Ce titre d’un article paru dans Nord Éclair en juin 1956 demande quelques explications. Bertolt Brecht (1898-1956) est le dramaturge autrichien, et metteur en scène bien connu. Monter une de ses œuvres en 1956 n’est pas anodin, car le théâtre de Brecht veut rompre avec la grande tradition dramatique et pousser le spectateur à la réflexion, alors qu’on est en pleine guerre froide. Deux pièces sont jouées à Roubaix : les fusils de la mère Carrar et des extraits de Grand peur et misère du IIIe Reich. La première a été écrite pour répondre à la politique de non-intervention défendue par les démocraties occidentales au moment de la guerre civile espagnole. La seconde dresse un portrait de la société allemande depuis l’avènement d’Hitler jusqu’aux prémices de la guerre, écrite à partir de récits de témoins oculaires et d’extraits de journaux qui montrent l’enracinement profond du régime nazi dans toutes les sphères du peuple allemand. Vingt quatre scènes évoquent tout à tour la bourgeoisie, le corps médical, la justice, les enfants, les prisonniers, et leur évolution face au régime.
Ces deux pièces sont jouées à Roubaix à la bourse du travail, qui est aussi le théâtre Pierre de Roubaix. Titrer « Brecht à la bourse du travail », c’est mettre en évidence l’aspect militant des œuvres d’un auteur anti-faciste, dans un lieu qui est aussi le siège des syndicats ouvriers depuis 1934.
Il reste à évoquer la troupe qui vient jouer ces œuvres. Il s’agit du Théâtre Populaire des Flandres, créé trois ans plus tôt par Cyrille Robichez dans la ville d’Hénin Liétard. Cette troupe devient itinérante et passe donc par Roubaix en 1956. C’est le début de l’aventure du TPF, qui sera plus tard intégré au Centre dramatique national, avec lequel Cyril Robichez (1920-2001) mènera jusqu’en 1981 les expériences les plus diverses : le premier festival de Lille, les Nuits de Flandre, le Petit-Théâtre quotidien du Pont-Neuf et le Théâtre Roger-Salengro à Lille. Avant sa retraite, il a dirigé le département théâtre de la direction régionale des affaires culturelles du Nord-Pas-de-Calais. Cyrille Robichez avait fait appel à Parvine Tabaï, une comédienne parisienne, interprète d’autres œuvres brechtiennes (Mère Courage) également de pièces d’Eugène Ionesco. Il assura également la mise en scène de ces deux pièces.