Le dix neuvième siècle est incontestablement l’époque du chemin de fer. L’important développement ferroviaire des années 1840 en a fait le mode de transport terrestre qui dominera pendant plus d’un siècle, avant qu’il soit concurrencé par le transport routier automobile et le transport aérien. Le chemin de fer permet alors de garantir des déplacements rapides et sûrs, pour les personnes comme pour les marchandises. Il contribue ainsi puissamment à la révolution industrielle, au développement du secteur financier et du commerce, et au développement urbain, tout en bénéficiant des avancées technologiques du siècle et des moyens d’investissement importants rendus nécessaires par ses infrastructures. Le chemin de fer permet de desservir villes et campagnes, pays et contrées grâce à des réseaux maillés s’adaptant à tout type de relief. Il devient ainsi indispensable car il prend une importance majeure sur le plan économique et social, mais aussi militaire, en réduisant considérablement la durée des mobilisations et le temps de transport des troupes. Comment une ville comme Roubaix, en plein développement industriel dans la seconde partie du dix neuvième siècle, a-t-elle accueilli, s’est-elle développée et a-t-elle travaillé avec le chemin de fer ? Voilà ce que nous raconte cet ouvrage.
Jean Pierre Maerten est un passionné de l’histoire ferroviaire, et il nous présente une histoire des relations entre une grande ville textile et le chemin de fer, en même temps que leur développement parallèle. Il nous propose un inventaire détaillé et circonstancié des lignes, des ouvrages d’art, ainsi qu’un descriptif des lieux et implantations, leur influence sur le développement urbanistique et industriel de la ville. Ce formidable travail de recensement pousse très loin le niveau d’explication, sans pour autant négliger l’anecdote, tout en nous réservant de nombreuses découvertes.
Au moment où le quartier de la Mackellerie commence à se développer, le talus du chemin de fer l’isole complètement du centre de Roubaix : les habitants ne peuvent compter que sur le pont de la rue de Mouvaux et le passage à niveau de l’Alouette, à ses deux extrémités, pour traverser la voie ferrée. La municipalité projette en 1878 la construction d’un pont sous la ligne à la rencontre du boulevard de ceinture. Bien que le projet soit abandonné, l’idée d’établir une communication entre les quartiers de la Mackellerie et de l’Epeule va faire son chemin. Venue de la rue de Lille, la rue des Arts, classée en 1865, s’arrête net contre cet obstacle, mais l’ouverture dans son prolongement de la future rue Boucher de Perthes, classée en 1889 mais existant bien avant sous la forme d’une voie privée, donne aux habitants le désir de relier les deux rues. La ville reçoit en 1886 une lettre du préfet relative à la création d’un pont reliant les deux moitiés de la rue des Arts. Cette démarche est faite à la demande du conseil général. La ville est prête à apporter son concours financier, alors que la compagnie de chemin de fer, sollicitée, refuse de participer financièrement, cet ouvrage d’art ne représentant aucune utilité pour elle. L’année suivante, la Compagnie fait parvenir un projet de pont évalué à 100 000 francs. Les travaux seront réalisés sous sa responsabilité, et elle procédera par adjudication. Les propriétaires offrent de participer pour 25 000 francs.
Le journal de Roubaix évoque en janvier 1888 le début des travaux pour le printemps, après approbation du ministère. Les travaux commencent en septembre et, fin novembre, le déblai est fait, les culées maçonnées pour la première moitié et les poutres soutenant le tablier sont prêtes à être posées. Les travaux concernant la deuxième partie du pont devront attendre l’année suivante. Le journal explique que la compagnie avait les poutres en stock depuis une quinzaine d’années pour un projet non agréé par la mairie. La réception définitive des travaux a lieu en 1891. On dit qu’il n’était pas très agréable à regarder…
Plus tard, on installe une halte près du pont, mais, en 1902 la compagnie refuse d’y installer des abris. Face à la demande de la ville, elle répond qu’elle a déjà installé des quais éclairés, sans y être obligée, et souligne que, puisqu’on ne réclame pas de tels abris aux compagnies de tramways, la ville n’a qu’à en financer la construction. La chambre de commerce appuie la demande municipale, mais la compagnie argue que cette halte ne concerne que 10 voyageurs par jour en moyenne, et persiste dans son refus.
Ces abris, s’ils ont été installés, disparaîtront dans l’explosion du Pont qui partagera le sort de tous les ouvrages d’art roubaisiens au départ des Allemands en 1918. Pour rétablir le trafic ferroviaire, on le remplace provisoirement par madriers. Il est enfin reconstruit en 1919 en béton et en briques. Sa silhouette est celle qu’on connaît encore aujourd’hui.
