Deux lieux importants : La Paix et le Mont de Piété

La Paix, une société coopérative

La Paix est issue de la fusion de deux coopératives : la première qui porte ce nom est créée en 1885 par un groupe socialiste majoritairement belge. La seconde, l’Avenir du Parti Ouvrier, inaugurée en 1887 par Jules Guesde, est l’œuvre d’Henri Carrette et de ses amis. En 1890, les deux sociétés se réunissent et vont s’installer au n°73 boulevard de Belfort. La coopérative la Paix vend du charbon et met en œuvre une boulangerie qu’Edouard Anseele vient inaugurer en 1892. La coopérative a pour objectifs de vendre moins cher le pain et le charbon aux populations ouvrières, en même temps que d’alimenter et de financer la propagande du parti ouvrier. Le n°73 du boulevard de Belfort devient ainsi le siège d’un grand nombre de syndicats ouvriers du textile, et celui du parti ouvrier, qui devient la section française de l’internationale ouvrière (SFIO)  en 1905.

Jules Guesde est député de Roubaix de 1893 à 1898, et de 1906 à 1919. Henri Carrette est maire de Roubaix de 1892 à 1901.

La salle des fêtes de la Paix doc AmRx

La Paix, un lieu politique et culturel

La Coopérative la Paix s’est vite développée et ses locaux accueillent de nombreuses activités. Ils sont composés d’un vaste café, de bureaux pour les réunions (syndicats, mutuelles, parti ouvrier) d’une bibliothèque. Une fanfare est créée et le théâtre populaire vient y tenir siège et scène. La Paix possède en effet une superbe salle des fêtes, où se déroulent les meetings politiques, les assemblées générales des coopératives, des syndicats et du parti, les conférences, les fêtes diverses à l’occasion du 18 mars et du 1er mai, et même le cinéma qui vient côtoyer le théâtre et la politique avant 1914.

La Paix en 1964 avant sa démolition doc AmRx

Le Mont de Piété

Familièrement surnommé chez Ma tante, le Mont de Piété se trouve au n°65 de la rue des Longues Haies. Il devient le crédit municipal, bureau des prêts sur gages en 1934. Un silence général régnait dans la grande salle sombre où étaient installés des bancs. Quand venait son tour, on pénétrait dans un petit isoloir en bois, où à l’abri des regards, on présentait l’objet qu’on allait mettre au clou contre quelque argent. Un employé en blouse bleue l’examinait et l’estimait, en général au tiers de sa valeur. Puis il sortait trois papiers roses, l’un pour le déposant, le deuxième pour l’objet, le troisième pour les archives, sur lesquels il inscrivait l’identité du déposant, la nature de l’objet, le montant du prêt. La destruction progressive du quartier Anseele à partir de 1958 lui enlève beaucoup de clients, car on allait au Mont de Piété comme on allait chez l’épicier ou le boucher. On y déposait généralement un bijou, une montre, parfois un transistor le lundi, qu’on récupérait en fin de semaine. Il arrivait aussi que les objets soient vendus aux enchères.

Le Mont de Piété CP Méd Rx

à suivre

La maison Saint Jean Bosco

Un lieu de vie et de culte

Dès le mois de janvier 1945, le principe d’un groupe d’œuvres Saint-Jean-Bosco est envisagé par l’abbé-doyen de Sainte Elisabeth Carissimo, avec la bénédiction de son Eminence le cardinal Liénart. Ce groupe devait comprendre des salles de réunion pour conférence, un cercle d’études, un jardin d’enfants, un terrain de sport, une cantine. Mais ce fut aussi un lieu de culte avec une chapelle, où l’on pratiqua des baptêmes, des communions et des mariages.

