Une vieille photo retrouvée dans un grenier et il n’en faut pas plus pour réactiver l’envie de faire quelques recherches. La photo est signée Alexandre Mischkind qui était un grand photographe roubaisien de l’entre deux guerres. Elle a été offerte comme souvenir de la fête en l’honneur des médaillés du travail qui s’est déroulée le 29 aout 1926. Bien qu’elle ait un peu souffert, elle reste un document de l’époque et notamment pour les salariés des établissements Motte-Bossut fils de Leers.
Nous parcourons la presse de l’époque et nous y trouvons un compte-rendu que nous vous livrons in extenso ci-dessous.
Une fête des médaillés du travail.
Trente cinq ouvriers de la maison Motte-Bossut récemment décorés de la médaille du travail ont été l’objet d’une charmante réception dimanche après-midi. Les décorés s’étaient réunis à l’usine où l’Harmonie municipale est allée les chercher pour les conduire à la Mairie, où ils ont été reçus par l’Administration municipale. Monsieur Joseph Leroy, maire, entouré du Conseil Municipal, a félicité chaleureusement les braves ouvriers, dont la vie de labeur vient d’être récompensée, et a formulé à leur adresse et à celle de leurs familles, les meilleurs vœux. M. Jules Couque, au nom des médaillés, a remercié en termes excellents l’Administration municipale. Après l’exécution de la Marseillaise et le chant d’un chaleureux vivat en l’honneur des décorés, un vin d’honneur a été servi et la fête s’est prolongée dans une atmosphère de franche et cordiale sympathie.
Ainsi une ville champignon se dresse peu à peu entre la mairie et les abris bus qui se trouvent de l’autre côté de la place, devant l’église Saint-Martin, constituant un quadrilatère fermé. 5000 places de gradins ont été installées ainsi que la tour en imitation briques du jeu du mauvais coucheur, les pistes en imitation pavés de la route des géants et le reste : 2 piscines, des tréteaux et surtout plein de savon noir.
Les sponsors ont mis la main à la pâte : la banque de Super Croix, les pelotes géantes de Phildar, les tapis roulants provenant d’une entreprise de PVC. L’installation et la décoration de l’ensemble a été contrôlée par un décorateur de TF1et la commission de sécurité va venir vérifier la conformité de l’ensemble des installations. En effet l’installation des pièges à rire d’Intervilles a posé d’énormes problèmes de sécurité.
Dans la semaine qui précède le jour J Guy Lux arrive à Roubaix et y rencontre les journalistes malgré une forte fièvre qui le cloue au lit. Il ne connait pas la ville où il n’est passé qu’une fois repérer les lieux en juin mais il connait déjà le Nord car Armentières et Saint-Amand ont précédé Roubaix dans l’aventure Intervilles. Il sait les nordistes accueillants, disponibles et compétitifs et loue l’efficacité de l’équipe municipale et du travail qu’elle a réalisé.
Essayages de costumes et entraînement des 2 équipes à Roubaix (Documents le Provençal)
Et c’est le jour J. La ville de Cavaillon fait don à celle de Roubaix d’un document encadré : une carte originale en couleur du XVII ème siècle représentant le comtat d’Avignon et Venaisan. Les 5000 spectateurs massés sur la Grand Place en ont pour leur argent ainsi que les publicitaires. Un magnifique programme sur papier glacé est proposé.
A la télévision, l’émission s’ouvre sur Cavaillon, son soleil et ses cafés, puis Roubaix a les honneurs du petit écran par le biais d’un petit film vidéo dévoilant les fleurons du patrimoine local. Enfin Guy Lux apparaît pour présenter la ville et son sénateur maire André Diligent.
Côté Cavaillon, point de vue jeux, rien de transcendant : quelques vampires courant après des marquis « encarottés », quelques ânes plutôt trainards et une cueillette de pommes bien maussade. A Roubaix le clan des rieurs : savon noir, mousse à raser et seaux d’eau allégrement jetés sur les concurrents.
Les caméras de TF1 ne restent pas statiques et la Grand Place est vue sous toutes les coutures. De superbes vues aériennes de la mairie régalent les téléspectateurs entre deux épreuves. En revanche le ballon aux couleurs de Nord-Eclair doit rester au sol en raison d’un vent beaucoup trop violent.
Devant les quelques 14 millions de téléspectateurs et surtout les 5000 habitants qui ont pris d’assaut les lieux pour décrocher une bonne place ainsi que les employés municipaux qui ont investi les balcons de la mairie c’est une sacrée java et l’occasion de crier cocorico plus fort que les autres.
