Quatre maisons à l’Entrepont

Le carrefour de la grand rue et de la rue d’Alger s’orne dès la fin du 19ème siècle de quatre belles maisons de maître, dont trois aujourd’hui disparues, assorties de parcs imposants. Au vu des photos anciennes, on ne peut s’empêcher de s’intéresser à ces propriétés. Quelle est leur histoire, pour qui ont-elles été construites, qui les a habitées ?

Les quatre propriétés – Photo IGN 1947

Cette histoire remonte à 1868, lors que Alfred Motte choisit de s’associer avec les frères Meillassoux pour fonder la teinturerie Motte et Meillassoux frères, installée rue du Coq Français. Venus de Suresnes, les Meillassoux s’installent alors à Roubaix.

La proximité des deux familles est affirmée en 1883 par le mariage d’Étienne Motte avec Louise Meillassoux, Le père d’Étienne, qui porte le même prénom, est le frère d’Alfred Motte ; sa mère est Catherine Desurmont. Louise est fille d’André, un des frères Meillassoux et de Léontine Duval. Son frère, Edouard Meillassoux, est marié à Germaine Desmazières.

Étienne Motte fonde une filature de coton à l’angle de la rue d’Alger et de la grand rue. Il fait construire au coin de ces deux rues, dans une enclave de l’usine, une maison entourée d’un parc. Le document ci-dessous montre l’usine ; le parc et la maison sont visibles en bas à droite.

Le recensement de 1906 nous indique qu’Étienne Motte, né en 1852 et filateur de coton habite la maison sise au 393 grand rue. A cette époque, sa femme Louise est malheureusement déjà décédée à l’âge de 27 ans. Leurs enfants Étienne, Jacques, Marie, Jean Marie, Ursule et Catherine vivent avec leur père. Une photo ancienne montre, à gauche, la maison, qui présente, sur le coin, un curieux angle rentrant et une vaste façade sur la grand-rue. Un bâtiment bas la prolonge côté rue d’Alger. Un mur de clôture ferme le parc côté grand rue. Il s’étend jusqu’au dépôt des tramways.

Étienne Motte décède à son tour en 1919. Son fils Étienne, troisième du nom, époux depuis 1907 de Germaine Pollet habite la maison avec sa famille. Après la guerre, on retrouve à cette adresse dans le Ravet-Anceau jusqu’aux années 60 Motte-Lepoutre, industriel.

Mais l’usine ferme et, en Juin 1970 la communauté urbaine achète l’ensemble du terrain aux établissements Motte. On prévoit d’y construire deux établissements scolaires. Les constructions ne traînent pas et on ouvre le collège Samain en 1972. Le Lycée Rostand le suit de près, qui ouvre en 1977.

Sur l’emplacement de la maison d’Étienne Motte s’étend une pelouse située devant le bâtiment des logements des personnels administratifs du Lycée.

Pratiquement en face, la société Motte et Cie possède dès 1884 une propriété côté pair de la grand rue, comprenant une maison prolongée par des bâtiments annexes sur le jardin, qui s’étend jusqu’à la rue d’Avelghem. Cette maison prendra plus tard le numéro 308.

 

Plan cadastral 1884

En 1886 s’y installe André Meillassoux, le beau-père d’Étienne Motte. Cette installation est provisoire, car, dès 1903 il s’installe au 349, de l’autre côté de la rue, laissant la maison à Edouard Meillassoux, son fils, né en 1873, et peigneur sur laines. Il y vit avec sa femme Germaine Desmazieres et ses jeunes enfants Jacques et Pierre. La famille séjourne au 308 jusqu’à la deuxième guerre.

Photo IGN 1965

En 1953 c’est la famille d’Henri Meillassoux et de Marie-Louise Wattel, qu’on retrouve dans la maison jusque dans les années 60. Henri est fils d’Emile Meillassoux et Marguerite Wibaux, petit fils d’Edouard Meillassoux-Desmazieres.

La propriété existe encore aujourd’hui et semble bien entretenue. La grande fenêtre de droite au rez de chaussée a remplacé en 1924 les deux fenêtres originalement séparées par un trumeau.

Photo Google

Revenons à André Meillassoux, l’associé des Motte qui traverse la grand rue en 1903 pour venir habiter au 349, au coin même de la rue d’Alger où il a fait construire une demeure dont la demande de permis de construire date d’octobre 1898. Le recensement de 1906 l’y trouve, avec sa femme Léontine Duval et ses enfants Cécile et Emile ; on y mentionne la profession de peigneur sur laines.

La maison, carrée et de belle apparence, possède sur l’arrière une partie plus basse et une extension vitrée semi-circulaire sur le parc, surmontée d’un balcon.