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Mariage et communion Photo Brunin et NE
Les personnes

L’abbé André Dalle est vicaire à la chapelle Dom Bosco depuis 1949. Il exerce dans le quartier des longues haies un apostolat méritoire, quand en 1955 il est désigné par l’autorité diocésaine aux importantes fonctions d’aumônier de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne de Roubaix. Pendant six ans, avec l’abbé Langlart et l’abbé Cockenpot, il se dévoue corps et âme au bien matériel et moral de ses humbles paroissiens, vivant au milieu d’eux, travaillant comme eux, ce qui lui vaut le respect et l’amitié de la population du quartier. Sœur Saint-Ignace, Petite Sœur de l’ouvrier a longtemps dirigé un jardin d’enfants dans cette maison. Les petits roubaisiens de 3 à 6 ans y sont accueillis, à condition qu’ils résident dans le quartier des Longues Haies. C’est un lieu d’accueil et d’éducation apprécié par la population.

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Sœur Ignace et Abbé Dalle Photos Brunin

La visite

La maison Saint Jean Bosco se trouve dans la rue Bernard. L’entrée est au n°102. Dans le hall, sur la droite, il y a une salle de dispensaire et de soins médicaux donnés par les bonnes sœurs, puis la salle de bibliothèque. Sur la gauche, le logement des sœurs. On accède ensuite à une cour intérieure qui donne sur deux classes pour les petits, la salle de cantine et le dortoir. Au fond, la chapelle et à l’étage, une salle pour le catéchisme.

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La façade de la chapelle St Jean Bosco Coll Particulière
à suivre

Santé et salubrité dans le quartier

Le dispensaire Photo JdeRx et NE

Le dispensaire

Créé en novembre 1908 par l’Union Mutualiste des cantons de Roubaix, ce dispensaire est la cinquième fondation de ce type en France. En février 1920, le comité de la Croix Rouge y installe un préventorium et l’établissement prend le nom de dispensaire antituberculeux Pierre de Roubaix. Cet immeuble était situé aux n° 90 et 92 de la rue des Longues Haies et occupait tout le pâté de maisons compris entre la rue de la Planche Trouée et la rue Henri Lefebvre.

Ses activités

L’œuvre de l’enfance, ancêtre des PMI d’aujourd’hui, s’intéresse aux bébés jusqu’à l’âge de dix-huit mois. Les salles des opérations et des pansements sont entourées de salles auxiliaires : salle d’attente, pharmacie, salle de réserve des bandages, salle de consultation, salle de radiothérapie. On y pratique la chirurgie des amygdales et végétations, et on y fait piqûres, pansements, pose de ventouses, cuti-réactions, injections. Certains se souviennent du masque désagréable pour l’anesthésie.

Vue intérieure du dispensaire CP méd Rx

L’école d’infirmières

Le même bâtiment accueille les élèves infirmières ( de 19 à 35 ans) qui viennent y effectuer leur stage d’instruction pour devenir hospitalières ou pour se former à la puériculture et aux soins à donner aux malades et aux blessés. Onze médecins viennent bénévolement donner des cours. Une infirmière raconte : Je suis entrée à l’école de la croix rouge qui se trouvait dans les locaux du dispensaire de la rue Edouard Anseele en 1959. J’y ai préparé un diplôme d’auxiliaire de puériculture. J’ai suivi des consultations de nourrissons avec le docteur Ratel, des consultations de dispensaire avec le docteur Beaugrand. J’y ai appris à soigner la gale ! Je restais avec des enfants installés sur une table avec les yeux protégés pour des séances de rayons ultra violet pour soigner le rachitisme. Puis j’ai commencé mes études d’infirmière toujours à l’école de la Croix Rouge. Je faisais des visites à domicile pour des piqûres ou des pansements.

Plan des bains municipaux doc AmRx

Les bains municipaux

Créé par la caisse d’épargne en 1911, l’établissement des bains est acquis par la ville en 1921. Les anciens du quartier ont encore en mémoire la grande salle carrelée où l’on attend son tour, assis sur un banc avant d’accéder aux cabines de douches. Certains chantent dans les douches, ou font leur lessive, ce qui est strictement interdit. Il arrive qu’un client s’attarde, dépasse les vingt minutes imparties, mais quelques coups sur la porte lui signalent qu’il doit laisser la place. On sort de là tout frais, tout propre. A l’époque de l’inauguration, on paie 20 centimes le bain douche, savon compris, et le bain est limité à 20 minutes. Les derniers temps, une baisse de la clientèle et un déficit conséquent entraînent une augmentation qui porte le prix d’entrée à 50 francs.

