Fraignac, l’opticien de la Grand Place

Elie Fraignac est né dans le Cantal en 1877. Il se marie en 1908 avec Louise Denneulin née à Lille en 1885. Elie et Louise décident de reprendre un commerce. Ils portent leur choix sur un commerce d’optique au 20 bis de la Grand Place à Roubaix, car le père de Louise, François Denneulin était opticien.

Elie et Louise Fraignac ( document JM Fraignac )

C’est un commerce idéalement bien placé au début des années 1900. Cette partie de la Grand Place est dans le prolongement de la rue Pierre Motte, entre la rue du Château et la rue Jeanne d’Arc, à deux pas des Halles. C’est une bâtisse imposante, construite sur 4 niveaux . Au rez de chaussée se trouvent le commerce et l’atelier et l’habitation dans les étages. Leurs proches voisins sont également occupés par des commerces : le tailleur Devlaminck et les tissus Aubanton.

document archives municipales

A l’époque, on parle davantage de lunetier que d’opticien, qui conseille sur l’achat de binocles destinés à corriger les défauts et déficiences de la vue. Louise s’occupe du commerce et de la vente. Elle conçoit dans son atelier, la fabrication des lunettes à partir de verres minéraux qu’elle axe, découpe, taille à la meuleuse et insère dans la monture.

binocles ( document JM Fraignac )

Quant à Elie, il s’occupe de l’administratif du commerce mais est également employé de Mairie car il délivre les reçus de loyers des logements de la loi Louis Loucheur.

Les affaires fonctionnent très correctement, car au début des années 1910, on ne recense que 6 opticiens ( dont Fraignac-Denneulin ) à Roubaix ! Elie développe l’activité du commerce, en ajoutant des gammes complémentaires : baromètres, jumelles, boussoles, règles à calcul, balances mais également des produits beaucoup plus techniques comme des tubes éprouvettes, des ballons en verre, destinés aux laboratoires des usines textiles et aux collèges techniques. Le commerce se spécialise alors, en optique médicale, scientifique et industrielle. Toujours vêtu de sa grosse blouse de travail grise, ( la tenue traditionnelle des Auvergnats ) Elie s’occupe de la réception des fournisseurs, répare les baromètres, jumelles, etc .

Elie et Louise ont trois enfants, Marie-Thérèse née en 1912, Jean en 1914 et Jacques en 1922. A la fin des années 1930, Jean et Jacques apprennent le métier d’opticien avec leurs parents. Quant à Marie-Thérèse, elle préfère s’orienter vers d’autres domaines.

la façade ( document JM Fraignac )

Sur la photo ci-dessus, on distingue sur la façade du magasin à droite de la porte d’entrée le thermomètre vertical qui indique la température aux roubaisiens. Jean Fraignac qui se trouve sur le pas de la porte, installe souvent en vitrine, de superbes objets : des lunettes astronomiques, des jumelles, et même un magnifique baromètre-étalon accroché en permanence dans la vitrine de gauche.

jumelles de théâtre en nacre et son étui brodé ( document JM Fraignac )
baromètre ( document JM Fraignac )
buvard années 1950 ( document collection privée )

Elie décède en 1952, et son épouse Louise en 1954. Leurs deux fils Jean et Jacques s’associent alors en 1955, pour créer « Fraignac-Frères », et continuer l’activité. En 1966, la municipalité décide d’agrandir la Grand Place. Les maisons situées entre la rue du Château et la rue Jeanne d’Arc seront détruites ( voir sur notre site, un précédent article édité et intitulé « Une partie de la Grand Place disparaît » ). Jean et Jacques Fraignac sont alors expropriés. Fort heureusement, le local du commerce de tissus de Marcel Loucheur au 26 de la Grand Place se libère.

le commerce de tissus de Marcel Loucheur en 1966 ( document archives municipales )

Les deux frères achètent le commerce et déposent un permis de construire pour modification de la façade. Ils font appel à l’architecte Marcel Spender pour la direction technique des travaux, qui leur propose de déplacer latéralement une des deux vitrines et de poser une porte de service extérieure, pour pouvoir accéder directement aux étages. Après les travaux, l’optique Fraignac déménage donc au 26 de la Grand Place, en 1967.

le projet de l’architecte ( document archives municipales )
publicité 1967 ( document Nord Eclair )
la nouvelle façade ( document JM Fraignac )

Dans les années 1960-1970, Jean et Jacques Fraignac développent encore leur commerce, bien que la concurrence arrive rapidement sur Roubaix. En effet, les détaillants opticiens implantés à Roubaix sont désormais une quinzaine. Dans les années 1980, les frères Fraignac réagissent et deviennent opticiens dépositaires de la marque Atol.

Publicité ( document JM Fraignac )
Publicité ( document JM Fraignac )

Jean Fraignac décède en 1989. Son frère Jacques, à 67 ans, ne souhaite pas continuer seul l’activité et prend donc sa retraite. L’affaire est cédée et après quelques travaux d’aménagement, en 1990, Olivia Boyenval et Bertrand Fiévez ouvrent leur commerce « Best Optique » au 26 Grand Place.

