Rue Jules Guesde : entre le boulevard Clémenceau et la rue de la Vallée

Une fois traversé le boulevard Clémenceau, la rue Jules Guesde comporte encore, à la fin de la seconde guerre mondiale de nombreux champs et une ferme importante, côté impair. Celle-ci existait déjà au 19ème siècle et appartenait à la famille Delcroix qui l’exploite encore à l’époque, et ce jusqu’à ce que Françoise Delcroix épouse, en 1964, François Lefranc. Le couple a un fils François-Xavier l’année suivante qui reprendra l’exploitation.

Vue aérienne de cette portion de la rue Jules Guesde en 1946 (Document IGN)

Dans les années 1980-2000, il n’est pas rare de voir la circulation interrompue dans la rue par la traversée des vaches, revenant de leur pâtures dans la rue du Cimetière et débouchant dans la rue par un petit sentier situé entre 2 maisons juste en face de la ferme. Autobus comme automobiles patientent alors de bonne grâce tandis que le troupeau regagne la ferme.

Vues de la ferme à l’époque et en 2023 (Documents Historihem et Google Maps)
Vaches en pâture et leur retour à la ferme et le sentier emprunté pour leur retour en 2008 (Documents Historihem et Google Maps)

Au début du 20ème siècle, au coin de la rue de la Vallée, et tantôt répertorié au n°128 de cette rue ou au n°174 de la rue Jules Guesde, au carrefour des 4 Chemins, se trouve un estaminet. D’abord nommé Au Pinson, il devient ensuite « Aux quatre chemins » et sera tenu par Marcel Walla, avant que Blanche Depresteer n’en prenne la direction dans les années 1960. Le café fonctionne jusqu’au début des années 2000 avant de céder la place à une agence immobilière.

Photos de l’estaminet au Pinson 128 rue de la Vallée, cachet de la Maison Walla et publicité du café Depresteer au 174 rue Jules Guesde (Documents Historihem)
CPA de l’endroit vu vers la Vallée et vu vers Jules Guesde début 20ème siècle et les mêmes vues aujourd’hui (Documents collection privée et Google Maps)

En dehors de l’agriculture, dans les années 1920, peu de commerçants ou artisans sont installés dans la rue Jules Guesde, laquelle porte alors le nom de rue de Lannoy ou encore rue du Petit-Lannoy. Parmi eux on peut citer, au n°68 de la rue du Petit-Lannoy, Henri Liagre, secrétaire de l’UN des Mutilés pour la section d’Hem, mais aussi dépositaire de l’entreprise générale d’électricité roubaisienne Albert Deny.

Carte publicitaire des Ets Albert Deny (Document collection privée)

On trouve également à cette époque la maison Lemenu-Mathon, au n°63 de la rue du Petit-Lannoy, spécialisée dans la peinture, la vitrerie, les décors, papiers peints, les brosses et toiles cirées. L’entreprise est-elle ensuite partie au n°115 de la rue Jules Guesde où on la retrouve dans les années 1950 (voir plus loin) ou bien y a t’il eu un changement de la numérotation au moment où la rue a changé de dénomination, voire plus tard ?

Publicité de la maison Lemenu-Mathon en 1928 (Document collection privée)

Presqu’en face, au n°56 et 58 de la rue du Petit-Lannoy, est alors installé le charpentier menuisier Edouard Bélin, spécialisé en ébénisterie mais aussi cercueils et meubles en tous genres, qui a donné à son entreprise le nom « A la ville d’Hem ». On retrouvera aussi, dans les années 1950, la maison Deffontaine Bélin au n°92 de la rue Jules Guesde (voir plus loin).

Publicité de 1928 « A la ville d’Hem » (Document collection privée)

Puis, dans les années 30, apparaît l’artisan Z.Duhamel, spécialisé en peinture, décors, vitrerie et tapisserie, au n°81 bis de la rue Jules Guesde. On peut suivre le même raisonnement à moins qu’il ne s’agisse d’une simple homonymie, le prénom étant différent, lorsque l’on retrouve une maison du même nom , avec la même activité, dans les années 1950 au n°139.

Publicité de Z Duhamel dans les années 1930 (Document collection privée)

Côté pair, au n°92, dans les années 1940 est installé un charpentier, nommé Deffontaine. De fait la maison Deffontaine Bélin a des activités multiples : charpentier, menuisier, pompes funèbres et meubles. Elle demeure en activité durant plusieurs décennies, cédant la place à la maison Deffontaine Parent dans les années 1970, avant de cesser totalement son activité.

