Le projet Dom Bosco

Un précédent article laissait entendre que la maison St Jean Bosco avait été envisagée dès le mois de janvier 1945. De nouvelles découvertes nous amènent à préciser ce point.

Déjà à l’origine de la construction de l’église Ste Bernadette en 1935, l’abbé Carissimo devenu doyen de la paroisse Ste Elisabeth, souhaitait la création d’un nouveau centre d’œuvres charitables dans le quartier des Longues Haies. Son vœu est exaucé au début du mois de décembre 1942, époque à laquelle quelques religieuses se sont installées dans un assez vaste immeuble au n°102 de la rue Bernard. D’après le Ravet Anceau, c’était autrefois l’atelier du charpentier menuisier Vanacker Florin.

Saint Jean Bosco et les sœurs de l’ouvrier Photos Coll Privée

Cette œuvre est mise sous la protection de Saint Jean Bosco, fondateur des patronages dominicaux et de l’ordre des Salésiens, dont la mission consistait à recueillir les enfants pauvres ou abandonnés, à les éduquer et à leur donner une instruction professionnelle susceptible de faire d’eux des bons ouvriers. Saint Jean Bosco n’est pas un inconnu pour les roubaisiens, car il vint prêcher à Roubaix le 11 mai 1883 dans l’église Saint Martin. Il n’était alors que Dom Bosco, et il sera canonisé le 1er avril 1934.  Ce sont les « sœurs de l’ouvrier » dont la maison mère est à Croix, qui vont mettre leur dévouement à la disposition des familles du quartier, en visitant les malades, et en dispensant leur sacerdoce auprès des infirmes, des vieillards et des petits enfants. Elles s’occuperont de soupes populaires, d’ouvroirs et de vestiaires pour les déshérités. A partir de fin janvier 1943, leur chapelle permettra à tous ceux qui le souhaitent, et qui trouvent l’église paroissiale trop éloignée, de remplir leurs devoirs religieux.

L’autel de la chapelle de la maison Saint Jean Bosco Photo Brunin

La chapelle fonctionnait donc dans le cadre de la maison d’œuvres de St Jean Bosco, mais elle s’avéra très vite trop petite. On projeta un moment de construire une chapelle plus importante, sur un vaste terrain où se situait la cour Binet, au n°170, rue des Longues Haies. Un architecte, M. Forest, en dressa les plans, et la maquette fut présentée à la presse. Le projet ne fut jamais réalisé, mais le centre d’œuvres sociales de la rue Bernard continua d’exister et sa chapelle de fonctionner, jusqu’à la disparition intégrale du quartier en 1960.

Le 102 rue Bernard en 1942 et le projet de chapelle Photos Journal de Roubaix

Autour des Hauts Champs

Avant de devenir le quartier qui fut construit de 1958 à 1960, les Hauts Champs étaient constitués de vastes terres agricoles, qui s’étendaient de Lys Lez Lannoy et d’Hem jusqu’à Roubaix. L’appellation concerne d’ailleurs aussi le quartier du Nouveau Roubaix, avant qu’y soient construits les fameux HBM dans les années trente. L’ouverture du boulevard industriel (avenue Motte) a divisé le vaste lieu dit, lequel est également délimité au sud par un chemin venant du hameau des Trois Baudets à Hem rejoignant la ligne de chemin de fer Menin Somain, à l’orée de Lannoy. A l’est, l’usine Motte Bossut terminée en 1903, et le quartier de la Justice constituent le troisième côté de la grande surface triangulaire des Hauts Champs.

Ce vaste espace s’est rempli de logements progressivement après la seconde guerre mondiale. Le Comité Interprofessionnel du Logement réalise la cité des Trois Baudets à Hem de 1947 à 1949. Puis c’est au tour de la cité de la gare de débord, de 1949 à 1951. Jusqu’en 1957, les Hauts Champs seront encore un espace de champs, toutefois occupé par une grande briqueterie, près de laquelle s’édifie un nouveau groupe scolaire, dit des Hauts Champs.

La briqueterie et le groupe scolaire Photo aérienne IGN 1957

Conçue par les architectes Jean Dubuisson et Guy Lapchin, la cité des Hauts Champs sera réalisée de 1958 à 1960. On y retrouve les caractéristiques architecturales en vogue à l’époque : ce sont de grandes barres d’immeubles et de logements collectifs, dont l’espace et la lumière contrastent avec l’habitat enserré et étouffant des courées de la ville industrielle.