Best optique ( document archives municipales )

Aujourd’hui, le commerce est occupé par Master Naan un restaurant snack qui propose des spécialités indiennes.

Master Naan ( photo BT )

Remerciements à Jean-Marie Fraignac et aux archives municipales.

Une partie de la Grand Place disparaît

Dans les années 1960, le développement de l’automobile rend la circulation de plus en plus difficile à Roubaix et en particulier, dans le centre ville.

Déjà en 1958, on a démoli le magasin de vêtements d’Albert Devianne, qui se trouvait à l’angle de la rue Jeanne d’Arc, pour dégager le carrefour des Halles. De cette façon les automobilistes venant de la Grand Place peuvent avoir un accès plus aisé sur le boulevard Leclerc via la Grand Poste.

La façade du magasin d’Albert Devianne ( document M. Devianne )
Document Nord Eclair 1958

En cette fin d’année 1967, pour améliorer le trafic, le conseil municipal décide donc de démolir une partie du quartier du centre ville : quelques maisons au N° 1, 3 et 9 de la rue du Château, jusqu’à l’allée du Lido, et cinq maisons sur la Grand Place du N° 18 au 20 ter, ce qui permettra de donner plus d’espace au centre commercial du Lido situé juste derrière, et un meilleur accès au parking via la rue de l’hôtel de ville.

Ces travaux d’élargissement et de rénovation vont coûter 115 millions d’anciens francs, somme importante mais nécessaire pour avoir un centre ville digne de ce nom. Ces démolitions permettront en 1968 une meilleure circulation entre la rue de l’Hötel de Ville et la rue Pierre Motte.

Plan du quartier ( documents Nord Eclair )

Sur la photo ci-dessous, à droite se trouvent : le café du Commerce au N° 20, puis l’opticien Fraignac au 20 bis et les draperies Aubanton-Gigieux au 20 ter. De l’autre côté de la place, au N° 21 le commerce Michou : boucherie-volailles-crémerie se trouve sous l’Hôtel du Centre, dont l’entrée se situe 1 rue Pierre Motte.

Photo 1967 ( document collection privée )

Sur la Grand Place, au N° 18, à l’angle de la rue du Château, se trouve le magasin du Tailleur Devlaminck, depuis les années 1920, où plusieurs générations se sont succédé. C’est une immense bâtisse sur 4 niveaux. Daniel Devlaminck, exproprié, s’installera ensuite au 4 rue du Maréchal Foch.

Pub Devlaminck 1967 ( document Nord Eclair )
Façade du 18 ( document archives municipales )
Façade du 4 rue Foch ( document Nord Eclair )

Au N° 19 se situe le café de l’Etoile reconnaissable à son superbe vitrail au dessus de la porte d’entrée.

La façade du 19 ( document archives municipales )

Puis au N° 20 se trouve le café du Commerce. L’immeuble est bâti sur deux niveaux. Au dessus du 1er étage figure un immense panneau publicitaire pour la marque de chocolat et confiserie de Delespaul-Havez.

la façade du 20 ( document archives municipales )

L’opticien Fraignac est implanté au 20 bis depuis les années 1910. Il partira ensuite au 26 de la Grand Place.

Le 20 ter est occupé, également depuis les années 1910, par Aubanton-Gigieux commerçant en draperies. Ce négociant qui fournit les maîtres tailleurs, partira ensuite au 29 rue Mimerel.

Façade du 20 bis et 20 ter ( document archives municipales )
Publicité Fraignac-Denneulin 1967 ( document Nord Eclair )

A la veille des grandes fêtes de la Charte, programmées en 1969, il est primordial que le centre ville soit rénové. La Grande place sera en effet un emplacement stratégique pour le déroulement des diverses manifestations, avec un Hôtel de Ville à la façade ravalée d’une blancheur de pierre et une église Saint Martin immaculée.

Photo 1985 ( document archives municipales )

Remerciements aux archives municipales

Paris Roubaix à l’alcool

En ces temps de difficultés et de dépendances énergétiques, il est intéressant de se remémorer les débuts de l’automobile avec un carburant différent, l’alcool. Paris Roubaix à l’alcool est une épreuve organisée par le journal l’Auto-Vélo et qui aura lieu le lundi de Pâques 8 avril 1901 sur le parcours du Paris Roubaix cycliste. C’est plutôt une démonstration pratique et non une course car la vitesse maximum sera de 30 km/h. Il s’agit également de promotionner l’alcool comme carburant, ce qui est important pour notre région qui fabrique tant d’alcool. Le droit d’entrée est de 20 francs, les engagements sont reçus au siège du journal l’Auto-Vélo.