Publicités des années 1960 à 1990 (Documents Nord-Eclair et Historihem)
Photos du commerce dans les années 1980-1990 et après la cessation de l’activité en 2008 (Documents Historihem et Google Maps)

A la même époque le n°97 abrite l’électricien Van Eeckout qui cède la place à l’épicerie Van Eeckout durant la décennie suivante puis à l’épicerie Lietanie Marescaux dans les années 1960 et enfin à l’alimentation générale Hovart dans les années 1980. Actuellement cette adresse n’héberge plus d’activité commerciale.

Publicité et intérieur dans les années 1970, façade du commerce en 2008 et façade actuelle (Documents Nord-Eclair, Historihem et Google Maps)

A la fin des années 40, au n°69, plus exactement dans l’impasse Vandemeulebrouck, s’installe le garage Van den Bruwaene, tenu par Maurice Van den Bruwaene qui est aussi un pilote automobile renommé (sur ce sujet voir un précédent article édité sur notre site). C’est le garage Delecroix qui prend la suite dans les années 1970 et on retrouve toujours aujourd’hui le garage de Pascal Delecroix au n°63 de la rue et ce depuis les années 2000.

CPA du début du siècle à hauteur du 63 au 69
Photos de Maurice Van den Bruwaene et publicités du garage dans les années 1960 (Documents Nord-Eclair)
Publicités du garage Delecroix dans les années 1980 et photo du garage au n°63 et publicité dans les années 1990 et photo en 2022 (Documents Nord-Eclair, Historihem et Google Maps)

A la même époque l’artisan peintre Lemenu est installé au n°115 où il tient aussi un commerce de droguerie et vend des papiers peints. Prendront la suite les drogueries Deraedt et Lepers dans les années 1960 puis Burlin avant qu’une agence de la banque Société Générale n’investisse les lieux au milieu des années 1970 jusqu’à son déménagement dans la ZAC de la Blanchisserie (sur ce sujet voir un précédent article édité sur notre site). C’est depuis une agence notariale qui a investi les lieux.

Publicités Lemenu, Deraedt, Société Générale et photos de la banque (Documents Historihem, Nord-Eclair et Google Maps)

Plus loin dans la rue, au n°139, est installé un autre artisan peintre qui tient également un commerce de droguerie et de papiers peints : la Maison Jean Duhamel. La publicité se fait dans les journaux mais aussi à l’aide de portes clés distribués à la clientèle. Dans les années 1980, c’est Jacques Duhamel (le fils) qui occupe les lieux et y exerce son activité de décorateur.

Publicités de Jean et Jacques Duhamel et photo de la façade en 2022 (Documents Nord-Eclair, Historihem, collection privée et Google Maps)

Un marbrier est installé durant la même période au n°150 de la rue : la maison Waulter, qui, jusqu’à la fin des années 1960 fait commerce de caveaux et de monuments funéraires mais aussi de pierres de construction et de cheminées de tous styles. Ses bureaux sont à l’adresse indiquée mais ses ateliers se situent dans l’impasse Lienart toute proche.

Publicités de la Maison Waulter et façade du 150 en 2008 (Documents Nord-Eclair, collection privée, Historihem et Google Maps)

Ajoutons pour être complet la bonneterie Cochez-Beghin au n°129 et la blanchisserie Boussemart au 172 indiquées dans le Ravet Anceau de 1947 à 1949 et qui n’apparaissent plus dans les annuaires de la décennie suivante. Si le n°129 n’a manifestement plus abrité d’activité professionnelle par la suite, un chirurgien dentiste a exercé dans les années 1970 au n°172.

Façades des 129 et 172 en 2008 et publicité d’installation du chirurgien dentiste en 1976 (Documents Google Maps et Nord-Eclair)

Remerciements à l’Association Historihem

A suivre…

Café Janssoone

La rue des Trois Baudets à Hem a donné son nom au quartier qui l’entoure. Au dix-septième siècle c’était un simple sentier de terre qui menait à Roubaix et ce n’est qu’au dix-neuvième siècle qu’elle apparaît avec le nom de Chemin de Hem aux trois Baudets. Au début du vingtième siècle comme l’atteste la carte postale ci-dessous elle prend le nom de Chemin des Trois Baudets.

