Teinturerie Declercq (suite)

La teinturerie Declercq est l’une des premières à utiliser un camion et Oswald figure en 1927 dans l’annuaire des grands cercles et du Grand Monde (Cercle de l’Union, Jockey-Club…) Manifestement la famille Declercq est une famille qui compte et la teinturerie fonctionne à plein régime même si Oswald a préféré cesser l’activité de teinture pour ce consacrer à l’apprêt.

Côté vie privée Oswald a épousé Aldegonde Screpel avec laquelle il occupe la maison d’habitation bâtie dans l’enceinte de l’usine et occupée auparavant par Napoléon Paul et son épouse Céline Roussel. Ils ont une voiture avec chauffeur et lorsque celle-ci le ramène à la maison, le chauffeur continue alors jusqu’au garage situé au cœur de l’usine. Là une plaque tournante lui fait effectuer un demi-tour afin qu’elle soit garée dans le bon sens pour sa prochaine sortie.

Photo d’un camion avec les chauffeurs en attente dans la rue (Document Famille Declercq)

Un important mouvement de grève se développe en France au lendemain de la victoire du Front populaire aux élections de mai 1936 : les ouvriers occupent leurs usines et s’organisent tandis que le pays est paralysé. A la mi-juin 1936, le Grand Echo du Nord de la France annonce un très important mouvement de reprise du travail dans les différents établissements en grève de l’agglomération lilloise et notamment la fin de la grève et la reprise du travail de 80 ouvriers à la teinturerie Declercq à Hem.

La teinturerie est reprise ensuite par Oswald fils, né en 1901, quand son père la lui cède après avoir racheté les parts de tous les autres membres de la famille et petits actionnaires. Elle devient sa propriété unique en 1943 et compte alors jusqu’à 162 ouvriers.

Photo d’Oswald fils (Document famille Declercq)

Pendant la 2ème guerre, l’usine continue à fonctionner comme en témoigne une facture de 1940. Le pont d’ Hempempont et, par voie de conséquence les riverains subissent également des destructions. Une facture de 1946 montre que l’entreprise survit à la guerre et continue à travailler dans l’immédiat après-guerre.

Destruction au niveau du pont pendant la seconde guerre (Document collection privée)
Factures de 1946, 1949 et 1952 (Documents Historihem)

Oswald a épousé Marthe Cottaz et vit dans la maison de maître située à droite de l’accès à l’usine avec leurs 2 fils : Philippe né en 1933 et Alain né en 1937 et leurs 2 filles Nicole et Janick. Son père emmène Alain très tôt dans les ateliers car il est passionné par la mécanique.

La maison de maître habitée par la famille à côté du pont et juste à droite de l’entrée de l’usine (Documents collection privée et famille Declercq)

C’est ainsi que ce dernier commence à travailler très jeune dans l’usine, à l’âge de 17 ans. N’étant pas très scolaire il apprend à souder avec les ouvriers de l’entreprise et se fabrique un karting avec lequel il se rend de son domicile rue de la Tribonnerie jusqu’à l’usine d’Hempempont.

Alain sur son karting (Document Carnets de Cheminée)

(Sur le sujet du domicile voir l’article paru sur notre site sous le titre : Famille Declercq, 28 rue de la Tribonnerie).

Puis il se forme au métier sur chacune des machines de l’entreprise, afin de pouvoir obtenir par la suite des responsabilités. Ainsi il parvient, comme son père, à remplacer les ouvriers malades ou absents et à relancer la production sur différentes machines. A la mort de son père il reprend donc l’affaire avec son frère Philippe qui a fait l’ITR (Institut Technique Roubaisien).

Photo d’Alain et Philippe Declercq (Documents famille Declercq)
Photo aérienne de l’usine en 1962 (Document IGN)

Après la mort d’Aldegonde en 1964, c’est Philippe et son épouse Mariam qui élisent domicile dans la belle maison d’habitation située rue de Croix, et ils y résident jusqu’à la vente de l’entreprise en 1991. Oswald fils quant à lui vit avec Marthe dans la maison de la rue de la Tribonnerie.

