La Marque et l’industrialisation de Hem

Deux rivières traversent la ville de Hem: la Marque, qui matérialise la frontière entre les communes d’Hem et Villeneuve d’Ascq, et la Petite Marque qui rejoint la première, 100m en amont de la RD 700, après avoir traversé en zig-zag la campagne de Hem à Forest/Marque.

Au fil de l’histoire, sur Villeneuve et Forest le paysage reste assez agreste et boisé mais les premières usines apparaissent en bord de rivière et se font plus nombreuses sur Hem où la Marque devient vite urbanisée à compter du 19ème siècle.

Extrait de plan de Cassini reprenant la commune de Hem (Document Historihem)

Si, au Moyen-Age, la rivière dépose des alluvions fertilisantes, par la suite le rouissage du lin et du chanvre s’effectue sur les rives. Il consiste à faire macérer ces plantes textiles afin d’en isoler les fibres utilisables. Il pollue et empeste le voisinage, brûlant la végétation et abimant les sols. Pourtant il persiste à Hem malgré les interdictions et plusieurs parties des anciens lits conservent encore des eaux qui communiquent à ladite rivière.

Exemples de rouissoirs en croquis et en photo (Document ville-aubazine)

Par ailleurs, un siècle plus tard plusieurs particuliers y font rouir en tous temps lins et chanvres ainsi que dans les canaux ou rigoles sans faire des digues pour empêcher la communication, ce qui infecte les eaux et cause un préjudice considérable aux riverains surtout pendant l’été. En effet, l’activité textile apporte une ressource appréciable aux paysans dans la vallée de la Marque et des tisserands à l’otil se lancent dans la confection d’étoffes pour les fabriques de Roubaix.

Les tisserands paysans étaient ainsi dénommés parce que, à l’origine, ils travaillaient avec leur famille à des activités textiles pendant les temps morts des activités agraires. La salle de travail qui abritait le métier à tisser était une pièce bien éclairée (elle comportait 2 fenêtres) et nécessitait une certaine humidité pour éviter que les fils ne se rompent trop fréquemment. Cette salle en terre battue, recouverte de sable, était souvent en contrebas. La maison se composait de 4 pièces : l’ouvroir, la cuisine et deux chambres et s’agrémentait d’un jardin potager.

Exemples de maison à l’otil (Documents Historihem)

Toute la famille y était employée pour produire une toile par semaine. La pièce tissée était conduite en brouette à Roubaix (d’où le terme de « Broutteux ») par les sentiers dont principalement celui qui deviendra le Boulevard Clémenceau. Cette pratique ne va disparaître que progressivement : à Hem, le dernier tisserand à l’otil est Louis Lenfant, installé rue du Calvaire, mort en 1923.

Exemples de métiers à tisser dans les maisons à l’otil (Documents Musée de Tournai)
Les brouettes vers Roubaix (Document Au temps d’Hem)

Au début du 19ème siècle, c’est l’époque des moulins à vent et à eau : Louis Dufermont, meunier possède l’un des cinq moulins à vent de Hem. Un moulin à eau fournit de l’énergie au moulin à farine. Il sert à moudre le grain lorsque le vent se fait rare. La meunerie est située 15-17, rue de Lannoy, le moulin étant sur la berge hémoise.

Cadastre de 1824 avec le positionnement du moulin de Louis Dufermont, meunier (Document Historihem)

En 1867, son descendant, Jules Dufermont, cultivateur et meunier à l’Hempempont, sollicite l’autorisation de se servir des eaux de la rivière pour alimenter une machine à vapeur qu’il se propose d’établir près de son moulin . Mais aucun arrêté n’est alors nécessaire pour obtenir une prise d’eau industrielle et les minoteries remplacent peu à peu les moulins à eau, les riverains jouissant et usant de l’eau à titre gratuit hors partie canalisée de la rivière.

Plan du site Dufermont en 1892 (Document Historihem)

La meunerie (fabricant de farine à destination de la consommation humaine uniquement)  utilise encore le courant de la Marque dans son moulin à eau pour lui fournir son énergie jusqu’à la fin de la 1ère guerre. La meunerie a donc une petite déviation sur la Marque coupée par des vannes et pour les actionner on construit une petite passerelle très étroite et privée.

La minoterie Dufermont (Documents collection privée)

La minoterie Dufermont ou Minoterie Moderne (fabricant de farine à destination de la consommation humaine et/ou de l’aliment pour le bétail) a sa propre marque de farine à base de fleur de froment de qualité supérieure extra qu’elle conditionne en sacs de jute personnalisés : La Souveraine et dont elle fait des publicités couleur alléchantes.