Les vendeurs d’esquimaux et de sandwichs sont présents pour ravitailler les spectateurs et, pour assurer une bonne vue de l’ensemble des événements à chacun, une quarantaine de récepteurs de télévision sont posés sur la Grand Place tout au long des tribunes. Les Gilles de Binche et de Wasquehal posent avec leurs beaux costumes colorés devant la mairie dès le générique.
Les jambes roubaisiennes ne déméritent pas : à l’issue des épreuves physiques les deux villes sont à égalité, mais c’est la tête qui lâche au cours des épreuves culturelles qui départagent les deux équipes à l’issue du jeu. Pour avoir confondu le lac Toronto et la rivière Ottawa l’équipe de Roubaix chute dans la dernière question et Roubaix perd le match qui l’opposait à la ville de Cavaillon une mauvaise utilisation du joker lui ayant été fatale. Ceci explique le titre en première page de la presse locale : Roubaix a ri jaune. En revanche à Cavaillon la foule est en liesse place Thorel.
Il faut dire que les concurrents roubaisiens n’avaient, aux dires de la presse du lendemain, que leur seul courage pour se motiver, car malgré les 5000 places vendues, pas de cris tonitruants d’encouragement pour soutenir le moral des champions roubaisiens, les supporters de Cavaillon étant bien plus expressifs bien que moins nombreux. Malgré le dépit de l’équipe et de Mr Diligent devant cette courte défaite, la soirée se termine en apothéose avec un magnifique feu d’artifice.
Intervilles à Roubaix en chiffres c’est : 37 joueurs, une cinquantaine d’employés municipaux, 84 CRS et 60 policiers en tenue, 14 millions de téléspectateurs, mais aussi côté TF1 : 6 camions de matériel, un car directeur pour la régie, 200 techniciens, 15 hommes à la production et 40 aux images…
Bien sûr la question du coût des jeux est évoquée suite à la défaite, la mairie ayant dû faire face à de grosses dépenses : milliers d’heures de travail pour les employés municipaux, achat de matériel pour les décors, location d’infrastructure comme les tribunes…Mais il y a aussi eu des rentrées d’argent avec les programmes et les entrées payantes. Quoiqu’il en soit tribunes et décors sont ensuite démontés et la liesse du 31 juillet laisse la place à la quiétude du mois d’ Août sur la Grand Place de Roubaix qui, en dépit du résultat, a vécu là un grand moment.
La première passerelle du Fresnoy, on s’en souvient, fut réclamée par les habitants du quartier qui étaient obligés de faire un grand détour pour traverser les voies de chemin de fer. Elle fut construite grâce à la générosité de M. Edmond Dujardin et inaugurée le 14 septembre 1908, du moins ses fondations furent-elles posées ce jour-là, à l’occasion d’une grande fête. Les travaux ont été commencés pendant la deuxième quinzaine d’août. On prévoit qu’ils seront terminés dans les premiers jours de novembre. Deux mois et demi pour les travaux, beaucoup moins que pour les discussions.
Une grande fête est donc organisée le 14 septembre, pour marquer le coup. Ce sera d’ailleurs le début des grandes réjouissances dans ce quartier à ce point abandonné par la ville, que certaines cartes postales considéraient encore que la place de la Gare était l’entrée de Roubaix !
La journée commence avec la réception en gare de Roubaix des reines du Courgain de Calais. La philharmonique de la Planche du Riez ouvre la marche du cortège vers la mairie, suivie de la clique des marins du Courgain, d’un groupe important de matelottes calaisiennes. Dans des landaus, les trois reines : Louise Dutertre, Reine du Courgain, Marie Drolet, Reine de la Halle, Marie Randon Reine des matelottes. La première est accompagnée de son père, un brave sauveteur, la poitrine constellée de médailles !