Les documents proviennent des archives municipales
En 1906, la gare annexe de marchandises, construite depuis peu près du quai de Calais, à l’emplacement de l’actuel quartier de l’Union, traite les transports par wagons complets. Mais, faisant état de difficultés d’accès à cette gare, une pétition de commerçants et de transporteurs des quartiers du Fresnoy et de la Mackellerie réclament une gare de débord plus accessible au camionnage. Ils proposent pour accueillir ces installations, le lieu-dit l’Allumette, près de la halte du même nom, à peu de distance de la gare principale. La rue du Luxembourg permettrait d’accéder commodément à cette gares, située à son extrémité. Ils adressent une pétition à l’ingénieur en chef du service de l’exploitation des chemins de fer du Nord.
Cette demande des usagers potentiels est accompagnée d’un tableau précisant pour chaque signataire le nombre de wagons prévus. Ce nombre est variable selon les entreprises, allant de 500 wagons annuels pour Carette-Duburcq à 25 pour la société des glacières et 20 pour la brasserie des débitants réunis.
Le maire de Roubaix appuie cette demande auprès de la compagnie de chemins de fer. Celle-ci prépare un pré-projet et évalue la dépense à un total de 220 000 francs, dont 87 000 pour l’achat des terrains. La compagnie en prendrait la moitié à sa charge. La part de la ville se monterait donc à 110 000 francs, quelle pourrait financer grâce à un emprunt remboursable en 50 ans couvert par une taxe prélevée sur chaque wagon complet transitant par la gare de l’Allumette. On chiffre à 2400 wagons dès la 1ere année le nombre de wagons concernés. Certes, la somme encaissée dans ce cas couvrirait à peine les intérêts de l’emprunt, mais on espère un accroissement du nombre de wagons au fil des années.
La gare de débord doit être desservie par une voie de service qui longe les voies principales depuis la sortie de la grande gare de Roubaix. Prévue pour recevoir 60 à 70 wagons à la fois, elle comportera deux séries de voies parallèles, l’une le long des voies principales encadrée d’aiguilles permettant les manœuvres, l’autre, en tiroir, un peu plus loin. Entre ces deux paires de voies, un espace permettant le déchargement. Une voie supplémentaire, desservie par un pont tournant, pourrait être rajoutée (tracé en pointillés). Le projet précise que les marchandises seront « chargées et déchargées à découvert par les soins et aux risques et périls des expéditeurs et des destinataires ».
Le conseil municipal adopte cette proposition en 1907. Le projet est envoyé pour approbation au ministre des travaux publics. Mais, en 1909, le ministère de l’intérieur s’oppose au prêt sur 50 ans, limitant la durée maximale à 30 ans, ce qui augmentera la somme à rembourser chaque année. La municipalité, pensant que les taxes générées seront suffisantes pour couvrir ce montant, accepte la solution préconisée. La déclaration d’utilité publique est publiée cette même année. On décide de solliciter le prêt auprès de la caisse Nationale des retraites pour la vieillesse.
Les travaux durent deux ans et se terminent en 1911. Des pétitionnaires déplorent cet atermoiement, accusant la compagnie de n’apporter qu’un zèle modéré à la réalisation et à la mis en service, alors que la mairie doit payer de sa poche le prêt qui cour, sans entrée de taxes en contrepartie.
Toujours en 1911, la compagnie des mines d’Ostricourt, dont l’agent à Roubaix est E. Lecomte-Scrépel et Cie, rue du grand chemin, se porte acquéreur d’un terrain rue du Luxembourg pour profiter des installations de la gare de débord, et demande à la compagnie la pose d’un embranchement particulier. Elle offre un prix forfaitaire de 600 francs par an. Le conseil municipal accepte.
Le maire demande l’ouverture de la gare. Cette ouverture a lieu le 20 décembre. Le premier wagon parvient à l’embranchement des mines d’Ostricourt au mois d’Août 1912. En1923 la surtaxe produit 1280 francs en janvier, ce qui permet de penser que le remboursement du prêt n’offre pas de problème pour la ville. Les diverses photos aériennes de la gare de débord montrent d’ailleurs toutes une activité importante.
Cette gare de débord sera finalement victime à la diminution et au transfert sur route du fret. Fermée, elle est aujourd’hui remplacée par un rond-point. Signe des temps ?
