton-Gigieux commerçant en draperies. Ce négociant qui fournit les maîtres tailleurs, partira ensuite au 29 rue Mimerel.

Façade du 20 bis et 20 ter ( document archives municipales )
Publicité Fraignac-Denneulin 1967 ( document Nord Eclair )

A la veille des grandes fêtes de la Charte, programmées en 1969, il est primordial que le centre ville soit rénové. La Grande place sera en effet un emplacement stratégique pour le déroulement des diverses manifestations, avec un Hôtel de Ville à la façade ravalée d’une blancheur de pierre et une église Saint Martin immaculée.

Photo 1985 ( document archives municipales )

Remerciements aux archives municipales

Auchan s’installe à Leers

Le 20 aout 1967, Auchan inaugure son premier hypermarché à Roncq, le 27 mars 1969, le centre Englos-les-Géants, à Englos dans la métropole de Lille, ouvre avec une galerie marchande et autour de vastes terrains pour accueillir d’autres enseignes. À la fin de l’année 1969, la société Auchan vient d’acquérir un certain nombre de terrains à la limite de Leers et de Lys-lez-Lannoy et souhaite implanter une zone commerciale et de loisirs. Les conseils municipaux de Lys-lez-Lannoy et de Leers ont été consultés et ils ont donné leur aval car cette implantation devait créer quelques cinq cents emplois. Le projet avait déjà obtenu l’agrément ministériel.

Vue aérienne du site en 1971 doc IGN

C’est le quatrième Auchan qui s’installe là, après ceux de Roubaix, Roncq, Englos. Les permis de construire ont été sollicités et obtenus, la construction ne tarde pas. Une route a été tracée, du côté de Roubaix par Lys-lez-Lannoy, les poutres de béton sont apparues et les responsables d’Auchan espèrent pouvoir ouvrir leur hypermarché à l’automne 1970.

Vue resserrée du site Auchan 1971 IGN

Parallèlement à la construction des bâtiments qui abriteront l’hypermarché, les premiers parkings sont aménagés et il est rappelé que les promoteurs entendent faire de cet ensemble autre chose qu’un centre commercial. Trois mille places de parking seront offerts, ainsi qu’une importante gamme d’attractions : activités de plein air, restaurant, jardin d’enfants, club hippique, une volière un terrain d’exposition et peut-être un motel.

Les premiers éléments du centre en juillet 1970 doc NE

Le 19 novembre 1970, c’est l’ouverture d’Auchan Leers, situé derrière le Parc des Sports, et l’argumentaire est précis : quatre cents nouveaux emplois, augmentation de votre pouvoir d’achat et bientôt trente commerçants spécialisés. L’hypermarché est ouvert de 9 heures à 22 heures sauf le dimanche et le lundi matin. On casse les prix des denrées alimentaires mais également du textile, de la parfumerie, de l’équipement de la maison. Pour sa galerie marchande, Auchan Leers s’est assuré la collaboration de commerçants renommés : les chaussures Bata, André, les vêtements Herbaut Denneulin, le coiffeur Jean Liviau, le nettoyage à sec Rossel, les laines Phildar, une banque, la Société Générale.

Le logo Auchan en 1970 doc NE

Quand Le Corbusier vint à Hem

Le château de la Marquise doc Historihem

Le château de la Marquise, une vaste propriété qui appartenait autrefois à la Marquise d’Auray, servit de dépôt de munitions pendant l’occupation. En septembre 1944, les allemands préviennent la population qu’ils vont faire sauter les dépôts de munitions. Après les explosions la destruction est totale, il ne reste plus rien du château.

