Les Entrepôts du Nord

Dans les années 1890, l’entreprise Coulon-Cuvelier est un commerce de gros qui approvisionne en vins et spiritueux, les commerçants et les particuliers de la ville, sous l’enseigne « Les Entrepôts du Nord ». Elle est implantée au 6 8 10 et 12 Boulevard de Paris à Roubaix.

En-tête 1890 ( document collection privée )

Au début des années 1900 Auguste Grimonprez-Delcourt reprend l’affaire, et garde l’enseigne « Entrepôts du Nord ».

document collection privée

Dans les années 1920, Auguste Grimonprez Delcourt développe l’activité en ajoutant des gammes de produits : vins fins, bières anglaises. Il passe un accord d’exclusivité pour des vins de champagne Guy de Montprez pour toute la France et la Belgique.

document b.n.r

Mais surtout, Auguste négocie la vente exclusive de l’eau de la source Willems, produite localement à la source du Robigeux à Willems, ainsi que l’exclusivité de grands vins de porto pour la France et l’étranger.

document collection privée

En 1934, un gros projet immobilier résidentiel voit le jour, et nécessite la démolition de plusieurs maisons du n° 2 au n° 12 du boulevard de Paris. Sont concernés : le pâtissier Van Haelst au n° 2, le photographe Shettle au n° 4, le comptable Debuchy au n° 6 et les entrepôts du Nord aux n° 8 10 et 12

Les travaux de construction de l’immeuble en 1934 ( document collection privée )

Pendant les travaux de construction de cet immeuble, Auguste Grimonprez déménage son entreprise provisoirement au 19 rue Jean Moulin, dans une partie des locaux de la filature Motte et Marquette.

Adresse provisoire ( document Ravet Anceau 1934 )

En 1936, la construction est terminée, Auguste reprend son emplacement. La façade sur le boulevard est plus petite ( n° 10 et 12 ) mais la profondeur est plus importante, car il dispose d’un accès à l’arrière, rue des loups, pour les réception et les livraisons de marchandises.

documents collection privée 1936

En 1943, l’affaire Grimonprez Delcourt est reprise par Losfeld-Tanchou et Cie. Maurice et Robert Losfeld sont mariés avec deux des sœurs Tanchou. Les frères Losfeld gardent l’enseigne « Les Entrepôts du Nord »

Papier à en tête Losfeld Tanchou ( document Marc Losfeld )

Maurice et Robert Losfeld apportent quelques modifications dans les gammes de produits. Ils créent la marque « LOTA » (LO.sfeld TA.nchou) pour les vins et rhums, développent l’embouteillage de vins de qualité traditionnelle et distribuent les eaux de la Compagnie fermière de Vichy. C’est à la fois un négoce de produits,  »en gros et au détail ».

étiquettes de vin et rhum ( documents Marc Losfeld )

Instantané de mémoire : Souvent, le jeudi après-midi, je vais rejoindre mon père Maurice, pour découvrir l’entreprise « Les Entrepôts du Nord ». On entre par le n° 12 car la porte du n° 10 est réservée aux bureaux. C’est la salle d’accueil pour la clientèle. Les différents produits proposés sont exposés en vitrine et sur une étagère derrière le comptoir. Les bières en bouteilles sont vendues au détail. Derrière l’accueil, se trouve la salle d’embouteillage. Une petite grue permet de descendre et de remonter les fûts du chais ( caves en sous sol ) couvrant une grande partie de la société. On y accède par un escalier situé dans la salle d’embouteillage. Derrière se trouve le quai de chargement pour la camionnette de livraison « Chenard et Walker », la cour pour réceptionner les fournisseurs, ainsi qu’un emplacement pour le lavage des bouteilles consignées. A chaque fois que j’y allais, les 3 membres du personnel ( les cavistes Oscar et Robert ainsi qu’une vendeuse ) étaient heureux de m’accueillir.

Plan de l’entreprise ( document Marc Losfeld )

Robert Losfeld décède en 1945, Maurice continue seul, l’activité. Au début des années 1950, la situation financière de l’entreprise se dégrade car la vente de vin en tonneaux chute considérablement. L’entreprise ferme définitivement ses portes en 1953.

