La Marque : Nature et Ruralité

Le nom de cette rivière, affluent de la Deûle, vient d’un mot germanique : « marko » qui signifie « la marécageuse ». Longue d’une quarantaine de kilomètres seulement, elle a pourtant joué un très grand rôle dans l’histoire et la vie économique de l’agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing où elle dessine un demi-cercle depuis sa source à Mons-en-Pévèle jusqu’à sa confluence avec la Deûle à Marquette. Dès Pont-à-Marcq elle entre dans une plaine humide et marécageuse qu’elle retrouve à nouveau après Tressin, et d’où elle tire certainement son nom.

Le village de Ham en bande dessinée (Document Au temps d’Hem)

Hem vient de Hamma qui signifie : langue de terre se projetant en terrain d’inondation, soit un segment avançant dans les marais de la Marque. Une des premières orthographes de Hem est d’ailleurs Ham. Ses premiers occupants d’après les historiens : « peu d’hommes, des friches, des marécages, des taillis, des huttes de boue et de branchages réunies en hameaux qu’entourent des haies d’épines ».

Le bassin de la Marque est d’abord rural : un peu d’élevage, essentiellement des bovins ; énormément de terres labourables avec prépondérance des céréales mais aussi des pommes de terre et des endives. Le petit peuple vit alors de l’élevage des oies et de l’extraction de la tourbe. Les prairies se trouvent essentiellement au sud de Hem le long de la Marque de Hempempont jusqu’au Château d’Hem et ses terres labourables.

L’agriculture autour du Château d’Hem en bande dessinée (Document Au temps d’Hem)

« Le domaine est composé de la basse cour et du château proprement dit accompagné de ses jardins. Chacun de ces éléments est entouré de fossés remplis de l’eau de la petite Marque qui y serpente et fertilise les prairies où paissent des animaux. La basse cour, en briques, couverte de tuiles, comprend une série de bâtiments disposés sur trois côtés seulement et où se situe un imposant portail d’entrée, précédé d’un pont et accompagné d’une tour ronde à gauche, carrée à droite, d’un corps de logis à gauche, d’un pigeonnier à toiture en bâtière, d’une grange et d’étables.

Un pont relie cette ferme au château dont l’organisation est complexe puisqu’il est composé de deux cours et que la courtine se prolonge vers l’horizon au delà de la deuxième cour. Des tours cantonnent chacun des angles de ces deux cours, les unes carrées, les autres rondes, les unes modestes, les autres imposantes ou élancées. La destination des bâtiments est difficile à identifier. Tous sont disposés autour de la deuxième cour, tandis qu’autour de la première n’existent que des courtines régulièrement percées, hormis les tourelles précédemment citées et les portes. L’une d’entre elles donne sur un jardin dont le dessin figure une croix de Saint Louis, semble t il. »

Peinture d’Adrien de Montigny représentant le château en 1603 (Document Historihem)

La petite Marque, affluent de la Marque, longue de 9kms, prend sa source à Willems et dans son eau autrefois limpide on pêchait le brochet et la carpe. Ses eaux alors alimentaient les douves du Château d’Hem . Toute la zone comprise entre le parc du Château Wattine, à la limite de Forest et d’Hem, était drainée par une myriade de fossés.

Dès l’avènement des Comtes de Gand, du temps du premier château féodal d’Hem, des rouissoirs dotés d’écluses font parfois monter les eaux des cultures de ses voisins de Willems, suscitant leur mécontentement. Au dessus des terres du château d’Hem, au 18ème siècle, des moulins se trouvent sous le hameau de Valet (actuelle vallée) à l’emplacement approximatif de la briqueterie de la rue du Calvaire.

Les moulins de Hem en 1726 (Document Historihem)

Entre 1800 et 1920, la partie agricole d’Hem garde une place importante dans l’activité des villageois. Les rendements des terres sont remarquables tant elles sont bien entretenues et abritées des vents par toutes les crêtes boisées et elles bénéficient de l’humidité provenant de la Marque.

Au vingtième siècle, la rivière attire les habitants dans la partie amont et l’aval se tertiarise. Hem se structure en 3 parties : les industries sont localisées au bord de la Marque, des grands ensembles sont construits au nord à la limite de Roubaix pour loger la population ouvrière et au sud se situe un quartier plus résidentiel.

