Julie ch’est mi

Francine Willem naît en 1926, à Roubaix. Elle est la fille de Maurice et Lucie Willem, commerçants en rideaux au 12 14 contour Saint Martin. Toute petite, Francine écrit sur papier des histoires, griffonne des poèmes car elle aime particulièrement le bruit du stylo sur son cahier.

Au début des années 1950, Francine se passionne pour l’animation. Elle devient présentatrice d’une émission : « Les Matinées Enfantines » à la radio, en invitant des enfants ( les Friquets et les Friquettes ) à chanter, conter et jouer la comédie. C’est une des grandes émissions radiophoniques de Léon Plouviet, plus connu sous le nom de « Grand Papa Léon », sur « Radio-Lille » qui émet également des musiques de jazz et des sketchs en patois.

Radio Lille ( document famille Willem )
Léon Plouviet surnommé : « Grand Papa Léon » ( document famille Willem )
document famille Willem

Le patois n’a pas vraiment droit de cité dans la famille Willem, mais Francine s’intéresse à cette forme de langage, surtout quand la vieille cousine Julie vient à la maison pour l’initier aux accents picards et au patois savoureux. Elle découvre d’ailleurs sur une thèse d’un étudiant en lettres, qu’il y a plusieurs patois roubaisiens différents, et commence à rédiger des textes et des sketchs joués par des comédiens. Un jour, elle monte sur scène pour remplacer Jos, un acteur absent, et grâce à son talent, elle fait un triomphe monumental. Elle choisit un nom de scène et devient Francine Guillaumes, nom d’un charmant village des Alpes Maritimes qu’elle apprécie énormément.

Elle se marie en 1948, avec Michel Surin, le fils de M et Mme Surin Baudet, qui tiennent une bonneterie au 107 rue de l’Alma à Roubaix. Ils habitent tous deux, rue du Marquisat à Roubaix. Trois enfants plus tard ( Monique, Brigitte et Martine ), ils habitent au 39 rue Gustave Delory à Croix. Michel Surin est musicien, il manie les notes comme elle joue avec les mots. Il va mettre de la musique sur ses poèmes qui deviennent des chansons. Francine se lance alors dans des pièces pour enfants et à la mort de « Grand Papa Léon », elle reprend le flambeau de son émission en 1967 et fonde le fameux Club des Juniors.

Francine Guillaumes à la bibliothèque de Roubaix ( document Nord Matin )

Le 31 Octobre 1967, sur la scène du Casino de Roubaix, se joue la pièce que Francine et Michel ont créée : « La Nuit du Gardian ».

La nuit du Gardian ( document famille Willem )

Francine écrit des chansons, des sketches, des saynètes et des feuilletons et produit des émissions poétiques ; elle est également critique lyrique au théâtre de Tourcoing. Mais elle a toujours en tête une idée bien précise : monter sur les planches pour s’exprimer et présenter ses histoires en patois. A la fin des années 1960 elle peaufine son dialecte picard et pense bien sûr à sa vielle cousine Julie qui l’a initiée au patois ; elle se fait alors connaître en tant que « Julie ch’est mi ». Pendant 5 années, à partir de 1975, tous les dimanches, elle fait paraître sur le quotidien Nord Eclair une chronique en patois, un regard bien à elle sur les événements de ce monde, et sur la vie de tous les jours.

document Nord Eclair 1977

En 1979, c’est la première à Croix, de son spectacle « Faut t’cheusir ». Depuis des milliers de personnes se sont entassés autour des scènes régionales, séduits par la drôlerie et l’invention verbale de ce personnage en passe de rejoindre Fons et Zulma au Panthéon de nos gloires régionales. Le succès appelle le succès. Une maison de disques lui propose de chanter sur un microsillon. Puis elle passe du disque à la scène. Elle sort de son placard un chapeau noir bordé de cerises, une robe à fleurs, des chaussettes montantes et un parapluie baptisé Isidore. Le personnage « Julie ch’est mi » est créé.

document famille Willem

Pendant plus de dix ans, elle fait vivre la Cave aux Poètes à Roubaix et présente ses spectacles sur toutes les scènes de la région. En 1980, elle se produit sur cette scène roubaisienne pour enregistrer son deuxième spectacle : « De l’aut’côté du rucheu ». Elle fait aussi de la radio sur Fréquence-Nord avec ses chroniques et sur France 3 en présentant la météo, tous les lundi de 12h15 à 12h30, en patois bien sûr.

documents BNR

En 1982, Francine ( ou Julie, c’est comme vous voulez ) travaille son troisième spectacle. Elle a de la répartie et de l’entregent, sait écouter et est capable de partager ses idées. Elle est sur scène comme dans la vie, lance des pataquès mais déteste la vulgarité et les plaisanteries en dessous de la ceinture. A la fin des années 1980, Francine gère un magasin de disques au 92 rue du Fresnoy.

documents INA

En 1993, Francine a 65 ans, toujours petite et menue, elle habite désormais dans la Somme et continue ses spectacles, là où on la demande.

document Nord Eclair 1993
document Nord Eclair 1993

Francine décède le 19 Janvier 1998 à l’âge de 72 ans, paisiblement, dans son sommeil. Sous son curieux feutre à cerises, sa silhouette menue a toujours communiqué un patois bien de chez nous, pendant de nombreuses années. Elle a promené son regard pétillant et à la fois naïf sur toutes les scènes de la région avec son accent bien à elle et ses vérités qu’elle jugeait toujours bonnes à dire.

document Nord Eclair 1998

Avant son décès, elle fait passer le message ci-dessous dans la presse locale : « Julie a toujours fait rire les gens par sa fausse naïveté, les spectateurs se retrouvent dans le personnage de Julie, parce qu’en fait, ils rient d’eux-mêmes. Le patois : il y a encore beaucoup de gens qui disent que le patois est mal porté, mais c’est faux, parce qu’il y a 200 ans, les bourgeois parlaient patois ! ».

