La longue histoire du bâtiment Degas 2

Après percement Photo Lucien Delvarre

Après le percement du bâtiment n°9 en 1986, on parlera désormais du grand Degas et du petit Degas. Il est prévu de prolonger la rue Léon Marlot afin qu’elle rejoigne la rue Joseph Dubar en passant entre la chaufferie et l’ancienne supérette. Il s’agit d’assurer le désenclavement du quartier, et l’on pense implanter des commerces dans la rue Léon Marlot prolongée. Seule la boulangerie Dujardin s’y installera. Le prolongement viendra plus tard.

Le bâtiment Degas accueille alors des activités de rencontre et d’animation entre habitants soutenues par le centre social des hauts champs. La Confédération Syndicale du Cadre de Vie y tient également une permanence. Le 13 octobre 1986, intervient l’assemblée générale fondatrice du comité de quartier, qui s’installera dans le bâtiment Degas à l’entrée 13. Son premier Président sera André Delcroix, membre de la CSCV,  auquel succéderont Ernest Gongolo et Thierry Dony actuellement en fonctions. Suite à un certain nombre de péripéties, perturbation de réunion, intrusions, le local ayant été vandalisé, le comité de quartier quittera le bâtiment Degas en 1993 pour s’installer au n°176 de l’avenue Motte, en octobre 1994.

Entretemps, en 1989, on a refait les peintures des bâtiments en associant les habitants pour le choix des couleurs. A la même époque, un atelier bois est installé dans une cave de l’entrée G du bâtiment Degas, à l’initiative du centre social des Hauts Champs. Un formateur technique intervient pour apprendre aux locataires à entretenir leur logement, et à intervenir sur des petites pannes. Les gens peuvent faire des travaux dans l’atelier où il ya des machines. Cet atelier propose également des animations aux enfants du quartier. Cette opération se termine en 1996 pour des problèmes de sécurité et de financement, et l’atelier bois intègre le centre social des Hauts Champs.

En 1995, la chaufferie située à l’angle des rues Degas et Pranard est démolie, on rase les anciens locaux inoccupés de la supérette, et le chauffage est alors assuré par Logicil à Hem. A partir de 1996, la situation se dégrade progressivement, et on évoque la fermeture des balcons des bâtiments 9 et 10, car ils servent de dépotoir pour des ordures, quand celles-ci ne tombent pas sur les passants. Les murs sont graffités, les entrées sont squattées, le quartier n’est plus sûr. Le 27 mars 2000, la rue Léon Marlot est enfin prolongée. Les habitants étant contre la percée jusqu’à la rue Joseph Dubar, on ne crée pas de nouvelle traversée et la desserte se fera par la rue Degas et la rue Pranard. Des ralentisseurs sont installés à l’entrée de la percée Marlot/Degas, et à l’angle Degas/Pranard, qui feront la joie des skate-boards.

Après le relogement de ses habitants, le Petit Degas a été démoli en février 2009, et on va bâtir des maisons individuelles et un bloc de neuf appartements sur l’emplacement libéré. La livraison est prévue pour le troisième trimestre 2010, et un mail piéton sera réalisé tout le long de la rue Degas jusqu’au passage menant vers l’école. L’histoire du bâtiment ne s’arrête pas là. Après la démolition des entrées C et D du Grand Degas (soit 28 appartements) prévue pour le troisième trimestre 2009, la rue Chardin va être prolongée pour la faire aboutir vers la rue Degas. Voie piétonne ou voirie ouverte à la circulation automobile ? La Ville et le bailleur Partenord organisent des réunions d’information et de concertation avec les habitants. La percée Chardin sera terminée en Juillet 2010.Une nouvelle desserte parallèle à la percée Marlot  reliera donc l’Avenue Motte à la rue Degas. Le bâtiment Degas survivra-t-il à toutes ces ouvertures ?

