Tapisserie Page

En 1883, Edmond Page, maître tapissier, débute dans l’industrie de l’ameublement à la Justice à Roubaix. Il tisse également dans son usine des courtepointes et couches destinées à langer les bébés. A l’époque, dans la méthode française, on enveloppe l’enfant de trois langes superposés : lange de toile ou d’œil fin, lange de duvet, lange de flanelle. On assujettit le lange par des épingles de sûreté placées au-dessus des jambes, de façon que ces dernières restent libres.

Exemple de courtepointe du 19 ème siècle (Document Etsy)

En 1911, son ancienne usine, ayant été détruite par un incendie, il en bâtit une nouvelle 62 rue du Cimetière de Lannoy (actuellement rue des Trois Villes) à Hem. Cette fois il y installe du matériel plus perfectionné pour tisser : soieries, tapisserie coton, velours à dessins jacquard, velours imprimés et moquettes coton.

Exemple de tapisserie des Flandres du 17ème siècle (Document Selency)

Il reprend alors la tradition des anciens maîtres tapissiers célèbres pendant tout le Moyen-Age. Lors de l’invasion allemande pendant la 1ère guerre mondiale, l’ennemi détruit une partie de son matériel et dévalise spécialement ses riches collections de tapisseries des Flandres. Avec courage, il refait ses modèles consistant en garnitures de fauteuils et sofas, en bordures et en panneaux décoratifs.

L’usine Page (Document Historihem)

Dans l’immense bâtiment de briques rouges et blanches il y a jusqu’à 130 salariés et 80 métiers qui tournent. Les métiers à navette datent de 1927 et dans l’atelier se trouve même un vieux métier à tapisserie à la main avec une pédale et la mécanisation progressive de l’usine n’empêche nullement le tisserand de multiplier les interventions sur son ouvrage.

Les cartons Jacquard et les bobines de couleur (Document Historihem)

D’immenses étagères en bois montant jusqu’au toit abritent les cartons jacquard avec tous les motifs utilisés depuis le début de l’activité. Les bobines de couleur, enroulées sur du bois sont pendant longtemps surveillées par des enfants d’une douzaine d’années, jusqu’à ce que le travail des enfants soit interdit.

Le tisserand doit veiller à l’humidité des cartons jacquard, retendre ou renouer les fils qui se brisent. Les piquetières quant à elles vérifient les raccords et éliminent, le cas échéant, le point jaune qui s’est glissé dans un motif bleu au milieu d’une scène de chasse de 2 mètres sur 3…

Les métiers à navette (Document Historihem)

Les cartons jacquard, c’est l’ancêtre de l’informatique : un carton perforé de couleur blanche que l’on aperçoit au sommet des machines. Chaque trou contrôlant un fil de laine, le carton jacquard contient donc la programmation d’un dessin ou d’un motif. Les métiers à tisser à navette travaillent selon la technique dite de la double pièce qui permet de fabriquer du velours.

Avant la 2ème guerre mondiale, la région de Lannoy est non seulement la capitale française de l’industrie du tapis mais aussi le centre mondial du tapis. Les villes d’Hem, Lannoy et Lys-lez-Lannoy forment à l’époque « la vallée des tisseurs » et l’usine Page, située dans le quartier du Petit-Lannoy à Hem se trouve au cœur de ces 3 villes.

La rue qui l’abrite et qui sera par la suite nommée : rue des 3 Villes a en effet la particularité de n’être hémoise que d’un côté, le côté droit en venant de Lannoy, où se situe précisément l’usine et la maison de maître de la famille. De l’autre côté c’est la rue du Cimetière pour Lannoy puis la rue de Metz pour Lys-lez-Lannoy.

Vue aérienne de l’usine jouxtant la maison de maître en 1962 (Document IGN)

De père en fils les générations de la famille Page se succèdent à la tête de l’entreprise. Dans les années 1950, R Page et Cie est répertorié dans 4 rubriques : fabrication de tissus pour ameublement, tapis moquettes fabrication, tapis fabrication et , sous forme de SARL, tapisserie fabrication. La demeure familiale est alors au nom de R. Page-Crespel et se trouve au même endroit jusque dans les années 70.

