La Marque et l’industrialisation de Hem (suite)

Cela commence donc à nuire à la Marque dont l’eau change de couleur et dont les poissons périssent au grand dam des pêcheurs qui vont s’en plaindre à la municipalité, laquelle leur répond que les 2 teintureries, Gabert et Mulaton, assurent du travail et donc du pain à plus de 1000 ouvriers hémois.

Malgré les plaintes et la création d’un consortium d’assainissement la Marque reste donc un égout à ciel ouvert. Il faut dire que l’émulation des capitaines d’industrie explique aussi souvent l’essor des villes et villages. C’est le cas pour Hem où l’industrie est alors le 1er pourvoyeur d’emploi.

La pollution de la Marque face aux impératifs économiques (Document Au temps d’Hem)

L’usine Gabert fermera ses portes en 1987 et sera démolie pour laisser place en 1990 à une zone d’activités abritant essentiellement des petites et moyennes entreprises du secteur tertiaire. Quant à sa voisine, l’usine Meillassoux elle cessera son activité 10 ans plus tard pour laisser place à un supermarché toujours présent aujourd’hui, après plusieurs changements d’enseigne, à savoir le magasin Carrefour.

Photo aérienne de la zone en 2023 (Document Google Maps)

Plus loin encore au centre d’Hem, dans les années 1920, Rémy Lenfant, fils du dernier tisserand à l’otil, déménage sa teinturerie du Robigeux à Willems, dans la rue du Rivage à Hem. Son évolution constante au fil des décennies : revêtements de sièges et tissus d’ameublement dans les années 1950, investissements lourds avec achat d’autoclaves pour teindre le fil dans les années 1960, nouveaux marchés dans les années 1980 permet à cette teinturerie de passer le cap du vingt et unième siècle.

CPA de l’entreprise Lenfant dans les années 1920 et 1990 (Documents collection privée et Historihem)

Les teintureries ne sont pas les seules usines à avoir besoin d’eau et de nombreuses brasseries, distilleries et sucreries s’installent également le long de la rivière. La teinturerie Lenfant s’est d’ailleurs installée dans les locaux d’une ancienne brasserie : la brasserie du Rivage fondée à la fin du 19ème siècle par Henri Delecroix.

CPA de la brasserie du Rivage au début du vingtième siècle (Documents collection privée)

Dans la rue de Lille, à la Citadelle, au n°125, à compter de la moitié du 19 ème siècle on trouve ainsi l’usine de Victor De Clercq qui deviendra ensuite la manufacture Electra laquelle fabrique et vend des produits industriels et matières premières pour la savonnerie et la production d’ apprêts. Le site accueillera ensuite une cuivrerie puis une pharmacie.

Brasserie de la Citadelle au 19 ème siècle et Manufacture Electra au 20ème (Documents Historihem)

Enfin à l’Hempempont la brasserie Leclercq est installée non loin du pont d’Hempempont. Il s’agit de la première brasserie de Hem, née dès avant la révolution française, devenue Leclercq-Taffin puis brasserie Leclercq Frères et qui perdurera jusqu’aux années 1950-60 (fin de la production dans les années 1950 et fin de la commercialisation dans les années 1960).

Papier à en-tête de la brasserie Leclercq-Taffin et CPA des Ets Leclercq Frères (Documents collection privée)

Dès le 19ème siècle, est installée la sucrerie Agache à Hem. En 1860, le constat est le suivant: ses eaux de lavage s’écoulent directement dans la rivière entrainant avec elles la terre et les radicules des betteraves, ce qui entraine une baisse de qualité évidente de l’eau de la rivière. En 1935, le sucre est toujours fabriqué en bordure de la Marque à l’Hempempont sur le territoire d’Annappes.

