Teinturerie Gabert (Suite)

Après l’appel à la résistance du Général de Gaulle, une poignée de hémois et hémoises s’engage dans la résistance. Parmi eux se trouve un dénommé René Thomas, syndicaliste convaincu et ouvrier chez Gabert. Domicilié impasse Vandemeulebrouck (dans la rue Jules Guesde), il participe à la structuration d’un réseau et devient l’âme de la résistance avec le Dr Trinquet.

Les tâches du réseau sont multiples : compter les camions de ravitaillement, les camions d’essence, les avions, voir quel bâtiment vient d’être abandonné par étirement des troupes allemandes, reconnaître les barrages antichars, comme celui situé entre l’usine Duprez et le passage à niveau de la Briqueterie et fait de rails sortant de terre de 60 cm à 1,20 m.

René se dépense sans compter, à ses frais, pour les réfractaires d’Hem. Il se montre d’un dévouement et d’un courage sans faille en participant à des actes de résistance pure, tels que le sabotage de la voie ferrée Lille-Bruxelles, sur les territoires voisins de Hem et en diffusant des tracts par voie d’air.

Il est malheureusement arrêté sur dénonciation et subit de longues séances de torture par la Gestapo à La Madeleine. Pendant 90 jours il est au secret, enchaîné, blessé, laissé sans soins mais ne parle pas. Sa femme donne le jour à leur fille pendant son emprisonnement. Puis il est déporté en Allemagne en forteresse d’abord puis en camp de concentration. Il n’en reviendra pas…

Les ouvriers de chez Gabert avant1939 : à droite, tête nue, René Thomas (Document Historihem)

Après-guerre l’usine reprend son activité et de nombreuses femmes y sont employées en tant que préparatrices en écheveaux, ces assemblages de fils repliés et réunis par un fil de liage. Sur la photo ci-dessous au 1er plan c’est Mlle Decottignies qui restera la dernière ouvrière de l’usine à sa fermeture 40 ans plus tard.

Les préparatrices en écheveaux avec Mlle Decottignies au 1er plan et la même 40 ans plus tard (Document Hem 1000 ans d’histoire)

L’entreprise poursuit son activité sans problème apparent durant les 30 années qui suivent. Entre 1950 et 1960, elle emploie jusqu’à 300 personnes et connaît son apogée pendant cette décennie.

Le bulletin de paie d’un salarié en 1957 (Document collection privée)

En 1971, il devient nécessaire de recimenter, recercler et rejointoyer la cheminée haute de 40 mètres après plus d’un siècle d’existence. C’est une entreprise de la région parisienne qui se charge de cette œuvre de haute voltige pour laquelle il faut non seulement n’avoir pas le vertige mais également ne pas craindre la température des fumées de 150 à 180 degrés à la sortie de la cheminée.

Photo aérienne de l’entreprise et du château Gabert en 1971 (Document IGN)
La réparation de la cheminée en 1971 (Document Nord-Eclair)

En 1975, la société, alors dirigée par l’arrière petit fils du fondateur Philippe Gabert et son frère Jacques, fête le départ en retraite de 2 cadres qui y ont travaillé pendant 40 ans : Jean Hotot, responsable des ateliers de bobinage, et Jean Vanhamme, responsable de la teinturerie sur bobine. La société emploie alors encore 270 personnes. Philippe Gabert se félicite dans son discours du fait que le plein emploi a pu être assuré pendant toute la durée de l’année précédente.

2 départs en retraite de cadres de l’usine en 1975 (Document Nord-Eclair)

Malheureusement les années 1980 sonnent le glas de l’entreprise qui n’arrive plus à faire face économiquement après avoir dû déposer le bilan en 1977. Ainsi, alors qu’elle se trouve en concordat depuis, elle ne peut faire face à l’échéance concordataire de juin 1982.

C’est alors que le conseil municipal à l’unanimité décide le rachat des terrains et des bâtiments au moyen d’un emprunt. Le but est clair : l’entreprise devient locataire et peut relancer activité et investissements afin de sauvegarder l’emploi, tandis que la municipalité paye capitaux et intérêts de l’emprunt grâce au loyer versé.

L’entreprise Gabert se rapproche en parallèle du groupe Leblan par l’intermédiaire duquel elle devrait trouver des commandes. Pour atteindre le seuil de rentabilité il lui faut en effet assurer une charge de production de 100 tonnes par mois, résultat envisageable uniquement grâce à une modernisation de son outil de production et à la conquête d’une nouvelle clientèle. Pourtant la situation continue à empirer jusqu’à la fermeture.