Près de 30 années après son décès, Julie continue d’exister, et à coup sûr de faire rire. Ce sera toujours le temps des cerises, des merles moqueurs et des gais rossignols.

Photo P Cheuva

Remerciements à la famille Willem ainsi qu’aux archives municipales.

Willem-Plateaux

Aline Plateaux est née à Roubaix, en 1867. Elle crée son magasin de rideaux, au 12 14 contour saint Martin, à Roubaix à la fin du 19ème siècle. L’emplacement est idéal, en plein centre ville, derrière l’église Saint Martin, et à l’angle de la rue du Curé.

Plan cadastral

Pour la tenue de son commerce, Aline est aidée par sa sœur, Berthe, née en 1870. Toutes deux habitent au 71 rue de Valmy à Roubaix. Le magasin, qui porte l’enseigne « Au Louvre », a une surface de vente de 70 m2, ce qui permet aux deux sœurs de proposer une gamme complète de rideaux, stores, et dentelles mais également du linge de maison, linge de table, serviettes de toilette, draps et taies d’oreillers.

Papier en tête 1922 ( document collection privée )
Aline Plateaux devant le magasin en 1925 ( document famille Willem )

Au décès d’Aline, Berthe Plateaux continue l’activité du magasin avec son mari Edmond Willem, né en 1869. Le magasin prend alors l’enseigne Willem-Plateaux.

document collection privée

Tous les ans, se déroule la braderie du centre ville. C’est l’occasion pour tous les commerçants de vendre des fins de série à des prix très intéressants.

document collection privée

Edmond et Berthe ont eu 3 enfants : Maurice né en 1901, Marie-Thérèse en 1904 et André né en 1906. Au décès d’Edmond en 1906, Berthe continue seule l’activité. Ses deux fils, Maurice et André, reprennent l’affaire en 1930.

En 1955, le magasin Willem-Plateaux fête ses 70 ans, l’occasion pour les deux frères Maurice et André de proposer la marque de voile Rhodia à la clientèle.

Publicités Nord Eclair 1955

A la fin des années 1950, le magasin propose à la vente des couvertures, couvre-pieds et toute une gamme de cadeaux : nappes, mouchoirs, napperons. Les deux frères sont toujours passionnés par leur commerce. Ils découvrent en 1964 la nouvelle gamme des rideaux Rhovyl Double Soleil, en Prêt a poser, garantis 7 ans. Ils référencent ce fournisseur et communiquent par de la publicité dans la presse locale.

Publicité Nord Eclair
Publicité Nord Eclair

La notoriété du commerce est remarquable. L’entreprise Masurel de la rue Pellart fait toujours appel à des fournisseurs locaux pour offrir au personnel, des cadeaux de fin d’année. Dans les années 1960, le commerce Willem- Plateaux est souvent choisi pour l’achat de couvertures en grosse quantité pour l’ensemble des salariés, et c’est bien souvent Bernadette, le fille de Maurice qui effectue les livraisons avec la 203 Peugeot du « paternel ».

Maurice Willem ( document famille Willem )

Maurice Willem décède en 1971, André continue seul l’activité. En 1972, il décide de faire rénover sa façade. Il demande à son fils, Claude Willem, qui est architecte au 67 rue Nain, de diriger les travaux. Il fait déposer le marbre vétuste pour lui substituer des plaques en pierre blanche, ainsi que remplacer la porte d’entrée et y poser un rideau métallique.

document archives municipales

André, dans les années 1980, est toujours à son poste. Il n’a pas de calculette car il fait ses comptes manuellement avec son crayon de bois. Pour mesurer les tissus, il utilise sa vielle règle en bois avec des bouts cuivrés de chaque côté. Sa fille, Marie France, confectionne les rideaux, fait parfois les retouches nécessaires avec sa machine à coudre dans l’arrière boutique, et, quand elle est absente, c’est lui qui effectue ce travail. Le magasin est certes un peu vieillot mais accueillant : de vielles lampes torsadées l’éclairent et la caisse est d’une autre époque, peut-être même centenaire.

André Willem en 1993 ( document famille Willem )

Au début de l’année 1993, André songe sérieusement à prendre sa retraite, à 87 ans, après 63 années sereines de présence dans le magasin. Il garde de très bons souvenirs de toute sa carrière. Le 31 Mars 1993, c’est la fermeture définitive du magasin. André baisse le « rideau » de fer de son point de vente. Il restait le seul à Roubaix à vendre des rideaux, ses confrères ayant également fermé leurs commerces : Landauer rue du Vieil Abreuvoir, Au Décor rue de Lannoy, la Maison du Rideau boulevard de Fourmies, Votre Maison Grande Rue, Ridex rue de l’Epeule, et bien d’autres. Les fidèles clientes sont désolées et désorientées ; où vont-elles aller maintenant pour s’approvisionner ?

la façade Contour Saint-Martin (document archives municipales)

Le bâtiment reste ensuite inoccupé durant quelques années. Aujourd’hui c’est un salon de coiffure qui y est implanté, à l’enseigne « Shemsy ».

Photo BT

Remerciements à Catherine, Bernadette et Marie-France Willem, ainsi qu’aux archives municipales.