à suivre

Un quartier cerné par l’industrie

La liste des entreprises

Le quartier des Longues Haies est pour ainsi dire encerclé par l’industrie depuis la fin du dix neuvième siècle. Au début de la rue Edouard Anseele, il y a Motte Porisse, la filature des Longues Haies et la Manufacture des deux gendarmes. La rue passe ensuite entre l’usine Motte Bossut et la fabrique de couvertures Lemaire et Dillies. Entre la rue Bernard et le boulevard Gambetta se trouvent les usines Toulemonde Destombes et Charles Huet. Puis, après la rue Pierre de Roubaix, il y a la bonneterie Maurice Dillies, et l’usine de pansements Willot. Sur le boulevard de Belfort se situe ensuite l’usine Motte Delescluse plus connue sous le nom de SATAIN, et enfin rue Saint Jean la maison Motte et Marquette. Ce relevé d’entreprises correspond à la situation de la fin des années cinquante.

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Motte-Bossut, Mote-Delescluse, Motte-Porisse doc Méd Rx

Le centre d’apprentissage

Le 11 avril 1958 est inauguré le centre d’apprentissage de la filature des Longues Haies. On y forme des jeunes filles aux métiers de la filature de laine, continus, doubleuses, moulineuses.

Apprentissage en bonneterie doc NE

Typologie des usines

Toute la production s’organise autour de la laine : les filatures de laines peignées, les tissages, les usines de teintures et d’apprêts pour fils et matières, la fabrication de tissus, le pelotonnage de laines, la bonneterie. Les produits sont nombreux : laines à tricoter, linge de table et de maison, couvertures, tissu éponge, tissus de velours d‘ameublement…

Publicité des entreprises

 

Os à moelle et carré Motte

La grande barre de l’îlot Edouard Anseele, longée par la rue des Filatures, a pour nom de chantier le H 13. Les roubaisiens la surnommeront l’os à moelle à cause de sa forme caractéristique. Elle forme comme un rempart entre la nouvelle cité et les usines du carré Motte, ainsi dénommé car la famille Motte est à l’origine de la plupart des établissements industriels de cette partie du quartier qui se situe entre les rues du Coq Français, St Jean, Jean Moulin et Édouard Anseele.

L’os à moelle alias le H13 photo NE

à suivre

Les premiers lotissements 1922-1924

La société anonyme roubaisienne d’habitations ouvrières

Les maisons de l’avenue Linné Photo PhW

En 1921, cette société, dont le président est Edouard Rasson et le secrétaire Victor Hache, entreprend la construction de 22 maisons de part et d’autre de l’avenue Linné. Ce chantier donnera le superbe alignement de l’avenue Linné et en face, le square des Platanes. Les premiers habitants s’installent en 1924. Un témoin raconte : il n’y a jamais eu de réhabilitation, sauf un coup de peinture pour le square des platanes en plus de 90 ans d’existence. Victor Hache demeurait lui-même dans une des maisons de l’avenue Linné. Cette société a bâti le même type de maisons dans le quartier du Hutin, également à Croix, Wattrelos, Lys et Leers.

Le square des Platanes doc AmRx

Lotissements ou HBM

Le nom d’Henri Sellier donné à une petite rue située au milieu des constructions du quartier du Nouveau Roubaix rappelle les choix qui ont été faits à l’époque en matière de construction de logements. Henri Sellier était en effet Président des HBM de la Seine, et sa grande cause était l’amélioration de l’habitat des populations ouvrières. On se trouve en effet en présence de deux logiques dans l’entre deux guerres : l’une, d’initiative privée, les lotissements, dont le square des Platanes est un exemple  roubaisien, et l’autre d’initiative publique, les cités-jardins et les HBM. Les habitations à bon marché, ou HBM ont été réalisées dans l’ensemble de la France. C’est la loi Siegfried du 30 novembre 1894 qui crée l’appellation d’« habitations à bon marché » (HBM) incitant la mise à disposition de logements à prix social avec une exonération fiscale.

