Une ferme au Huchon

La cense du Huchon, qui a donné son nom au quartier, est très ancienne : en 1520 elle est tenue par Binet des Huçons. Elle est située près du chemin des Loups (dont la première partie conserve aujourd’hui le nom de la rue des Loups) non loin du chemin de Barbieux.

Plan cadastral 1805
Plan cadastral 1805

Au 18e siècle, la famille Lepers exploite la ferme, sans en être encore propriétaire. En effet, durant la révolution, celle-ci appartient au sieur Van der Cruisse émigré à l’étranger. Elle est alors rachetée par le censier Lepers qui la revend à son ancien maître à son retour de l’étranger. Celui-ci, pour le remercier, lui laisse la ferme et un verger, tout en gardant les terres. Les Lepers conservent la ferme tout au long du 19ème siècle, et finissent par acheter l’ensemble de la propriété. On trouve là successivement trois générations de cultivateurs du nom de Pierre Joseph Lepers, le dernier décédant en 1865.

Mais de profondes bouleversements menacent ce coin tranquille : il est question de tracer un canal entre la Deule et l’Escaut. Celui-ci s’arrête encore dans les années 1840 à la barque d’or, au bas de la rue du Moulin. Son prolongement vers Croix nécessite le creusement d’un souterrain sur le site de la ferme Le canal traversera ensuite l’actuel parc Barbieux.

Plan cadastral 1845
Plan cadastral 1845

Ce projet bouleverse une première fois l’existence de la ferme, dont une partie des terres doit être expropriée. Finalement les travaux de terrassement du tunnel sont arrêtés pour cause d’éboulements répétés, et le chantier reste « en plan » quelques années. Le projet est enfin abandonné en faveur d’un autre tracé et on décide, dans les années 1860, de la création du parc et d’une large voie, l’avenue de l’Impératrice, y conduisant. Cette avenue est rebaptisé boulevard de Paris après la fin de l’Empire. Plus tard, à la fin du siècle, est conçu également le projet de percement du boulevard de ceinture sur le site (boulevards de Cambrai et de Douai). Le tracé de ce dernier boulevard doit passer pratiquement sur la ferme, qui va connaître une deuxième expropriation et la cession d’une autre partie du terrain.

Projet de 1886 et ses deux options
Projet de 1886 et ses deux options

La propriété appartient alors à Marie Madeleine Villers, veuve de Pierre Joseph Lepers, cultivateur et dernier du nom. Ils ont eu quatre enfants, une fille et trois garçons. La veuve a quitté la ferme et habite en 1885 au 53, plus bas sur le boulevard. Les pourparlers pour les expropriations se poursuivent de 1889 jusqu’en 1893. Le boulevard de Douai est finalement tracé de façon rectiligne dans l’alignement de l’entrée principale du nouvel hospice : Il ne fait pas face au boulevard de Cambrai et épargne les bâtiments la ferme qui restent en place pour un peu de temps encore.

La situation en 1896
La situation en 1896

Le quartier prend à cette époque un caractère résidentiel et de beaux hôtels particuliers s’y construisent. Sur le coin, à l’emplacement de notre ferme s’installe la famille d’Ernest Roussel-Masurel avant 1900. En 1953, on y trouvera encore les familles Roussel-Masurel et Lefebvre-Masurel. La propriété étend son parc le long du boulevard de Douai jusqu’à la rue de Barbieux. L’occupation des locaux semble cesser entre 1960 et 1963.

 

La demeure Roussel-Masurel au 139 - Document P.Vanhove
La demeure Roussel-Masurel au 139 – Document P.Vanhove

En effet, le bâtiment ne survivra pas. Comme beaucoup d’autres boulevard de Paris, il est victime dans les années 60 d’une vague de démolitions liée à une aspiration au modernisme. Dès les années 50, un groupement, la « société immobilière de constructions du boulevard de Paris », se donne pour but de « remplacer les immeubles existants par des bâtiments modernes, implantés de façon rationnelle… » (La Voix du Nord du 25 février 1955). La première réalisation sur le site est la résidence d’Armenonville, qui va être suivie de plusieurs autres. Une photo aérienne de 1960 nous montre l’état des transformations. On y voit quelques hôtels particuliers survivants dominés par les nouveaux immeubles.

 

Photo La Voix du Nord - 1960
Photo La Voix du Nord – 1960

 Puis, on procède à la démolition du numéro 139, ce qui permet d’incurver le boulevard de Douai pour le faire déboucher en face de celui de Cambrai : il reprend le plan d’origine qui passe sur l’emplacement de l’ancienne ferme. Celle-ci continue pourtant à faire parler d’elle, puisque, en 1980, lors de travaux de réparation de la chaussée boulevard de Paris est mis au jour le puits de la la cense. On le comble alors, sans même entreprendre de fouilles. Aujourd’hui, à cet emplacement s’étend un espace vert.

 

La ferme et de son chemin d'accès replacés dans le quartier actuel. Photos Google et Jpm
La ferme et de son chemin d’accès replacés dans le quartier actuel. Photos Google et Jpm

Les autres documents proviennent des archives municipales.

 

 

Du moulin à l’école

L’angle du boulevard Lacordaire et de la rue de Barbieux est l’un des plus hauts points de Roubaix : il est naturel qu’on y construise un moulin. D’après Nord Matin, ce moulin de bois est remplacé en 1870 par un autre, construction un peu curieuse de briques couronnée de créneaux, de mâchicoulis, et coiffée d’une échauguette. On peut se demander si ce n’était pas un moulin « de plaisance », plutôt qu’un vrai moulin fonctionnel, dont l’utilité économique en pleine époque du machinisme triomphant, n’aurait pas été vraiment démontrée…

Deux vues du moulin – carte postale médiathèque de Roubaix et Photo Nord Matin

Le parc sur lequel s’élève le moulin, est à la fin du 19ème siècle, la propriété de Paul Masurel. Il est limité par la rue de Barbieux, les réservoirs du Huchon, le boulevard Lacordaire et la rue Anatole France. Une villa importante y côtoie le moulin, au troisième étage duquel le propriétaire aurait installé un bureau. Vers 1890, Paul Masurel demande l’autorisation de construire une grille monumentale et une maison de concierge.

Document archives municipales

Dans les années trente, la propriété est acquise par la Ville, qui installe dans le pavillon M. Bertincourt, surveillant général du service des plantations. Le moulin sert alors de remise pour les outils de jardinage. Malheureusement, un incendie se déclare dans  la tour en 1948. Elle est très endommagée, mais reste néanmoins debout. Une photo aérienne de 1962 montre que le moulin est toujours fidèle au poste, ainsi que la maison du concierge et la grille ouvragée, mais que le « château » a disparu, sans doute victime de l’incendie de 1948 ? Par ailleurs, le terrain de l’ancien parc abrite visiblement des jardins ouvriers.

Le moulin en 62 – Photo IGN

En 1961, on prévoit de construire une école de filles et une école maternelle dans le quartier. C’est l’ancien parc, avec ses jardins ouvriers et son moulin, qui est choisi et qui fera les frais de l’opération. Le projet est mené à son terme, et donne bientôt naissance à l’école Anatole France, dont la cour s’étend désormais sur l’emplacement du vieux moulin…