L’approvisionnement en charbon de la cité nécessite de multiples dépôts de combustible. Ceux-ci sont naturellement situés soit près du canal, soit près des voies ferrées pour faciliter les opérations de déchargement. Les compagnies minières cherchant à assurer un débouché pour leur production installent leurs annexes dans les villes importantes. C’est pour cette raison que s’établit le dépôt des mines d’Anzin dans la première moitié des années 1880 près de la gare de Roubaix. Le bâtiment correspondant apparaît sur le plan cadastral de 1884, alors que le dépôt figure au Ravet-Anceau rue de l’Alma après 1886.
L’embranchement se situe au coin de la rue de l’Alma et de la rue du Grand-chemin le long des voies de la compagnie des chemins de fer du Nord. Il rassemble un certain nombre de silos destinés à recevoir le charbon par gravité en profitant de la déclivité due au remblai du chemin de fer. Les installations comprennent également un bâtiment administratif et un escalier, situé près du pont, permettant d’établir la communication entre le niveau des voies et celui de la rue.
Le pont d’origine est étroit. Il n’offre la place que pour les deux voies principales. L’embranchement est donc en impasse, desservi depuis une aiguille venant du bâtiment des douanes par deux rebroussements successifs. Ce schéma est identique pour l’embranchement Macquart, placé de l’autre côté du pont.
En 1918, les allemands détruisent le pont, ainsi que que de nombreuses autres installations ferroviaires. Il est à reconstruire d’urgence et complètement.
Le nouveau pont est plus large ; il permet d’installer 4 voies dont une va desservir les deux embranchements de part et d’autre du pont. Le branchement côté gare est le même qu’à l’origine (double rebroussement), mais il se prolonge cette fois au delà du pont. On voit les modifications apportées au tracé des voies sur une photo aérienne de 1962.
En 1920, les bureaux sont toujours situés au coin de la rue du grand chemin, alors que le représentant de la compagnie est M. J.Dernoncourt. Pourtant, peut-être pour gagner de l’espace pour le stockage du charbon, les bureaux déménagent et s’installent plus loin dans la rue de l’Alma, sur le même trottoir après la cour de la gare et l’estaminet Lecomte. C’est chose faite en 1925 , le nouveau représentant est P.Gourdin, remplacé pour 1930 au 1bis, par A.Courtinat.
Les bureaux disparaissent, et on n’en trouve plus trace dans le Ravet-Anceau de 1939. Pourtant, le dépôt reste en place : on le retrouve sur les photos aériennes jusqu’en 1964. A quelle époque a-t-il finalement disparu ?
L’arrivée du chemin de fer en 1842 produit une coupure dans le tissu urbain : le quartier du Fresnoy se trouve maintenant isolé du centre de la ville. Les seuls points de communication restent le pont de la rue de Mouvaux et un passage à niveau qui traverse les voies de la gare.
Mais le passage à niveau est remplacé au début des années 1860 par le pont St Vincent de Paul, reporté plus loin, ce qui supprime toute communication directe pour les piétons. Très vite, les habitants du quartier réagissent et 174 d’entr’eux signent, en 1867, une pétition pour obtenir de la part de la compagnie du Nord la construction d’une passerelle au dessus de la gare entre la rue du chemin de fer et le hameau du Fresnoy. Le conseil municipal approuve la pétition à l’unanimité et contacte la compagnie du chemin de fer. Celle-ci répond dans une lettre datée de 1869 que le passage supérieur remplaçant le PN a été établi aux frais de la compagnie, qu’elle estime avoir fait suffisamment d’efforts pour sa part, et qu’elle refuse de financer une passerelle.
Vingt ans plus tard, en 1887, parvient au conseil municipal une nouvelle pétition sur le sujet. Le préfet estimée que la gêne causée par la passerelle pour les manœuvres, pousserait sans doute la compagnie à n’accepter la construction que dans le cas d’un financement par la ville, les pétitionnaires ne proposant pas de participation financière. La commission municipale concernée juge cette construction trop onéreuse pour les finances de la ville et les choses en restent là.
Entre temps, la gare initiale est remplacée par la gare actuelle.
En 1890, la compagnie étudie malgré tout la construction d’une passerelle à l’emplacement de l’ancien PN. Elle envoie à la mairie un plan, et évalue la construction à 58000 francs, alors que les riverains accepteraient de participer à hauteur de 15000 f. Elle serait implantée entre la rue de l’Avocat et la rue de l’Ouest à 200m avant le pont St Vincent. La commission trouve que la passerelle n’aurait pas de raison d’être à cet endroit, et le projet est de nouveau au point mort.