Photo aérienne de 1932 (Document IGN)
La famille sur le pont enjambant le cours d’eau (Documents collection privée)

Ainsi, dans la rue de Croix qui mène dans la ville du même nom, s’établit le Château de la Roseraie au n°111. Il est construit par Louis Leclercq-Huet qui descend d’une famille d’industriels. Comme le montre la vue aérienne de 1932, La Roseraie, ce n’est pas qu’une grande demeure majestueuse. C’est également un énorme terrain qui comprend, outre la bâtisse principale : plusieurs dépendances puis une ferme, des jardins, des prés, un cours d’eau…

Série de cartes postales de la Roseraie et une photo sur l’élevage dans le domaine (Documents collection privée)

Ainsi que le montre la série de cartes postales éditées sur le domaine à l’époque de sa construction, de multiples activités s’y déroulent, liées au cadre champêtre de l’endroit et à la présence du cours d’eau : élevage de bovins, d’ovins, de poules, pêche, canotage, vergers et magnifiques jardins.

Série de cartes postales de la Roseraie sur les jardins et vergers, la pêche et le canotage (Document collection privée)

La Marque alors poissonneuse fournit carpes et anguilles. Celles-ci deviennent d’ailleurs le plat de référence d’un restaurant fort prisé et fréquenté situé plus près du centre d’Hem, dans la même rue : l’Auberge d’Hempempont. Dans la série de cartes postales consacrée à celle-ci les viviers, l’écorcherie et la cuisine sont mises en valeur afin d’assurer la publicité de l’établissement.

Série de cartes postales de l’Auberge d’Hempempont (Documents collection privée)

La pêche se fait alors à la fois en rivière et en viviers. : les anguilles sont une source de nourriture fraîche ou fumée ; des viviers de carpes et tanches peuvent être aménagés en tous endroits. La chasse est également beaucoup pratiquée, Hem étant un terrain accueillant de multiples oiseaux sauvages : des échassiers de toute taille comme les cigognes qui chaque année passent à Hem, Lannoy et Lys. En 1968 à Hem, La Marque est encore une réserve de poissons. Aujourd’hui seuls les étangs permettent ce loisir tels que la base de loisirs du 90, avenue Delecroix avec son étang de pêche.

La base de loisirs et l’étang de pêche (Documents site internet)

En revanche, la Marque n’est pas un axe de circulation car son débit est trop faible. Bien au contraire, elle représente surtout un obstacle dans la mesure où elle coule souvent dans une plaine inondable, voire au milieu des marais et son passage est donc difficile. D’où l’importance stratégique des ponts qui le permettent.

La Marque et ses marécages sont ainsi, au cours de l’histoire, un obstacle important pour les troupes armées. Le pont de l’Hempenpont est alors l’ un des seuls passages praticables entre la Chastellenie de Lille et le château de Lannoy. Les armées vivent en ce temps-là sur le dos des habitants. A chaque conflit, le village de Hem et ses habitants subissent les pillages des troupes quelle que soit leur nationalité.

Croquis des ponts (Document Historihem)

Les 2 routes donnant accès à Hem par le sud traversent la rivière, l’une venant de Flers à l’Hempempont au « panpont d’Hem » et l’autre venant de Forest au pont de Forest. Ce pont est situé sur le territoire de Forest, village devenu plus tard la ville de Forest-sur-Marque.

CPA du pont de Forest qui enjambe la Marque (Documents collection privée)

Le pont d’Hempempont est encore aujourd’hui le seul pont existant sur le territoire de Hem. Le marquis d’Hem dispose à l’époque féodale, d’un droit de péage sur ce pont. Sans ces péages dédiés aux routes, la presque totalité des ponts et autres ouvrages destinés à franchir les passages difficiles, construits en France jusqu’au dix-septième n’auraient en effet pas existé et, après la construction, il fallait entretenir, réparer et surtout reconstruire.

Pont d’ Hempempont (Document BD Au Temps d’Hem)

Ce pont, en bois et très étroit à la fin du 19ème siècle, est d’une grande importance pour la liaison Lille-Lannoy, tant pour le commerce que pour l’armée. Il est alors surveillé par les policiers du commerce extérieur (douaniers).

Au début du vingtième siècle la meunerie Dufermont à Hempempont a une petite déviation sur La Marque, coupée par des vannes. Pour actionner ces vannes, on a construit au dessus de l’eau une petite passerelle d’ailleurs très étroite.

En octobre 1918, les allemands, qui ont fait sauter le Pont d’Hempempont, ont omis de faire sauter la passerelle de la meunerie Dufermont. Les anglais, profitant de cette aubaine inespérée, se lancent à la poursuite des allemands qui, de ce fait, n’ont pas le temps de faire sauter les habitations et les usines d’Hem.

Vue de la passerelle de la meunerie en 1964 (Document Historihem)

Au cours de la seconde guerre mondiale le pont d’Hempempont conserve également son importance stratégique. Les uns le font sauter et les autres le réparent comme sur une photo de 1940 où les soldats allemands travaillent à sa réparation après le départ des anglais.