La cité des Hauts Champs Photo aérienne IGN 1964

Mais la construction ne s’arrête pas là. Dès 1964, commence la réalisation du Groupe du Chemin Vert, œuvre de l’architecte Robert Puchaux, sous la forme d’un ensemble de logements « cubes ». Puis de 1967 à 1975 seront construits sur Hem l’ensemble de Longchamp, les cités des Trois fermes, de la Lionderie, des Provinces et de la Vallée.

 

Le chantier du chemin vert en 1965 Photo Nord Éclair

En près de vingt ans le grand espace agricole des Hauts Champs a disparu sous les constructions, et s’est trouvé englobé dans un grand ensemble d’habitations, qui a dépassé les limites des communes. Nombre de problèmes sont alors posés, qui ne peuvent être résolus que dans une logique intercommunale. Dès lors, plus question du seul quartier des hauts Champs, mais bien du quartier des Trois Villes, qui associe les villes d’Hem, Lys lez Lannoy et Roubaix.

Du moulin à l’école

L’angle du boulevard Lacordaire et de la rue de Barbieux est l’un des plus hauts points de Roubaix : il est naturel qu’on y construise un moulin. D’après Nord Matin, ce moulin de bois est remplacé en 1870 par un autre, construction un peu curieuse de briques couronnée de créneaux, de mâchicoulis, et coiffée d’une échauguette. On peut se demander si ce n’était pas un moulin « de plaisance », plutôt qu’un vrai moulin fonctionnel, dont l’utilité économique en pleine époque du machinisme triomphant, n’aurait pas été vraiment démontrée…

Deux vues du moulin – carte postale médiathèque de Roubaix et Photo Nord Matin

Le parc sur lequel s’élève le moulin, est à la fin du 19ème siècle, la propriété de Paul Masurel. Il est limité par la rue de Barbieux, les réservoirs du Huchon, le boulevard Lacordaire et la rue Anatole France. Une villa importante y côtoie le moulin, au troisième étage duquel le propriétaire aurait installé un bureau. Vers 1890, Paul Masurel demande l’autorisation de construire une grille monumentale et une maison de concierge.

Document archives municipales

Dans les années trente, la propriété est acquise par la Ville, qui installe dans le pavillon M. Bertincourt, surveillant général du service des plantations. Le moulin sert alors de remise pour les outils de jardinage. Malheureusement, un incendie se déclare dans  la tour en 1948. Elle est très endommagée, mais reste néanmoins debout. Une photo aérienne de 1962 montre que le moulin est toujours fidèle au poste, ainsi que la maison du concierge et la grille ouvragée, mais que le « château » a disparu, sans doute victime de l’incendie de 1948 ? Par ailleurs, le terrain de l’ancien parc abrite visiblement des jardins ouvriers.

Le moulin en 62 – Photo IGN

En 1961, on prévoit de construire une école de filles et une école maternelle dans le quartier. C’est l’ancien parc, avec ses jardins ouvriers et son moulin, qui est choisi et qui fera les frais de l’opération. Le projet est mené à son terme, et donne bientôt naissance à l’école Anatole France, dont la cour s’étend désormais sur l’emplacement du vieux moulin…

La deuxième tranche

En septembre 1960, la deuxième tranche des travaux de construction du lycée est terminée. Plusieurs nouveaux bâtiments : l’un pour les classes spécialisées, dans mon souvenir des années soixante, pour les sciences naturelles et la physique chimie, appelé bâtiment E. J’y ai le souvenir pénible des dissections de batraciens. Dans une autre salle réservée aux cours de dessins, au bout du bâtiment, nous avons découvert la peinture avec Monsieur Huguenin, c’était sans doute plus agréable.

La salle de physique chimie Photo NE

Un autre bâtiment a été construit pour les classes du second cycle, il s’agit pour moi du bâtiment F, le dernier avant qu’on arrive aux équipements sportifs. C’est là qu’on suivait les cours de musique de M. North (orthographe non garantie). Après avoir souffert sur les exercices de solfège, nous avions droit à une récompense, du moins c’est ainsi que je le ressentais. Notre professeur se mettait au piano et il interprétait des œuvres dont je n’ai conservé que le plaisir de les entendre. Je dois sûrement à ces deux professeurs, dessin et musique, mon goût pour les arts.