L’année 1891 voit de nouveaux débats à la suite du dépôt d’un avant projet de la compagnie chiffré à 72 000 f. La commission municipale suggère de financer d’autres projets plus urgents. M. Victor Vaissier, pourtant, plaide pour la construction de la passerelle et demande que l’étude soit reprise. Pourtant, le projet est de nouveau enterré.
Il faut attendre 1904 pour qu’un syndicat de riverains se crée autour d’Edmond Dujardin, marchand de charbon rue de l’Ouest. Les habitants réunissent cette fois une somme de 20 000 francs. Un article du Journal de Roubaix, daté de 1906 annonce que les choses évoluent et qu’un emprunt de 6 millions permet désormais d’envisager la réalisation du projet, qui fait alors partie du programme de grands travaux d’utilité publique. Le ministre des travaux publics envoie le projet au conseil d’état qui l’approuve. Les travaux sont lancés et la passerelle est finalement inaugurée en septembre 1908. Sa longueur est de 111 mètres. Elle est très différente de celle prévue au départ : c’est une passerelle-cage métallique offrant plus de sécurité pour les usagers. Elle est bâtie pratiquement dans l’alignement de le rue du Fresnoy et aboutit à côté du bâtiment voyageurs.
Notre passerelle n’a décidément pas de chance : en 1918, l’armée allemande en retraite la fait sauter, de même que la verrière de la gare et le pont St Vincent. Elle est reconstruite après guerre par les troupes britanniques du 136 ème Royal Engineers.
Les années passent. En 1968 la passerelle est en mauvais état. On se demande s’il vaut mieux la démolir et la remplacer par une nouvelle ou la réparer. C’est le choix de la remise en état qui prévaut. Mais en 2001, elle est de nouveau dégradée, et vu son état, la communauté urbaine décide sa démolition. L’association art Action se mobilise et vient alors à son secours. Xavier Lepoutre relate dans le journal les arguments de l’association. Finalement, la passerelle disparaît ; seul un tronçon demeure aujourd’hui pour attester symboliquement de sa présence. Il est permis de se demander s’il n’y a plus de piétons pour se rendre du centre vers le quartier du Fresnoy ?
Le chemin de Croix au Mont à Leux fait partie des 15 chemins vicinaux recensés à Roubaix en 1838. Lorsqu’en 1842 on installe la voie de chemin de fer entre la gare de Roubaix et celle de Tourcoing, elle est amenée à croiser ce chemin au hameau du Fontenoy par un passage à niveau situé près d’une ferme. Le chemin vicinal traverse la voie en formant deux coudes très prononcés.
Cette traversée à niveau n’est pas très gênante à l’époque, mais le trafic sur le chemin augmente progressivement. On le classe en 1867 parmi ceux nécessitant des travaux urgents.
Mais on décide à la même époque la création d’un boulevard de ceinture. Mis en chantier en 1868, celui-ci empruntera, pour la partie qui nous intéresse, le chemin du Mont à Leux. Les boulevards constituant cette ceinture prendront les noms d’Halluin et d’Armentières de part et d’autre du passage à niveau. Les travaux prévoiront un redressement du chemin au droit du PN. Le plan d’époque nous indique les ancien et nouveau tracés.
En 1891, la ville décide de paver les trottoirs sur 5 mètres de largeur et demande à la compagnie du Nord de prendre à sa charge le revêtement des trottoirs sur ses emprises. Le plan annexé nous montre qu’une halte, intitulée « arrêt boulevard d’Halluin », et comportant deux quais était établie à cet endroit le long de la voie. On y voit également l’implantation de la maison du garde-barrière.
Pour faciliter le passage, une passerelle pour piétons est ensuite établie près du passage à niveau. Ceci ne règle pourtant pas les problèmes de circulation des véhicules ; ceux-ci ne font qu’empirer. Le journal de Roubaix annonce en octobre 1930 la suppression du passage à niveau et son remplacement par un passage souterrain situé 180 mètres plus loin, le long du canal. Cette suppression fait partie d’un projet global validé par le ministère et comprenant la suppression d’autres traversées à niveau, comme celles de l’allumette à Croix, du Crétinier à Wattrelos, de Beaurepaire et du Carihem à Roubaix, mais aussi la création d’une voie centrale et d’une gare de débord boulevard industriel (future avenue Motte) et d’une halle des douanes en gare de Roubaix. Le journal publie une photo du passage à niveau, vue vers le boulevard d’Halluin, photo où nous remarquons que la maison du garde-barrière est désormais doublée de deux guérites identiques, placées de chaque côté des voies, permettant la manœuvre des barrières à l’abri des intempéries.