La longue histoire du bâtiment Degas

Le bâtiment Degas doc Archives Partenord

La cité des Hauts Champs fut construite de juin 1958 à mars 1961, en même temps que la cité Cavrois située à la Potennerie. De là vient la numérotation des immeubles, le groupe Cavrois et ses trois cents logements prenant les cinq premiers numéros, et le groupe des Hauts Champs avec ses 900 logements, les numéros de 6 à 12. La première dénomination du bâtiment Degas est donc le B9. On l’appellera très vite la petite barre, par opposition à la grande barre de 300 mètres qu’était le B12, qui se trouvait sur les territoires de Roubaix et d’Hem, et qui disparut en 1985. Le bâtiment 9 possède quand même 15 entrées sur cinq niveaux, ce qui représente 225 logements.

Début 1961, la cité des Hauts Champs n’est pas encore terminée, mais on y habite déjà et on s’y perd un peu. Nord Eclair titre d’ailleurs à l’époque, la cité labyrinthe, pour montrer à quel point la signalétique n’est pas suffisante. Les lettres qui surplombent les entrées d’immeubles ne sont pas visibles, il n’y a pas de noms de rue. En 1962, les voies sont à peine ébauchées et on tasse le terrain pour faire des parkings pour les voitures. Les bâtiments sont alors dénommés, et comme pour rappeler les noms de rue des HBM de l’autre côté de l’avenue Motte, on prend des noms de peintres : Greuze, Chardin, Vlaeminck, Degas… Le Bâtiment 9 devient ainsi le Degas. Mais il faudra du temps avant que les gens s’habituent, d’autant qu’il s’agit des noms des bâtiments et non celui des rues. Ensuite, les bâtiments donneront leur nom à la rue qui les jouxte : ce sera le cas des rues Degas, Chardin, Greuze…La cité apparaît alors comme mal desservie, les transports sont loin, les loisirs aussi, les centres commerciaux ne correspondent pas encore à l’attente, et la cité semble tourner le dos à la ville. Le bâtiment Degas se situe au milieu du quartier des Hauts Champs, quand le lotissement dit des petits cubes, au chemin vert, est achevé en 1966.

Dans l’angle formé par la rue Pranard et la rue Degas se trouvait une chaufferie qui permettait avec ses six chaudières modernes d’apporter chaleur et eau chaude aux appartements de la cité. Cependant les architectes avaient prévu qu’en cas de panne, on puisse raccorder des poêles à des cheminées existantes dans les logements. Modernisme certes, mais prudence également. A côté de cette chaufferie est venue s’installer une supérette. Comme le disent encore les habitants des Hauts Champs, on a du mal à traverser l’avenue Motte, dont la circulation est très dense.

Dans la cité, on continue à vouloir améliorer la signalétique : ainsi pour le bâtiment Degas peut-on lire dans le Ravet Anceau, les noms donnés à deux entrées, troënes et azalées, reprenant en cela l’exemple des HBM qui avaient donné des noms d’arbres à leurs bâtiments.

Cependant la rue Degas est devenue célèbre par la taille de ses nids de poule. En 1978, les rues de la cité sont encore des voies privées, et elles ne sont pas entretenues par la ville !

En juin 1983 démarre un chantier de réhabilitation du bâtiment Degas. Mais à la suite de problèmes d’hygiène et de sécurité, et de non-conformité des travaux de peinture et chauffage, on y travaille encore en 1986 ! Le bâtiment Degas a même été coupé en deux, car on a abattu ses entrées I et J en vue d’aérer le quartier en faisant une percée, mais les pelouses et plantations ont été  saccagées, l’endroit s’est transformé en décharge publique. A ce moment de l’histoire, il est question d’un passage piétonnier sur l’emplacement libéré, ou de la prolongation de la rue Léon Marlot jusqu’à la rue Joseph Dubar…