En février 1955, un incendie se déclare dans la salle de piqurage et la vingtaine d’ouvrières qui a pris son service à 13h voit soudain des flammes s’échapper d’un tas de pièces finies ou à finir, entreposé dans cette salle qui sert aussi de magasin. L’alerte est donnée aussitôt et les pompiers de Roubaix arrivent sur les lieux.

Les soldats du feu attaquent le sinistre à l’aide de plusieurs lances alors qu’une épaisse et âcre fumée s’échappe des matières en combustion. Au bout d’une heure d’efforts tout danger d’extension de l’incendie est écarté et les pompiers entreprennent alors de déblayer les quelques vingt mille kilos de matières textiles.

Les bâtiments n’ont heureusement pas beaucoup souffert mais les dégâts devraient quant même atteindre plusieurs dizaines de millions les vingt tonnes de tapis et tissus d’ameublement étant hors d’usage. Aucun blessé grave n’est à déplorer, seuls deux ouvriers ayant été légèrement incommodés par les émanations.

Incendie aux établissements Page en 1955 (Document Nord-Eclair)
Publicités des années 1970-1980 (Documents Historihem et collection privée)
Vue aérienne de l’usine et de la demeure familiale en 1972 puis de l’usine et d’une nouvelle maison bâtie en retrait de la rue en 1995 (Documents IGN)

Puis, dans les années 90, la maison de maître disparaît des photos aériennes sur lesquelles on constate l’apparition d’une maison neuve, très en retrait de la rue. En revanche, l’usine est toujours là et, en 1993, Denis Page qui la dirige organise une opération portes ouvertes dont la presse se fait écho.

Des tapis feutrent le bureau du directeur, habillé d’un mobilier rustique et d’époque, tels que nos ancêtres les ont connus. Une impression de calme et de sérénité s’en dégage, un peu semblable à l’ambiance d’un musée selon le journaliste, impressionné par la bâtisse et le nombre et la qualité des tapis qu’elle abrite.

Le directeur de la 3ème génération : Denis Page (Document Historihem)

Dans l’atelier, une dizaine de métiers, en fonte et en bois, avec des sangles en cuir, tournent encore sous les hautes poutres métalliques. Le journaliste décrit les rouages bien huilés, la trame bien tendue, et, au fil des allers et retours de la navette, le motif qui se dessine sur le tapis de laine.

Ancien métier en fonctionnement (Document Historihem)

L’usine compte alors 17 salariés qui utilisent encore des métiers datant des années 1920. Outre les tapis de laines et velours produits, 2 des métiers sont encore utilisés pour la production de tapisserie dans la grande tradition de la tapisserie française type manufacture des Gobelins et Aubusson.

Tapisserie de tradition (Document Historihem)

Si les tapis Page ne sont pas les moins chers du marché ils sont uniques du fait de leurs caractéristiques et de leur aspect velouté : les dessins sont très anciens ( d’un demi-siècle à un siècle) et le fil de laine de Nouvelle-Zélande est de très grande qualité, très fin et brillant, la finesse du fil étant très importante tant pour la définition du dessin que pour la qualité du produit fini. Un procédé spécial est ensuite utilisé pour lui donner un aspect de patine ancienne.

Un métier en action (Document Historihem)

L’entreprise vend alors en France aux distributeurs et aux grands magasins parisiens mais exporte également 40% de sa production vers les Etats-Unis et les pays européens. De nouveaux produits sortent encore régulièrement, tel le tapis écologique, sans teinture, fait uniquement de fibres aux couleurs naturelles, produits très demandés par les américains. Pourtant en 1994, la société Page, créée en 1956, ferme ses portes et va être rasée.

Vue aérienne années 2000 (Document IGN)

Remerciements à l’Association Historihem