Le 1 rue Ma Campagne

Lorsqu’on se trouve au coin de la rue Jean Moulin et de la rue Ma Campagne, une maison qui porte le numéro 1 dans cette dernière rue attire d’emblée les regards par ses dimensions majestueuses. Elle a abrité la famille de Lucien Meillassoux au siècle dernier.

Photo Jpm

Lucien est issu d’une famille de teinturiers arrivés à Roubaix, le père, les cinq fils et leurs familles, en 1868 à l’appel d’Alfred Motte pour fonder en partenariat la teinturerie Motte et Meillassoux au 94 de la rue du coq Français. Les Meillassoux se sont installés à différents endroits dans Roubaix : grand rue dans le quartier de l’Entreponts (voir l’article correspondant dans le blog), boulevard d’Armentières, boulevard de Cambrai, rue Darbo, boulevard de Paris.

Pourtant, les membres de la famille semblent avoir une prédilection pour la zone délimitée par les rues du Moulin, Ma Campagne, de Valmy et St Jean. C’est dans cet espace que bon nombre des enfants Meillassoux vont s’installer. En effet, on ne compte pas moins de huit ménages, entre oncles et cousins, dans ce périmètre  : deux familles au 28 et 30 rue St Jean, une rue du Moulin, deux rue de Valmy, deux rue du coq Français, alors que Lucien Meillassoux habite avec son épouse Louise Noblet le 1 rue Ma Campagne. Ceci est dû, sans doute, à la proximité de la teinturerie rue du Coq Français.

Les Meillassoux, d’après L’association Motte et Meillassoux (Revue du Nord 1969)

Tout le quartier est en 1860 la propriété de Mme Veuve Achille Delaoutre, et en 1892 celle de Mme veuve Alfred Motte, qui habite alors rue St Jean. C’est d’ailleurs elle qui fait ouvrir la rue de Valmy dans l’emprise de son jardin, en 1896. On constate sur la photo suivante, prise en 1951, la partie intérieure du pâté de maisons est encore majoritairement composée de jardins, alors que le reste du terrain est occupé par les petites sœurs des pauvres qui y construisent un asile de vieillards et une chapelle au 52 rue St Jean (voir le sujet qui y est consacré sur notre blog).

Photo IGN 1951

La photo suivante est prise après la construction de la clinique et la découpe du jardin, mais avant la démolition des deux maisons rue de Valmy.

Lucien Meillassoux est né en 1879. Il habite en 1896 28 rue St Jean, chez ses parents Jean et Eugénie Coret. Il se marie en 1904 à l’église St Martin avec Louise Noblet, fille d’un fabricant de tissus, et le jeune ménage s’installe au 43 rue Dammartin, où naîtra en 1905 le premier fils André. Lucien aura comme voisin son frère Alfred, au numéro 49.

Les 28 rue St Jean et 43 rue Dammartin – Photos Google et Jpm

En 1911, on retrouve le ménage au numéro 1 rue Ma Campagne avec un deuxième fils, Paul, né en 1908. Une fille, Thérèse, suivra en 1913.

Selon les plan cadastraux, la construction de la maison et du jardin a nécessité la démolition d’autres bâtiments relativement anciens : trois maisons le long de la rue Ma Campagne, construites entre 1816 et 1826, et une rangée de huit maisons perpendiculaires à la rue, dont les trois premières sont édifiées avant 1845 et les autres avant 1884.

plan cadastral 1884

Cette maison forme un triangle adossé à la rue et à la propriété précédente. Elle possède trois étages ; son toit plat est orné d’une verrière éclairant l’intérieur de la maison, assombri par un mur borgne du côté de la mitoyenneté.

Une porte simple en permet l’accès depuis la rue, alors qu’une volée de marches donne accès au jardin d’agrément.

Photo Jpm

On construit un garage au fond du jardin en 1928. Pour cela, on fait appel à l’architecte Albert Bouvy à Roubaix. La maison restera la propriété de la famille Meillassoux jusque dans les années 60.

Photo IGN 1951

Louise décède en1951 et Lucien en 1966, La maison reste inhabitée durant une longue période.

Pendant ce temps, on assiste en 1965 à la construction au 34 rue St Jean d’une clinique de taille modeste au départ. En prévision d’agrandissements futurs, une partie des jardins intérieurs du pâté de maisons est acquise. Sur le reste des terrains, rue de Valmy, on trouve encore en 1968 la veuve Meillassoux-Pate au 64, alors que le 82 abrite un foyer des vieillards. Quelques années plus tard, cette partie est rachetée par la Cudl avec l’idée d’y construire des logements après démolition des deux maisons. C’est à cette occasion que le jardin du 1 rue Ma Campagne disparaît. Une clôture cernant de près la maison est édifiée. Pendant quelques temps, cet ensemble est un terrain vague que les habitants et le comité de quartier aimeraient pouvoir récupérer.