Dans les années 1970, l’entreprise devient la Société Nouvelle Declercq Frères et pratique uniquement l’apprêt de tissus de laine mixte ou imitation ainsi que divers traitements comme le calandrage, le tondage et le rasage des tissus.

Philippe s’occupe alors principalement des finances et gère l’aspect commercial et Alain quant à lui supervise tout ce qui est mécanique et le suivi du traitement des tissus. Les 2 frères gèrent l’entreprise « en bons pères de famille » et tout se gère en interne sans intervention extérieure ni syndicat.

Facture société nouvelle Declercq frères (Document Historihem)
Plan de l’usine (Document famille Declercq)
Un salarié sur sa machine (Document famille Declercq)

Les salariés sont alors au nombre de 120 et chacun a une machine attitrée mais Alain peut se substituer à l’un d’eux en cas de besoin afin de faire en sorte que la production ne s’interrompe pas. Puis des machines modernes sont achetées et fonctionnent en continu, entraînant un besoin en personnel moindre. Les départs en retraite et autres ne sont donc plus remplacés et l’effectif tombe à 60 personnes.

L’entreprise est alors revendue en 1991 à une société qui a d’abord racheté tous ses clients. Il s’agit du Groupe Chargeurs, une entreprise française, qui œuvre dans la protection temporaire de surfaces, l’entoilage pour l’habillement, les textiles techniques et la laine peignée haut de gamme.

A compter de la même année, Philippe Declercq quitte l’entreprise et la maison d’habitation datant du 19ème siècle et ayant abrité jusqu’alors la famille Declercq. C’est le nouveau directeur nommé par le groupe qui s’y installe avec sa famille.

Si une nouvelle direction est installée dans l’usine Alain Declercq y reste néanmoins jusqu’à sa retraite en 1997 en qualité de salarié. Il réalise la jonction entre la nouvelle direction et le reste du personnel. Après son départ la teinturerie Declercq fonctionne encore environ 2 ans avant que la petite quarantaine de salariés restants soient licenciés et les machines revendues à l’étranger. L’usine est alors complètement vidée et présente un spectacle de désolation.

Photos d’ateliers (Documents famille Declercq)

Désamiantée à l’initiative de la famille, toujours propriétaire des murs, elle est mise en vente mais la MEL exerce son droit de préemption en 2001. L’usine reste alors en friche pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’un acheteur soit trouvé en 2013 pour le terrain sur lequel va se construire un projet immobilier.

Le projet, confié au cabinet Trace Architectes, prévoit à la fois des résidences d’appartements (une cinquantaine de logements au total), mais aussi des espaces verts et des commerces sur 700 mètres carrés (par cellule de 150 mètres carrés chacune)

Projet Jardins de la Marque (Document site internet)

Auparavant la MEL et la ville de Hem décident de tout raser, sauf la cheminée qui est classée. La première phase commence par la démolition de l’ancienne demeure construite sur le site, laquelle est atteinte par la mérule, a été squattée et vandalisée depuis le départ de son dernier occupant en 1999, et n’entre pas dans le projet immobilier .

La demeure dans les années 1970 côté façade et côté jardin (Documents Famille Declercq)
Démolition de la maison de maître sur la friche en 2013 (Documents Famille Declercq)

Pourtant le site industriel quant à lui, contaminé par les métaux lourds et hydrocarbures, de par son passé industriel doit passer par une phase de dépollution. Ce n’est qu’ensuite que peut commencer la phase de démolition proprement dite qui se produit en 2015, les pelleteuses épargnant seulement la cheminée, intégrée au futur projet.

Enfin en 2016, la première pierre des jardins de la Marque est posée, les 4 bâtiments de 3 étages doivent comporter des logements sociaux. Une micro-crèche est également prévue au pied de la cheminée. Quant aux commerces un caviste et des commerces de bouche sont pressentis.

Pose de la première pierre (Document ville de Hem)

Actuellement en lieu et place de l’ancienne teinturerie, on trouve donc une petite zone commerciale variée et agréable. La cheminée a été conservée et s’est fondue dans le nouveau paysage, servant de vigie à la micro-crèche ouverte sur le site. Le long de la rue du général Leclerc l’ancien mur de briques a été conservé.