Mais, deux mois plus tard, le même journal apporte des réserves à ce projet en ce qui concerne le boulevard d’Halluin et se fait l’écho des commerçants, des industriels et de la chambre de commerce qui, par la voix de son président Georges Motte juge que « supprimer le passage à niveau du boulevard d’Halluin… c’est sacrifier l’intérêt général de la ville de Roubaix… ». Dès lors, la suppression semble perdre subitement de son urgence. D’ailleurs, le ministère rapporte la décision, et notre passage à niveau survit au projet. Une photo aérienne nous le montre dans sa configuration de 1953. La ferme qui était là à l’origine a fait place à une entreprise, une passerelle pour piétons traverse les voies, les quais et la halte ont disparu. On voit distinctement deux wagons couverts stationner sur l’embranchement particulier des établissements Vanoutryve.
Pourtant, le passage à niveau continue à gêner la circulation et à provoquer embouteillages et exaspération des usagers. Nord Matin reprend en 1967 les récriminations du public contre la soixantaine de convois ferroviaires qui empruntent la voie entre Roubaix et Tourcoing dans un article où il qualifie le passage à niveau de « gêneur obstiné ».
Tout ceci ne suffit pourtant pas à mettre en place un nouveau projet de remplacement, et la construction ultérieure de la voie rapide le long du canal rend l’itinéraire par l’ancien boulevard de ceinture moins attractif. Le passage à niveau perdure donc encore. Équipé maintenant de barrières automatiques, il est environné de friches et de végétation qui lui donnent un petit air désolé.
Les autres documents proviennent des archives municipales
Après l’établissement de l’embranchement desservant l’entreprise Dujardin, un autre négociant en charbons, M. Delcroix-Planquart, après accord avec la compagnie du Nord, demande l’autorisation en 1890-1892 d’établir un raccordement de voie traversant la chaussée moyennant un droit annuel de 1000 Francs. L’embranchement devra être fermé par une barrière cadenassée, sauf lors du mouvement des wagons. La ville s’oppose d’abord à l’installation de cette traversée à niveau, répugnant à concéder une partie de l’espace public à un particulier, puis finit par accepter la pose de la voie en 1893. On prévoit ici également la construction de deux cuvettes d’égout aux frais de M. Delcroix.
L’embranchement des établissements Delcroix. En bas, la plaque tournante d’accès
Le négoce de charbons du 47 est repris avant la guerre les établissements Mulliez-Delcourt. On retrouvera ce commerce jusque dans les années 70. Durant cette période, la plaque tournante est remplacée par un pont à secteur visible sur la photo aérienne de 1962. On y distingue la voie qui traverse le bâtiment perpendiculaire à la rue, et qui sort dans la cour, desservie par une plaque tournante.
L’entreprise est ensuite remplacée par un casseur de voitures. En 1973, la ville reçoit une demande de démolition pour des locaux industriels situés à cette adresse. Ces locaux sont constitués de hangars et de maisons, dont une vieille bâtisse située sur la rue. On trouve aujourd’hui à cet endroit un groupe de maisons récentes, le hameau du Fresnoy.
Une autre entreprise, la scierie Moïse Rogier fait construire en 1906 un quai de déchargement pavé de 30 mètres de long sur les emprises de la gare, et des barrières permettant d’y accéder directement depuis la rue de l’Ouest. Ces barrières seront remplacées par des portes roulantes en 1923. La scierie elle-même est située plus haut dans la rue d’Epinal. Elle n’a pas changé de nom jusque dans les années 1990. Sur son quai, on a déchargé les animaux destinés à l’abattoir jusque dans les années 50-60. Après 90, ce quai a finalement été démoli pour faire place à l’école Afobat.
La barrière d’accès
En 1923 La SNCF pose une voie supplémentaire le long de la rue de l’Ouest « pour faciliter la desserte des embranchements particuliers… ». Pour cela elle construit un mur de soutènement.
Cette même année, la société Dubois, Dhont, et Finart demande l’installation d’un portillon permettant d’accéder directement depuis la rue de l’Ouest à ses bureaux, installés sur un emplacement loué dans la cour des marchandises, moyennant la construction d’un escalier qui escaladera le talus. La société Dubois restera implantée très longtemps sur l’emprise de la gare, jusqu’au déclin de celle-ci et à la disparition de son service marchandises.