Au début des années 1960, le n° 10 est repris par M. Verschaeve commerçant en fruits et légumes, et le n° 12 par l’épicerie-alimentation de M. Bombeck. Puis de nombreux commerces et/ou professions libérales s’y succèdent. A ce jour le n°10 est occupé par un commerce de vapotage et le 12 par l’entreprise de serrurerie Porquet.

Photo BT

Remerciements à Marc Losfeld et aux archives municipales.

S.R.A.D.E

Au début des années 1950, M Morel crée la SRADE : Société Roubaisienne d’Articles de Droguerie : grossiste en produits de droguerie. Il installe son entreprise au 76 78 rue d’Italie.

Document collection privée

Au début des années 1960, les affaires fonctionnent de façon très satisfaisante, et le manque de place se fait cruellement sentir. Pour pouvoir faire face à son développement, M Morel loue un entrepôt de 1000 m2, de l’autre côté de la rue, au 81 rue d’Italie. Mme Rangotte, la propriétaire, exploitait auparavant une activité de grossiste en vins : l’entrepôt des Flandres.

Document collection privée

En 1968, la SRADE approvisionne 69 détaillants ( petits commerçants en droguerie ) à Roubaix. A cela il faut ajouter les clients de Tourcoing et des petites villes avoisinantes. Ce gros potentiel permet de développer fortement l’activité. Le personnel de l’entreprise est composé de 4 personnes ( préparateurs de commande et livreurs ).

Document collection privée
La toiture de la SRADE ( document P. Van Hove )

Le lundi 1 Mars 1971 à 14h, une violente explosion secoue le quartier. Les habitants sortent de chez eux, et s’aperçoivent que l’entrepôt de la SRADE est en flammes. Les pompiers, alertés, arrivent rapidement sur place. Ils découvrent un véritable brasier.

Document Nord Eclair 1971

La présence de nombreux produis inflammables ( white spirit, solvant, essence de térébenthine . . . ) inquiète fortement les pompiers. L’accès est difficile, car l’entrepôt est encastré dans un îlot de maisons. Les dirigeants de l’entreprise de transports Van Hove, située au 84 rue de Rome, proposent aux pompiers de passer par leur entrepôt pour accéder au brasier et éteindre plus rapidement l’incendie.

Document France Cadastre

Les pots de peinture et les produits de droguerie dégagent une fumée noire et âcre ; les bombes de laque explosent. Ce feu d’artifice ajoute une note encore plus terrifiante au sinistre. Le panache de fumée est visible à plusieurs kilomètres à la ronde.

Document Nord Eclair 1971

Le feu est éteint après quelques heures d’intervention. Le local est entièrement détruit et la charpente s’est effondrée ; tout le stock de peintures et de droguerie a brûlé. Aucune victime, ni blessé, n’est à déplorer et, grâce à l’action des pompiers, le feu ne s’est pas propagé aux maisons voisines.

Après l’incendie, M Morel est bien décidé à continuer son activité de grossiste en droguerie. Il trouve un local en location, dans le quartier : l’ancien entrepôt de pommes de terres de R. Coussemacker, au 62 et 64 rue de Naples.

L’activité continue jusqu’au milieu des années 1980. Malheureusement, la situation se dégrade car les détaillants subissent la concurrence des grandes surfaces, ferment leur commerce et entraînent avec eux les grossistes.

Mme Rangotte, la propriétaire de l’entrepôt détruit au 81 rue d’Italie, décide, en 1973, de faire construire 31 garages en location.

Document archives municipales

Remerciements aux archives municipales et à Patrick Van Hove

Gilbert Leman

Gilbert Leman est né à Mouscron le 24 Mai 1908. Dans les années 30, il habite rue du Collège, avec Angèle, son épouse. Dans les années 40, il est répartiteur de « produits de matière grasse », c’est à dire que c’est un grossiste, désigné par le Ravitaillement Général, pour fournir de la margarine et du saindoux à la population, contre des bons d’approvisionnement établis par le service compétent.

