À la mémoire des résistants

Léon et Bernard Wolf doc NM

En ce mois d’août 1945, les leersois rendent hommage à la mémoire des résistants assassinés par les nazis. Une grande manifestation va être organisée par les Jeunesses Socialistes en hommage à Léon Wolf secrétaire de la section socialiste et Bernard Wolf secrétaire des Jeunesses Socialistes et de l’intercantonale de Roubaix, tous deux assassinés dans les bagnes nazis. Ils associent à cette manifestation Édouard Dubrunfaut des Jeunesses Socialistes de Leers dont on est encore à ce moment sans nouvelles. Ardent propagandiste du Parti Socialiste, résistant de la première heure, il fut arrêté par la Gestapo le 13 juillet 1943 en même temps que Pantigny, Wolf, Thiberghien (tous décédés depuis) Coquerel et Delabre. Il fut jeté en prison et odieusement torturé par les brutes nazies. Transféré dans divers camps, il a été vu la dernière fois en avril dernier à Buckenwald par Eugène Thomas. Des recherches entreprises par le Ministère des Déportés sont jusqu’alors demeurées vaines mais ses nombreux amis espèrent encore son retour.

Émile Dujardin résistant doc NM

Avant que cette manifestation du souvenir ait lieu, on apprend le décès d’Émile Dujardin. Depuis quelques semaines le bruit courait, mais nul n’osait y croire. Il n’y a plus de doute à présent. Un camarade de captivité vient de confirmer la triste nouvelle. Né le 26 août 1912, Émile Dujardin était dès son jeune âge membre du Parti Socialiste. Colporteur actif des idées socialistes, il fut mobilisé en septembre 1939 au 90e bataillon de chasseurs à pied. Fait prisonnier en juin 1940, il fut interné au Stalag IX A. Après 45 mois d’une dure et pénible captivité, il devait décéder le 20 mars 1945, victime d’un bombardement anglo-américain. Il sera associé à l’hommage de la manifestation souvenir du 19 août.

Augustin Laurent, Victor Provo et Léandre Dupré doc NM

Le dimanche 19 août, une émouvante manifestation se déroule à Leers où plus de 3000 personnes venues de toutes les communes environnantes se sont rassemblées en cortège derrière la clique Les Volontaires de Leers et la Fanfare La Paix de Roubaix. Les drapeaux d’une trentaine de sections flottent en tête du défilé. Parmi les personnalités, on reconnaît Augustin Laurent ancien ministre des PTT, A. Van Wolput, Just Evrard, Émilienne Moreau membres de l’assemblée consultative, Victor Provo maire de Roubaix, Marcel Guislain président de l’association des déportés, Camille Delabre et René Coquerel compagnons de captivité de Léon Wolf, A. Delebecque, secrétaire administratif de Nord Matin, le docteur Léandre Dupré, M. Dequenne maire de Flers, Lepoutre de Libé-Sud et le conseil d’administration de la caisse d’épargne sociale Le Travail.

Le cortège dans lequel a pris place la famille se rend au cimetière communal où une plaque et des fleurs ont été déposées au monument aux morts. Henri Sury de la fédération des Jeunesses socialistes et A. Van Gysel président du comité de Libération au nom de la section rendent un suprême hommage à ceux qui sont morts pour la France et le Socialisme.