Le bâtiment F photo NE

On trouve ensuite un gymnase/salle des fêtes -selon la presse de l’époque-, qui abrite en son sous sol une piscine miniature. Il est vrai qu’elle n’était pas bien grande, cette piscine, à tel point qu’on pouvait rien qu’en plongeant atteindre l’autre bord sans avoir esquissé le moindre mouvement de natation. Le retour exigeait quand même qu’on s’agite un peu.

La piscine miniature au sous sol du gymnase
L’entrée du gymnase

A côté du gymnase, un bâtiment de logements pour le personnel. Je me souviens qu’un correspondant anglais y a logé pendant quelque temps, et qu’il y reposait ses oreilles écorchées par notre pratique de sa langue natale pendant nos répétitions de groupe rock.

Il y a aussi l’internat, un immeuble de trois étages, et son dortoir, avec des chambres de trois à cinq lits, rideaux et descentes de lit en cretonne imprimée, pour une capacité d’accueil de 240 internes.

L’internat, ses lavabos et ses tissus en cretonne imprimée

Avec l’achèvement de ces travaux, c’est une centaine de classes qui est mise à la disposition des enfants, un véritable stade scolaire, muni d’équipements et d’installations modernes.

Vue IGN de 1964 avec la répartition des tranches de travaux

Quinze cents élèves peuvent être ainsi accueillis, dans un établissement moderne et aéré, pour un cursus scolaire intégrant les classes primaires jusqu’au baccalauréat.

Une salle polyvalente

L’architecte Pierre Neveu conçoit dès l’origine le groupe scolaire avec une salle des fêtes. Cette caractéristique des groupes scolaires des années trente se retrouve également dans les écoles Jean Macé et Ernest Renan, qui lui sont contemporaines. Cette construction comporte une grande salle, une scène, ainsi que des loges et une cour particulière. Son entrée est située dans l’alignement du couloir desservant les cantines. Un autre accès donne directement sur la rue Jean Macé. Cette salle est prévue pour l’usage scolaire, mais s’ouvre également aux animations d’un quartier en pleine expansion : on y construit les habitations à bon marché, et une nouvelle salle de réunion et de spectacle complète parfaitement les lieux de convivialité pour une population qui grandit en nombre et en âge.

La salle des fêtes aujourd’hui vue scène et opposée Photos PhW

On retrouve régulièrement dans la presse des échos d’événements qui s’y déroulent. A l’occasion de l’inauguration du groupe scolaire Jules Guesde, le dimanche 3 septembre 1933, un grand bal est organisé dans la toute nouvelle salle, accompagné d’un orchestre de premier ordre. Dans l’après midi du lundi 4 septembre, un brillant concert artistique y est organisé, qui regroupe les grands premiers prix, et les meilleurs lauréats des concours de chant du 14 juillet.

Cette salle des fêtes sert de salle des sports pour les scolaires. On peut encore y voir quelques barres de gymnastique au mur, on y pratiquait la danse, et on y jouait d’après les témoins, au volley ball, au ping pong.

La salle des fêtes vue de la cour de l’école Photo PhW

Au hasard des consultations, on découvre que l’amicale Jules Guesde l’utilise en 1935 pour un spectacle d’opérette, pour une soirée dansante en 1950, pour des assemblées générales dans les années 60. La société d’agriculture et des jardins populaires y tient ses conférences. C’est aussi dans cette salle qu’ont lieu régulièrement les bals de Sainte Catherine, Saint Eloi et Saint Nicolas.

En 1963, M. Torion, Président de l’amicale Jules Guesde inaugure là le nouveau foyer des jeunes, pour lequel on prévoit de créer un stand de tir, un ciné club, un club d’aéromodélisme et de philatélie.

Dans les années 70, on trouve trace de nombreux spectacles de cirque, de variétés et de cabaret : en particulier, Mathé Altéry et Lucien Lupi s’y produisent en 1977. En 1975, elle est le cadre du premier spectacle d’animation des quartiers, en accueillant Marcel Ledun et son spectacle de marionnettes.

La messe dans la salle des fêtes Photo Lucien Delvarre

A partir de 1980, le lutteur-club du nouveau Roubaix utilise la salle pour ses entraînements et son assemblée générale. En 1990, après la démolition de l’église Ste Bernadette, et en attendant la construction de la nouvelle église, les offices religieux se déroulent dans la salle des fêtes, qui servira également lors de la cérémonie d’inauguration de la nouvelle église.

