Dans un Roubaix libéré, le 17 septembre 1944, le grand théâtre de Roubaix (l’Hippodrome) propose « aud’juss de l’planque trouée », une opérette roubaisienne et annonce par la voix de ses directeurs Léon Delmulle et Angèle Vandorselaere le programme de la prochaine saison lyrique : opéras comiques, opérettes, créations, galas de comédies classiques, grandes tournées.
En Janvier 1945, on donne le Gala Courteline au Grand Théâtre, au profit des prisonniers et des déportés. Trois têtes d’affiche pour l’Hippodrome Théâtre de Roubaix, M. André Brunot de la comédie française, M. Lucien Pascal du théâtre National de l’Odéon et Melle Gisèle Casadesus, l’une des meilleures interprètes du moment des comédies de Molière, qui vient de tourner au cinéma « Graine au Vent », film de Maurice Gleize. A Roubaix, on jouera les pièces de Courteline suivantes : Boubouroche, un client sérieux, et la paix chez soi. Ainsi l’Hippodrome Théâtre de Roubaix est-il encore une grande scène de théâtre.
L’Hippodrome est également la grande scène de l’art lyrique, « les pécheurs de perles » de Bizet programmé en février en est la preuve, et sa programmation théâtrale ne faiblit pas. En mars et avril, place au cirque, c’est le temps de la foire et l’Hippodrome accueille le grand cirque franco belge, la foire est dite « ressuscitée » en avril 1945. Le théâtre et le cirque vont d’ailleurs faire l’objet d’une innovation au grand théâtre : on va jouer l’auberge du cheval blanc, sur piste !
En juillet 1945, renouant avec la tradition des grands débats politiques, c’est Maurice Schumann porte parole de la France combattante qui vient présenter le programme du MRP (Mouvement Républicain Populaire). En octobre, ce sera le grand meeting de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). Voilà redémarrées les activités de ce grand lieu culturel roubaisien.
En avril 1946, on apprend que le Grand Théâtre change de direction : Melle Vandorselaere et M Delmulle qui l’avaient impulsé jusqu’ici, laissent la place à Jean Dubois, directeur propriétaire de l’hippodrome de Valenciennes et de divers cinémas. Il arrive avec de l’expérience et des projets de programmes de variétés.
En novembre, M. Dubois a pour projet de transformer le grand théâtre en capitole, et de passer du théâtre lyrique à des programmes plus variés ? On annonce déjà que la saison de théâtre lyrique en cours serait la dernière. La disparition des « voix » expliquerait cet arrêts : en effet, on ne trouve plus de ténors et le nombre des diva diminue. Les survivants font des caprices, et il y a trop d’imprévisible à ce niveau. Les décors, le machinisme, les difficultés pour rassembler un orchestre tout cela a une répercussion sur le prix des places, sans parler de la concurrence des cinémas. Est ce la fin du théâtre lyrique à Roubaix ? Au moment où une subvention municipale de deux millions et demi de francs vient de lui être octroyée, les deux théâtres lillois recevant pour leur part 53 millions à eux deux ?
La vieille salle de 1882 construite par les architectes Dupire et Selle tourne alors à 1800 places. M.Paul Douai fils vient à la rescousse pour que le théâtre lyrique conserve ses droits. M. Dubois le directeur propriétaire veut cependant transformer l’immeuble : rajeunir promenoir, salle et scène, et le nommer Capitole. On irait vers le music hall, des concerts, des comédies.
Janvier 47, les roubaisiens peuvent applaudir Mado Robin dans Lakmé. Mais, le le 22 mai 1947, la décision municipale tombe : après une visite de sécurité du grand théâtre de Roubaix ex hippodrome, il est relaté que cet établissement de construction très ancienne ne répond pas aux prescriptions réglementaires tant en ce qui concerne le gros œuvre que les moyens d’évacuation du public et de défense contre l’incendie. Il est même dit que l’exploitation de la dite salle située boulevard Gambetta (le boulevard Leclerc n’existe pas encore) constitue un danger public ! L’établissement est donc fermé au public, le temps qu’il se conforme aux conditions de sécurité et reçoive une nouvelle autorisation d’ouverture.
En juin 47, les travaux envisagés sont les suivants : refaire la façade, élargir les portes d’entrée, installer de véritables sièges pour remplacer les banquettes des premières galeries. On souhaite moderniser la décoration de la salle, en blanc et rouge, avec des éclairages et installation électriques conformes, et du chauffage au mazout renforcé. On supprime les anciens décors et on les remplace par des toiles de fond.
En septembre 47, on sait que le manque de dégagements, la quantité importante de matériaux inflammables ont entraîné la fermeture provisoire du théâtre. Des travaux ont été validés par la commission municipale de sécurité, et on attend la ratification de la commission des spectacles de Paris dépendante du ministère des beaux arts. Les cinq sorties du théâtre, trois sur le boulevard et deux sur la rue Édouard Anseele étaient réglementaires, mais elles ont été sensiblement élargies. Toutes les parties en bois sont enlevées (environ 50 tonnes), et notamment remplacées par des escaliers en ciment. Des sièges individuels remplacent les banquettes, l’électricité a été mise en conformité, il reste à aménager l’intérieur de la salle, mais M. Dubois reste très discret sur ce sujet.
En janvier 1948, c’est l’annonce de la réouverture, le 10 ou 11 janvier, et ce sera « la veuve joyeuse ». On parle de grosses vedettes de music hall comme Charles Trenet ou Tino Rossi, et on évoque les grandes transformations : le plafond a été entièrement refait, couleur ivoire tacheté d’étoiles, l’éclairage par hublots au premier balcon permet de disposer d’une douce lumière, on a installé un tapis de caoutchouc, et des tubes au néon tout au long de la première galerie. Le Capitole Théâtre dispose de quatre postes d’incendies et d’une trentaine d’extincteurs.
Soudain, en janvier 1949, le Capitole se met au cinéma, sans doute pour faire face à la concurrence, et pour offrir une plus large palette de spectacles à une clientèle plus diversifiée. L’inauguration du cinéma a lieu le vendredi 15 janvier, avec la projection du film hongrois réalisé en 1948 « Quelque part en Europe ». Ce film qui connut un grand retentissement à l’époque, n’était pas une œuvre de divertissement : il abordait le douloureux problème des enfants livrés à eux-mêmes, dans le contexte de la Deuxième Guerre Mondiale.