Quand la rue Léon Marlot traversa le bâtiment Degas

Le bâtiment Degas doc Archives Partenord

Construit comme les autres immeubles de la cité des Hauts Champs de 1959 à 1961, le bâtiment n°9, dit Degas fut nommé la petite barre, en référence au bâtiment B 12, alias la Grande Barre qui faisait plus de 300 mètres. Il avait été construit par le CIL et possédait quinze entrées, intitulées de A à O. En septembre 1985, on démolit la Grande Barre murée depuis quelques temps déjà. Va-t-il en être de même pour la petite barre ? Non, le bâtiment Degas fera l’objet d’une réhabilitation, et l’on démolira deux de ses entrées (I et J) pour prolonger la rue Léon Marlot jusqu’à la rue Joseph Dubar, dans le but d’améliorer la circulation du quartier. Il faudra quelque temps avant que la rue Léon Marlot passe entre le grand et le petit Degas, et qu’elle établisse la jonction avec la rue…Degas. Comment ce chantier s’est–il déroulé ? Nous faisons appel aux témoignages…

Commentaire de David :

J’allais souvent chez ma grand-mère (Mme André pour ceux qui l’ont connu-Bât 10 rue Ch.Pranard) et je peux juste vous dire que cette percée aurait dû, tant qu’à la réaliser, être faite bien avant , afin de faciliter l’accès à la boulangerie qui était située juste en face de l’actuelle entrée « poids-lourds » du site CAMAIEU ! Cette boulangerie a disparu la trouée est réalisée et c’est vrai qu’elle avait soulevé pas mal d’interrogations quant à la survie du plus petit « morceau » de la barre ainsi coupée !

 

Quand l’école Brossolette s’appelait encore le groupe scolaire des Hauts Champs

Cour de l’école Brossolette Photo NE

A la rentrée scolaire 1962 1963, huit nouvelles classes vont être ouvertes, et l’on annonce sept autres classes et deux classes maternelles pour janvier 1963.  Le Groupe scolaire des Hauts Champs comptera ainsi 15 classes de garçons, 15 classes de filles et 8 classes maternelles. Il fallait bien ça, deux ans à peine après la construction du tout nouveau quartier des Hauts Champs. Certes, l’école des Hauts Champs existait déjà depuis 1958, mais la demande scolaire s’est vite développée, et il a fallu compléter l’équipement. La photo ci-contre est plus récente, mais l’environnement a déjà évolué depuis. A vos souvenirs !

La maison médicale Laennec, un exemple d’innovation

Le 4 avril 1971 était inaugurée la maison médicale Laënnec, qui se trouvait dans le quartier des Hauts Champs, au n°20 avenue du Président Coty à Roubaix, dont le champ d’intervention était intercommunal, puisqu’on y accueillait aussi des personnes venant d’Hem et de Lys Lez Lannoy. A l’origine de ce projet, quatre jeunes médecins ayant fait leurs études ensemble, les docteurs Macquet, Genestin, Chelle et Prévost, qui décident de s’associer dès leur entrée dans la vie professionnelle. Ils s’installent provisoirement dans deux appartements de la tour des rosiers, située dans l’avenue du Président Coty.

Zhora se souvient : en juin 1969, le docteur Chelle m’a fait mon carnet de maternité et m’a suivi durant toute ma grossesse pour les consultations obligatoires, et je me souviens avoir fait au moins mes 4 à 5 dernières consultations à la maison médicale.

La maison médicale est construite en 1970 grâce à un prêt et elle est implantée sur un terrain de 1000 m² acheté au C.I.L., et prévu à cet effet dans le plan d’aménagement du quartier.

L’agencement du nouvel immeuble permet aux quatre associés de mettre en place leur projet de médecine de groupe. L’association des médecins favorise un service permanent, 24 heures sur 24 et pendant les jours fériés, la régulation du nombre de consultations et ainsi la possibilité de consacrer plus de temps aux patients. Le principe du médecin de famille est conservé, mais les associés mutualisent leurs fichiers, ce qui leur permet de se libérer plus facilement pour visiter des malades, suivre des formations ou se détendre en famille, sans que le service proposé n’en pâtisse.