Faisant appel à leurs souvenirs, les membres de l’atelier mémoire évoquent les représentations théâtrales, les séances de cinéma, les manifestations  gymniques, les animations diverses qui ont eu lieu dans la salle des fêtes du groupe scolaire.et des bals. On se souvient particulièrement des séances de cinéma scolaire, des activités de l’amicale, le dimanche matin, des jeux de carte (belote).

Les restos du cœur occupent à présent cette vieille salle des fêtes, qu’il faudrait sans doute remettre aux normes afin qu’elle retrouve ses activités.

Quinzaine du logement 1956

Guy Mollet vient inaugurer l’exposition du CIL à Roubaix le 30 septembre 1956 Photo Nord Éclair

Après avoir occupé l’hôtel de ville en 1952, le CIL (comité interprofessionnel du logement) s’installe en octobre 1956 sur l’esplanade du boulevard Gambetta, ordinairement réservée aux foires du printemps et de l’automne…

Petit rappel historique : le CIL a été créé en 1943, sur la base d’une gestion paritaire des syndicats d’employeurs et des syndicats de salariés. Cinq hommes en sont à l’origine : Albert Prouvost, grand industriel textile, Bernard d’Halluin, Président du Syndicat Patronal Textile, Victor Provo, maire socialiste de Roubaix, Robert Payen, syndicaliste CFTC et Gabriel Tétaert, syndicaliste CGT. Ensemble, ils décident de consacrer volontairement 1% de la masse salariale à la construction de logements décents. De là s’est développée quelques temps après, l’allocation logement, imaginée et préconisée en 1938 par l’ingénieur Pierre Kula[1], et qui prend son véritable démarrage à Roubaix Tourcoing, avant de faire l’objet de la loi du 1er septembre 1948.

Le CIL fête donc en 1956 le 13ème anniversaire de sa création, mais également le 10ème anniversaire de la création de la cité expérimentale du Congo[2], qui a permis de lancer la construction de nombreux lotissements. Bâtie en septembre 1946, cette cité expérimentale du Congo à Mouvaux se trouvait à deux pas de l’ancien emplacement du château de l’industriel Vaissier. Une trentaine de logements en maisons jumelées sont présentées aux visiteurs, comme un catalogue de réalisations alliant les techniques et les matériaux les plus divers[3].

Le comité interprofessionnel du logement aura encore recours à cette modalité de présentation des réalisations de son bureau d’études. Ainsi en mars 1953, le modèle U53 est-il présenté à la presse. Il sera adopté pour les chantiers importants de la Mousserie à Wattrelos.

Le quartier de la Mousserie, tel qu’on l’envisage en janvier 1956 Photo Nord Éclair

En 1956, où en est la construction de logements à Roubaix Tourcoing et leurs environs ? Depuis 1946, les chantiers CIL se sont succédé : la cité des Trois Baudets à Hem de 1947 à 1949, et à Roubaix la cité du Galon d’eau à Roubaix, de 1948 à 1949, la cité de la gare de débord de 1949 à 1951, la cité du Pont Rouge en 1950, le lotissement Pigouche Carpeaux en 1951, la Potennerie rouge en 1954. La liste n’est pas exhaustive. Depuis 1946, 9.000 logements ont été construits ou sont en cours de construction. L’exposition montre les différents quartiers nouvellement créés, mais évoque aussi les besoins qui restent à satisfaire : un tiers du programme envisagé il y a dix ans a été réalisé. Il faut à présent sauver et assainir ce qui peut être maintenu du vieil habitat, et édifier d’autres quartiers résidentiels[4].

L’exposition présente un grand nombre d’informations et de réalisations. Sous une grande tente, panneaux et stands photographiques relatent les différents chantiers, mais le slogan de cette exposition, –Déjà un tiers, mais seulement un tiers ?-  est significatif : le programme prévu il y a dix ans n’a été réalisé qu’en partie[5] et des besoins considérables sont encore à satisfaire. Un diorama présente le bulletin de santé de l’habitat de Roubaix Tourcoing et évalue le nombre des logements à détruire, à améliorer à transformer et à construire dans les dix ans à venir. On peut également découvrir les projets d’études du CIL, et connaître quel est le concours des municipalités, des caisses d’épargne, de la caisse d’allocations familiales. On peut y prendre connaissance des initiatives favorisant l’accession à la propriété.