Un peu plus tard, au pied de la passerelle, le maire Eugène Motte, est présent à la cérémonie de la pose de l’ossature. Écoutons-le raconter sa version de l’histoire :
C’est en 1865 que le quartier du Fresnoy sollicita pour la première fois le trait d’union par passerelle aux dessus des voies du chemin de fer. C’était prématuré, six cents habitants seulement étaient épars de ci de là, dans un vaste parterre de prairies. Le temps avait moins de valeur, le tissage mécanique n’était qu’au berceau… En 1890, (…) le quartier se remua à nouveau, à l’heure où Roubaix venait d’ouvrir la belle artère de la rue de la gare, pour supprimer un vilain serpentin de rues en boyaux. Il semblait naturel qu’on prolongeât l’effort et que les 3.000 habitants pussent jouir par la passerelle de la fierté roubaisienne devant cette belle œuvre de voirie. Mais certains voulaient la passerelle plus à droite, d’autres trop à gauche, et les gardiens du trésor municipal restèrent sourds à ces demandes contradictoires. Quatorze ans s’écoulaient et les champs, les pâtures, les oasis de verdure, les fils d’eau verdoyants, les hauts sureaux avaient disparu depuis longtemps, cédant devant l’invasion d’une population alerte et laborieuse. Nous étions en 1904. Vous avez été les bénéficiaires du sectionnement municipal. Vos conseillers locaux ont pris l’affaire en mains, l’ont traduit en vœu direct (…) ont sollicité les souscriptions que MM Dujardin et Hachet ont levées et l’affaire sortit des limbes et de la poussière des cartons. La compagnie du Nord nous a prêté le concours de ses ingénieurs et gratuitement sa bonne grâce ! La passerelle coûtera 70.000 francs, payés 50.000 francs par la Ville, 19.500 francs par les particuliers, mais que de services elle rendra aux 10.000 habitants qui peuplent maintenant votre quartier ! 16 heures par jour elle établira une communication incessante. A la suite de quoi, un procès verbal écrit sur parchemin est placé dans les fondations de la passerelle.
La fête a déjà commencé : dans la matinée une course vélocipédique a été offerte aux amateurs, de Roubaix à Fleurbaix. Puis une course de vitesse dans le quartier. De midi et demi à une heure et demie, concerts-apéritifs par la Fanfare de Beaurepaire, la Philharmonie de la planche au riez, et les Accordéonistes Roubaisiens. Une cantate est composée en l’honneur des membres du comité par la Philharmonie de la planche au riez, dont les solistes reçoivent une médaille. Puis c’est le clou des réjouissances, le cortège ! Il défile dans les rues du quartier devant une foule énorme qui s’entasse sur les trottoirs et déborde sur la chaussée. Un piquet de gendarmes à cheval ouvre la marche, suivi par la philharmonique du Jean Guislain et ses pas redoublés. Puis vient le char de la passerelle avec sa reine, Melle Flore Guermonprez, et l’harmonie l’Espérance. Ensuite voici le char du dragon fabuleux, surmonté d’une matelotte, les trois reines du Courgain, avec demoiselles d’honneur et parentes dans des landaus. La Grande Fanfare fait l’intervalle musical avec le char du Veau d’Or, la Philharmonie de la planche au riez précède des enfants costumés qui figurent le corps de ballet de la reine. Enfin voici le char de la reine du Fresnoy, la gracieuse Marie Pratt et ses demoiselles d’honneur, escortée par la Fanfare de Beaurepaire, le char aumônière, qui recueille au profit des pauvres. Un piquet de gendarmes à cheval ferme la marche.
Les reines du Fresnoy et celles du Courgain sont reçues à l’école de la rue de Naples, où un souvenir leur est offert et une coupe de champagne. La Philharmonie de la planche au riez donne une aubade à M. Pierre Vial, président du comité des fêtes.
Il y aura encore le départ du ballon, nommé le Fresnoy qui gonfle depuis le matin, et à midi se dresse majestueux, à l’angle des boulevards Descat et d’Armentières. M. Tiberghien l’aéronaute de service, s’élance dans les airs vers cinq heures avec un ami. La Marseillaise est jouée par l’harmonie l’Espérance. Le ballon atterrit à Pottes, en Belgique et en pleine kermesse.
La soirée commence à partir de six heures, avec trois concerts et des illuminations. De huit heures à dix heures une grande fête de gymnastique à l’angle des rues de Mouvaux et de Rome, par la Roubaisienne, et par la Jeunesse du Blanc Seau, avec le concours de la Philharmonique Jean Guislain, ainsi intervient la fin de la première journée.
Le lendemain, pour la journée de lundi, des concours sont organisés chez les cabaretiers membres du comité. À 3 heures, des jeux populaires sont proposés, à 5 heures une promenade-concert est emmenée par la fanfare du Nord Touriste. Une attraction sensationnelle de funambulisme est donnée par Mac Dauly dit le blondin américain. Et la fête se termine avec un concert donné par la Fanfare des Amis Réunis. L’organisation fut si efficace que le quartier renouvellera l’expérience, les années suivantes, pour le bonheur des commerçants et habitants du quartier du Fresnoy et bien au-delà, de celui des autres roubaisiens.