Photos Le vilain petit canard

Dans les années 70, la clinique s’agrandit du côté de la rue St Jean avec deux ailes supplémentaires et un parking. Il faut alors démolir le numéro 30 gagner de la place. Du côté du coin des rues Ma Campagne et de Valmy rien ne change. Il faut attendre les années 90 pour que la clinique soit agrandie, cette fois de ce côté. On crée un parking sur l’ancien jardin du numéro 1, on démolit l’ancien garage pour faire place à la nouvelle extension qui s’avance vers la rue de Valmy.

Photos IGN 1976 et 1995

En 1983 le numéro 1 est inhabité. Un peu plus tard, la maison est vendue et partagée en appartements. Un syndicat de copropriété se crée en 1989. Mais, en 2013 la mairie reçoit une demande de permis pour construire un hangar juste à côté de la maison à l’emplacement de l’ancienne grille. Le permis est refusé parce que le projet « porterait atteinte au caractère architectural de cette grande maison bourgeoise ».

Photos du projet

A ce jour, la maison n’a pas changé extérieurement. Les copropriétaires continuent à profiter de cette magnifique maison dans laquelle les travaux se poursuivent encore aujourd’hui.

Photo Jpm

Parmi les maisons « Meillassoux » de ce périmètre, seules celle-ci et le 28 rue St Jean subsistent aujourd’hui, toutes les autres sont démolies.

Nous remercions l’Institut Géographique National, ainsi que les archives municipales et la médiathèque de Roubaix pour les informations qu’elles mettent à la disposition du public.

Quatre maisons à l’Entrepont

Le carrefour de la grand rue et de la rue d’Alger s’orne dès la fin du 19ème siècle de quatre belles maisons de maître, dont trois aujourd’hui disparues, assorties de parcs imposants. Au vu des photos anciennes, on ne peut s’empêcher de s’intéresser à ces propriétés. Quelle est leur histoire, pour qui ont-elles été construites, qui les a habitées ?

Les quatre propriétés – Photo IGN 1947

Cette histoire remonte à 1868, lors que Alfred Motte choisit de s’associer avec les frères Meillassoux pour fonder la teinturerie Motte et Meillassoux frères, installée rue du Coq Français. Venus de Suresnes, les Meillassoux s’installent alors à Roubaix.

La proximité des deux familles est affirmée en 1883 par le mariage d’Étienne Motte avec Louise Meillassoux, Le père d’Étienne, qui porte le même prénom, est le frère d’Alfred Motte ; sa mère est Catherine Desurmont. Louise est fille d’André, un des frères Meillassoux et de Léontine Duval. Son frère, Edouard Meillassoux, est marié à Germaine Desmazières.

Étienne Motte fonde une filature de coton à l’angle de la rue d’Alger et de la grand rue. Il fait construire au coin de ces deux rues, dans une enclave de l’usine, une maison entourée d’un parc. Le document ci-dessous montre l’usine ; le parc et la maison sont visibles en bas à droite.

Le recensement de 1906 nous indique qu’Étienne Motte, né en 1852 et filateur de coton habite la maison sise au 393 grand rue. A cette époque, sa femme Louise est malheureusement déjà décédée à l’âge de 27 ans. Leurs enfants Étienne, Jacques, Marie, Jean Marie, Ursule et Catherine vivent avec leur père. Une photo ancienne montre, à gauche, la maison, qui présente, sur le coin, un curieux angle rentrant et une vaste façade sur la grand-rue. Un bâtiment bas la prolonge côté rue d’Alger. Un mur de clôture ferme le parc côté grand rue. Il s’étend jusqu’au dépôt des tramways.

Étienne Motte décède à son tour en 1919. Son fils Étienne, troisième du nom, époux depuis 1907 de Germaine Pollet habite la maison avec sa famille. Après la guerre, on retrouve à cette adresse dans le Ravet-Anceau jusqu’aux années 60 Motte-Lepoutre, industriel.

Mais l’usine ferme et, en Juin 1970 la communauté urbaine achète l’ensemble du terrain aux établissements Motte. On prévoit d’y construire deux établissements scolaires. Les constructions ne traînent pas et on ouvre le collège Samain en 1972. Le Lycée Rostand le suit de près, qui ouvre en 1977.

Sur l’emplacement de la maison d’Étienne Motte s’étend une pelouse située devant le bâtiment des logements des personnels administratifs du Lycée.

