Château Wattinne (suite)

La famille Wattinne veille toujours sur l’école Sainte-Marie et, au décès de Georges en 1925, c’est son épouse Héléne Motte qui prend sa suite aussi bien concernant l’école Sainte-Marie que s’agissant de l’activité roubaisienne de négoce. Elle vit dans la maison principale aidée de 7 domestiques.

Aménagement du salon dans le bâtiment principal ainsi que celui d’une aile du château (Documents Historihem)

Habitent également sur le domaine son fils André, né en 1899, en couple avec Marie Agnés Dazin et leurs quatre fils, André, Yves, Denis et Luc, ainsi que sa fille Héléne et son époux Charles Bernard. Il convient également de citer le concierge de la propriété qui est logé sur place. Le domaine est traversé par la Marque et, outre la beauté que cette étendue d’eau lui confère, cela permet aux enfants Wattinne ainsi qu’aux adultes d’y pratiquer le canotage.

Les joies du canotage sur la Marque (Documents Historihem)

Durant la deuxième guerre mondiale, comme durant la première, le château est occupé par les allemands et il est sérieusement endommagé suite à l’explosion d’une aile en 1944 laquelle n’est que partiellement détruite grâce à l’intervention des FFI de Forest-sur-Marque, nécessitant toutefois la mise en place d’un branchement électrique provisoire.

Destruction partielle d’une aile et mise en place d’un branchement électrique provisoire (Documents Historihem)

Lorsque la fanfare Sainte-Cécile fête ses 70 ans en 1948, c’est André Wattinne, petit-fils d’Augustin qui est devenu président d’honneur, probablement après le décès d’Auguste en 1942. 30 ans plus tard cette belle société musicale met ses pionniers à l’honneur pour son centenaire avec une messe en mémoire des musiciens disparus et une cérémonie du souvenir organisée au cimetière en présence du président d’honneur.

Les 70 ans puis le centenaire de la fanfare Sainte-Cécile fêté en présence de son président d’honneur André Wattinne (Document Nord-Eclair)

Au début des années 1950, c’est toujours Héléne Wattinne Motte, la veuve de Georges qui occupe le château et ce jusqu’à son décès en 1957. Puis son fils André demeure dans le château familial dans lequel, en 1959, est créé une entreprise dans l’une des ailes de la propiété : la Biscuiterie du Lion d’Or, gérée par Luc Wattinne, 4ème fils d’André et Marie-Agnés. La société est spécialisée dans la fabrication industrielle de pains et de pâtisserie fraiche et reste en activité jusqu’en 2006.

Photos aériennes du domaine en 1951 et en 1975 (Documents IGN)
Les ateliers de la biscuiterie dans une des ailes du château dans les années 2000 et la pièce montée réalisée par Luc Wattinne pour le mariage de sa fille en 2000 (Documents Historihem)

Le château Wattinne présente au début du vingt et unième siècle un aspect certes moins fastueux mais le jardin est toujours très bien entretenu. En revanche de nos jours il paraît à l’abandon et c’est la végétation qui semble avoir repris ses droits, l’allée qui y mène et la cour étant envahie par de hautes herbes et la grille d’entrée se recouvrant de lierre.

Photo aérienne, l’allée, la tour et l’entrée du château dans les années 2000 (Documents Historihem)
Les lieux en 2024 (Photos BT)

Article dédié à Gérard Vanspeybroeck, notre président récemment disparu. Remerciements à l’association Historihem

Château de la Marquise

En mai 1882 a lieu, sous l’égide de Maître Aimé Vahé, notaire à Roubaix, la vente par adjudication, en trois lots, d’une « magnifique campagne, belle futaie, bois, pièces d’eau », d’environ 15 hectares, dans la commune d’Hem, sur le Pavé de Roubaix à l’Hempempont (actuelle rue de la Tribonnerie), avec entrée sur la route départementale de Lille à Lannoy (actuelle rue Leclerc) et entrée avec conciergerie sur le sentier de Hem (actuelle rue de Beaumont).

Vente du domaine par adjudication en 1882 (Documents Historihem)

En 1896, le maire de Hem, Henri Désiré Joseph Leuridan, marie Mathilde Pollet, fille d’un riche cultivateur hémois à un aristocrate normand, Eugéne Marie Gaston d’Auray de Saint-Pois. Les époux s’établissent sur le domaine vendu à la famille Pollet 14 ans plus tôt, qui sera donc dès lors connu familièrement de la population sous le nom de Château de la Marquise, alors qu’aucun château n’y sera jamais construit.