( Document coll. priv. )

Après guerre, il devient grossiste alimentaire ; il continue à vendre de la margarine et du saindoux et développe son activité en ajoutant des produits complémentaires : café, biscuits, chocolat, huile, vinaigre, boites de conserve…


( Document coll. priv. )

Il s’installe au 166 rue de l’Hommelet, et commence à vendre et à livrer ses produits aux épiciers de Roubaix, avec son camion. Malgré la situation économique difficile d’après guerre, les affaires de Gilbert se développent. Il embauche un représentant, un chauffeur et un magasinier. Angèle l’aide pour l’administration du bureau.

La façade actuelle ( Photo BT )

Au début des années 50, il demande aux Ets Kiebbe, rue de Rohan, un devis pour construire une charpente métallique dans la cour arrière, pour un montant de 350.000 Frs, afin que ce futur entrepôt puisse abriter le stockage de ses produits toujours plus nombreux.

L’année suivante, en 1951, il demande déjà, un permis de construire pour une extension de sa charpente métallique par la Sté Metallia, rue du Nouveau monde, pour un montant de 150.000 Frs.

Gilbert Leman ( Document A. Delporte )

En 1953, il fait percer le mur d’enceinte au fond de son terrain, ( donnant sur l’impasse Beaufort ), pour un meilleur accès des camions de livraison sur la rue Lacroix, afin d’atteindre plus facilement la place de la Nation.

Les affaires sont florissantes et les agrandissements successifs de l’entreprise de la rue de l’Ommelet ne sont pas suffisants. Le manque de place évident amène Gilbert à acheter, en 1955, un entrepôt, au 20 rue Richard Lenoir, local occupé autrefois par les Ets Leclercq, fabricant de caisses en bois.

Photos actuelles ( Document Google Maps et Photo BT )

Au centre de la façade, il y avait une porte cochère pour l’accès des camions ; à gauche il y avait l’habitation de Gilbert, Angèle et leur fille Annie, et à droite, se trouvaient les bureaux.

Ces locaux beaucoup plus spacieux, permettent à Gilbert Leman, dans les années 60, de développer sa gamme de produits en y ajoutant des produits d’entretien, des collants, des chemises, du couscous pour faire face à la nouvelle clientèle et, plus tard, des couches pour bébés.

Angèle et sa fille Annie dans l’entrepôt en 1957 ( Document A. Delporte )

Annie, la fille de Gilbert et Angèle, vient aider ses parents, à la fin les années 60, à la gestion du commerce, la facturation, la livraison des clients, les déplacements pour chercher les produits chez les fournisseurs très proches, comme les gaufres Rita rue Daubenton.

Pub 1968 (Document coll. Priv. )

Après le décès d’Angèle en 1969, Gilbert prend sa retraite en 1970. Leur fille Annie et son mari Jean-Bernard reprennent alors l’activité familiale. En 1975, 20 personnes travaillent désormais dans l’entreprise. Au début des années 80, les premières difficultés apparaissent. Le développement croissant des grandes surfaces alimentaires entraîne la disparition du petit commerce, et, par voie de conséquence, des grossistes alimentaires.

L’entreprise ferme ses portes en 1984. Le dynamisme d’ Annie et Jean-Bernard leur permet, fort heureusement, de trouver un emploi salarié très rapidement.

Le bâtiment de la rue de l’Hommelet est occupé, en 1968, par Guido Magris (monuments funéraires ) et aujourd’hui, par une entreprise de bâtiment. Celui de la rue Richard Lenoir est à ce jour transformé en salles de classe pour le Lycée professionnel St François d’Assise.


Remerciements aux Archives Municipales, ainsi qu’à Annie et Jean Bernard Delporte-Leman pour la documentation et leur témoignage.