La Souveraine : sac de jute et publicité (Documents collection privée)

La meunerie boulangerie de l’Hempempont publicité et tarifs (Documents Historihem)

Presqu’en face, comme on le distingue sur cette carte postale, dans le fond, durant la deuxième moitié du 19ème siècle, s’installe une fabrique de pannes et carreaux de ciment Jean Agache à l’Hempempont. Puis Henri Dujardin et fils prendront la succession de Jean Agache dans l’usine à vapeur de l’Hempempont. Partiellement détruite elle sera ensuite transformée en beurrerie industrielle : Beurreries du Nord, puis abritera une entreprise de salaison et conserverie : Carnifex, avant d’héberger un hara.

Publicité Lampe-Agache, en-tête d’enveloppe de Dujardin et fils, CPA Beurreries du Nord et publcité Carnifex (Documents collection privée)

Juste à côté précisément à partir du pont de Hempempont une ligne de teintureries s’implante le long de la Marque qui fournit l’eau et permet également les rejets polluants. C’est d’ailleurs la raison du choix de nombre de fondateurs de teintureries qui privilégient la ville de Hem aux dépens de celle de Roubaix, laquelle ne peut répondre aux besoins en eau de ces entreprises. Toutes ces teintureries sont tellement gourmandes en eau que l’eau de la Marque ne va bien vite plus suffire et qu’il va falloir utiliser des forages atteignant une centaine de mètres de profondeur.

Ainsi on trouve juste face au pont dès la seconde moitié du dix-neuvième siècle la teinturerie Declercq. A cette époque les eaux de la teinturerie se déversent journellement dans la Marque « sans avoir été traitées au lait de chaux ni décantées » et les eaux restent noires et infectes. Elles stagnent et des détritus de toutes sortes y surnagent. Le voisinage se plaint d’autant qu’il émane de la rivière des odeurs nauséabondes, et le danger représenté pour la santé publique est pointé du doigt. Cette prise de conscience va entraîner par la suite l’installation de bassins de décantation.

L’usine Declercq 185, rue de Lille à Hem avec sa cheminée toujours présente de nos jours (Document collection privée)

Dans les années 1970, l’entreprise devient la Société Nouvelle Declercq Frères et pratique uniquement l’apprêt de tissus de laine mixte ou imitation ainsi que divers traitements comme le calandrage, le tondage et le rasage des tissus. Juste à la veille du vingt et unième siècle l’usine va fermer ses portes et sera rasée en 2015 pour laisser place à une zone d’activité commerciale et à quelques petites résidences d’appartements.

Photos aériennes de 2009, 2018 et 2022 (Documents Google Maps)

Sa voisine à l’extrémité impaire de la rue de Lille est alors la teinturerie d’Oscar Flament puis teinturerie Flament, spécialisée par la suite dans le battage et la rénovation des tapis sous l’enseigne RenovTapis. Pour être complet il faut aussi citer à l’extrémité paire de la rue de Lille la teinturerie Cocheteux les fils de Donatien.

Teinturerie Flament RenovTapis (Documents Historihem)

Plus loin dans la rue de Lille (actuelle rue du Général Leclerc) s’installent côte à côte, à peu près à la même époque, deux teintureries à l’emplacement actuel du supermarché et de la zone d’activité. Il s’agit de l’usine de teinturerie et blanchiment fondée par Antoine Mulaton, qui deviendra en 1912 Meillassoux et Mulaton, et de sa voisine fondée par Firmin Gabert.

les usines Meillassoux et Mulaton et Gabert en 1947 (Document IGN)

C’est à partir de 1870 qu’apparaissent les colorants chimiques qui donnent une quantité de nouvelles possibilités en remplaçant les produits d’origine végétale ou animale. C’est Frédéric Tellier, fabricant de produits chimiques à Hem, qui approvisionne les 2 teinturiers locaux. Le résultat ne se fait pas attendre.

Le témoignage d’un vétérinaire de l’époque est édifiant: « ayant l’occasion de faire clientèle tous les jours notamment à Hem, j’ai constaté souvent et surtout dans les moments de fabrication (féculerie, teinturerie) l’état stagnant des eaux, détritus de toutes sortes qui y surnagent et odeurs nauséabondes qui en émanent. Le voisinage d’un pareil foyer d’infection est un véritable danger pour la santé publique. Plusieurs bêtes sont mortes suite à l’ingestion d’eaux contaminées. »

La pollution de la Marque (Document Au temps d’Hem)

A suivre…

Remerciements à l’association Historihem, à la Ville de Hem, ainsi qu’à Jacquy Delaporte, Christian Tell et Chantal Guillaume pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem et enfin à Paul Delsalle pour son ouvrage sur l’ Histoire de la Vallée de la Marque.

Le Broutteux

C’est un café brasserie que tous les roubaisiens connaissent, à l’angle de la place de la Liberté et du Boulevard du général Leclerc.

Le Broutteux aujourd'hui Photo Site Le Broutteux
Le Broutteux aujourd’hui Photo Site Le Broutteux

Le broutteux est à l’origine un ouvrier tisserand qui fabrique à domicile des pièces de tissu sur son otil (métier à tisser). Il les livre ensuite aux manufactures du bourg roubaisien, au moyen d’une brouette, d’où son surnom. Le Broutteux est en quelque sorte le premier artisan producteur de tissu, bien avant qu’on ne parle des grandes usines monstres roubaisiennes.

