Le 25 février 1957 se produit un accident au bord du canal. Les journaux du 27 nous montrent un curieux véhicule qu’on sort de l’eau à grand peine. Le conducteur, ébloui par les phares d’une moto a fait une embardée terminée par un plongeon dans les eaux froides. Remonté sur la berge, il rentre chez lui sans savoir que les sapeurs pompiers le recherchent au fond de l’eau et essaient de remonter le tracteur à l’aide d’un camion-grue. Ce n’est que le lendemain qu’il se fera connaître, au grand soulagement général.
Cette scène évoque irrésistiblement dans notre souvenir les petits tracteurs qui parcouraient inlassablement les chemins de halage des canaux en remorquant les péniches.
Sur la photo, on peut distinguer sur le châssis les lettres CGTVN.
La CGTVN, ou Compagnie Générale de Traction sur les Voies Navigables regroupe au 1er janvier 1927 diverses compagnies privées qui partageaient cette vocation.
Un article de « La navigation du Rhin » de 1926 fait état de la prochaine constitution de la compagnie, mais indique également que la Chambre de Commerce de Roubaix a émis un vœu favorable à l’établissement de la traction mécanique sur le canal de Roubaix. Le Journal de Roubaix d’octobre 1927 indique que celle-ci donne mandat à la chambre de commerce de Lille pour obtenir la concession et le monopole du halage mécanique. C’est ainsi que dès 1928 apparaissent 16 autochenilles sur les berges du canal.
Il faut bien se dire que, à l’origine, la traction des chalands se faisait à bras d’hommes, pris dans la famille ou l’équipage du bateau, ou encore en louant les services de haleurs spécialisées. La traction se faisait grâce à des cordes fixées à des sangles qui barraient la poitrine. C’est ce qu’on appelait « la bricole ». Il faut dire que les bateaux étaient plus petits et moins lourds qu’aujourd’hui .
A partir de 1885, et l’apparition des péniches de 300 tonnes au gabarit Freycinet, les bras ne suffisent plus, et les chevaux remplacent l’homme dans ce dur travail. Certains mariniers avaient leurs propres chevaux qu’ils logeaient dans une écurie placée au milieu du bateau.
Mais ce mode de transport est lent et coûteux pour le marinier. Sur le canal de Roubaix, les autochenilles arrivent à point pour améliorer et simplifier le service de halage.
Le journal de Roubaix du 29 janvier 1928 annonce l’arrivée de ces « puissants et gracieux tracteurs à chenilles » sont capables de remorquer 3 péniches pleines ou six vides à trois kilomètres à l’heure grâce à leur moteur de 10 chevaux. On retrouve des engins identiques sur d’autres canaux dans le nord.
Pourtant, les inconvénients de ce mode de halage sont importants, en particulier, les chemins qui s’abîment sous l’action des chenilles. D’ailleurs, la SEAC, société d’exploitation des autochenilles, est rapidement absorbée par la CGTVN qui mise principalement sur le halage électrique.
C’est ainsi que, en 1931 les tracteurs électriques remplacent les auto-chenilles sur le canal de Roubaix. Pourtant, ce ne sont pas des tracteurs sur rails, comme on en rencontre sur la Deule, à Lille où deux tracteurs sont restés des années à l’abandon près de l’écluse de la Barre…
Sur le canal de Roubaix, pas de voie ferrée. Les tracteurs étaient sur pneus car le trafic moins important ne justifiait pas l’installation de rails. Par ailleurs, la voie ferrée a un rayon de courbure minimum, alors que les tracteurs sur pneus, avec leur quatre roues directrices, passaient partout, simplement alimentés par deux fils de contact aériens. La photo suivante nous montre un pont roubaisien et l’angle prononcé de la courbe du chemin. Elle nous permet de remarquer en haut à droite sous le tablier le chemin de planches isolants les fils de contact.
Ces tracteurs comportent deux essieux accouplés, toutes les roues étant directrices, et pèsent entre 2 tonnes et demie à trois tonnes, embarquant des gueuses de lest. Ils fonctionnent en prenant le courant continu sur une double ligne aérienne dont la tension est 600 volts. Ils possèdent une cabine centrale comportant deux sièges et deux volants verticaux en vis à vis. Un seul escalier en permettait l’accès à l’opposé de l’au, pour des raisons de sécurité. Le moteur est placé à une extrémité sous un capotage. A l’autre extrémité, un lest. Ils furent construits par la CGTVN elle-même à Douai en 1930.
Les tracteurs ne peuvent se croiser. En cas de rencontre, ils échangent leur remorques et repartent en sens inverse. La conduite de ces engins était relativement dangereuse lors des démarrages : si l’on tirait trop brusquement, c’était le tracteur qui allait à l’eau ! Ceci explique les cabines largement ouvertes pour éviter la noyade au conducteur…
Pourtant, les tracteurs du canal de Roubaix étaient carrossés de manière à ce que l’abri protège un peu mieux le conducteur des intempéries. La photo suivante nous montre, à l’extrême droite, un tracteur quai de Marseille en plein hiver.
Mais tout évolue, et, bientôt, la multiplication des automoteurs, péniches possédant leur propre motorisation, entraîne la disparition progressive des demandes de remorquage. Le service est donc supprimé en 1970, et la dissolution de la compagnie suit de peu en 1973. Le public a tôt fait d’oublier ces sympathiques tracteurs électriques qui parcouraient les berges du canal…
Sauf précisions dans les légendes, Tous les documents proviennent de la médiathèque et des archives municipales, que nous remercions.