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Les Ets Carrez-Bernard

Eugène Carrez est né à Merville en 1876. Il est commerçant et possède un magasin de chaussures-chemiserie-confection dans sa ville natale. Il se marie avec Albertine Bernard. Ils créent ensemble en 1898 l’entreprise Carrez Bernard au 322 324 rue de Lannoy à Roubaix. Eugène et Albertine ont un fils : André qui naît en 1902

( Document BNR et coll. priv. )

L’entreprise Carrez Bernard fabrique du savon mou ( savon noir d’entretien ). Il est fabriqué avec de l’huile végétale et de la potasse. De couleur noirâtre ou vert très foncé, on le trouve sous forme liquide ou semi-liquide. D’autres activités viennent en complément : le commerce en gros d’épicerie, la torréfaction de cafés, le négoce de pétrole, essence et huiles. Dans l’entreprise, c’est le palais des arômes ; d’un côté le sentiment de propreté ( le savon à l’huile d’olive ), et au fond du bâtiment, l’odeur de café (grâce au brûloir de torréfaction ).

Les attelages de livraison devant la façade du 324 rue de Lannoy ( Document ANMT )

Les affaires fonctionnent de façon très satisfaisante ; si bien qu’en 1929 Eugène fait construire un 2° étage à la savonnerie. Les travaux sont réalisés par L Dugardin 67 Bld de Belfort et la charpente par Joseph Soudan 155 rue Jouffroy. Au début des années 1930, le fils d’Eugène : André aide son père à la gestion de l’entreprise. Adulte, il en devient le directeur commercial. Il habite au 48 avenue Jean Jaurès à Roubaix, dans une maison construite par l’architecte Jacques Barbotin.

Eugène Carrez en 1937 ( Document ANMT )

En 1937 Eugène achète un véhicule automobile : une Panhard, pour pouvoir effectuer les déplacements jusque Trungy, dans le Calvados, et séjourner dans la maison familiale. Hubert Carrez, le fils d’André naît en 1935 à Roubaix. il habitera sur place 324 rue de Lannoy.

( Document ANMT )

En 1940 la Mairie de Roubaix ordonne une réquisition de carburants ( essence et gas oil ) et également de produits d’épicerie sèche : biscuits, boites de lait sucré, et surtout conserves de poisson et de viande, pour subvenir aux besoins de la population.

Eugène Carrez décède en 1954. Après guerre, dans les années 50, l’importation de savon industriel, par de très grosses firmes américaines, vient concurrencer la production de Carrez Bernard. La fabrication du savon mou cesse en 1958. André Carrez continue de se spécialiser dans l’épicerie en gros et la production de cafés (torréfaction et ensachage ).

Sachets de cafés ( Document ANMT et coll. priv.)

1963 : L’entrepôt de 440 m2 étant trop petit, André Carrez fait une demande de permis de construire pour agrandir. Il fait appel à l’entreprise Jacquemart-Behal de Lens pour construire un hangar métallique de 442 m2 de stockage supplémentaire. En 1970 Hubert Carrez ( le fils d’André ) dépose une demande d’agrandissement pour son entrepôt ( hangar couvert ). André Carrez décède à son domicile du 48 avenue Jean Jaurès en 1972. Hubert Carrez qui habite au 324 rue de Lannoy continue seul à gérer l’entreprise

A la fin des années 1970, les premières difficultés se font sentir. L’arrivée des grandes surfaces fait énormément souffrir les commerces de détail, et par conséquent l’activité des grossistes alimentaires. Les salariés de l’entreprise reçoivent leur lettre de licenciement en rentrant de vacances en Août 1987. L’entreprise familiale s’arrête. Après le décès de Hubert Carrez à Roubaix en 2000, le bâtiment va rester inoccupé quelques années.

( Document Archives Municipales )

En 2006 Miguel Fernandes reprend une partie de l’entrepôt qui se trouve dans l’allée privée, pour le transformer en logement confortable

( Document Archives Municipales )

L’année suivante, la SCI Renaissance Immobilière propose de transformer la friche industrielle par l’architecte Gregory Boyaval de Roubaix, en 7 logements-loft et 2 cellules commerciales. Quant au bâtiment principal qui était le domicile de la famille Carrez, on trouve aujourd’hui un cabinet médical composé d’orthophonistes. Il ne reste plus que les deux initiales C B sur le fronton de la façade.

( Photo BT )

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Remerciements aux Archives Nationales du Monde du Travail ( ANMT ), aux Archives Municipales et à la BNR pour les documentations, ainsi qu’à Patrick Miette pour son témoignage.

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