Autre embranché, on trouve en 1892 au 14-16 de la rue les établissements Petit père et fils, eux aussi négociants en charbon. Leurs entrepôts sont situés quai du blanc-Seau à Tourcoing.
Néanmoins, cette société se raccorde aux voies SNCF derrière la halle petite vitesse grâce à un embranchement particulier qu’on trouve représenté sur un plan de la gare de 1906 :
Dès avant la première guerre, c’est la société Lepoutre-Six qui a prend la suite. Sur l’en-tête, seuls les bureaux sont au n°16, le chantier reste situé quai du Blanc-Seau à Tourcoing. mais l’embranchement reste utilisé sur place. Une photo aérienne de 1962 semble montrer un autre chantier charbon en face, de l’autre côté rue de l’Ouest.
Pour donner accès aux zones de stockage, en contrebas des voies, on dut faire établir un « ascenseur pour wagons » qui permettait de descendre ceux-ci depuis le niveau des voies de la gare jusqu’à celui de la rue de l’Ouest.
En 1977 on trouve au numéro au 16 les sociétés Maplex-Nord, matériel pour horticulteurs et Delespierre-Leman, correspondants SNCF, installés également au 37-39. Aujourd’hui, toute cette partie à droite de la rue a fait place à une pelouse.
Les documents proviennent des archives municipales.
Avant que ces deux noms ne fassent l’objet d’un regroupement administratif contemporain, le Fresnoy et la Mackellerie étaient des lieux dits particuliers. Le terme « Fresnoy » désignait un lieu où poussaient les frênes, arbres très courants dans nos régions et appréciés pour les travaux de charronnage. Roubaix avait donc ses terres du Fresnoy. Selon des sources érudites, la Macquellerie était un fief croisien du XIIème siècle. Le secteur est alors traversé par des voies très anciennes. Le chemin de la Mackellerie, souvenir du fief médiéval, menait de Croix à Mouscron par Tourcoing, et fut longtemps le chemin d’intérêt commun n°112. A la fin du dix neuvième siècle, c’est encore un chemin étroit et tortueux pavé sur une largeur de trois mètres et bordé de deux fossés. C’est l’actuelle rue de la Mackellerie. Dans son prolongement, on trouvait l’ancien sentier du bas Fresnoy qui deviendra la rue Cuvier, et au-delà le boulevard d’Armentières. Mais une voie importante formait un carrefour avec ces deux chemins. Il s’agissait d’un chemin très ancien qui reliait jadis la route royale de Lille à Menin à la frontière belge de Wattrelos/Herseaux. Ce chemin comprenait dans son tracé roubaisien la rue de Mouveaux (orthographe de l’époque), la rue du Grand Chemin (d’où le nom), la rue St Georges (rue du Général Sarrail) et la Grand Rue. Pour le quartier qui nous occupe, il s’agit de l’actuelle rue de Mouvaux. Enfin, il y avait le sentier du Fresnoy qui à l’origine partait de l’extrémité de la rue Nain et se prolongeait jusqu’à Tourcoing. Dans la première partie du dix neuvième siècle, c’est une contrée champêtre, avec des moulins sur les hauteurs du Fresnoy et des fermes le long du sentier du même nom.
Ce pont peut être considéré comme une porte d’accès au quartier Collection Médiathèque de Roubaix
L’arrivée du chemin de fer en 1842 va contribuer à isoler ce bout de campagne, qui subira assez vite les assauts de l’industrie et de l’urbanisation. La rue du Fresnoy se voit amputée d’une partie de son parcours, et la passerelle qu’obtiendront tardivement (en 1908) les riverains ne compensera jamais le passage supprimé.
On voit ici l’accès à la rue du Fresnoy par l’escalier de droite qui aboutit rue de l’Ouest Collection Médiathèque de Roubaix
De fait le passage à niveau est bientôt remplacé par un pont dès 1856 à cause du remblai du chemin de fer. L’activité du négoce des charbons se développe notamment dans la rue de l’Ouest située derrière la gare. De grandes entreprises se sont implantées dans le périmètre du quartier, pour en citer quelques exemples : la teinturerie textile Dubar et fils au n°86 rue du Fresnoy, l’entreprise Louis Glorieux et fils, important tissage installé au chemin de la Mackellerie qui faisait battre 2765 métiers mécaniques en 1885. Eugène et Louis Cordonnier ont fait édifier leur usine au n°15 rue du Luxembourg.