La zone commerciale Biocoop et boucherie Lesage (Documents site internet)
La crèche au pied de la cheminée et le mur conservé (Documents site internet)

Des appartements sont disséminés côté rue Leclerc et côté Marque, environnés de verdure. Il s’agit de petits blocs de faible hauteur (2 étages) qui assurent à leurs habitants un cadre verdoyant et paisible. Les photos aériennes des années 2009, 2018 et 2022 nous montrent clairement l’évolution du site qui d’industriel devient résidentiel.

Résidences d’appartement (Documents Trace Architectes)
Photos aériennes de 2009, 2018 et 2022 (Documents IGN et Google Maps)

Remerciements à Alain et Laurent Declercq, à la ville de Hem, l’association Historihem ainsi qu’à André Camion et Jacquy Delaporte pour leurs ouvrages Hem d’hier et d’aujourd’hui et Jacquy Delaporte, Christian Teel et Chantal Guillaume  pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem, Paul Delsalle pour son ouvrage Histoire de la vallée de la Marque et Robert Hennart pour sa promenade en Pévèle Mélantois

L’ilot Voltaire

Depuis 1981, un plan de restructuration du quartier du Cul de four a été envisagé, dont les premières opérations concernent les démolitions de logements insalubres. Le relogement des familles, la réhabilitation de maisons individuelles ont également été prévus.

La SAEN (société d’Aménagement et d’Equipement du Nord) a demandé la réalisation d’une étude pour relever les habitations susceptibles d’être réhabilitées. Une convention entre la Communauté Urbaine, l’Etat et l’Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat doit permettre la mise en œuvre d’un plan de restructuration, dont les premiers travaux débuteraient en octobre 1982. Il faudra donc démolir, reconstruire et réhabiliter. On sait depuis juillet 1981 que 600 maisons du quartier du Cul de four seront démolies, car jugées trop dégradées.

Le premier projet de rénovation du Cul de four est celui de l’îlot Voltaire : soixante et un logements collectifs et individuels seront construits par les HLM et les premiers habitants pourraient s’installer au début de l’année 1985. Le projet ambitieux prévoit également l’installation d’un foyer logement rue Voltaire et d’une maison de quartier rue de Flandre.

Démolitions rue Voltaire Photo NE
Démolitions rue Voltaire Photo NE

En Octobre 1982, le comité de quartier est intervenu pour protester contre les nuisances provoquées par un terrain vague situé rue Voltaire et résultant des premières démolitions. C’est une décharge publique permanente, et quelques maisons vétustes restantes sont transformées en cloaques malodorants. Les choses avancent doucement, il reste les dernières maisons écroulées, côté rue Turgot et un atelier de confection en procédure d’expropriation. L’ilot Voltaire concerne les quatre rues suivantes : Voltaire, de Flandre, Basse Masure et Turgot. On connaît les mesures du plan : pour la rue basse masure,  les maisons du n°1 à 11 sont condamnées. Rue de Flandre, les maisons du 53 au 85 seront maintenues, mais réhabilitées comme les cours des n°65 et 65 bis. Pour la rue Voltaire, les  maisons et cour du n°30 au 36 vont disparaître, les n° 40 au 44 sont maintenues, et seront réhabilitées.

La surface déblayée Photo NE
La surface déblayée Photo NE

L’opération se déroulera en 2 phases : reconstruction côté rue Turgot pour reloger les habitants des cours qui veulent rester sur le quartier, puis démolition de l’autre partie de l’ilot Voltaire. Au terme de l’opération, il y aura 62 logements locatifs, 45 en semi collectif, et 17 individuels. L’opération est menée par l’office HLM, avec l’architecte Arpan, qui appelle à une réunion le 6 novembre 1982 pour discuter des plans avec lui dans l’ancienne école de la rue de Flandre.