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Square des Platanes Coll Particulière

La cité labyrinthe

Les travaux ont bien avancé, et la maison Ferret Savinel est en légère avance pour le gros œuvre. Sept collectifs à cinq niveaux sont sortis de terre, dont l’un ne mesure pas moins de 300 mètres de long, la fameuse Grande Barre, aujourd’hui disparue. Ces immeubles collectifs seront au début identifiés par une lettre et un numéro, la numérotation allant de B6 à B12.

 

chantierblog

Ce quartier résidentiel doit être terminé à la fin de l’année, pour respecter le délai imparti de 27 mois pour la construction. Déjà les peintres et les entreprises de plomberie sont à l’œuvre, et on envisage les travaux de viabilité. Les premiers logements sont livrés pendant le dernier trimestre 1960, alors que les plâtres sont encore frais, et qu’il faut encore s’occuper de l’environnement des bâtiments. On prévoit de loger 5.000 personnes dans ces logements construits en partie sur Roubaix et sur Hem, et on envisage déjà d’agrandir le groupe scolaire construit il y a trois ans.

En Janvier 1961, le chantier « frère » de celui des Hauts Champs est terminé. Ses bâtiments se trouvent entre la rue Montgolfier et le boulevard de Reims, entre le rue du Puy de Lôme et la rue Philippe Auguste. Il a été ouvert en novembre 1958, juste derrière le magnifique groupe de la Potennerie, et il représente 300 logements de différents types.

En mars 1961, les chantiers des Hauts Champs et du parc Cavrois sont donc terminés pour ce qui concerne les bâtiments. Une visite officielle des dirigeants du CIL, des architectes et des entrepreneurs vient visiter la chaufferie, et trois appartements dans le bloc 10.

Le groupe des Hauts Champs est alors considéré comme un quartier labyrinthe, avec ses immeubles et ses entrées numérotés. Aucun nom de rue, pas d’indications dans ce quartier en formation. Il y a bien des concierges, mais il faut les trouver, comme n’importe quel habitant de ces grands immeubles anonymes, dans une cité de près de 10.000 âmes.

Des noms de peintres seront donnés à certains bâtiments : le B6 sera le Pavillon Jean Baptiste Chardin, le B7 le pavillon Jean Baptiste Greuze, le B8, le pavillon Claude Monet, le B9 pavillon Edgard Degas. Les autres bâtiments B10, B11 et B12 n’obtiendront pas de dénomination immédiate. C’est alors que les rues s’organisent autour du nouveau quartier : en novembre 1963, la rue Michelet va enfin rejoindre l’avenue Motte, en longeant le mur de l’usine de velours. Elle permet ainsi d’intégrer le pavillon Claude Monet dans ses adresses. La rue Joseph Dubar à Roubaix et l’avenue du professeur Calmette à Hem suffisent à peine pour longer les trois cents mètres du B12, qu’on appellera par défaut, la Grande Barre. Trois bâtiments céderont alors leur nom à la rue qui les longe : le pavillon Degas donnera la rue du même nom, au bout de laquelle sera ouverte la rue Charles Pranard, entre les bâtiments 10 et 11. Les pavillons Jean Baptiste Chardin et Jean Baptiste Greuze, autrefois répertoriés dans les adresses de l’avenue Motte, deviennent des rues à part entière.

Telle est la configuration de la cité des Hauts Champs, à la fin des années soixante. Son histoire, bien entendu, ne s’arrête pas là…

Le témoignage de Christian Lebrun :

Félicitations pour votre initiative…J’ai été un des premiers habitants de ce quartier puisque j’y suis arrivé en novembre 1960. J’habitais rue Charles Pranard qu’on avait d’abord appelée Nouvelle Rue dans l’immeuble démoli depuis et qui était le bâtiment 11. La grande Barre était alors encore en construction. J’ai été nommé instituteur dans l’école appelée alors Ecole des Hauts Champs devenue Ecole Brossolette. Le bâtiment de deux étages n’existait pas et il y avait école de garçons et école de filles.
Je me souviens d’un drame survenu lors des vacances de Pâques 1961. Derrière le chantier de la grande barre, il y avait un énorme trou rempli d’eau et deux gamins avaient fabriqué un radeau de fortune pour s’y aventurer. Ils ont chaviré en plein milieu et il me semble qu’ils sont morts tous les deux. Je vais voir si j’ai des photos…

Celui de Robert Maurau :

J’ai habité les Hauts Champs en 1960, rue Beaujon à Hem. Je pense que mes parents ont été les premiers, je me souviens très bien des enfants qui se sont noyés, j’avais 9 ans et j’ai fait les mêmes bêtises.