L’exposition accueille également le stand des producteurs de matériaux, et présente deux cellules d’habitation grandeur nature, réalisés à partir d’éléments préfabriqués. La formation professionnelle des adultes y anime un stand.

La grande opération immobilière du moment, c’est le grand chantier de la Mousserie à Wattrelos[6], dont on voit une photo géante dans le cadre de l’exposition, et qui est présentée comme une ville moderne aux vastes aires gazonnées. On peut aller y visiter les logements témoins, un service d’autocars fonctionne entre le boulevard Gambetta et la plaine de la Mousserie à Wattrelos.

La quinzaine du logement va durer jusqu’au 14 octobre 1956. Son entrée est libre, un public nombreux s’y rendra. Des réceptions officielles auront lieu, parmi lesquelles, celle des organismes paritaires, des entrepreneurs, des représentants de la presse régionale. Le conseil municipal de Wattrelos sera reçu à la Mousserie, puis il y aura la journée du bâtiment, avec la participation du syndicat du bâtiment, et une exposition des travaux des stagiaires FPA. Les nouvelles techniques concernant l’industrialisation du bâtiment seront également exposées.

Albert Prouvost Président Fondateur du CIL recevant les représentants des Caisses d’Épargne Photo Nord Éclair

Après la visite des administrateurs des caisses d’épargne, et des représentants des services municipaux, c’est au tour des représentants des CIL de France qui se retrouvent à Roubaix pour la tenue de leur congrès. Enfin, une soixantaine d’architectes parisiens visitent les établissements Pennel et Flipo et l’exposition du CIL.

Le CIL utilise le système des quinzaines, dans le but de présenter ses réalisations, mais également d’intéresser la population à la question du logement sur les thèmes de la location, et de l’accession à la propriété. Ces manifestations s’organisent simultanément avec l’inauguration de nouvelles constructions. La quinzaine d’octobre 1956 intervient quelques temps avant le démarrage des grands chantiers de la cité des Hauts Champs et de l’opération de rénovation du quartier Edouard Anseele.


[1] In Robert Colin, Premier bilan des allocations de logement 1952
[2] Voir ce sujet dans la revue des ateliers mémoire n°1 disponible en médiathèque de Roubaix
[3]ibidem
[4] D’après la presse de l’époque
[5] Ibidem note 2 et 3
[6] La première pierre a été posée le 18 octobre 1954.

Auchan, Sasi, Coop

La cité des Hauts Champs voit ses premiers locataires arriver en 1960. Les appartements sont neufs et modernes : les murs sont peints en blanc, le sol est couvert de lino, il y a des placards de rangement, une salle d’eau et des toilettes privées. Mais ce nouveau quartier de neuf cents logements est une petite ville aux rues caillouteuses, mal desservie par les transports en commun, éloignée de tout service public. Le ravitaillement est un véritable problème. Il n’y a pas de commerce de proximité. Les gens vont faire leur courses dans le quartier de la Justice, rue de Lannoy, ou encore boulevard de Fourmies, et ce n’est pas tout près. Il existe bien des fermes du côté d’Hem, mais elles sont à distance.

Trois enseignes commerciales vont s’installer, avant que les Hauts Champs ne se complètent avec d’autres constructions (Chemin vert, Longchamp), ce qui fera plus que doubler la population résidente.

Le 23 décembre 1961, le Préfet du Nord, M. Hirsch, inaugure un super-marché (avec le tiret) dans une ancienne usine de l’avenue Motte, il y a peu de temps encore une filature de laine. C’est le premier Auchan de France. Il se présente comme un « libre service intégral », propose une surface de 1140 m² de surface de vente et 1200m² de réserves. L’entrée se fait du côté de la rue Braille, et un parking de 200 voitures a été aménagé juste devant, ce qui est signalé comme une nouveauté. Autre nouveauté, le gain de temps, on trouve de tout et on dispose de paniers roulants (sic) qu’on peut amener jusqu’à la voiture. Le gain d’argent est également un argument fort, c’est d’ailleurs la devise du supermarché « plus de marchandises pour moins d’argent ».

Que trouve-t-on dans ce premier super-marché ? Les rayons suivants : épicerie, fruits et légumes, crémerie, boucherie, vins, bières, eaux minérales, confiserie, pâtisserie, boulangerie, produits d’entretien, petite quincaillerie, vaisselle, papeterie, librairie, jouets, disques (avec un appareil d’écoute automatique), rayons textiles et habillement, bonneterie, sous vêtements, linge de maison.