Chemin des 3 Baudets (Document Mémoire en Images de Hem)

Elle doit son nom à la forte pente à monter en venant de Roubaix pour aller au centre de Hem. La diligence s’arrête alors au bas de la rue au lieu dit « Le pain d’or » (actuel coin des rues Jean Jaurés et Clémenceau) nom de l’estaminet qui s’y trouve et dont le propriétaire sort alors ses ânes pour aider les chevaux fatigués à monter la côte jusqu’au relais de diligence situé au coin de la rue du Bas Voisinage (actuelle rue Louis Loucheur).

3 ânes pour grimper la côte (Document Au Temps d’Hem)

A l’époque les estaminets sont déjà nombreux dans cette petite rue et aux alentours immédiats : le Pain d’Or, le Beau-Chêne, le Congo, le Chasseur Belge (devenu en 1902 le Grand Saint-Eloi), la Fosse de la Verrerie, la Gaité, l’Harmonie, le Mirliton, le Point du Jour, le Pont de Canteleu, le Plafonnier, le Saint-Louis (relais de diligence des Trois-Baudets) au coin de la rue du Bas Voisinage, le Vrai Bon vivant, la Truelle d’Or…

La rue des Trois Baudets puis rue Jean Jaurés avec le futur café Janssoone au n°96 (Document Mémoire en Images de Hem)

C’est donc vers le milieu de la rue, plus exactement au numéro 96, que, dans les années 1920, s’installe Jules Janssoone, fils de Achille Janssoone, tisserand à Roubaix, en qualité de menuisier/ébéniste et exploitant d’un café-tabac. L’établissement sert également de siège au comité local du syndicat des petits propriétaires et bénéficiaires des HBM (Habitations à bon marché) qui a pour objectif la défense de la petite propriété familiale. C’est aussi chez lui que se déroule la perception de la taxe sur le chiffre d’affaires.

Un Comité Républicain Démocrate est fondé à Hem en 1926, à l’initiative de Georges Bernard (Voir sur notre site un article sur cette personnalité intitulé Georges Bernard- La Villa Pax) au cours d’une réunion à laquelle Jules Janssoone participe et est élu membre du comité. Jules Janssoone s’implique dans la vie politique de la commune où il figure sur la liste de concentration républicaine au titre de candidat aux élections municipales de 1929, au cours desquelles il est élu.

Jules dans son atelier (Document Joffrey Janssoone)

Au début de la seconde guerre mondiale c’est l’affolement et l’évacuation de la population civile est prévue par le commandement militaire. Une commission municipale d’évacuation de la population est donc constituée à Hem comme ailleurs, dans laquelle figure Jules Janssoone. Une réunion en mairie à pour objet d’indiquer la mission de chacun de ses membres, fixer les points de groupement, des moyens de transport et des points de rassemblement de la population.

Une enquête fait ressortir 4550 personnes à évacuer, dont 408 malades et vieillards et 1635 femmes et enfants. Pour cela les industriels, agriculteurs, commerçants et particuliers peuvent mettre à disposition 2 camions de plus de 3 tonnes, 12 camions de moins de 3 tonnes, 97 camionnettes et voitures de tourisme, 18 chariots à 4 roues et 4 tombereaux.

Instantané de mémoire de Rose Gosman habitant rue Jean Jaurès (Document Historihem) : « Lundi 20 mai, tout le monde partait. Ma tante, marchande de lait au bidon, avait une voiture C4. Elle emmena ma mère, ma marraine, les parents de la marraine ; moi, j’étais assise sur le bidon d’essence, la tête baissée par le plafond de la voiture. Mon père partit en vélo…La voiture tombait constamment en panne, nous roulions au pas à cause de l’embouteillage des routes et les bougies s’encrassaient. Mon père avançait plus vite que nous en vélo ! Il demandait aux gens «  Vous n’avez pas vu une voiture avec un sac blanc sur le capot ? » Par manque de place, nous avions mis en équilibre sur le capot de la C4 un grand sac en toile blanche rempli d’effets. Nous avons été mitraillé par des avions à La Bassée. Nous avons dormi dans une ferme à Beuvry : c’est la première fois que je dormais dans du foin. »

Exemple de photos de l’exode en 1940 (Documents Wikipedia)

Pendant la guerre tout est bon à prendre pour venir en aide aux prisonniers. Ainsi des jeux sont organisés et chaque fois une recette assez rondelette est remise au comité local d’entraide. C’est dans ce cadre qu’un groupe d’amis a l’idée d’organiser une soirée chantante chez Jules Janssoone.