Ils vont bientôt agrandir l’équipe et le champ des prestations. Le docteur Gilman les rejoint en 1973, puis les docteurs Dancoisne en 1980 et Leruste en 1984. La maison médicale hébergera également le cabinet dentaire du docteur Dherbecourt, et les consultations de trois kinésithérapeutes, Mme Martin et MM Landrieux et Gobert. Un podologue viendra également et l’on y pratiquera un temps la radiologie.

Laurent se souvient qu’en 1992, le docteur Leruste a repéré grâce à sa plaque à rayons une petite tâche sur son poumon gauche, qui après consultation en urgence à l’hôpital Provo, était un début de pleuro-pneumonie. Il a suivi un traitement et sa rééducation kiné-respiratoire s’est effectuée à la Maison Médicale avec le docteur Landrieux.

On y prévoyait des consultations de gynécologie et de neuropsychiatrie. Pour l’accueil, il y avait un roulement de deux à trois secrétaires et pour la nuit, une liaison téléphonique avec le médecin de garde. Les médecins travaillaient en concertation avec les infirmières du centre social des Hauts Champs et de l’antenne médicale dans un esprit de prévention et d’information.

Le lieu était fleuri et accueillant. Après avoir monté quelques marches, on entrait dans un grand hall avec des carreaux vitrés. Un secrétariat d’accueil permettait de prendre rendez vous ou d’orienter les patients vers la consultation. Chaque médecin avait son cabinet, et l’ambiance de travail était bonne. La maison médicale était reconnue et respectée dans le quartier et sa fermeture en 1998 fut ressentie comme une catastrophe par les usagers et par les médecins.

Les raisons de cette fermeture sont multiples. La question de la rentabilité est évoquée : les coûts de fonctionnement et de personnel n’étaient supportables qu’à condition qu’il y ait cinq médecins généralistes. Le départ d’un premier praticien appelé à d’autres missions, et d’un second pour sa retraite n’ont pu être compensés. La fermeture de l’usine Motte Bossut toute proche, et la démolition de la grande barre et d’autres bâtiments ont pu faire baisser la clientèle potentielle. Malgré les efforts des habitants et des bénévoles du comité de quartier des Hauts Champs, la maison médicale Laënnec restera fermée. La ville se portera acquéreuse du bâtiment en décembre 1998 avec le projet d’y implanter un pôle santé et d’y installer les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Après l’acquisition, les propositions de projet pour le Conseil  municipal seront nombreuses : un centre petite enfance, un centre ressources, un centre de génétique, un centre pour maladie mentale, un lieu pour les restos du cœur…

mml copieLa maison médicale en construction et en rénovation Photos Nord Éclair et PhW

Le débat sur l’occupation de ce bâtiment restera ouvert et les habitants du quartier, avec leur Comité ne manqueront pas de l’évoquer régulièrement aux élus. Avec l’avènement du Plan de Rénovation Urbaine en 2003, il est proposé de réhabiliter le bâtiment et d’en faire un Espace Ressources pour Jeunes (accueil, orientation et formation des jeunes 15-25 ans). Aujourd’hui les travaux sont terminés, et l’ouverture de l’équipement est prévue pour début septembre 2008.

La cité labyrinthe

Les travaux ont bien avancé, et la maison Ferret Savinel est en légère avance pour le gros œuvre. Sept collectifs à cinq niveaux sont sortis de terre, dont l’un ne mesure pas moins de 300 mètres de long, la fameuse Grande Barre, aujourd’hui disparue. Ces immeubles collectifs seront au début identifiés par une lettre et un numéro, la numérotation allant de B6 à B12.

 

chantierblog

Ce quartier résidentiel doit être terminé à la fin de l’année, pour respecter le délai imparti de 27 mois pour la construction. Déjà les peintres et les entreprises de plomberie sont à l’œuvre, et on envisage les travaux de viabilité. Les premiers logements sont livrés pendant le dernier trimestre 1960, alors que les plâtres sont encore frais, et qu’il faut encore s’occuper de l’environnement des bâtiments. On prévoit de loger 5.000 personnes dans ces logements construits en partie sur Roubaix et sur Hem, et on envisage déjà d’agrandir le groupe scolaire construit il y a trois ans.