Photo d’Henri Leuridan et mariage de Mathilde Pollet vu en bande dessinée (Document Au temps d’Hem)

Le château de la famille de Saint-Pois est en réalité une demeure du XVIII ème siècle qui se situe sur la commune de Saint-Pois, dans la Manche, en Normandie. Le domaine y appartient à la famille du Marquis depuis le Moyen-Age. Le château y est reconstruit, après destruction, en forme de fer à cheval, l’aile nord abritant les cuisines et les autres ailes un décor raffiné. Le marquis ne vient à Hem que quelques fois par an pour y chasser le lapin et le faisan. Mais le parc est toujours impeccablement entretenu et fleuri, les étangs empoissonnés et les pâtures louées aux fermiers voisins.

Le château familial à Saint-Pois et le blason de la famille (Document Wikimanche et Man8rove)

Dans le domaine de Hem, la partie haute, plantée d’arbres et de pelouses, est agrémentée de trois pièces d’eau. Plus bas on trouve un petit bois de chênes magnifiques puis des prairies. Côté Est, est planté un verger et côté nord l’habitation du jardinier chef donne sur un grand potager et des serres chauffées. Un pigeonnier domine l’ensemble et 2 conciergeries assurent la surveillance de la propriété, l’une à l’entrée nord et l’autre à l’entrée sud.

Le bois et les bords du lac et le pont au dessus du plan d’eau (Documents collection privée)
La conciergerie côté nord et la glacière située dans le parc (Documents Historihem)

La demeure des châtelains, à Hem, est en fait un relais de chasse à un étage, sans style particulier, situé le long du pavé de Roubaix à Hempempont. Mathilde Pollet qui ne serait pas en très bons termes avec le propriétaire du château sis dans le quartier de la Lionderie souhaite quant à elle que sa propriété soit appelée « Château de la Lionderie », comme le démontre l’enveloppe qui lui est personnellement adressée, et la série de cartes postales qui lui sont consacrées porte d’ailleurs cette appellation.

Enveloppe adressée à la Marquise au Château de la Lionderie (Document collection privée)
Le Château de la Lionderie en hiver et en été (Documents collection privée)

La marquise est réputée pour avoir du caractère et la bande dessinée Au temps d’Hem illustre avec humour cet aspect de sa personnalité dans un dialogue imaginaire avec le tenancier du café Au bon coin, situé au coin de la rue de Saint-Amand (aujourd’hui rue du Docteur Coubronne) et de la rue Jules Ferry, sur son chemin pour aller à l’église Saint-Corneille.

Illustration humoristique du caractère de Mme la Marquise (Document Au temps d’Hem)

Mathilde Pollet n’a pas que des amis sur Hem et tente d’agrandir toujours plus son domaine ceint d’un mur sur une grande partie de sa surface. Ainsi en est-il de ses relations avec le fermier Louis Jonville qui refuse de lui vendre une parcelle qui lui manque et sur laquelle sera érigée la propriété de la famille Declercq (sur le sujet voir un précédent article sur notre site intitulé : Famille Declercq, 28 rue de la Tribonnerie).

Le Château côté rue et la ferme du domaine (Documents Historihem)
CPA de l’intérieur du château (Documents Historihem)

Pendant la première guerre mondiale l’ennemi occupe les différents châteaux de Hem et le domaine de la Marquise n’échappe pas à la règle, comme le démontrent ces cartes photos prises durant l’été et l’hiver 1917. La propriété ne subit à priori pas de dommages essentiels et la Marquise continue à l’habiter après guerre.

Le château pendant la première guerre (Documents collection privée)

Au début de la deuxième guerre mondiale les anglais ont leur point de ralliement au château de la Marquise dont le nom de code, pour permettre aux estafettes anglaises de se diriger, est « green shutters » : les volets verts. Les deux fermes voisines : Leplat et Jonville, sont les « twin farms » : les fermes jumelles. L’Etat-major se trouve sur le territoire d’Anappes au Château de Montalembert.

Puis, sous l’occupation allemande, le parc du Château et celui du château Olivier deviennent un dépôt de munitions : le plus important du Nord. Des bases anti-aériennes sont installées autour des deux châteaux et la commune d’Hem devient un point de traversée. Les véhicules allemands du Nord Pas-de-Calais et même de Belgique viennent s’y approvisionner en munitions, lesquelles sont empilées à hauteur de maison tous les 100 mètres. Ces 2 dépôts sont un point vital pour l’ennemi qui les fait garder par des civils français : 30 hommes le jour et 50 la nuit.

Tous les transports sont effectués de nuit par camion. De jour les munitions sont rangées et camouflées. Les travaux sont exécutés par des ouvriers civils de la région, amenés par camions militaires : de 20 à 30 hommes par domaine.