La rue du Luxembourg Photo PhW
C’est à partir de cette époque que la construction se développe dans le quartier du Fresnoy-Mackellerie. L’ensemble des rues italiennes se construit en deux temps. Leur classement dans le domaine vicinal municipal s’effectue entre 1867 et 1885, et pour la plupart elles seront bâties dans les premières années du vingtième siècle. L’importance de la population amène la création de deux églises : la première, Saint Antoine, est édifiée en 1897, face à la rue de Remiremont. Elle est ouverte le 12 août 1900. La seconde, Saint Vincent de Paul est construite un peu plus tard rue du Danemark à l’emplacement de l’ancien tissage Glorieux.
L’église Saint Antoine Collection Particulière
Signe de l’évolution industrielle et commerciale du quartier, la construction d’une gare annexe en 1908, la gare de débord de l’Allumette, qui a remplacé les champs du bout de la rue du Luxembourg. La diversité des entreprises est également remarquable : fonderies, brasseries, négociants, transporteurs, sans parler de la vivacité du petit commerce dans les petites et grandes rues du quartier.
Tout ceci a contribué à créer un quartier de forte densité urbaine, dont le patrimoine immobilier a vieilli, en même temps que l’activité industrielle disparaissait progressivement. Comment le quartier du Fresnoy-Mackellerie a-t-il vécu l’évolution de son patrimoine humain et immobilier ? Voilà le sujet des futurs travaux de l’atelier mémoire, dont vous trouverez les chroniques régulières dans ce blog…
Si la construction du pont Beaurepaire a connu bien des vicissitudes et des atermoiements, la lenteur de son élaboration n’aura pourtant pas été synonyme de longévité, et, peu après sa mise en service, il commence à faire parler de lui. Dès1962, des fissures sont constatées, qui conduisent à l’ interdire aux plus de 9 tonnes. Par ailleurs, la Voix du Nord, faisant écho à de nombreuses réclamations, dénonce en 1963 le danger représenté par le virage situé à l’entrée du pont, trop brusque et sans visibilité. 1967 voit s’effectuer des travaux de colmatage des fissures, et on ré-augmente le poids maximum admissible sur le pont pour le porter à 15 tonnes. Ces travaux ne sont pourtant pas suffisants, et, en 1972, un contrôle de routine effectué par la SNCF met en évidence une fissure importante qui s’accroît dans le tablier du pont. Les ponts et chaussées prennent d’urgence la décision d’interdire aux poids lourds le transit par le pont. Cette fois-ci, le poids total autorisé est ramené à 3 tonnes et demi. Heureusement, le pont du Carihem, qui vient d’entrer en service, permet de dévier le flot de camions en direction de Wattrelos et Leers.
Ces mesures sont encore insuffisantes et, en 1976, les fissures s’agrandissant et les poutres maîtresses semblant trop faibles, on décide de démolir complètement le pont et de le reconstruire à neuf. La voie d’accès du côté de Wattrelos sera élargie pour faciliter la circulation : des îlots directionnels seront créés pour séparer les courants de circulation vers Roubaix, Watrrelos et Leers à la place du terre-plein existant. On lance une enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, et les riverains sont consultés, qui pourront faire toutes les remarques nécessaires. Le chantier devrait durer un an et s’étendre sur 1977 et 1978. Pendant ce temps, les véhicules devront emprunter le pont du Carihem ou le pont Nickès.
Photo Nord Eclair
Mais, malgré l’état du tablier qui s’aggrave, les préliminaires traînent et les travaux de démolition ne sont finalement programmés qu’en septembre 1979. On complète le projet en y incluant des pistes cyclables. La largeur du pont passera ainsi de 11 à 13 mètres. Une passerelle provisoire permettra aux piétons de traverser les voies du chemin de fer. Les îlots directionnels prévus comporteront des feux rouges.
Finalement, les travaux commencent en Juillet 80 par la construction d’un échafaudage en bois et de la passerelle pour les piétons, suivies par les premiers travaux de démolition.
La passerelle est édifiée à quelques mètres à droite du pont lorsqu’on vient de Roubaix. Elle relie le chemin qui longe l’usine Stein à la rue Boucicaut, de l’autre côté des voies. On prévoit d’adoucir le fameux virage côté Roubaix, vilipendé en 1963 par la Voix du Nord, grâce à la démolition d’un bâtiment de l’usine Lepoutre, situé à l’intérieur de la courbe. Au mois d’Août, l’ancien pont a disparu. On pose les piles du nouveau, puis les poutres principales, et enfin le tablier.