Après l’explosion du dépôt de munitions doc Historihem

La propriété a ensuite été acquise par la société roubaisienne d’HLM, pour y édifier des logements. L’aménagement de ce lotissement doit comprendre un jardin public et fait l’objet d’études. À l’époque, il y a deux chantiers à l’étude, la résidence du Parc à Croix et le lotissement de la Marquise à Hem. « Pour les immeubles de la résidence du parc construits sur le terrain du peignage Holden, nous avons fait appel à Jean Dubuisson. Pour la Marquise à Hem, nous hésitions… »1

Vue du lotissement de la Marquise IGN 1947

Un samedi d’octobre 1952, un visiteur de marque est attendu sur le terrain hémois. Il s’agit de M. Le Corbusier, l’architecte bien connu, recommandé aux roubaisiens par Eugène Claudius Petit, Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Le Corbusier a élaboré les plans et supervisé la construction de la Cité radieuse de Marseille, sa première unité d’habitation dont la construction s’achève en 1952. Il s’agit d’un « village vertical », composé de 360 appartements en duplex distribués par des « rues intérieures ». Surnommée familièrement « La Maison du Fada », cette réalisation fait partie des œuvres de Le Corbusier classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les autorités indiennes, au début des années 1950, lui confient le projet de la ville de Chandigarh, nouvelle capitale du Pendjab située sur un haut plateau dominé par la chaine himalayenne.

C’est donc en octobre 1952 qu’il vient visiter le site hémois. Il est accompagné de M. Albert Prouvost, Président du CIL de Roubaix Tourcoing et des dirigeants des sociétés d’HLM, MM Victor et Michel Hache directeurs de la société La Maison Roubaisienne. Les personnalités ont été auparavant accueillies à la mairie par M. le docteur Leplat maire d’Hem, Marquette adjoint et Lepers secrétaire de la mairie. À la suite de quoi, Le Corbusier se met au travail et envoie un projet à Albert Prouvost.

Le projet Le Corbusier de 1953 pour la Marquise site http://www.fondationlecorbusier.fr

Albert Prouvost raconte très précisément comment il s’est personnellement opposé à l’intervention de Le Corbusier.  « Le célèbre architecte… nous soumet un projet qui ne plait pas : immeubles trop hauts trop rapprochés les uns des autres, balcons conformes au modulor qui ne laissent apercevoir qu’un pan de ciel et ne permettent pas de profiter des beaux arbres de la marquise d’Auray. » Et il ajoute : « Je le lui fais remarquer en m’efforçant à la diplomatie ». Le grand architecte lui répond par courrier : « ce sera bien assez bon pour vos pauvres types ! » Albert Prouvost se vexe. « Sans doute fallait-il prendre cette phrase au deuxième degré », ajoute-t-il dans ses mémoires1. Le projet resta sans suite.

Albert Prouvost et Le Corbusier

L’architecte et l’industriel ne parviennent pas à s’entendre. Ce fut finalement un collège d’architectes qui se forma sous l’impulsion de MM. Lapchin architecte en chef du CIL, et Marché géomètre. On retrouve dans ce collectif les noms suivants : MM Finet, Lecroart, de Maigret, Ros, Maillard, Neveux, Spender, Verdonck…Un plan masse fut établi et on s’attacha à préserver le site qui fut divisé en 105 parcelles. Un article de la presse locale de 1958 évoque dans son titre Le Corbusier, en dénaturant le sens de sa création : sur le terrain de l’ancien château de la Marquise, on prépare une authentique Cité Radieuse. Le groupe CIL UMIC avait en effet abandonné la construction de HLM pour des maisons individuelles destinés à des milieux plus favorisés2.

1Toujours Plus loin, Mémoires d’Albert Prouvost éditions La Voix du Nord

2Article de presse de 1958 figurant dans le site Historihem

Briqueterie de Hem

Dans le quartier du Rivage à Hem, au 17ème siècle un chemin menant au hameau du Petit Voisinage bifurque ensuite vers Sailly et Willems. En 1931, ce chemin est devenu la rue du Calvaire et doit son nom à une petite chapelle calvaire située à son extrémité, avant la ville de Sailly-lez-Lannoy.

De son vrai nom « Briqueterie de l’Entreprise de Roubaix et ses environs », la briqueterie « dite d’Hem », Comptoir Régional de la Terre Cuite, s’implante au 187 rue du Calvaire au lieu dit «  Au-Dessus du Petit-Voisinage » en 1930, suite à une demande de construction faite en 1929 par Mrs Degallay et Delfosse. On la voit clairement sur une photo aérienne de 1933.