En Janvier 1961, le chantier « frère » de celui des Hauts Champs est terminé. Ses bâtiments se trouvent entre la rue Montgolfier et le boulevard de Reims, entre le rue du Puy de Lôme et la rue Philippe Auguste. Il a été ouvert en novembre 1958, juste derrière le magnifique groupe de la Potennerie, et il représente 300 logements de différents types.

En mars 1961, les chantiers des Hauts Champs et du parc Cavrois sont donc terminés pour ce qui concerne les bâtiments. Une visite officielle des dirigeants du CIL, des architectes et des entrepreneurs vient visiter la chaufferie, et trois appartements dans le bloc 10.

Le groupe des Hauts Champs est alors considéré comme un quartier labyrinthe, avec ses immeubles et ses entrées numérotés. Aucun nom de rue, pas d’indications dans ce quartier en formation. Il y a bien des concierges, mais il faut les trouver, comme n’importe quel habitant de ces grands immeubles anonymes, dans une cité de près de 10.000 âmes.

Des noms de peintres seront donnés à certains bâtiments : le B6 sera le Pavillon Jean Baptiste Chardin, le B7 le pavillon Jean Baptiste Greuze, le B8, le pavillon Claude Monet, le B9 pavillon Edgard Degas. Les autres bâtiments B10, B11 et B12 n’obtiendront pas de dénomination immédiate. C’est alors que les rues s’organisent autour du nouveau quartier : en novembre 1963, la rue Michelet va enfin rejoindre l’avenue Motte, en longeant le mur de l’usine de velours. Elle permet ainsi d’intégrer le pavillon Claude Monet dans ses adresses. La rue Joseph Dubar à Roubaix et l’avenue du professeur Calmette à Hem suffisent à peine pour longer les trois cents mètres du B12, qu’on appellera par défaut, la Grande Barre. Trois bâtiments céderont alors leur nom à la rue qui les longe : le pavillon Degas donnera la rue du même nom, au bout de laquelle sera ouverte la rue Charles Pranard, entre les bâtiments 10 et 11. Les pavillons Jean Baptiste Chardin et Jean Baptiste Greuze, autrefois répertoriés dans les adresses de l’avenue Motte, deviennent des rues à part entière.

Telle est la configuration de la cité des Hauts Champs, à la fin des années soixante. Son histoire, bien entendu, ne s’arrête pas là…

Le témoignage de Christian Lebrun :

Félicitations pour votre initiative…J’ai été un des premiers habitants de ce quartier puisque j’y suis arrivé en novembre 1960. J’habitais rue Charles Pranard qu’on avait d’abord appelée Nouvelle Rue dans l’immeuble démoli depuis et qui était le bâtiment 11. La grande Barre était alors encore en construction. J’ai été nommé instituteur dans l’école appelée alors Ecole des Hauts Champs devenue Ecole Brossolette. Le bâtiment de deux étages n’existait pas et il y avait école de garçons et école de filles.
Je me souviens d’un drame survenu lors des vacances de Pâques 1961. Derrière le chantier de la grande barre, il y avait un énorme trou rempli d’eau et deux gamins avaient fabriqué un radeau de fortune pour s’y aventurer. Ils ont chaviré en plein milieu et il me semble qu’ils sont morts tous les deux. Je vais voir si j’ai des photos…

Celui de Robert Maurau :

J’ai habité les Hauts Champs en 1960, rue Beaujon à Hem. Je pense que mes parents ont été les premiers, je me souviens très bien des enfants qui se sont noyés, j’avais 9 ans et j’ai fait les mêmes bêtises.