Pratiquement en face, la société Motte et Cie possède dès 1884 une propriété côté pair de la grand rue, comprenant une maison prolongée par des bâtiments annexes sur le jardin, qui s’étend jusqu’à la rue d’Avelghem. Cette maison prendra plus tard le numéro 308.

 

Plan cadastral 1884

En 1886 s’y installe André Meillassoux, le beau-père d’Étienne Motte. Cette installation est provisoire, car, dès 1903 il s’installe au 349, de l’autre côté de la rue, laissant la maison à Edouard Meillassoux, son fils, né en 1873, et peigneur sur laines. Il y vit avec sa femme Germaine Desmazieres et ses jeunes enfants Jacques et Pierre. La famille séjourne au 308 jusqu’à la deuxième guerre.

Photo IGN 1965

En 1953 c’est la famille d’Henri Meillassoux et de Marie-Louise Wattel, qu’on retrouve dans la maison jusque dans les années 60. Henri est fils d’Emile Meillassoux et Marguerite Wibaux, petit fils d’Edouard Meillassoux-Desmazieres.

La propriété existe encore aujourd’hui et semble bien entretenue. La grande fenêtre de droite au rez de chaussée a remplacé en 1924 les deux fenêtres originalement séparées par un trumeau.

Photo Google

Revenons à André Meillassoux, l’associé des Motte qui traverse la grand rue en 1903 pour venir habiter au 349, au coin même de la rue d’Alger où il a fait construire une demeure dont la demande de permis de construire date d’octobre 1898. Le recensement de 1906 l’y trouve, avec sa femme Léontine Duval et ses enfants Cécile et Emile ; on y mentionne la profession de peigneur sur laines.

La maison, carrée et de belle apparence, possède sur l’arrière une partie plus basse et une extension vitrée semi-circulaire sur le parc, surmontée d’un balcon.

Nord Eclair nous en livre en 1964 une vue prise depuis le jardin.

André Meillassoux décède en 1917, sa veuve reste dans la maison. En 1939, la propriété est vide selon le Ravet-Anceau. Après guerre, s’y installe le foyer de jeunes filles du peignage Alfred Motte, ainsi que le terrain d’activités physiques inter-entreprises de Roubaix-Tourcoing. Plus tard, la mairie achète la propriété de 10 000 mètres carrés en 1964, pour en faire don aux HLM dans le but d’y construire un foyer des jeunes travailleurs. Celui-ci est construit en 1968 et inauguré en 1969. Il est aujourd’hui transféré place Chaptal et l’ancienne propriété est à l’abandon.

La dernière de nos quatre maisons se situe à quelques mètres de là, au numéro 296. Elle est construite à la fin des années 1880 et abrite à partir de 1891 la famille Browaeys. Le brasseur Jean baptiste Browaeys est né en 1866, en Belgique. Il a épousé cette même année Jeanne Tiers née en 1872.

Le 296 dans les années Le 296 dans les années 80

Vue de la rue, la maison, régulière en apparence, cache un plan de toiture très curieux qu’on découvre grâce aux photos aériennes. Le parc, assez vaste, s’étend jusqu’à la rue d’Avelghem.

Photo IGN 1965

Jean Baptiste décède en 1901 et sa veuve continue d’habiter la maison avec ses filles Jeanne, Antoinette, et Madeleine, ainsi que son fils Jean. Elle héberge également sa belle-mère Colette Verbrugghe et son beau-frère Pierre, employé par Jean-Baptiste. La famille vient du quartier du Fresnoy, puisqu’en 1896, Colette, veuve, habitait 87 rue de Rome avec son fils Pierre, employé brasseur, alors que son autre fils, Jean Baptiste, et sa femme Jeanne habitent le 81 de la même rue. Quittant le 296, la famille va ensuite s’installer non loin de là au 77 rue de la Conférence en 1913. Elle y est toujours en 1920.

La maison est habité ensuite par diverses personnes, dont, dans les années 50 par l’ industriel L. Blanchot-Baumann.

Dans les années 80, le parc est réduit par la construction rue d’Avelghem d’un immeuble qui a abrité un temps les élèves policiers dans l’attente de l’ouverture de l’école d’Hem. Le reste de la propriété disparaît plus tard, ainsi que la maison, dont on conserve pourtant la façade. Celle-ci sert plusieurs années, persiennes fermées, conjointement au mur d’enceinte, à interdire l’accès au terrain. Sur l’ancien jardin on construit enfin l’ensemble de logements collectifs l’Echo dont l’architecte a daigné préserver la partie basse de la façade de l’ancienne maison.

Photo Google

Ce reste de façade et la maison du 308 restent les seuls témoins des demeures de maître qui existaient à cet endroit, ornements d’un quartier par ailleurs populaire.

Les documents proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.