Le message de Radio Londres après le débarquement (Document Au temps d’Hem)

Au printemps 1944, il ne reste plus qu’un officier qui commande, un Feldwebel, et quatre soldats dans chacune des propriétés. Ils logent dans des maisons réquisitionnées sur le boulevard Clémenceau. Ils effectuent des tours de garde, les clôtures des châteaux sont renforcées de barbelés et les grilles obscurcies par des planches. La rue de la Tribonnerie est interdite au trafic.

Les munitions entreposées sont toutes désamorcées, c’est à dire détonateurs et fusées stockées séparément. Il s’agit de munitions classiques de tous calibres depuis la balle de fusil jusqu’à la torpille marine, en passant par toute la gamme des obus. Les munitions légères (balles) sont entreposées dans les caves du relais de chasse et des dépendances de la Marquise tandis que les plus gros calibres se trouvent au château Olivier.

D’ autres explosifs délicats se trouvent dans des hangars légers en bois montés sur les pelouses et camouflés. La plus grande masse est empilée au pied des grands arbres. Certains tas d’obus reposent dans des fosses profondes de 0,50 m environ, protégées de talus et camouflées de bâches. L’ensemble représente une masse explosive considérable.

Après le débarquement, Radio Londres diffuse un message : « Lorsque les oliviers fleuriront, la marquise dansera ». Lors de la libération de Paris en Aout 1944, les allemands s’apprêtent à quitter Hem. L’officier allemand commandant la place prévient le maire qu’il va faire sauter l’ensemble le 3 septembre et qu’il faut évacuer les habitants. Fin Aout des bombardiers américains survolent les 2 domaines et c’est la panique mais aucune bombe n’est larguée.

La police française sillonne les rues (Document Au temps d’Hem)

Le 2 septembre au petit matin les hémois sont prévenus, par la police française qui sillonne les rues avec des automobiles à haut parleur, que les dépôts vont sauter ensemble à 13h. Les allemands improvisent un amorçage de secours et le dispositif de mise à feu électrique est remplacé par un cordon enflammé, suite aux tentatives de sabotage de la résistance hémoise, lesquelles ont ainsi évité par la coupure du courant une déflagration générale destinée à détruire la ville.

A 16 heures les allemands quittent les châteaux et moins d’une heure plus tard de formidables explosions retentissent. C’est comme un tremblement de terre suivi d’un tintamarre épouvantable : vitres et tuiles volent en éclats dans une bonne partie de la ville. Une fumée noire monte en volutes épaisses jusqu’à plus de 200m de haut. Autour des dépôts des projectiles retombent : obus, terre, briques, tuiles, branches…

L’explosion provoquée par les allemands et l’arrivée des anglais à Hem (Document Au temps d’Hem)

Les explosions se succèdent durant toute la nuit car tous les stocks ne sautent pas en même temps et la mise à feu se fait de proche en proche. Le 3 septembre au matin, l’enfer se calme et aucun blessé ou disparu n’est à signaler parmi la population estimée à 10.000 habitants. Seul un soldat allemand est retrouvé mort au Château Olivier, peut-être un artificier. Les parcs sont bouleversés : arbres déchiquetés, sol retourné. A la Marquise seules crépitent encore les balles dans les caves.

Les curieux affluent alors sur les lieux malgré le danger puisque 2/3 des stocks de munitions sont à priori toujours intacts, à la recherche d’armes ou de nourriture. S’ils n’en trouvent pas le pillage d’outils, de cuivre, voire même de portes commence. Le lendemain, quelques petites explosions reprennent à la Marquise puis le surlendemain très brutalement une grosse déflagration retentit et cette fois c’est le drame et 5 morts sont relevés. C’est seulement ensuite que les châteaux sont à nouveau gardés jour et nuit par les FFI.

Après la fuite des allemands vers la Belgique, au retour des anglais, les services de déminage français et anglais se mettent au travail pour désamorcer des milliers d’obus éparpillés ça et là ainsi qu’une trentaine de mines découvertes au milieu des caisses de munitions. Le sol sera ensuite nivelé par des bulldozers et de nombreux engins enterrés remontent périodiquement. Le ramassage de cuivre se poursuit durant plus de 10 ans et régulièrement de petites explosions dues à des feux d’herbes et branches se reproduisent longtemps après la fin de la guerre.

Le relais de chasse après les explosions de septembre 1944 (Documents collection privée et Historihem)

Remerciements à l’association Historihem ainsi qu’à André Camion pour son livre co-écrit avec Jacquy Delaporte Hem d’hier et d’aujourd’hui ainsi qu’à Jacquy Delaporte, Christian Teel et Chantal Guillaume pour leur bande dessinée Au temps d’Hem et enfin à Jean-Louis Denis pour sa contribution.

A suivre…