Photo panoramique de 1933 (Document IGN)

L’entreprise utilise une terre ocre, particulière à la région : le limousin argileux des Flandres. Elle est constituée d’un atelier de fabrication, d’une aire de séchage, d’un logement d’ouvriers, d’un bureau d’entreprise, d’une cour, d’une voie ferrée, d’une cheminée d’usine en briques portant son année de construction, 1930, et d’une pièce de stockage du combustible.

Elle n’apparait cependant en tant que Briqueterie de l’Entreprise de Roubaix et ses environs dans l’annuaire qu’après la seconde guerre mondiale. On constate mieux l’importance de l’entreprise en terme de surface dans la rue du Calvaire sur une photo aérienne de 1962.

Photo panoramique de 1962 (Document IGN)

L’entreprise est construite en briques avec une charpente pour partie en bois couvert en ciment amiante en ce qui concerne les séchoirs et pour partie métallique en ce qui concerne l’atelier de fabrication recouvert d’un toit à longs pans couvert en ciment amiante. Le logement d’ouvriers comporte quant à lui un étage carré avec sous-sol couvert d’un toit à longs pans brisés, recouvert de tuiles flamandes.

La briqueterie vue de la zone des 4 Vents et les logements des ouvriers (Documents Historihem)

L’usine fabrique des briquettes de parement, produits creux, et des briques pleines ordinaires et rustiques dont la cuisson se fait au charbon dans un four Hoffmann. Sa production journalière d’avril à septembre se monte de 30 000 à 35 000 briques. La briqueterie emploie de 27 à 37 saisonniers, à l’origine belges puis italiens.

Antonio, l’un des saisonniers italiens employés par la briqueterie, à droite sur la photo (Documents Historihem)

Dans  les années 1920-1930 l’extraction ne se fait plus de façon manuelle mais à l’aide de pelleteuses. La terre est ensuite acheminée à l’usine par wagonnets sur rails ou par camions. Ce travail a lieu toute l’année pour alimenter l’usine en continu.

Elle est ensuite convoyée par un tapis roulant jusqu’aux broyeurs à meules verticales qui la broient et la malaxent avec de l’eau puis elle est transformée en pâte. Celle-ci est ensuite moulée puis propulsée en continu au travers d’une filière qui lui donne la forme désirée. Ce ruban d’argile est tronçonné à la longueur voulue par le fil d’acier d’un découpeur.

Le séchage s’effectue le plus souvent dans un séchoir tunnel, dans lequel les produits, empilés sur des wagonnets, sont balayés par un courant d’air chaud, de l’ordre de 120° C., récupéré du four. Le four Hoffmann, inventé en 1858, est un four à cuisson continue et à foyer mobile (le feu se déplace dans des chambres de cuisson), chauffé au charbon, de plan circulaire à l’origine.

L’intérieur d’un four à briques et les rails des wagonnets (Documents Historihem)

Lors de la seconde guerre mondiale, une ligne défensive, la ligne Maginot, consistant en fortifications commencées en 1927 et achevée en 1936, est sensée arrêter les troupes allemandes. A Hem, les troupes britanniques font des travaux de défense militaire sur les terrains de culture exploités par le fermier Callewaert autour de sa ferme sise 234 rue de la Vallée.

Ses terres sont alors entièrement sillonnées de tranchées et boyaux de 5 mètres de profondeur. La terre de ces ouvrages est rejetée sur les bords et des parapets en sacs de terre sont établis. La prairie garnie de réseaux de barbelés est inaccessible aux bestiaux.

Ces ouvrages et la résistance acharnée des troupes britanniques ne suffisent pourtant pas à arrêter l’ennemi et l’occupation de Hem commence. Une quinzaine de militaires allemands ont cependant trouvé la mort derrière la briqueterie et leurs corps sont transférés au cimetière d’Haubourdin.

Photo prise du château d’eau situé rue de la vallée vers les tranchées et le blockhauss (Document Historihem)

Après-guerre, bien que dans le Nord la brique soit le matériau de construction privilégié, l’urgence de la reconstruction oblige les entreprises à utiliser des parpaings et ce n’est que nombre d’années plus tard que, par souci d’esthétisme et de solidité, les bâtisseurs reviennent à la brique. Pourtant la Briqueterie d’Hem tient bon.