L’usine en1982 (Document Nord-Eclair)

Deux ans plus tard l’usine n’emploie plus qu’une dizaine de salariés même si elle fait encore travailler à façon le personnel d’autres entreprises. Le tribunal de commerce prononce alors la liquidation des biens de la société qui, dès lors, semble condamnée à fermer définitivement ses portes.

Et en avril 1987, c’est le dernier acte, et la mairie est forcée de constater la vétusté des lieux et de décider la démolition des bâtiments (sauf un atelier et des entrepôts) construits sur 22.000 mètres carrés, y compris la mythique cheminée. Il est alors question que Kiabi y installe ses services centraux mais c’est finalement rue du Calvaire, face à la briqueterie d’Hem que cette installation aura lieu.

L’agonie d’un géant ainsi que titre le journal Nord-Eclair : les ateliers et la cheminée lors de la destruction (Document Historihem)
La cheminée Gabert tombe en 1987 (Document Au temps d’Hem)

Photo aérienne de Meillasoux et Mulaton et du terrain de l’usine Gabert après démolition.

En 1990, le réaménagement du site Gabert est décidé avec l’implantation d’un lotissement abritant des petites et moyennes entreprises accueillies sur des terrains de 1200 à 3500 mètres carrés. Cette zone d’activité est financée par un gros investissement communal, par une subvention du FEDER (Fonds Européen de Développement Régional) pour l’aménagement des friches industrielles et le solde par un emprunt qui devrait être remboursé au moyen des recettes fiscales apportées par les entreprises installées sur le site.

La friche Gabert en gros plan avec le château après la démolition puis 10 ans plus tard (Documents Historihem)
Entrepôts transformés en loft en 2008 (Document Historihem)

30 ans plus tard, soit plus d’un siècle et demi après la naissance de l’entreprise, le site Gabert a laissé place à la zone d’activités prévue et délimitée par une allée ayant reçu le nom de Gabert, au n°6 de laquelle on retrouve l’ancien château Gabert joliment restauré.

Photo aérienne de la zone en 2022 (Document Google Maps)
Le château en cours de restauration puis actuellement au milieu de la nouvelle zone d’activité (Document Historihem et Google Maps)

Remerciements à Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leur ouvrage Hem d’hier et d’aujourd’hui et à ce dernier pour son ouvrage Hem 1000 ans d’histoire.

Teinturerie Gabert

Né en 1828, à Condrieu, dans le Rhône, Firmin Gabert épouse en 1858 une hémoise, Flore Flament, avec laquelle il a un fils, Claude en 1859. Domicilié rue Poivrée, actuellement rue du Général Leclerc, il y installe également sa teinturerie, et on le retrouve sur les listes électorales de 1858.

Il figure sur la liste des commerçants et industriels patentés en1870, mais exerce déjà depuis plusieurs d’années, petitement d’abord au 37 bis où il est répertorié dans l’annuaire de 1923 puis en développant rapidement son affaire au 69 de la même rue. Son installation à Hem plutôt qu’à Roubaix s’explique par le manque d’eau de cette dernière tandis que la Marque arrose la ville de Hem d’eaux abondantes et claires.

Publicité ancienne précisant que la maison date de 1863 (Document collection privée)

Avec la guerre de 1870 et la Commune, tous les centres parisiens de teinture s’arrêtent et les marchandises affluent sur Roubaix et environs dont les industries prospèrent. Les fabricants de tissus d’ameublement de Lannoy notamment vont trouver chez Gabert des spécialistes de la teinture des écheveaux de soie entre autres.

C’est à ce moment qu’apparaissent les colorants chimiques qui donnent une quantité de nouvelles possibilités en remplaçant les produits d’origine animale et végétale. C’est le fabricant de produits chimiques hémois Frédéric Tellier qui se charge alors d’approvisionner les teinturiers locaux.

Conséquence néfaste sur l’eau de la Marque (Document Au temps d’Hem)

La première demeure de la famille Gabert est voisine de celle de la famille Meillassoux, tout comme leurs deux entreprises sont également voisines. En 1887 Firmin décède mais ce n’est qu’en 1920 que leur propriété est vendue au Docteur Leborgne après le décès de Claude en 1917.

Celui-ci a eu un fils Firmin en 1892 qui a épousé Suzanne Fremaux et les époux s’installent au 103 Boulevard Clémenceau. Le couple a 2 enfants : Philippe en 1927 et Jacques en 1931. Suzanne reste domiciliée bd Clémenceau après le décès de Firmin en 1953.