Quelques vues aériennes nous permettent d’apprécier l’évolution du site au fil des années :
En 1932, le pont n’existe pas encore et le boulevard Beaurepaire n’est coupé que par le passage à niveau et l’écluse. En venant de Roubaix, une route sur la gauche mène au nouveau pont du Sartel,qu’elle atteint par une courbe. Le carrefour ne montre aucun aménagement spécial. En 1962, le premier pont conduit en ligne droite au pont du Sartel, au prix d’une courbe prononcée au niveau de l’usine Stein. Le terre-plein central de forme triangulaire sépare, au carrefour, les courants de circulation. L’ancienne extrémité du boulevard Beaurepaire est maintenant une impasse. La photo de 1983 montre le nouveau pont, plus large, et dont la courbe a été adoucie grâce à la démolition partielle des bâtiments situés au bas et à droite de la photo. Les circulations entre Wattrelos, Leers et Roubaix sont séparées par des îlots directionnels, renforcés par une importante signalisation peinte sur la chaussée . Retour à la simplicité en 2010, où ce dispositif complexe est remplacé par un rond-point. Le pont Beaurepaire, lui, n’a pas changé, si les bâtiments industriels qui l’enserraient côté Roubaix ont disparu.
En 1932, les travaux entrent enfin dans une phase active. On s’occupe des immeubles à démolir,c’est à dire les numéros 289 à 299 et l’immeuble à l’angle de la rue de Valenciennes. Le 289 est alors occupé par M. Gertgen, négociant en charbons, le 291 par M. Raux, négociant en matériaux. Huit entrepreneurs soumissionnent à l’appel d’offre pour ces démolitions, et c’est l’entreprise Julien Taillez qui est retenue.
La ville a contracté un emprunt de dix millions et demi de francs pour l’exécution des travaux (voie mère, gare de débord, et suppression des passages à niveau), emprunt gagé sur le produite des surtaxes locales temporaires perçues pendant 30 ans. Mais les travaux de démolition des immeubles expropriés, commencés en 1933, s’arrêtent très vite : par suite de l’augmentation des devis, il manque en 1934 deux millions de francs pour poursuivre. La municipalité fait alors une demande de subvention au ministère. D’autres subventions sont demandées aux conseils Régional et Général. Mais il faut aussi procéder soit à un nouvel emprunt, soit à l’augmentation des surtaxes. Les travaux sont au point mort.
En 1936, on en est toujours à essayer de boucler le budget. Les suppressions des PN du boulevard d’Halluin et du Crétinier sont abandonnées. Seul celle du boulevard Beaurepaire reste à l’ordre du jour. Le ministère refuse la subvention demandée, arguant qu’il ne dispose pas de fonds pour supprimer des passages à niveau autres que sur les routes nationales.
Les travaux ne reprennent qu’en décembre 1937. La crise aidant, un arrêté du ministère du travail réglemente fixe les conditions pour les travaux à réaliser : il faut utiliser de la main-d’œuvre locale comprenant au moins 50% de chômeurs secourus et moins de 10% de travailleurs étrangers. De même, les matériaux employés doivent être français. En 1938 les terrassements sont réalisés par les soins de la SNCF. Pour cela, on construit sur le boulevard deux murs de soutènement et on remblaye entre les deux murs. Enfin le pont lui même, supporté par des piliers, est coulé en béton.
A la demande de l’E.L.R.T, et pour renforcer leur résistance aux chocs éventuels, on décide d’intégrer les pylônes supportant la caténaire (fil trolley aérien alimentant les motrices en électricité) dans la structure du pont. Ils seront eux aussi construits en béton armé et implantés au droit des poutres maîtresses ; ils feront ainsi partie intégrante de l’ossature de l’ouvrage.
On en est à la couverture de la chaussée. Une adjudication est lancée pour le pavage de la rampe, du pont lui-même, du rond-point près du pont du Sartel, et de la rampe d’accès vers Leers. On pose les rails du tramway. La double voie du boulevard Beaurepaire se réduit à une voie unique sur la rampe et le pont à cause de la largeur du tablier. Les tramways ne pourront donc pas s’y croiser. Il reste enfin à procéder aux essais de résistance du pont avant la mise en service, et le pont devrait être mis en service à la fin du mois de décembre. Mais, nouveau contretemps, le gel intense interrompt les travaux de pavage, et ce n’est que mi-janvier que la circulation peut enfin emprunter le pont.