Le carrefour de la grand rue et de la rue d’Alger s’orne dès la fin du 19ème siècle de quatre belles maisons de maître, dont trois aujourd’hui disparues, assorties de parcs imposants. Au vu des photos anciennes, on ne peut s’empêcher de s’intéresser à ces propriétés. Quelle est leur histoire, pour qui ont-elles été construites, qui les a habitées ?
Cette histoire remonte à 1868, lors que Alfred Motte choisit de s’associer avec les frères Meillassoux pour fonder la teinturerie Motte et Meillassoux frères, installée rue du Coq Français. Venus de Suresnes, les Meillassoux s’installent alors à Roubaix.
La proximité des deux familles est affirmée en 1883 par le mariage d’Étienne Motte avec Louise Meillassoux, Le père d’Étienne, qui porte le même prénom, est le frère d’Alfred Motte ; sa mère est Catherine Desurmont. Louise est fille d’André, un des frères Meillassoux et de Léontine Duval. Son frère, Edouard Meillassoux, est marié à Germaine Desmazières.
Étienne Motte fonde une filature de coton à l’angle de la rue d’Alger et de la grand rue. Il fait construire au coin de ces deux rues, dans une enclave de l’usine, une maison entourée d’un parc. Le document ci-dessous montre l’usine ; le parc et la maison sont visibles en bas à droite.
Le recensement de 1906 nous indique qu’Étienne Motte, né en 1852 et filateur de coton habite la maison sise au 393 grand rue. A cette époque, sa femme Louise est malheureusement déjà décédée à l’âge de 27 ans. Leurs enfants Étienne, Jacques, Marie, Jean Marie, Ursule et Catherine vivent avec leur père. Une photo ancienne montre, à gauche, la maison, qui présente, sur le coin, un curieux angle rentrant et une vaste façade sur la grand-rue. Un bâtiment bas la prolonge côté rue d’Alger. Un mur de clôture ferme le parc côté grand rue. Il s’étend jusqu’au dépôt des tramways.
Étienne Motte décède à son tour en 1919. Son fils Étienne, troisième du nom, époux depuis 1907 de Germaine Pollet habite la maison avec sa famille. Après la guerre, on retrouve à cette adresse dans le Ravet-Anceau jusqu’aux années 60 Motte-Lepoutre, industriel.
Mais l’usine ferme et, en Juin 1970 la communauté urbaine achète l’ensemble du terrain aux établissements Motte. On prévoit d’y construire deux établissements scolaires. Les constructions ne traînent pas et on ouvre le collège Samain en 1972. Le Lycée Rostand le suit de près, qui ouvre en 1977.
Sur l’emplacement de la maison d’Étienne Motte s’étend une pelouse située devant le bâtiment des logements des personnels administratifs du Lycée.
Pratiquement en face, la société Motte et Cie possède dès 1884 une propriété côté pair de la grand rue, comprenant une maison prolongée par des bâtiments annexes sur le jardin, qui s’étend jusqu’à la rue d’Avelghem. Cette maison prendra plus tard le numéro 308.
En 1886 s’y installe André Meillassoux, le beau-père d’Étienne Motte. Cette installation est provisoire, car, dès 1903 il s’installe au 349, de l’autre côté de la rue, laissant la maison à Edouard Meillassoux, son fils, né en 1873, et peigneur sur laines. Il y vit avec sa femme Germaine Desmazieres et ses jeunes enfants Jacques et Pierre. La famille séjourne au 308 jusqu’à la deuxième guerre.
En 1953 c’est la famille d’Henri Meillassoux et de Marie-Louise Wattel, qu’on retrouve dans la maison jusque dans les années 60. Henri est fils d’Emile Meillassoux et Marguerite Wibaux, petit fils d’Edouard Meillassoux-Desmazieres.
La propriété existe encore aujourd’hui et semble bien entretenue. La grande fenêtre de droite au rez de chaussée a remplacé en 1924 les deux fenêtres originalement séparées par un trumeau.
Revenons à André Meillassoux, l’associé des Motte qui traverse la grand rue en 1903 pour venir habiter au 349, au coin même de la rue d’Alger où il a fait construire une demeure dont la demande de permis de construire date d’octobre 1898. Le recensement de 1906 l’y trouve, avec sa femme Léontine Duval et ses enfants Cécile et Emile ; on y mentionne la profession de peigneur sur laines.
La maison, carrée et de belle apparence, possède sur l’arrière une partie plus basse et une extension vitrée semi-circulaire sur le parc, surmontée d’un balcon.
Nord Eclair nous en livre en 1964 une vue prise depuis le jardin.
André Meillassoux décède en 1917, sa veuve reste dans la maison. En 1939, la propriété est vide selon le Ravet-Anceau. Après guerre, s’y installe le foyer de jeunes filles du peignage Alfred Motte, ainsi que le terrain d’activités physiques inter-entreprises de Roubaix-Tourcoing. Plus tard, la mairie achète la propriété de 10 000 mètres carrés en 1964, pour en faire don aux HLM dans le but d’y construire un foyer des jeunes travailleurs. Celui-ci est construit en 1968 et inauguré en 1969. Il est aujourd’hui transféré place Chaptal et l’ancienne propriété est à l’abandon.
La dernière de nos quatre maisons se situe à quelques mètres de là, au numéro 296. Elle est construite à la fin des années 1880 et abrite à partir de 1891 la famille Browaeys. Le brasseur Jean baptiste Browaeys est né en 1866, en Belgique. Il a épousé cette même année Jeanne Tiers née en 1872.
Vue de la rue, la maison, régulière en apparence, cache un plan de toiture très curieux qu’on découvre grâce aux photos aériennes. Le parc, assez vaste, s’étend jusqu’à la rue d’Avelghem.
Jean Baptiste décède en 1901 et sa veuve continue d’habiter la maison avec ses filles Jeanne, Antoinette, et Madeleine, ainsi que son fils Jean. Elle héberge également sa belle-mère Colette Verbrugghe et son beau-frère Pierre, employé par Jean-Baptiste. La famille vient du quartier du Fresnoy, puisqu’en 1896, Colette, veuve, habitait 87 rue de Rome avec son fils Pierre, employé brasseur, alors que son autre fils, Jean Baptiste, et sa femme Jeanne habitent le 81 de la même rue. Quittant le 296, la famille va ensuite s’installer non loin de là au 77 rue de la Conférence en 1913. Elle y est toujours en 1920.
La maison est habité ensuite par diverses personnes, dont, dans les années 50 par l’ industriel L. Blanchot-Baumann.
Dans les années 80, le parc est réduit par la construction rue d’Avelghem d’un immeuble qui a abrité un temps les élèves policiers dans l’attente de l’ouverture de l’école d’Hem. Le reste de la propriété disparaît plus tard, ainsi que la maison, dont on conserve pourtant la façade. Celle-ci sert plusieurs années, persiennes fermées, conjointement au mur d’enceinte, à interdire l’accès au terrain. Sur l’ancien jardin on construit enfin l’ensemble de logements collectifs l’Echo dont l’architecte a daigné préserver la partie basse de la façade de l’ancienne maison.
Ce reste de façade et la maison du 308 restent les seuls témoins des demeures de maître qui existaient à cet endroit, ornements d’un quartier par ailleurs populaire.
Les documents proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.