Parmi les invités ou personnalités, les maires d’Hem et de Croix, les représentants du patronat textile Maurice Hannart, Louis Mulliez, le président du centre paritaire du logement Ignace Mulliez, successeur d’Albert Prouvost, promoteur de la cité des Hauts Champs, les PDG des Trois Suisses, de la Redoute…

Le supermarché Sasi est inauguré le 29 avril 1963 avenue Laennec à Hem. C’est le deuxième de la chaîne d’établissements dont Jacques Bruyelle, présent pour l’occasion, est le PDG. Le nouveau magasin fait 350 m² : 190 m² sont consacrés à l’alimentation, produits frais et liquides, et 130 m² au non alimentaire. Un stand boucherie de 35 m² est tenu en concession par un homme du métier, et un stand de teinturerie, blanchisserie, nettoyage à sec est proposé par un des actionnaires du supermarché, les établissements Duhamel.

Le maire d’Hem, des représentants de la direction du CIL, la directrice de la Maison de l’enfance des Trois Baudets, assistaient à l’inauguration. Le gérant associé est M. Lepetit entouré de son PDG et de ses collègues, ainsi que M. Duhamel et Val des teintureries Duhamel, et d’un représentant de la société Delespaul.

C’est le 12 avril 1965 que les Coopérateurs de Flandre et d’Artois inaugurent leur 686e point de vente COOP, dans le quartier des Hauts Champs, rue Emile Zola prolongée. A cette époque en effet, la rue Degas n’existe pas encore, car les sols de la rue n’ont pas été viabilisés. C’est un super COOP de 235 m² conçu selon les plans de l’architecte Houdret. Parmi les invités, un représentant de la ville de Roubaix, quelques directeurs de sociétés. Les premiers gérants sont les M et Mme Lefebvre.

 Où se trouvait donc exactement cette supérette ? Les témoins la situent juste à côté du local de la chaufferie, de l’autre côté d’un sentier remontant vers la rue Joseph Dubar. Aujourd’hui tout a disparu, chaufferie et magasins, des témoins se souviennent qu’un marchand de fruits et légumes a succédé à la COOP, et il y aurait eu un salon de coiffure. En 1983, un plan établi pour la rénovation du bâtiment Degas porte la mention anciens commerces, là où à peine vingt ans plus tôt une supérette est venue s’implanter au milieu du quartier. Ce fut aux dires des témoins la seule tentative de commerce de proximité intra Hauts Champs.

Le parc de la Potennerie

La construction des premiers immeubles se fait sur une partie du domaine ancien. Celui-ci possède des arbres magnifiques qui seront, autant que possible, préservés lors de l’édification des bâtiments. Les constructions sont aérées et laissent beaucoup de place pour les espaces verts. La comparaison entre une vue de 1950, avant les premiers coups de pioche, et une autre datant des années 90 montre que les masses végétales originelles ont été respectées autant que faire se peut par les constructeurs.

Photos IGN et la Voix du Nord

Dès 1953, on cherche à aménager cet espace. On y inaugure en Juillet un jardin d’enfants, en même temps que celui du square Destombes. Celui de la Potennerie est plus modeste que l’autre en superficie, mais offre un toboggan, ce qui n’est pas le fait de tous les jardins d’enfants précise la Voix du Nord de l’époque.

document la Voix du Nord

Le parc et ses ombrages est également recherché pour l’organisation de festivités. Ainsi, en 1959, on y organise un concours de chant à l’assistance particulièrement nombreuse en enthousiaste, à en juger par la photo figurant dans la Voix du Nord :

Photo la Voix du Nord

Peut-être à la suite d’une fréquentation trop importante, mais sans doute aussi à cause d’un entretien négligé, le Groupement du parc de la Potennerie se manifeste en 1975 pour déplorer l’état lamentable des pelouses , n’existant pratiquement plus, et la saleté du bac à sable… Il compare l’état du Parc à celui du square Pierre Destombes, mieux entretenu. Les habitants désireraient un « gardien-jardinier ». Le problème semble lié à un certain manque de civisme, et une sur-utilisation des pelouses, peu faites pour supporter les piétinements intensifs, les jeux de ballons et les évolutions de deux-roues. L’année suivante, on pense à clore le parc par des barrières, au moins pour barrer le passage aux cycles. Finalement, le groupement obtient gain de cause en 1977 avec la construction d’une clôture et la promesse de l’embauche en 1978 d’un gardien-jardinier, ainsi que des travaux de remise en état du parc et de restauration de son mobilier (bancs publics et jeux pour les enfants). La circulation des deux roues y sera interdite. Un plan du parc et des clôtures est dressé :