 

Le double chantier

Il est donc question de construire sur la plaine des Hauts Champs, entre l’église Sainte Bernadette et l’usine Motte, où deux organismes, l’office départemental des HLM et le CIL prévoient de faire sortir de terre une cité de 1200 logements. D’ici deux ans, existera une superbe cité moderne où d’innombrables mal logés auront enfin un logis confortable et lumineux à souhait. Les architectes désignés pour aménager ce secteur sont MM Jean Dubuisson, et Guy Lapchin.

Jean Dubuisson fait partie d’une famille d’architectes. Son père Emile, est l’auteur de l’hôtel de ville de Lille et de son beffroi. Lui-même est Grand Prix de Rome, et avant qu’il ne s’occupe du dossier des Hauts Champs, il a déjà réalisé la résidence du Parc à Croix en 1956. Son collègue Guy Lapchin  a travaillé à la réalisation de la résidence d’Armenonville, boulevard de Gaulle à Roubaix, avec les architectes Guillaume Gillet, et Pierre Ros en 1958. Ensemble, Dubuisson et Lapchin mèneront à bien le projet de la résidence du parc Saint-Maur à Lille de 1961 à1967.

architectesLes architectes Dubuisson, Lapchin et Gillet Photos Nord Eclair

Le projet n’est pas nouveau, car dès septembre 1952, le Conseil Municipal décide qu’on va bâtir aux Hauts Champs. Les travaux sont cependant divisés en deux tranches : neuf cents logements pour les Hauts Champs, et trois cents pour la Potennerie, pour le groupe Cavrois rue du Puy de Lôme.

Dès le mois de juin 1958, on aménage le terrain, on creuse des aqueducs, on trace des routes et des voies d’accès : on projette ainsi de prolonger la rue Léon Marlot jusqu’à la rue du chemin vert à Hem, et la rue Emile Zola à la Justice aboutira à la rue du bas voisinage à Hem. Ces projets ne seront pas menés à bien. La rue Léon Marlot vient de reprendre sa progression à travers la cité des Hauts Champs, et la rue Emile Zola s’est définitivement arrêtée rue Michelet. La configuration de la future cité a transformé les projets de rue envisagés. La ville de Roubaix a cependant déjà construit une école qui n’attend plus que ses élèves, sans doute l’école Brossolette, dans la rue du même nom, ouverte par la société du Toit Familial de Roubaix Tourcoing[1].

une nouvelle cité 1959Le chantier des Hauts Champs Photo Nord Eclair

La première pierre est posée le 24 juin 1958 et la fin du chantier est estimée à la fin de l’année 1960, au plus tard. Une centrale thermique souterraine doit alimenter les appartements en eau chaude et en chaleur qui viendra des parquets. Pour parer à l’éventualité d’une panne, il y aura des cheminées qui pourront servir à des poêles. Les appartements seront de grandeur différente, du studio au logement avec plusieurs chambres, comprenant pièce de séjour, salle d’eau, et tout le confort. Le coût de la construction est évalué à trois milliards, mais il y a encore de l’espace pour une deuxième tranche : ce sera l’opération du chemin vert en 1965.

Le chantier avance bien, en août 1959, Nord Eclair titre : la vaste plaine des Hauts Champs devient peu à peu une cité résidentielle. Les immeubles s’élèvent et s’allongent  les uns après les autres, avec leurs façades à l’aspect coquet et agréable. C’est devant une cité des Hauts Champs dont les bâtiments sont quasiment achevés, que passera Nikita Kroutchev, le Président de l’Union Soviétique, en mars 1960, sur le chemin de sa visite aux établissements de la Lainière de Roubaix. L’industrie textile et le bâtiment composaient à l’époque une grande part de la vitrine de la ville.