 

Les Trois Ponts d’avant la cité

Décrire le quartier des Trois Ponts tel qu’il était avant la construction de la cité actuelle relève d’une gageure. Il y a plus de quarante ans que l’aspect champêtre de l’endroit a été gommé par l’urbanisation, les témoins se font rares, les images également. Cependant il subsiste encore quelques traces, ici et là…

Rue et Place des 3 Ponts doc IGN

La rue des Trois Ponts

La rue des Trois Ponts ne fait plus partie de la nomenclature des rues de Roubaix, par suite d’une délibération du Conseil Municipal en date du 30 juin 1969, un arrêté préfectoral du 25 juillet 1969 approuve la disparition de cette artère entre les rues de Tournai, d’Anzin et Victor Hugo, conformément au plan de rénovation du secteur des Trois Ponts. Dans le même intervalle, un arrêté préfectoral du 27 juillet 1969 attribue le nom de Place des Trois Ponts à l’espace compris entre l’avenue Kennedy, la rue Léonie Vanhoutte, le Centre Commercial , la rue de Tournai et le bâtiment 7 du plan masse.

Le quartier des Trois Ponts

Les Trois Ponts, c’était un quartier plaisant, c’était familial et agréable. D’ailleurs, on se plaisait à dire qu’on venait des Trois Ponts plutôt que du Pile. Le quartier était très aéré, avec des petites routes, des chemins, des petits jardins.

A l’orée de la rue Victor Hugo, une vache des 3 Ponts Photo NE

Les débuts du Nouveau Roubaix

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Le Nouveau Roubaix en 1919 doc AmRx

Traces de campagne

Une rangée de petites maisons de journaliers marque encore l’ancien tracé de la petite rue placé en retrait de l’actuelle avenue. En 1906, la petite rue Linné mène à Hem en partant de la rue Paul Wante. Elle devient l’avenue Linné et rejoint le boulevard de Fourmies. C’est pour ainsi dire la première frontière du futur quartier du Nouveau Roubaix. On peut encore apercevoir l‘ancien alignement de la rue, car ces petites maisons existent encore, l’une d’elles s’est transformée en café de la Poste.

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Une choque de maisons de l’ancienne rue Linné doc NE

Une école entre ville et campagne

C’est sous le mandat d’Henri Carrette, en 1898, que fut décidée la construction de la future école primaire à laquelle on donnera après la première guerre mondiale, le nom de Léon Marlot, jeune résistant tombé sous les balles allemandes. Ce groupe scolaire  forme l’angle de l’avenue Linné et de la future rue Jean Macé. Il faudra dix ans pour que ce projet aboutisse et soit réalisé par l’architecte Paul Destombes. En 1908, cette école fait encore face à des terres agricoles.

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Le groupe scolaire de l’avenue Linné CP Méd Rx

Des terrains libres

En 1919, après la place du Travail, le long du récent boulevard de Fourmies, il y a principalement des entreprises. La rue Ingres est inachevée, mais le groupe scolaire de l’avenue Linné existe déjà, avec une vue sur des terrains vagues ou des champs. Seuls vestiges des anciens chemins, l’avenue Linné, autrement dénommée chemin d’intérêt commun n°118, dans sa partie vers Hem. Cependant l’avenir est déjà tracé : un long boulevard préfigure la nouvelle ceinture de Roubaix, l’avenue des Villas et le boulevard industriel, dont une partie a été rebaptisée avenue Alfred Motte. L’usine de velours Motte Bossut existe déjà depuis 1903, l’usine Dazin-Motte ouvre le boulevard de Fourmies, et le développement industriel s’annonce avec un projet de chemin de fer. La Municipalité de Roubaix, sous l’impulsion de Jean Lebas, va démarrer un grand chantier d’habitat social sur les vastes terrains agricoles exploités dans le passé par les censiers des fermes de la Haye et de Gourguemez.