Puis place Sadi Carnot a lieu un grand meeting. Augustin Laurent parle du rôle joué dans la clandestinité par ces héros de la Résistance dont on honore la mémoire. Pour leur rester fidèles, il faudra établir la France sur des bases solides qui ne peuvent être que socialistes. Roger Impens des Jeunesses Socialistes rappelle combien les socialistes et notamment les jeunes ont été nombreux dans les rangs de la Résistance et réclame pour ces combattants le droit à une vie normale et à l’éducation. Henri Massein secrétaire fédéral des J.S. de son côté salue la mémoire des camarades et réclame pour la jeunesse ouvrière l’échelle mobile des salaires et son droit au travail. Marcel Guislain parle ensuite de l’action menée dans la clandestinité par les Wolf, Dubrunfaut et bien d’autres. Leur tâche n’est pas terminée, déclare-t-il, il faut travailler pour instaurer la société socialiste qui nous débarrassera du capitalisme. C’est ainsi que nous resterons fidèles à l’idéal pour lequel nos camarades sont morts. Victor Provo associe à la mémoire des Wolf tous ceux qui ont fait le même sacrifice dans le combat pour la liberté. Le Parti fut dès le début au premier rang de la Résistance et peut réclamer sa place dans l’avenir du pays. Il termine en évoquant la grande figure de Jean Lebas, lui aussi victime du fascisme. Just Evrard qui fut le compagnon de Bernard Wolf dans la Résistance évoque le rôle joué à Lyon par ce héros. Devant le sacrifice de tels hommes, dit-il, nous ne pouvons désespérer des destinées de notre parti. Evrard insiste sur le sens de la prochaine consultation électorale qui assurera les idées de l’internationale socialiste. Il termine par ces mots : si le peuple ne vient pas au socialisme, tous nos morts seront tombés une fois de plus pour le capitalisme. Camille Delabre clôture cette cérémonie en demandant à tous de se mettre au travail pour le triomphe du socialisme. Et la foule se disperse en chantant l’Internationale.

Édouard Dubrunfaut résistant doc NM

Quelques jours après cette cérémonie du souvenir on apprend d’une camarade de captivité demeurant à Bruxelles la triste nouvelle du décès d’Édouard Dubrunfaut à la mi-avril 1943 en Tchécoslovaquie, des suites des privations et mauvais traitements de la barbarie nazie.

La galerie Dujardin

Les frères Liagre, serruriers sont installés en 1886 en bas de la rue du Moulin, mais ils cherchent un emplacement plus favorable et bientôt remplacés rue du Moulin par un ferblantier, ils transportent leur commerce vers le bas du boulevard de Paris. En 1892 ils demandent l’autorisation d’effectuer quelques travaux modifiant la façade de l’immeuble situé dans les premiers numéros pairs pour y installer un magasin. La propriété est vaste, constituée de plusieurs corps de bâtiments. Elle va permettre plus tard la cohabitation de plusieurs activités à la même adresse. La propriété, comme celles situées entre la rue de Lille, la rue des Loups et le boulevard de Paris appartient aux hospices de Roubaix.

Le numéro 14 en 1962 – Photo IGN

La façade comprend un rez de chaussée où s’ouvre une large porte et, à sa droite, une grande vitrine. L’ étage est surmonté d’ un fronton central. Tout au long de son existence, cette façade semble avoir été blanche.

Le bas du boulevard vers 1930

Les frères Liagre sont donc installés boulevard de Paris avec un magasin dont le numéro est le 2, puis le en 8 en 1894-1900, et enfin le 14, à la suite de renumérotations successives. Toujours serruriers, ils étendent leurs champs d’activité à la poëlerie, la tuyauterie et la fumisterie. Ils se spécialisent notamment dans la fabrication de cuisinières. Derrière le magasin se situent les ateliers de fabrication.

Ils partent ensuite s’installer au 8 de la rue Neuve (voir à cet égard le sujet consacré aux frères Liagre) et, en 1910, on trouve à leur place Eugène Louis Dujardin qui fait commerce d’ameublement, et à la même adresse, la veuve Marie Dujardin, sa mère née Rudent (son père, Eugène Théodore, négociant, est décédé en 1899). Sa mère est une ancienne institutrice, qui tient alors un magasin d’antiquités..

Parallèlement à ses activités dans la vente de meubles, Eugène Louis Dujardin ouvre en 1905 avec Jean Courier la première galerie d’art de Roubaix, hébergée dans ses locaux du boulevard de Paris où il fonde la société des artistes roubaisiens. Des liens familiaux ne tarderont pas à se nouer entre les deux familles, puisque Eugène Louis épousera en 1913 Jeanne-Marie Courier, tandis que sa sœur, Rose Marie, va épouser Maurice Courier, le frère de Jeanne Marie. Tous deux ont pour père le co-fondateur de la galerie. Le recensement de 1906 fait donc état de trois habitants au numéro 14 : Eugène, sa mère et sa sœur, avec le concours de laquelle il exploitera la galerie.