En 1981, le bâtiment vendu au Docteur Leborgne 60 ans plus tôt atteint du mérule sera rasé par la commune tandis que la maison des Meillassoux devient une annexe de la mairie. Il ne reste donc aujourd’hui plus trace du 1er Château Gabert.

Le 1er château Gabert, à droite sur la photo, le bâtiment de gauche appartenant à la famille Mulaton, et sa voisine de droite étant la famille Meillassoux (Document collection privée)
Vue des 3 châteaux dans la rue avec celui de la famille Meillassoux au 1er plan et le château Gabert au 2ème plan (Document Hem 1000 ans d’histoire).
Vue aérienne de la propriété Gabert-Fremaux Firmin du 103 boulevard Clémenceau en 1971 (Document IGN)

En 1895, avec d’autres industriels le successeur de Firmin réclame la création d’un tramway qui relierait Hem à Flers puis à Lille et fait partie d’une commission créée afin de se documenter sur le sujet. Il souhaite en effet investir pour que Hem devienne une ville moderne et bien reliée aux centres industriels de Roubaix et Lille. Il sera ainsi également l’un des premiers automobilistes hémois.

Ce n’est pourtant que sous la mandature de Mr Delecroix qu’un avis favorable est donné suite à l’enquête menée sur la création d’une ligne de tramways électriques à travers la ville de Hem. La ligne Roubaix Hem sera mise en exploitation en 1908 tandis qu’une 2ème ligne est également commencée pour relier Lille à Leers en passant par Hem.

Photo aérienne des teintureries Gabert (point noir) et Meillassoux et Mulaton en 1933, et le 2ème château Gabert (point blanc) (Document IGN)

Au début du 20ème siècle, l’usine Firmin Gabert a pris son essor. C’est tout naturellement dans ses ateliers qu’est créé le géant de la ville appelé à défiler lors de la fête nationale de 1911 : Gustave le Teinturier, et les ouvriers et ouvrières de l’usine ne sont pas peu fiers de réaliser ce témoignage du savoir-faire hémois.

La création du 1er géant hémois en 1911 (Document Au Temps d’Hem)

Pendant la 1ère guerre mondiale, la fortune publique et privée est rançonnée sous prétexte de contribution de guerre et de réquisition et la ville de Hem est soumise à un pillage filtré et méthodique qui fait le vide partout. Les allemands procèdent à l’enlèvement du matériel industriel et la casse des machines, ainsi qu’au vol des marchandises stockées dans les usines dont celle des Gabert.

Des commandes attendues par les clients sont confisquées par l’armée d’occupation et à la fin de la guerre, l’entreprise Gabert établit des attestations afin que les commandes non livrées de ce fait puissent faire l’objet de réclamations pour indemnisation auprès des autorités.

Attestation de 1919 pour les Ets Deffrennes-Duplouy frères à Lannoy (Document Historihem)

Dans les années 1930, l’entreprise est devenue la SARL Firmin et Jean Gabert. La famille de Jean Gabert-Lundy s’installe dans un château qu’elle a fait construire sur le terrain où se trouve l’usine. La maison est entourée d’un parc et se situe au 69 bis de la rue de Lille comme on peut l’observer sur la photo aérienne de 1933 ( cf document plus haut).

Malgré la crise économique, les Ets Gabert s’agrandissent avec la construction de nouveaux ateliers. Pourtant en 1936, l’usine est rattrapée par la crise et les grèves qui touchent les transports charbonniers l’affectent en la forçant à l’arrêt pour cause de manque de charbon, ainsi qu’en témoigne le certificat de chômage technique établi pour leurs ouvriers.

Agrandissement de l’usine en 1934 (Document Hem 1000 ans d’histoire)
Certificat de chômage technique de 1936 (Document collection privée)

A la fin des années 1930, les temps incertains qui mèneront à la guerre, suite à l’annexion de l’Autriche par le Reich suivie de la mobilisation des réservistes en France, pèsent sur les affaires. Par arrêté du Ministère de la guerre, le droit de réquisition est ouvert dans la commune en septembre 1938. Le manque de travail se fait alors sentir et l’usine procède à des licenciements puis à du chômage partiel .

Licenciement pour manque de travail (Document collection privée)
Certificat collectif de chômage partiel (Document collection privée)

Jean Gabert appartient à l’Association des familles nombreuses et, à ce titre, apporte son aide à la recherche de logements pour les familles évacuées de leurs maisons sur ordre de l’armée d’occupation pendant la seconde guerre mondiale.

A suivre…

Remerciements à Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leur ouvrage Hem d’hier et d’aujourd’hui et à ce dernier pour son ouvrage Hem 1000 ans d’histoire.