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En tête de lettre de l’usine Dazin Motte doc AmRx

Le double chantier

Il est donc question de construire sur la plaine des Hauts Champs, entre l’église Sainte Bernadette et l’usine Motte, où deux organismes, l’office départemental des HLM et le CIL prévoient de faire sortir de terre une cité de 1200 logements. D’ici deux ans, existera une superbe cité moderne où d’innombrables mal logés auront enfin un logis confortable et lumineux à souhait. Les architectes désignés pour aménager ce secteur sont MM Jean Dubuisson, et Guy Lapchin.

Jean Dubuisson fait partie d’une famille d’architectes. Son père Emile, est l’auteur de l’hôtel de ville de Lille et de son beffroi. Lui-même est Grand Prix de Rome, et avant qu’il ne s’occupe du dossier des Hauts Champs, il a déjà réalisé la résidence du Parc à Croix en 1956. Son collègue Guy Lapchin  a travaillé à la réalisation de la résidence d’Armenonville, boulevard de Gaulle à Roubaix, avec les architectes Guillaume Gillet, et Pierre Ros en 1958. Ensemble, Dubuisson et Lapchin mèneront à bien le projet de la résidence du parc Saint-Maur à Lille de 1961 à1967.

architectesLes architectes Dubuisson, Lapchin et Gillet Photos Nord Eclair

Le projet n’est pas nouveau, car dès septembre 1952, le Conseil Municipal décide qu’on va bâtir aux Hauts Champs. Les travaux sont cependant divisés en deux tranches : neuf cents logements pour les Hauts Champs, et trois cents pour la Potennerie, pour le groupe Cavrois rue du Puy de Lôme.

Dès le mois de juin 1958, on aménage le terrain, on creuse des aqueducs, on trace des routes et des voies d’accès : on projette ainsi de prolonger la rue Léon Marlot jusqu’à la rue du chemin vert à Hem, et la rue Emile Zola à la Justice aboutira à la rue du bas voisinage à Hem. Ces projets ne seront pas menés à bien. La rue Léon Marlot vient de reprendre sa progression à travers la cité des Hauts Champs, et la rue Emile Zola s’est définitivement arrêtée rue Michelet. La configuration de la future cité a transformé les projets de rue envisagés. La ville de Roubaix a cependant déjà construit une école qui n’attend plus que ses élèves, sans doute l’école Brossolette, dans la rue du même nom, ouverte par la société du Toit Familial de Roubaix Tourcoing[1].

une nouvelle cité 1959Le chantier des Hauts Champs Photo Nord Eclair

La première pierre est posée le 24 juin 1958 et la fin du chantier est estimée à la fin de l’année 1960, au plus tard. Une centrale thermique souterraine doit alimenter les appartements en eau chaude et en chaleur qui viendra des parquets. Pour parer à l’éventualité d’une panne, il y aura des cheminées qui pourront servir à des poêles. Les appartements seront de grandeur différente, du studio au logement avec plusieurs chambres, comprenant pièce de séjour, salle d’eau, et tout le confort. Le coût de la construction est évalué à trois milliards, mais il y a encore de l’espace pour une deuxième tranche : ce sera l’opération du chemin vert en 1965.

Le chantier avance bien, en août 1959, Nord Eclair titre : la vaste plaine des Hauts Champs devient peu à peu une cité résidentielle. Les immeubles s’élèvent et s’allongent  les uns après les autres, avec leurs façades à l’aspect coquet et agréable. C’est devant une cité des Hauts Champs dont les bâtiments sont quasiment achevés, que passera Nikita Kroutchev, le Président de l’Union Soviétique, en mars 1960, sur le chemin de sa visite aux établissements de la Lainière de Roubaix. L’industrie textile et le bâtiment composaient à l’époque une grande part de la vitrine de la ville.