Une partie du projet ilot Voltaire Photo NE
Une partie du projet ilot Voltaire Photo NE

Une autre réunion a lieu sous l’égide du comité de quartier en mars 1983. En juin 1983, les habitants sont à nouveau réunis et participent à une nouvelle réunion de concertation, puis à la visite de l’exposition « reconstruire le quartier » présentée dans les locaux de la Madesc au 137 rue de Flandre. En plus des projets concernant l’ilot Voltaire, réalisés par l’école d’architecture de Paris, l’école Quemando de Paris et le cabinet Leplus basé 46 rue Daubenton à Roubaix, une exposition sur « la réhabilitation à Roubaix » et un débat avec des étudiants architectes sont proposés aux habitants du quartier.

Le projet vu de l'angle de la rue de la Basse masure et de la rue Turgot Photo NE
Le projet angle de la rue de la Basse masure et de la rue Turgot Photo NE

 (à suivre)

Ste Bernadette, projet et réalité

En mai 1935, le cabinet d’architectes Dupire envoie à la mairie une demande de permis de construire une église avenue Motte, pour le compte de l’association diocésaine de Lille . Cette demande est accompagnée des plans du futur édifice. Les travaux de construction sont réalisés durant l’année 1937. Pourtant, l’église terminée ne ressemble pas du tout à celle qui était prévue. Le projet initial semble plus ambitieux et utilise tout le terrain disponible : il prévoit un presbytère et un dispensaire reliés à l’église par des galeries couvertes. Autour, des espaces verts, appelés jardins des mères et jardins des enfants.

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Mais c’est surtout la façade qui affiche le plus de différences avec le projet initial. Deux clochetons bas à la place d’un clocher unique, des décrochements de niveau entre les bas-côtés et le vaisseau centra, qui accentuent la largeur et l’aspect massif de l’édifice, alors que les plans montraient une silhouette plus traditionnelle, formant un triangle surmonté d’un clocher élancé, et quatre clochetons donnant une impression d‘élévation à l’ensemble. Le portail est plus large avec trois vantaux au lieu de deux, l’ornementation est moins importante. Le rapport différent entre hauteur et largeur produit un aspect plus ramassé. Les ornements évoquant un château fort (créneaux et mâchicoulis) ajoutent encore à cet effet de masse.

Par contre, on retrouve les marches du parvis ornées de deux bacs recevant des végétaux :

La vue latérale montre bien la différence d’aspect entre le plan d’origine et la construction réelle. Le toit du transept prévu est beaucoup plus bas que celui de la nef, la pente de ces toits donne une impression de hauteur qui n’existe plus dans l’édifice final. Par ailleurs, les chapelles latérales prévues à l’entrée de l’église donnaient un relief qui a disparu dans la réalisation effective qui apparaît comme un bloc massif.

A l’intérieur, l’impression est la même : l’architecte semble finalement avoir renforcé l’impression de masse et de sobriété par rapport au projet d’origine. Les piliers définitifs sont plus larges et plus espacés, les ouvertures plus simples :

Par ailleurs, en 1937, les mêmes architectes envoient les plans d’une clôture qui doit longer la rue Marlot prolongée, mais qui n’a jamais été réalisée telle quelle.

Que penser de ces changements de dernière minute ? Sur les plans, l’église semblait prévue en pierres ; elle a finalement été construite en béton recouvert de briques. Les bâtiments annexes n’ont pas été réalisés, ni la clôture. Les différents jardins et espaces plantés non plus. Ceci est peut-être dû au manque de moyens financiers : on trouve de nombreux appels de l’abbé Carissimo au donateurs pour financer l’église. Le journal de Roubaix du 18 février 1935, par exemple, cite l’abbé : je ne puis m’empêcher de penser qu’il suffirait de trouver trois cent personnes donnant un billet de mille francs pour me permettre de commencer tout de suite la nouvelle et belle église dont les plans sont prêts… Peut-être quelqu’un a-t-il des informations à ce sujet, et pourra-t-il répondre à nos interrogations. A vos commentaires !

Le chantier de l’église en construction. On remarque au premier plan la voie de desserte sur le terre-plein de l’avenue Motte, et l’aiguillage d’accès à la gare de débord. On voit aussi sur la droite de la photo que le carrefour avec la rue Jean Macé est pavé, mais que le reste de l’avenue est encore simplement empierré.

Photos Collection particulière. Documents archives municipales