Le succès de la soirée dépasse toutes les espérances grâce au concours bénévole d’artistes réputés : « les Prudents » et « les Charlystes », duettistes (Personne qui chante ou qui joue d’un instrument en duo ou personne qui fait un numéro de music-hall, de cirque avec une autre) , « Raymolus » et « Marcel Eelbo », comiques, accompagnés au piano par Mlle Bauwens. Les jeux de 421 sont récompensés d’un lapin, don de Mr Balduyck et d’un filet d’Anvers, don de Mr Demaline, boucher dans la rue. Au total, la soirée permet de récolter la coquette somme de 2515,20 francs pour le comité d’entraide.

Exemple de duettistes des années 1920-1930 (Document les Amis du Louxor)

A suivre…

Une pensée pour Emilie Janssoone disparue trop tôt, en Mars 2022, alors qu’elle se faisait une joie d’apporter son témoignage.

Remerciements à Joffrey Janssoone et Patrick Debuine, à l’association Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leurs ouvrages Hem d’hier et d’aujourd’hui et Jacquy Delaporte, Christian Teel et Chantal Guillaume  pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem, à Bernard Thiebaut pour son livre : Mémoire en Images de Hem.

L’incendie de la rue de Naples

Le 6 Janvier 2002, la société « Les Compagnons Menuisiers du Nord » rue de Naples, est fermée car c’est dimanche. Vers 15h30, le feu se déclare dans l’entreprise. Les riverains alertent les secours. Les pompiers arrivent rapidement et commencent à arroser le foyer. Le feu se propage et les fumées noires sont épaisses.

Document Nord Eclair

Au moment où les sapeurs arrivent à pénétrer dans l’entreprise, on entend des craquements et le commandant donne l’ordre de repli. Un pompier n’a pas le temps de reculer : la façade et une partie de la toiture s’effondrent sur lui. Il est mortellement blessé. Michael Dufermont avait 27 ans.

Document Nord Eclair

C’est la stupeur dans toute l’équipe des pompiers, mais il faut continuer à combattre l’incendie qui risque de se propager aux maisons à proximité, et surtout au dépôt de pneus de l’entreprise « Crépy pneus »

La façade ( Document Nord Eclair )
Le mur de la menuiserie s’est effondré dans l’entreprise  » Crépy Pneus  » (  Document Nord Eclair )

Le feu est maintenant maîtrisé. Mais cette énième victoire contre le feu a un goût amer. Le commandant Bruno Moulard est effondré. Il vient de perdre un de ses hommes. Et pourtant le sinistre n’était pas un feu exceptionnel d’après lui. C’est presque un cas d’école : un local industriel très enclavé, dans un tissu urbain, comme c’est souvent le cas en ville. Le feu a été violent, les poutres métalliques brûlantes ont fait vaciller toute la structure de briques et de béton.

Michel Leminque ( Document Nord Eclair )

« Les Compagnons Menuisiers du Nord » est une SCOP : une coopérative dont le capital appartient aux ouvriers. C’est « leur » entreprise. La menuiserie a été créé en 1985. Michel Leminque, le gérant, est particulièrement choqué par le désastre, mais ce n’est rien par rapport à la mort de ce jeune pompier.

Michael Dufermont ( Document Nord Eclair )

Michael Dufermont avait 27 ans. Il devait se marier en Juin avec sa compagne Cécile Huygue qui attend son enfant pour le printemps. Quelques jours plus tard, a lieu la cérémonie, empreinte d’émotion, à l’église Saint Pierre de Croix. Daniel Vaillant, le ministre de l’intérieur et Noël Dejonghe le directeur de la SDIS ( Service Départemental d’Incendie et de Secours ) ont surtout mis en avant l’altruisme, la générosité et la motivation de Michael Dufermont.

Photos BT

Michael est en quelque sorte, un compagnon du devoir et, les Compagnons Menuisiers savent bien ce que ce mot veut dire.

Quelques temps après, une plaque est apposée sur la façade de la menuiserie. Elle y figure encore de nos jours.

Remerciements aux Archives Municipales.