La galerie Dujardin contribuera à faire connaître des artistes roubaisiens, tels ceux du « groupe des 10 » en montant de nombreuses expositions. Sa renommée débordera largement du strict cadre roubaisien. Sans doute pris par le développement de la galerie, les Dujardin cessent dans les années 20 leur commerce d’ameublement. Seule la mère continue d’exploiter son magasin d’antiquités .

La galerie en 1928

Les années 30 verront se modifier l’environnement immédiat de la galerie : en effet, tout ce qui restait du bloc d’immeubles près du carrefour avec la rue de Lille va être démoli pour être remplacé par l’immeuble que nous connaissons aujourd’hui, à commencer par les commerces formant anciennement les premiers numéros de la rue du Moulin, dont l’estaminet de la Barque d’Or. Très vite suivront les autres constructions avec, en 1930, la demande de démolition des numéros 2 à 12 sur le boulevard, appartenant à la Foncière des Flandres. Parmi ces numéros se trouvent les boutiques du photographe Shettle et du pâtissier Vanhaelst. Il faut bien reloger ces locataires en attendant la construction du nouveau bâtiment. Ils vont donc être provisoirement casés au 14 près du magasin d’antiquités de Marie Dujardin.

Documents collection particulière

Le nouvel immeuble est alors bâti ; il arrive à la limite du numéro 14 qui paraît bien petit sur la photo à côté de lui. Les boutiques de Vanhaelst et Shettle s’installent dans leurs nouveaux locaux, et libèrent le 14.

Les hospices de la ville de Roubaix demandent en 1939 l’autorisation d’effectuer des travaux visant à démolir le fronton menaçant de ruine. Il va être rasé jusqu’au niveau de la corniche du premier étage. En 1952 Rose-Marie Courier-Dujardin décède. Les destinées de la galerie sont alors prises en charge par sa belle-fille, Josée Courier-Meyer, mariée avec son fils Jacques. Elle se tourne vers des artistes contemporains.

Josée Courier-Meyer assure la promotion d’artistes qu’elle réunit dans «le « groupe de Roubaix », puis le « groupe des jeunes ». En 1960, les locaux abritent toujours la Galerie Dujardin, mais Josée maintient également le commerce d’ameublement. Les locaux étant suffisamment vastes, apparaît également au 14 l’enseigne Flandre sports, qui commercialise, signe des temps, des articles de sport et de loisirs de plein-air.

La cohabitation se poursuit jusqu’à l’orée des années 70, puis des changements interviennent : la galerie déménage et, après un bref passage rue du Vieil Abreuvoir, s’installe à Lille pour finalement disparaître à la suite d’un incendie. Le magasin de sports est repris par l’enseigne Cabanon et, en 1972, Nord Éclair annonce la démolition de l’ancien bâtiment. A sa place, Cabanon envisage d’installer un terrain d’exposition avant de reconstruire un immeuble neuf.

Photo Nord Eclair

Mais cette société va s’implanter ailleurs et, en 1976, la société SCC résidence les Edelweiss à Hem demande un permis de construire pour édifier sur le terrain 18 appartements et des commerces au rez de chaussée. Le projet n’aura pourtant pas de suite et le site servira longtemps de parking.

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Finalement, c’est une station de nettoyage de voitures qui s’implante sur le terrain, alors qu’en 2011, le musée La Piscine organise une exposition consacrée à la galerie Dujardin.

Photos collection particulière

Les documents non légendés proviennent des archives municipales et de la médiathèque de Roubaix.