Document archives municipales

Le poste de garde-jardinier est créé : le bénéficiaire du poste dispose d’un appartement sur place. Depuis son départ en retraite, il a été remplacé. Les gardes actuels s’occupent également de l’Espace Fontier. Le parc aujourd’hui semble en bon état, et il y fait bon vivre, lorsque le temps s’y prête !

Photo Jpm

 

La fin de l’avenue des Villas

Les travaux de terrassement de l’avenue des Villas sont à peine terminés que les destins de ses deux parties constitutives sont amenés à se séparer. Monsieur Wattine fait remarquer au conseil municipal en 1907 que ce nom unique ne fournit qu’une indication trop vague pour situer un lieu et s’y diriger, et que les autres boulevards de ceinture ont été découpés pour cette même raison. Par ailleurs, on peut remarquer que l’angle droit que forme cette avenue en son milieu suggère des voies différentes. Enfin, elle présente au début du 20ème siècle un manque d’unité évident : une première partie, celle touchant au parc Barbieux, est bordée de belles villas, puis l’avenue traverse une vaste zone coupe à travers champs. Enfin, après le virage, s’installent des usines dans un quartier au caractère plus industriel et populaire .

Plusieurs propositions sont faites pour découper l’ avenue en deux ou en trois parties. Elles s’accordent pour suggérer que la partie située entre la route de Roubaix à Lannoy (rue de Lannoy ) et nouveau boulevard de Roubaix à Hem (boulevard Clemenceau), prendrait la dénomination d’Alfred Motte ; le reste, jusqu’au parc Barbieux, conserverait le nom d’avenue des Villas. La séparation est effective sur ces bases en 1914. Les deux avenues, maintenant séparées, vont désormais évoluer de manière indépendante.

Pour la future avenue Delory, son extrémité côté Barbieux prend tout de suite l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui. Les industriels, très vite attirés par la proximité du « beau jardin », viennent y installer « campagnes » et villas bourgeoises dès avant la première guerre.

La descente de l’avenue Delory vers le Parc de Barbieux

Quant au reste de l’avenue, son caractère champêtre persistera près d’un demi siècle. Elle continuera à traverser la campagne, uniquement bordée par les fermes anciennes de Gourgemetz et de la Haye, jusqu’à ce que les lotissements de maisons individuelles ne remplacent les champs à partir des années 50.

Finalement, l’avenue des Villas ne prendra le nom de Gustave Delory  par une décision du conseil municipal en 1925.

Photos collection B. Thiebaut

Inauguration du lycée

Le dimanche 30 septembre 1956, c’est le Président du Conseil en personne, Guy Mollet, qui vient inaugurer le nouveau lycée, qui est ouvert depuis l’automne 1955. L’achèvement de la première tranche des travaux a permis d’accueillir 450 élèves à la rentrée d’octobre 1955. Le lycée n’est donc encore à cette date qu’un collège classique et moderne, car il reçoit les élèves du premier cycle et des classes élémentaires.

Le bâtiment B du lycée en 1956 Photo Nord Éclair

La seconde tranche de travaux lui permettra de devenir un lycée, où seront groupées les classes du premier et second cycle, c’est-à-dire de la sixième aux classes terminales. Bâti sur un vaste terrain, composé de bâtiments reliés par une galerie qui fait fonction de préau, le nouvel établissement possède également une cour d’honneur, une bibliothèque qui surplombe la cour d’honneur, à droite de laquelle se trouve la loge du concierge et les garages à vélo. Les bâtiments terminés sont les suivants : le bâtiment B celui des classes du premier cycle, quinze classes et sept études, le bâtiment C pour les classes élémentaires, onze classes et un préau couvert. Il y a aussi le bâtiment des cuisines, du réfectoire, qui peut recevoir 650 demi-pensionnaires et 180 internes. Il y a également une infirmerie qui peut héberger douze malades. Voilà ce que découvrira Guy Mollet.