Nord Eclair nous en livre en 1964 une vue prise depuis le jardin.

André Meillassoux décède en 1917, sa veuve reste dans la maison. En 1939, la propriété est vide selon le Ravet-Anceau. Après guerre, s’y installe le foyer de jeunes filles du peignage Alfred Motte, ainsi que le terrain d’activités physiques inter-entreprises de Roubaix-Tourcoing. Plus tard, la mairie achète la propriété de 10 000 mètres carrés en 1964, pour en faire don aux HLM dans le but d’y construire un foyer des jeunes travailleurs. Celui-ci est construit en 1968 et inauguré en 1969. Il est aujourd’hui transféré place Chaptal et l’ancienne propriété est à l’abandon.

La dernière de nos quatre maisons se situe à quelques mètres de là, au numéro 296. Elle est construite à la fin des années 1880 et abrite à partir de 1891 la famille Browaeys. Le brasseur Jean baptiste Browaeys est né en 1866, en Belgique. Il a épousé cette même année Jeanne Tiers née en 1872.

Le 296 dans les années Le 296 dans les années 80

Vue de la rue, la maison, régulière en apparence, cache un plan de toiture très curieux qu’on découvre grâce aux photos aériennes. Le parc, assez vaste, s’étend jusqu’à la rue d’Avelghem.

Photo IGN 1965

Jean Baptiste décède en 1901 et sa veuve continue d’habiter la maison avec ses filles Jeanne, Antoinette, et Madeleine, ainsi que son fils Jean. Elle héberge également sa belle-mère Colette Verbrugghe et son beau-frère Pierre, employé par Jean-Baptiste. La famille vient du quartier du Fresnoy, puisqu’en 1896, Colette, veuve, habitait 87 rue de Rome avec son fils Pierre, employé brasseur, alors que son autre fils, Jean Baptiste, et sa femme Jeanne habitent le 81 de la même rue. Quittant le 296, la famille va ensuite s’installer non loin de là au 77 rue de la Conférence en 1913. Elle y est toujours en 1920.

La maison est habité ensuite par diverses personnes, dont, dans les années 50 par l’ industriel L. Blanchot-Baumann.

Dans les années 80, le parc est réduit par la construction rue d’Avelghem d’un immeuble qui a abrité un temps les élèves policiers dans l’attente de l’ouverture de l’école d’Hem. Le reste de la propriété disparaît plus tard, ainsi que la maison, dont on conserve pourtant la façade. Celle-ci sert plusieurs années, persiennes fermées, conjointement au mur d’enceinte, à interdire l’accès au terrain. Sur l’ancien jardin on construit enfin l’ensemble de logements collectifs l’Echo dont l’architecte a daigné préserver la partie basse de la façade de l’ancienne maison.

Photo Google

Ce reste de façade et la maison du 308 restent les seuls témoins des demeures de maître qui existaient à cet endroit, ornements d’un quartier par ailleurs populaire.

Les documents proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.

Les Ponts Nyckees

Lorsque le 1er janvier 1877, on inaugure le nouveau canal contournant Roubaix par le Nord, on prévoit que les péniches pourront relier la Deûle et l’Escaut directement. Le premier pont du Galon d’eau (selon sa dénomination officielle du plan cadastral de 1884), ou pont Nyckees (d’après le nom du cabaretier-agent de douanes du quai de Wattrelos), situé au confluent de l’ancien et du nouveau canal, sera donc un pont mobile. Ce pont, nommé sur le plan cadastral, n’y est pourtant pas dessiné, pas plus que sur les autres plans de l’époque. On ne le voit figurer que sur un plan daté de 1906. A-t-il été prévu à l’origine, mais construit plus tard, puisque n’offrant pas la même importance que le pont de Wattrelos son voisin, implanté sur la grand rue et reliant les centres des deux villes ?

Journal du Roubaix du 04-01-1877 – document archives municipales
Journal du Roubaix du 04-01-1877 – document archives municipales

Néanmoins, ce pont assure un bon service,près de l’écluse du Galon d’eau, et reliant l’extrémité du boulevard Gambetta et le quai de Wattrelos, jusqu’en 1918. A cette date, il est démoli par les allemands en fuite. Il est remis en service après la guerre, en mars 1920, et le journal de Roubaix précise à cette occasion que son tablier est pavé.

Le pont sans doute photographié lors de sa reconstruction – document médiathèque de Roubaix
Le pont  photographié lors de sa reconstruction – document médiathèque de Roubaix

Le nouveau pont est fixe ; il ne permet pas aux bateaux de le franchir. Les péniches venant de Belgique ne pourront plus desservir que le quai du Sartel, et le reste du canal ne sera plus relié qu’à la Deûle.