Remerciements à l’association Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leur ouvrage Hem d’hier et d’aujourd’hui.

A suivre…

Nord-Eclair

Suite de deux articles précédemment édités et intitulés Journal de Roubaix :

Jean Catrice, né le 26 août 1903, est le fils d’Edouard Catrice, industriel du textile, installé à Lys-lez-Lannoy en association avec Jean Deffrennes-Canet depuis 1890. A la fin de ses études, il entre donc comme ses frères dans l’entreprise paternelle.

Usine d’Edouard Catrice (Document Tissage Art de Lys)

Son premier engagement c’est à l’ACJF (Association Catholique de la Jeunesse Française) où il crée des liens durables avec de nombreux jeunes de toutes conditions sociales.

Il épouse Claire en 1928 et le couple aura 7 enfants. Dès 1933, il adhère au Parti Démocrate Populaire dont il devient vice-président en 1936. En 1939, il est mobilisé en tant que lieutenant et chargé de la sécurité de la gare de Lille. Après avoir mis sa famille en sécurité dans la Sarthe il regagne Roubaix avec son frère cadet Pierre pour rejoindre l’usine familiale.

En 1940, avec la grande offensive allemande dans les Ardennes, l’exode commence mais leur famille reste à Berck où elle s’est installée au retour de la Sarthe pendant que Jean et Pierre cherchent à gagner l’Angleterre pour se réengager mais sans succès. C’est donc le retour à Roubaix pour les 2 frères et leurs familles et l’entrée dans la résistance.

Photo de Jean Catrice (Document site Assemblée Nationale)

Deux périodes se succèdent alors pour Jean : la résistance active en 1941-42 puis la participation à l’organisation centralisée de la résistance dans le Nord et à la fondation du comité départemental de la libération en 1943. Deux autres tâches l’attendent ensuite : la recherche des futurs nouveaux préfets du Nord-Pas-de-Calais et la suppression de la presse ayant collaboré avec l’ennemi au profit de l’installation d’une nouvelle presse.

Suivant les instructions générales venues d’Alger, Jean Catrice devient délégué régional à l’information, titre confirmé à la libération. Les anciens journaux locaux sont répartis entre les différents partis politiques et le Journal de Roubaix revient aux démocrates chrétiens.

Jean nommé délégué régional à l’information (Document Nord-Eclair)

Pendant ce temps, depuis 1943, rue de Paris, à Lille, dans un ancien couvent, paraît Nord Matin, journal de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière). L’homme fort de Nord Matin, grand résistant sera Augustin Laurent, président du Comité départemental de Libération (avant Jules Houcke) et futur maire de Lille.

En 1944, c’est Jean Catrice qui annonce la libération à Radio-Lille. Dès 1944, il devient vice-président du MRP (Mouvement Républicain Populaire). Elu député de 1946 à 1955, en tant que représentant du MRP, il n’est pas réélu à la législature suivante et décide alors de se consacrer à sa famille et à Nord-Eclair, le journal qui a pris la place du Journal de Roubaix.

A la libération de Roubaix, les forces françaises libres décrochent le drapeau de la Kommandantur à l’Hôtel de Ville (Photo Voix du Nord)
Jean Catrice avec le général De Gaulle et avec ses amis résistants Mrs Teitgen et Defaux en 1944 (Documents Nord-Eclair)

C’est Jean Catrice qui est logiquement nommé gérant du nouveau journal : Nord-Eclair, qui prend possession de l’imprimerie et de la salle de rédaction du Journal de Roubaix. Dans le premier numéro, Nord-Eclair, sous-titré organe de la Libération Française, règle ses comptes avec les journaux du Nord qui ont poursuivi leur activité pendant les 4 années de guerre : « A Nord-Eclair, il n’y a que des résistants de la première heure ce qui lui donne le droit d’acclamer la victoire et de travailler demain à l’avenir du pays ».