[1] D’après les Flâneurs de la société d’émulation

Les Hauts Champs : une immense plaine agricole

Que sait-on des Hauts Champs avant qu’ils n’intéressent les bâtisseurs ? Au temps des seigneurs de Roubaix, ils désignent quelques hectares de champs entre la lisière d’un bois et les terres du fief de Beaumont. Il est délimité par le chemin d’Hem aux Trois Ponts, et par le sentier du chemin vert menant au gibet des seigneurs de Roubaix.  Le nom du lieu dit a servi pour désigner une division du cadastre jusqu’en 1841[1]. Avec le temps, les deux pied-sentes deviennent pour l’une le chemin vicinal numéro neuf, dont le nom subsiste encore aujourd’hui, et l’autre à la limite de deux communes, devient rue du chemin vert sur Roubaix et rue Catinat sur Lys lez Lannoy.

L’usine Motte-Bossut avenue Motte doc Monde illustré 1923

De nouveaux repères apparaissent au début du vingtième siècle : une large avenue traverse la campagne roubaisienne, de la rue de Barbieux jusqu’à la rue de Lannoy qui prendra le nom d’avenue des Villas, puis en 1908, celui d’Alfred Motte, de la descente du boulevard de l’Hempenpont[2] jusqu’à la rue de Lannoy. Entretemps, s’est édifiée à partir de 1902, la fabrique de velours Motte-Bossut[3]. Pour quelques temps, à coté de l’usine, des jardins ouvriers vont côtoyer les champs de l’endroit. Mais l’industrie gagne du terrain, et l’implantation du chemin de fer sur l’avenue Motte en est le signe fort. La seconde guerre mondiale verra s’achever la vocation de boulevard industriel des avenues Salengro et Motte, dont le terre-plein central est le vestige de l’animation ferroviaire passée. L’ancienne gare de débord a laissé son nom à la cité construite à l’entrée de Roubaix, après le contour des petites haies.

L’avenue Motte avant le contour des petites haies doc AmRx

Au-delà de cette avenue si difficile à traverser, hier les trains, aujourd’hui les voitures, la vague de l’habitat va bientôt engloutir les implantations industrielles et atteindre le territoire encore champêtre des Hauts Champs. Amorcée dès les années vingt, l’opération des Habitations à Bon Marché va remplir l’espace compris entre l’avenue Linné et l’avenue Motte, en deux temps, des maisons rue Jean Macé, des logements collectifs le long du boulevard de Fourmies. La construction reprend à marche forcée après la seconde guerre mondiale. Les maisons du CIL apparaissent le long de l’avenue Gustave Delory, du quartier de Beaumont jusqu’à l’avenue Motte, qu’entourent ensuite les lotissements du contour des petites haies, de la gare de débord, et de la rue Mignard. De leur côté, les HLM ont complété l’espace resté vacant entre les deux opérations HBM de l’entre deux guerres, entre la rue Jean Macé et la rue Rubens. La construction de l’église Saint Bernadette de 1935 à 1937 est un signe important de l’augmentation de la population. Avant qu’elle traverse l’avenue Motte et devienne une petite église circulaire, elle dressait sa masse quadrilatère édifiée par les architectes roubaisiens René et Maurice Dupire à l’orée des Hauts Champs, dans l’alignement de l’usine de velours Motte Bossut. La vague de construction s’est arrêtée provisoirement à l’avenue Motte, devant les derniers terrains disponibles de cette partie de Roubaix.

Au fond du cliché, l’espace entre l’usine Motte Bossut et l’église Ste Bernadette Coll Particulière

En avril 1958, Ignace Mulliez, Albert Prouvost et Guy Lapchin, respectivement président, président honoraire et architecte du CIL, plantent la tente sur l’immense plaine des Hauts Champs, pour recevoir le ministre de la reconstruction et du logement Pierre Garet, qui vient de passer en revue les réalisations HLM et CIL du Nouveau Roubaix, dont la dernière en date est l’immeuble de la rue Regnault[4]. La cité des Hauts Champs se prépare…


[1] Selon l’histoire de Roubaix de Théodore Leuridan
[2] Aujourd’hui boulevard Clémenceau à Hem
[3] Cette entreprise cesse son activité en 1982 et devient ensuite l’Usine, le grand ensemble de magasins bien connu.
[4] Dit la banane, récemment démoli.