[1] D’après les Flâneurs de la société d’émulation

Les Hauts Champs : une immense plaine agricole

Que sait-on des Hauts Champs avant qu’ils n’intéressent les bâtisseurs ? Au temps des seigneurs de Roubaix, ils désignent quelques hectares de champs entre la lisière d’un bois et les terres du fief de Beaumont. Il est délimité par le chemin d’Hem aux Trois Ponts, et par le sentier du chemin vert menant au gibet des seigneurs de Roubaix.  Le nom du lieu dit a servi pour désigner une division du cadastre jusqu’en 1841[1]. Avec le temps, les deux pied-sentes deviennent pour l’une le chemin vicinal numéro neuf, dont le nom subsiste encore aujourd’hui, et l’autre à la limite de deux communes, devient rue du chemin vert sur Roubaix et rue Catinat sur Lys lez Lannoy.

L’usine Motte-Bossut avenue Motte doc Monde illustré 1923

De nouveaux repères apparaissent au début du vingtième siècle : une large avenue traverse la campagne roubaisienne, de la rue de Barbieux jusqu’à la rue de Lannoy qui prendra le nom d’avenue des Villas, puis en 1908, celui d’Alfred Motte, de la descente du boulevard de l’Hempenpont[2] jusqu’à la rue de Lannoy. Entretemps, s’est édifiée à partir de 1902, la fabrique de velours Motte-Bossut[3]. Pour quelques temps, à coté de l’usine, des jardins ouvriers vont côtoyer les champs de l’endroit. Mais l’industrie gagne du terrain, et l’implantation du chemin de fer sur l’avenue Motte en est le signe fort. La seconde guerre mondiale verra s’achever la vocation de boulevard industriel des avenues Salengro et Motte, dont le terre-plein central est le vestige de l’animation ferroviaire passée. L’ancienne gare de débord a laissé son nom à la cité construite à l’entrée de Roubaix, après le contour des petites haies.

L’avenue Motte avant le contour des petites haies doc AmRx

Au-delà de cette avenue si difficile à traverser, hier les trains, aujourd’hui les voitures, la vague de l’habitat va bientôt engloutir les implantations industrielles et atteindre le territoire encore champêtre des Hauts Champs. Amorcée dès les années vingt, l’opération des Habitations à Bon Marché va remplir l’espace compris entre l’avenue Linné et l’avenue Motte, en deux temps, des maisons rue Jean Macé, des logements collectifs le long du boulevard de Fourmies. La construction reprend à marche forcée après la seconde guerre mondiale. Les maisons du CIL apparaissent le long de l’avenue Gustave Delory, du quartier de Beaumont jusqu’à l’avenue Motte, qu’entourent ensuite les lotissements du contour des petites haies, de la gare de débord, et de la rue Mignard. De leur côté, les HLM ont complété l’espace resté vacant entre les deux opérations HBM de l’entre deux guerres, entre la rue Jean Macé et la rue Rubens. La construction de l’église Saint Bernadette de 1935 à 1937 est un signe important de l’augmentation de la population. Avant qu’elle traverse l’avenue Motte et devienne une petite église circulaire, elle dressait sa masse quadrilatère édifiée par les architectes roubaisiens René et Maurice Dupire à l’orée des Hauts Champs, dans l’alignement de l’usine de velours Motte Bossut. La vague de construction s’est arrêtée provisoirement à l’avenue Motte, devant les derniers terrains disponibles de cette partie de Roubaix.

Au fond du cliché, l’espace entre l’usine Motte Bossut et l’église Ste Bernadette Coll Particulière

En avril 1958, Ignace Mulliez, Albert Prouvost et Guy Lapchin, respectivement président, président honoraire et architecte du CIL, plantent la tente sur l’immense plaine des Hauts Champs, pour recevoir le ministre de la reconstruction et du logement Pierre Garet, qui vient de passer en revue les réalisations HLM et CIL du Nouveau Roubaix, dont la dernière en date est l’immeuble de la rue Regnault[4]. La cité des Hauts Champs se prépare…


[1] Selon l’histoire de Roubaix de Théodore Leuridan
[2] Aujourd’hui boulevard Clémenceau à Hem
[3] Cette entreprise cesse son activité en 1982 et devient ensuite l’Usine, le grand ensemble de magasins bien connu.
[4] Dit la banane, récemment démoli.