Le journal affiche de suite son inspiration chrétienne, préparé dans la clandestinité par deux professeurs de l’université catholique de Lille : René Thery, responsable régional de Témoignage Chrétien et Louis Blanckaert, membre du comité directeur du mouvement de résistance La Voix du Nord. La nouvelle équipe se met en place autour de Léon Robichez, rédacteur en chef et Jules Clauwaert, éditorialiste.

Nord-Eclair du 05 septembre 1944 et Nord-Matin annonçant la libération (Documents Wikipedia et Remembrance 14-45)

En 1942, Léon Robichez était employé au service du contentieux du Journal de Roubaix. Il était chargé en fait de préparer clandestinement la parution d’un nouveau journal pour la Libération, en vertu d’un accord passé entre Jacques Demey, directeur du quotidien paraissant alors sous contrôle allemand, et les chefs du RIC : le Rassemblement démocratique des résistants d’inspiration chrétienne dont Jean Catrice est l’un des fondateurs. Il devient directeur politique de Nord-Éclair au départ des occupants en septembre 1944 et quittera le journalisme en 1951.

Photo de Léon Robichez (Document dictionnaire biographique Le Maitron)

En 1944, Jules Clauwaert, est diplômé de l’école supérieure de journalisme de Lille, issu de la résistance, et entre comme éditorialiste à Nord-Eclair. Il en deviendra rédacteur en chef par la suite. C’est un homme de conviction, démocrate chrétien, attaché à la liberté et au pluralisme de la presse qui incarne ce quotidien démocrate et social d’inspiration chrétienne.

Photo de Jules Clauwaert (Document Club de la Presse)

C’est en 1946 qu’a lieu le procès du Journal de Roubaix. Son directeur est condamné à 2 ans de prison et l’éditorialiste à 5 ans. Les autres journalistes sont acquittés. La société des Journaux Réunis est dissoute et un quart de ses biens sont confisqués au profit de l’état. D’anciens adjoints du directeurs du Journal de Roubaix se retrouvent de fait dans la direction du nouveau journal.

L’audience de Nord-Eclair s’étend bien vite à toute la région et toute une équipe remarquable de journalistes se constitue autour de Léon Robichez et Jules Clauwaert. Léon Robichez est l’élément de liaison entre le journal et le MRP, lequel, parti de rien, devient rapidement l’un des plus puissants partis de France.

Le journal, tout comme le mouvement politique, se font ardents défenseurs de la cellule de base qu’est la famille et de la liberté de l’enseignement. Leurs préoccupations sociales apparaissent évidentes dans un après-guerre période de graves difficultés économiques.

Dès 1956, des travaux doivent être entrepris en deux temps dans les locaux de la Grande-Rue. Dans un premier temps un permis de démolir est déposé pour abattre l’ancien hôtel particulier racheté 50 ans plus tôt à Jean Lefebvre-Soyer par la société des journaux réunis. Le demande est édifiante : vaste et important immeuble inoccupé, autrefois entièrement à usage d’habitation, irréparable et inhabitable par suite du manque d’entretien prolongé des couvertures, toitures et chéneaux.

L’ancien hôtel particulier dans la cour (Document collection privée)

Le rapport d’enquête relate que l’immeuble concerné comporte plusieurs caves en sous-sol, au rez-de-chaussée : 10 pièces de grandes dimensions, 2 vestibules, WC, cour, jardin et 2 escaliers vers les étages, sachant que ceux-ci ne peuvent être visités en détail par les services de la mairie par suite de leur délabrement et afin d’éviter tout risque inutile. Le local menaçant ruine et constituant un danger le permis de démolir est accordé.

Dans un 2ème temps un permis de transformation des bureaux est sollicité. La partie droite dans laquelle se situaient les anciens jardins va ainsi être investie par l’installation d’une nouvelle surface dévolue à des bureaux supplémentaires.

Plan des bureaux actuels (Document archives municipales)
Plan des bureaux transformés (Document archives municipales)

A suivre…

Article dédié à André Delmée, salarié de Nord-Eclair pendant la quasi totalité de sa carrière.

Remerciements aux Archives Municipales de Roubaix