Le Président du Conseil Guy Mollet Photo Collection privée et Nord Éclair

Qui est donc le Président du Conseil que reçoit Roubaix ? Élu maire et conseiller général d’Arras en 1945, puis député du Pas-de-Calais en 1946, Guy Mollet devient la même année secrétaire général de la SFIO, jusqu’en 1969. Il est ministre d’État dans les gouvernements Blum (1946-1947) et Pleven (1950-1951) et vice-président du Conseil dans le cabinet Queuille (mars-juillet 1951). Fidèle soutien du gouvernement de Pierre Mendès France, il lui succède en 1956. Président du Conseil (1er février 1956-13 juin 1957) Entre octobre et novembre 1956, il gère la crise du canal de Suez. À propos de l’Algérie, la guerre est pour lui « imbécile et sans issue », l’indépendance est dictée par le bon sens. Il a accordé leur indépendance à la Tunisie et au Maroc, et fait voter la loi-cadre Deferre, qui accorde l’autonomie à l’Afrique noire et annonce l’indépendance. Son cabinet fait adopter une troisième semaine de congés payés, la vignette automobile pour financer l’aide aux personnes âgées sans ressources, des mesures d’aide au logement. En mars 1957, seront signés les traités instituant la Communauté économique européenne (CEE).

Voilà l’homme qu’accueille Roubaix, pour deux réceptions, trois inaugurations, et un banquet. Il arrive d’Arras en voiture à 9 h 30 sur la Grand Place de Roubaix salué comme il se doit par la Marseillaise. Il prononce un premier discours dans la salle du conseil municipal, procède à une remise de décorations, reçoit la plaquette d’honneur de la ville, puis signe le livre d’or. A 10 h00, il se rend en cortège au monument aux morts du boulevard Leclerc pour y déposer une gerbe, tandis que le 43e RI sonne l’appel aux morts. Puis Guy Mollet gagne le lycée en remontant le boulevard de paris, les avenues Jean Jaurès, Gustave Delory, Alfred Motte et Roger Salengro.

Maurice Lefévre, le second Proviseur du Lycée, accueil des officiels Photos Nord Éclair

C’est un nouveau proviseur qui l’accueille, M. Maurice Lefévre, qui vient tout juste de remplacer M. Agnès parti à Constance. Originaire de l’Aisne, il a fait toute sa carrière dans l’académie de Lille, et il vient du collège de Béthune où il était principal depuis 1946.

Le Président du Conseil procède à une visite éclair de la bibliothèque et des classes d’études du premier bâtiment, puis l’on se retrouve dans la grande salle du réfectoire, pour la réception et les discours. Le maire de Roubaix, Victor Provo, prend la parole, raconte la réalisation pratique de l’ouvrage, rend hommage aux constructeurs, vante le cadre et conclut en ces termes : Puisse ce lycée fournir les chercheurs, les savants, les techniciens dont l’Humanité a besoin.

M. Brunol, directeur de l’enseignement du second degré prend ensuite la parole au nom du ministre de l’éducation, et c’est au tour de Guy Mollet. Il dit que ces inaugurations d’établissements secondaires lui procurent les plus grandes joies, car il est de la maison de la grande famille universitaire. Ancien enseignant, il se décrit comme un pédago en politique, mais qui doute au sens noble du terme. Il définit l’éducation, cet ensemble de méthodes par lequel une génération se poursuit dans la suivante, en assurant la continuité d’une action. Il évoque la perspective positive du nouveau lycée : les élèves habitués à des locaux où règnent la clarté, le confort et l’hygiène, ne pourront plus jamais admettre la plaie sociale du taudis, dans leur vie d’homme. Il rend hommage au corps enseignant, parle des réformes en cours et dit l’importance de l’élément intellectuel dans la formation et la culture des jeunes. Il termine en rendant hommage à Roubaix qui fait tant pour la République, tandis que retentit la Marseillaise exécutée par la Grande Harmonie.

Il s’en va ensuite inaugurer le groupe scolaire de la Potennerie, puis c’est une visite à la salle Watremez où se tient le salon international du tourisme et de la fleur. Après avoir traversé la nouvelle cité de la Mousserie, Guy Mollet regagne le centre de Roubaix et va s’incliner devant le monument de Jean Lebas. Il préside enfin un grand banquet au Grand Hôtel où il prononce un discours de politique générale (crise de suez, l’Europe en chantier…). Il quitte Roubaix dans l’après midi pour se rendre à Lomme pour d’autres inaugurations.