Il faut avouer qu’il est peu pratique à l’usage : pour aller du boulevard Gambetta vers Wattrelos, il faut, après avoir traversé le pont, tourner à gauche et suivre le quai jusqu’au pont de Wattrelos, puis tourner à droite pour emprunter la grand-rue.

Photo La Voix du Nord – archives municipales
Photo La Voix du Nord – archives municipales

Ce parcours sinueux est dû au fait que le quai de Wattrelos est bordé de maisons, et que l’espace compris entre le pont et le confluent de la grand-rue et de la rue d’Avelghem est bâti, lui aussi. De même, une rangée de maisons bloque l’accès du côté de la rue d’Avelghem. Tout ceci empêche toute communication directe, et oblige à ce détour malcommode.

En 1952, on projette de remplacer ce pont par un autre, situé au même emplacement. Un peu plus tard, on modifie ce projet : le pont sera orienté non plus perpendiculairement au canal, mais dirigé vers le boulevard Gambetta. Sa chaussée doit faire 14m50 , et il doit offrir un tirant d’air de 4m10, permettant le passage des péniches. Ce pont doit être prolongé par une voie nouvelle qui le relierait directement à la rue d’Avelghem. Les plans suivants représentent les deux projets successifs.

Documents archives municipales
Documents archives municipales

L’année suivante on remplace ce dernier projet par un autre, beaucoup plus ambitieux : en février 1959, le conseil municipal décide de construire un pont de 30m de large placé dans le prolongement direct du boulevard Gambetta. Ce nouveau pont serait prolongé par des rampes d’accès empiétant d’un côté sur l’ancien jardin public terminant le boulevard Gambetta, et de l’autre sur les terrains situés au delà du quai de Wattrelos jusqu’à la rue d’Avelghem.

Le long de la rue d’Avelghem se trouve une rangée de maisons, déjà présente sur le plan cadastral de 1884, qui va devoir être démolie.

Photo Nord Matin 1958
Photo Nord Matin 1958

Les terrains à exproprier consistent principalement en une propriété de 1500 m2 appartenant à Mme Veuve Wallerand-Leconte et comprenant un café en bord de quai (celui d’Eugène Nyckees), et 28 maisons en cour, ce quon appelle la cité Wallerand, située sur le terrain d’une ancienne brasserie. On y trouve aussi une autre propriété de 1700 m2, comprenant un ancien négoce de bois, appartenant aux consorts Delesalle, ainsi que divers autres terrains. La photo suivante montre la zone en 1962, au début des travaux :

Photo IGN
Photo IGN

A suivre…

 

 

 

 

Les malheurs de la passerelle

Les industries se concentrent de chaque côté du canal, il faut donc un moyen de communication pour mettre en relation lieux de résidence et lieux de travail, quartiers du Pile, du Sartel et de l’Entrepont. Or le canal forme une barrière infranchissable entre le pont du galon d’eau et celui de Beaurepaire. On forme donc le projet, approuvé par la préfecture en 1875, de construire une passerelle à mi-chemin de ces deux ponts, quasiment dans l’alignement de la rue des Soies, entre le quai de Wattrelos et celui du Sartel.

La réalisation de la passerelle ne suit pourtant pas immédiatement cette décision : ni le plan cadastral de 1884, ni les plans de 1886 ne figurent de passerelle. Elle est finalement construite, et apparaît en 1906 sur le plan du Ravet-Anceau :

Plusieurs cartes postales nous la montrent, construite en métal riveté, et environnée par deux silos à charbon.

Ce moyen de communication si utile va malheureusement être détruit en 1918 par les allemands lors de leur départ de Roubaix.

Elle est reconstruite après la guerre, mais en béton. Les escaliers d’accès sont maintenant perpendiculaire à la passerelle elle-même. Une photo nous la montre, vue depuis le quai du Sartel :

Pourtant, les malheurs de cette passerelle ne sont pas terminés : elle sera détruite de nouveau durant la deuxième guerre mondiale, pour n’être reconstruite qu’en 1952, en ciment armé avec des rampes d’accès perpendiculaires accessibles aux cycles et voitures d’enfants. Le nouveau tablier préfabriqué est lancé à travers le canal en prenant appui sur une péniche, l’Etom, appartenant aux établissements Motte de la rue d’Avelghem.

Photos Nord Matin

Souhaitons longue vie à cet ouvrage d’art, l’avatar actuel de la lignée !

Documents archives municipales et bibliothèque numérique de Roubaix