Le café « Le Broutteux » a été créé en 1882 par Ph. Eyames. Cet estaminet convivial accueillait les ouvriers à la sortie des usines textiles toutes proches (Motte Bossut au Boulevard Gambetta ainsi que celles de la rue des Longues Haies). Les familles y venaient également consommer, lors de leurs emplettes dans le centre ville.

Façade du Broutteux ( côté place de la Liberté ) vers 1910
Façade du Broutteux ( côté place de la Liberté ) vers 1910 Coll Part

En 1908 le propriétaire Ed. Verhaeghe agrandit son café et y installe une scène pour accueillir des orchestres.

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C’est la fête au Broutteux tous les samedis, dimanches et jours fériés. L’établissement devient alors un « Café Concert » Dans les années 1920, le propriétaire Victor Mulliez propose une animation différente chaque semaine, centrée autour d’un orchestre attitré, et d’un voisin, Jean Poulin, travesti en Charlot.par ailleurs commerçant du quartier.

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A la même époque, un espace est réservé dans le café à Henri Telliez, fabricant et réparateur de briquets, qui contribue à l’animation du commerce. Les affaires continuent à prospérer. Raoul Wattez rachète le commerce au début des années 1930 et poursuit la double activité qui a fait son succès ; café-concert le week end, et brasserie des familles en semaine. C’est, de tous, le propriétaire qui est resté le plus longtemps dans les lieux.

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Toujours soucieux d’animer son établissement, le Broutteux autorisait Georges et Denise Luthanie,  qui avaient un commerce de jouets Grande rue en 1951, à vendre quelques articles devant la façade du café, sur des panneaux pliants qu’ils transportaient sur une baladeuse.

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Au début des années 1970, crise oblige, le commerce tombe en décrépitude. Un homme d’affaires lillois, M. Clibouw, reprend le café, qui a perdu beaucoup de sa valeur, en 1975. Il va y effectuer des gros travaux de transformation pour redorer le blason de cette enseigne centenaire.

Le Broutteux au début des années 1970
Le Broutteux au début des années 1970

Le nouveau propriétaire va racheter un petit local situé juste à côté, au 65 Boulevard Gambetta pour l’agrandissement. Il va supprimer les fenêtres extérieures, pour les remplacer par des grandes baies vitrées, aménager le premier étage en salle accueillante de restauration de 120 places, avec des grandes fenêtres pour donner de la lumière à l’établissement. Le tout surmonté d’un bardage représentant un homme poussant une brouette. Les travaux d’aménagement seront réalisés par l’entreprise JC. Watterlot, de Lille.

Les travaux - Photo Lucien Delvarre
Les travaux – Photo Lucien Delvarre

Après deux ans de fermeture pour travaux, le Broutteux ouvre enfin en 1978 et va redémarrer superbement. De plus il profitera de la transformation du quartier en secteur piétonnier. Du choix, des prix . . . Plus de 30 bières pression ! La bouteille de champagne à 45,00 Frs, l’assiette anglaise à 10,00 Frs, des croques, des crèmes glacées . . . et l’animation musicale de fin de semaine est maintenue. Autre attrait du Broutteux, ses horaires d’ouverture : de 9h du matin à 1h du matin et jusque 2h du matin le week-end.

à gauche : Nord Eclair 1978, à droite, coll. particulière
à gauche : Nord Eclair 1978, à droite, coll. particulière

En 1984 Serge Fauvel, un ancien salarié du Broutteux depuis 1982, rachète le commerce et continue l’activité qui reste florissante. En 1997, il achète un petit local juste à côté, au 32 place de la Liberté, alors occupé par un dépositaire des laines « Berger du Nord » puis par une viennoiserie, et agrandit encore l’établissement. Cette petite surface de vente supplémentaire permettra, au rez de chaussée, de moderniser la cuisine et d’y vendre des pizzas et à l’étage d’agrandir encore la salle de restaurant. Le Broutteux accueille toujours ses clients dans une ambiance conviviale, et propose une cuisine traditionnelle avec des plats régionaux.

Photos du site « Le Broutteux » et collection particulière
Photos du site « Le Broutteux » et collection particulière

Avec près de 140 ans d’existence, le Broutteux s’affirme sans conteste comme l’un des grands cafés du centre de Roubaix. Et ce n’est pas terminé : Serge Fauvel laisse entendre qu’il pourrait bien encore agrandir son établissement en faisant l’acquisition d’un petit local Boulevard Leclerc, juste à côté, qui était il y a quelques années le « Palais de la Fortune » tenu par JL. Verhaeghe, et surtout des projets d’agencement magnifiques et importants pour l’intérieur de son café brasserie, en s’inspirant de ce qu’il a réalisé dans son autre établissement, « l’impératrice Eugénie ».

 

Les documents proviennent de la médiathèque de Roubaix et des archives municipales