Un premier embranché à la petite vitesse

Lors de la construction de la gare en 1888, la compagnie des chemins de fer du Nord établit une rue débouchant sur la rue de Mouvaux pour desservir la cour des marchandises dite de la « petite vitesse », dévolue aux transports non urgents et bénéficiant, puisque acheminés plus lentement, d’un tarif préférentiel. Cette rue, future rue de l’Ouest, est pavée et la municipalité offre, au début des années 1860, de l’incorporer au réseau public et d’assurer son entretien. Elle la prolonge jusqu’au chemin du Fresnoy et demande à la compagnie de chemin de fer de reporter l’entrée de la cour des marchandises au débouché de cette voie.

La rue de l’Ouest sera traversée par des embranchements particuliers, voies ferrées établies sur le domaine public pour permettre aux wagons d’être déchargés directement dans l’enceinte de l’entreprise raccordée sans perte de charge. Une photo aérienne de 1962 nous permet de situer le premier de ces embranchements.

 embranchements-96dpiDocument IGN

 La photo montre le long de la passerelle le raccordement des établissements Dujardin. Un wagon tombereau stationne sur la plaque tournante permettant l’orientation à 90 degrés nécessaire à la desserte de l’embranchement et, dans l’enceinte de l’entreprise, deux autres plaques permettant de faire pénétrer les wagons sous les hangars de stockage. On distingue également un autre embranchement traversant la rue de l’Ouest au droit des établissements Mulliez-Delcourt, primitivement établi pour la société Delcroix-Planquart. Nous en reparlerons dans un prochain sujet.

Ces deux embranchements apparaissent sur le plan des voies de 1906:

1906-96dpiPlan compagnie du Nord 1906

Observons ce raccordement, établi très tôt, dont on voit l’origine dans la cour de la petite vitesse devant la halle :

plaques-RBX_MED_CP-96dpiDocument médiathèque de Roubaix

Dès 1862, la société Dujardin et Douterluigne, installée face à la gare, à l’angle de la future rue du Fresnoy, demande un raccordement aux voies marchandises de la compagnie du Nord, qui traverserait le chemin d’accès à la gare. Cette voie est établie, mais elle produit une cassure dans la pente de la chaussée et l’eau s’accumule à cet endroit. La société est contrainte en 1867 d’installer à ses frais une bouche d’égout pour évacuer les eaux stagnantes. En 1903 s’installe au 37 une brasserie, sous le nom de Dujardin et Delemazure, brasseurs. En 1912 est construit un bâtiment à usage d’écurie.

La raison sociale change et devient en 1921 la société anonyme « Les charbonneries du Nord ». Celle-ci s’oppose alors au versement d’une redevance concernant la voie ferrée, au prétexte que la voie ferrée a été établie plus d’un an avant que la rue de l’Ouest fasse partie du domaine public. La municipalité rétorque que l’autorisation d’utiliser le raccordement était révocable à out moment ; finalement l’affaire s’arrange.

En 1927 c’est sous la dénomination de « société anonyme des charbonnages » qu’est envoyée une demande pour construire sur le chantier un hangar de 300m2, les bureaux sont toujours 1 rue du Fresnoy. Dix ns plus tard, la société, redevenue « Dujardin » propose d’installer transversalement à la rue de l’Ouest une conduite pour récupérer dans leur propre aqueduc les eaux pluviales qui s’accumulent à la plaque tournante située dans les emprises de la gare, et qui dessert leur embranchement.

RA1955Dujardin-96dpiDocument archives municipales – 1955

 En 1946 a lieu l’installation de la société Crépy pneus au 37-39. Monsieur Crépy épousant une demoiselle Dujardin, le terrain est séparé en deux, l’activité pneus est enclavée dans l’entreprise de charbons. On est contraint de démolir deux belles maisons le long de la rue de l’Ouest pour agrandir la cour aux combustibles.

Crepy 1948-96dpiDocument archives municipales – 1948

Dans les années 1970-1980, c’est la fin du commerce des charbons. A sa place s’installent les transports Delespierre et Leman, remplacés ensuite par Nordisk France (toujours un transporteur). A cette époque disparaît la voie de raccordement, devenue inutile après plus de cent ans de service.