Une Delahaye au départ Cliché J Beau pour la Vie au Grand Air

Assemblés place de la Concorde, devant le magnifique hôtel de l’Automobile Club de France, les vingt-neuf concurrents ont d’abord répondu à la curiosité du public avant de se prêter aux préliminaires du concours. Les vingt-neuf concurrents : Declercq, Cordonnier, Levassor et De Boisse, Brierre, la société anonyme d’autos et traction , Gillet Forest avec trois voitures, Floris Lorthiois, Brouhot avec trois voitures, Maurice Perez, Prosper Lambert, Delahaye avec trois voitures, Georges Richard avec quatre voitures, Mousay, Sans, Société industrielle des Téléphones, Cornier, Gobron-Brillie, Turgan-Foy, Le Blond. Parmi les chauffeurs il faut signaler la présence de M. le Baron de Rothschild et du croisien Maurice Pérez, le créateur du vélodrome de Barbieux.

Le départ pour la première série des « deux jours » est donné le dimanche matin. L’itinéraire va jusqu’à Amiens soit 148 kilomètres pour les vingt neuf concurrents. Vingt quatre parviendront à Amiens et repartiront le lendemain vers Roubaix.

Le contrôle d’Amiens sur l’esplanade Saint Roch doc La Vie au Grand Air

Un autre départ pour les voitures classées dans la catégorie des « un jour » sera donné le lundi matin. Ceux-là s’en vont directement rejoindre Roubaix avec le droit de prendre de l’alcool à Amiens et à Arras. Vingt et une voitures ont ainsi rejoint Roubaix.

L’arrivée à Roubaix s’effectue pour les deux catégories (un jour et deux jours) au vélodrome de Roubaix. Les portes sont ouvertes à une heure, les télégrammes des contrôles affichés à partir d’une heure et demie. Un programme sportif est prévu et commence à trois heures : course pédestre, handicap et demi-finale cyclistes de l’Internationale.

Publicité : les cycles et automobiles de la marque La Savoisienne construits par Denis Mérel et Cie 7 rue de Maubeuge à Roubaix se recommandent aux amateurs sérieux et sont établis à des prix défiant toute concurrence loyale.

Les promeneurs se sont portés sur le chemin des quatre cantons, venant de Lesquin, d’où l’on pouvait apercevoir de très loin les automobiles arrivant à fond de train et se succédant à de courts intervalles. Les curieux ont admiré la diversité et l’élégance des machines en course. Celles-ci ralentissaient à l’approche des agglomérations, le service d’ordre était organisé par la gendarmerie de Lannoy et le garde champêtre de la commune. Le passage le plus difficile pour les automobiles était la route située entre la halte d’Hem et Forest. L’étroitesse du chemin et les monceaux de pavés qui l’encombraient de chaque côté nécessitaient beaucoup de prudence.

Une Turgan-Foy à l’entrée du vélodrome Photo La Vie au Grand Air

Les premiers concurrents étaient attendus dans l’après midi car la vitesse maxima préconisée par le règlement était de 30 km/h. Mais déjà vers midi on apprenait que des concurrents étaient arrivés au vélodrome. Puis les voitures se succèdent sans interruption et sont chronométrées à l’entrée du vélodrome dont la pelouse accueille des véhicules de tout genre, depuis le quadricycle jusqu’à la grande voiture sans oublier les voiturettes dans des vapeurs d’alcool et un grand brouhaha.

Les autos sur la pelouse du vélodrome Photo La Vie au Grand Air

Vers trois heures, la 18 chevaux de M. Auguste Fraignac, président de l’Automobile Club de France débouche sur la pelouse. Il n’a pas concouru mais il a accompli le parcours en une seule étape, se faisant contrôler officieusement. Le programme sportif se déroule comme prévu parfois interrompu par l’arrivée des véhicules.

Les voitures Georges Richard Photo Jules Beau

La marque triomphatrice selon le Journal de Roubaix est la société des établissements Georges Richard dont quatre véhicules ont participé à l’épreuve : un camion de 8 chevaux transportant un poids de 800 kilos, a accompli les 278 kilomètres en 16 heures 30, soit une moyenne de 17 km/h. Une voiture de la même marque également de 8 CV a mis 9 heures 30 pour le parcours soit une moyenne de 30 km/h. Deux voiturettes sont arrivées avec une moyenne de 24 km/h. Pour la consommation, le camion a utilisé 70 litres, la voiture 43 litres et les voiturettes 26 litres. Les résultats commente le journaliste sont concluants pour la marque Georges Richard. Les quatre véhicules seront présentés dès le lendemain chez MM. C et P Devouge, 16 rue de Lannoy à Roubaix et mis à la disposition des personnes qui voudraient faire des essais.

A neuf heures du soir un punch a été offert par le comité de l’Automobile Club du Nord aux organisateurs, commissaires et concurrents du Paris-Roubaix à l’alcool dans la plus grande cordialité dans les salons de l’hôtel Ferraille. Une centaine de personnes y assistaient. M. Fraignac président de l’ACN félicite les organisateurs et particulièrement l’Auto-Vélo. Il termine en buvant à Paris-Roubaix 1902. M. Prade du journal cité, remercie et porte un toast à la surenchère : l’épreuve deviendra annuelle. M. Brangier, président de la société d’encouragement pour l’emploi de l’alcool industriel fait valoir les avantages de ce produit national qu’est l’alcool industriel.