Les allemands réparent le pont en 1940 (Document collection privée)

A part ces deux ponts, seules quelques passerelles pour piétons permettent de traverser la Marque dans la commune. Après la seconde guerre mondiale il n’est pas rare de voir les habitants se baigner encore dans la rivière pourtant déjà bien polluée en raison de l’industrialisation de ses rives.

Photos de passerelles et baignades dans la Marque (Documents Historihem)

A suivre …

Remerciements à l’Association Historihem ainsi qu’à Jacquy Delaporte, Christian Tell et Chantal Guillaume pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem et enfin à Paul Delsalle pour son ouvrage sur l’ Histoire de la Vallée de la Marque.

La ferme des 4 vents

Au dix-septième siècle, la ferme, située à l’extrémité de Hem, aux confins du territoire de Sailly-lez-Lannoy, est exploitée par la famille Castel et le reste jusqu’au vingtième siècle. La ferme est alors reprise par Victor Ruscart et son épouse Marie-Louise Delrue. L’exploitation comprend 16 ha et l’étable se situe à moitié sur le territoire de Sailly. Aucun tracteur n’est alors utilisé sur le domaine.

Ferme Ruscart (Document archives Historihem)

Vue aérienne de 1951 (Document IGN)

Lorsque Victor Ruscart cède la ferme pour prendre sa retraite, en 1970, il la vend à M. Henri Masquelier, pépiniériste à Lys-lez-Lannoy. L’entreprise de celui-ci fondée à Hem en 1874 par son aïeul, et transférée à Lys-lez-Lannoy en 1905 où elle occupait 2 ha, avait connu un nouvel essor en 1919 et porté sa surface à 7 ha et un nouveau bâtiment. En 1946, apparaissait la profession de paysagiste et l’entreprise connaissait une extension importante.

Dans les années 70, les jardineries en libre service se créent et la société Masquelier s’emploie à développer ce secteur, notamment en se réimplantant sur Hem où l’exploitation comprend alors 21 ha et prend pour nom commercial La Pépinière des 4 Vents.

Pépinières Masquelier (Documents collection privée)
Plan et photo aérienne 1971 (Document IGN)
Publicité de 1981 (Document collection privée)

La famille Masquelier la revend à son tour à Gonzague Pierchon et son épouse en 1987.

Ancienne Ferme Ruscart (Document archives Historihem)

La ferme reçoit alors l’appellation commerciale de Maison des Pâtures. Le journal Nord-Eclair se fait écho de cette incursion du Périgord dans le Nord.

Gonzague Pierchon vend du foie gras en 1987 (Document Nord- Eclair)

En effet, Gonzague Pierchon est à l’origine comptable et s’est retrouvé employé à la Chambre d’agriculture de Périgueux. Intéressé par le monde de l’agriculture, il a quitté son emploi pour étudier l’aviculture à Rambouillet. Ayant trouvé un corps de ferme à louer à St Amand les Eaux il y a développé son 1er élevage d’oies nordiste avant de se rapprocher de l’agglomération lilloise, où le foie gras se vend traditionnellement mieux, en s’installant à Hem.

Elevage des oies à l’extérieur (Document Nord-Eclair)

Il y pratique l’élevage extensif en pâture comme cela se fait traditionnellement en Dordogne, laissant les oies et canards gambader en pâture puis les nourrit de mais à volonté toujours à l’extérieur avant de passer à la phase de gavage.

Vue aérienne de l’exploitation en 1997 (Document IGN)
Vue de la ferme en 2008 sur Hem et sur Sailly lez Lannoy (Document Google Maps)

Après le départ en retraite du couple Pierchon, la ferme du 207 rue du Calvaire déviée est rachetée en 2016 par Nicolas Mulliez. Celui-ci, charpentier de formation, mais sensible aux thématiques agricoles, s’est formé dans une ferme proche d’Orléans, pionnière en agriculture biologique. Après le rachat de la ferme il décide de faire de son exploitation un véritable laboratoire pour la permaculture.

Vues de la ferme en 2019 sur Hem et sur Sailly lez Lannoy (Documents Google Maps)

Ses produits sont certifiés bio et il fournit aussi bien les particuliers que les magasins bio des environs mais aussi les restaurateurs. Avec son épouse il a aussi créé des gîtes tout confort et met également à disposition de sa clientèle une salle de réception pour les événements privés.

L’intérieur de la ferme (Document site internet de la ferme des 4 vents)

Il est curieux de constater comment cette ferme, exploitée à l’origine par des familles d’agriculteurs puis par un horticulteur, est ensuite devenue par l’intermédiaire d’un comptable de formation le domaine du foie gras avant d’être aujourd’hui une exploitation bio grâce à un charpentier de formation.

Remerciements à Historihem et la Ville de Hem