La distillerie Desprez, puis Bouche-Lambin, est quant à elle installée au dix neuvième siècle dans la rue de la Vallée, au n°120, non loin de la petite Marque. Elle se compose d’un atelier de fabrication avec une machine à vapeur de 15 à 20 CV et des générateurs, d’une cour et d’un bureau d’entreprise. Au vingtième siècle, elle est reprise par Emile Stauven.

La distillerie en 1919 puis la teinturerie dans les années 1930 (Documents Historihem)

Dans les années 1930, le site de la distillerie abritera à son tour une teinturerie, spécialisée en laine peignée, celle de Mr Grulois qui s’installe dans les bâtiments existants avant de les agrandir. Dans les années 1960, le site est assez imposant au milieu des champs qui l’entourent.

Par la suite des activités diverses s’y succéderont et en 2023 7 entreprises d’activités très diversifiées y sont encore recensées sur Société.com. On y trouve en revanche toujours trace aujourd’hui du bâtiment central de l’ancienne distillerie.

Publicité des Ets Grulois et photo aérienne du site en 1962 et photo aérienne du n°120 en 2023 ou l’on constate, peints en blanc, les vestiges de l’ancienne usine (Document collection privée et Google Maps)

Au Robigeux, route d’Hem à Willems, Henri Duboquet exploite quant à lui la source de la petite Marque à partir de 1900 avec un débit de 26 millions de litres d’eau minérale par an : la Willemoise. Cette eau célèbre a un stand à l’exposition internationale de Tourcoing en 1906 . Elle sera distribuée jusqu’à la fermeture de l’exploitation industrielle en 1983.

La Willemoise au Robigeux au début du 20ème siècle (Documents collection privée et médiathèque des territoires)

Au début du 19ème siècle il existe par ailleurs encore plusieurs carrières de sable à Hem dont celle qu’exploite la famille Leclercq sur ses terres d’Hempempont. Mais à la fin du siècle ce sont les briqueteries qui leur succèdent.

On peut citer la briqueterie Briet dans la rue du même nom et surtout la « Briqueterie de l’Entreprise de Roubaix et ses environs », la briqueterie « dite d’Hem » située rue du Calvaire non loin de la Petite Marque. Sa production cessera en 1999 et elle sera démolie à l’aube du vingt et unième siècle..

Vue aérienne de la briqueterie de Hem en 1933 (Document IGN)

Les briqueteries sont fort heureusement inoffensives pour la rivière à la différence des teintureries et des tanneries et pelleteries véritable calamité pour elle et ses riverains. Or il se trouve qu’à la Citadelle, au 95 rue de Lille, est également installée, à la fin du 19ème siècle, la pelleterie de Mr Billaud.

CPA sur laquelle apparaît sur la droite la pelleterie avec sa grande cheminée et un plan de l’usine de 1908 (Documents Historihem)

En l’espace d’un siècle la petite bourgade de Hem a donc changé de visage et l’industrialisation effrénée du la moitié du 19ème siècle à la moitié du 20ème ont laissé des traces indélébiles à sa rivière tout en participant incontestablement à son essor économique.

En témoigne d’ailleurs le géant choisi par la ville pour la représenter à savoir Gustave le Teinturier, né pour la fête nationale de 1911, remis au goût du jour en 1955 et complétement rénové en 1978 avant ses fiançailles en 1994 avec Augustine la Tisserande.

Gustave le Teinturier en 1911 et en 1994 (Documents Atemem)

Un article sur la Marque, nature et ruralité est à découvrir sur notre site, en complément à celui-ci. Différents articles complets sont également publiés sur notre site concernant les entreprises: brasserie Leclercq, brasserie Delecroix (du Rivage), briqueterie de Hem, teintureries Declercq, Gabert, Meillassoux et Mulaton, Remy Lenfant.

Remerciements à l’association Historihem, à la Ville de Hem, ainsi qu’à Jacquy Delaporte, Christian Tell et Chantal Guillaume pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem et enfin à Paul Delsalle pour son ouvrage sur l’ Histoire de la Vallée de la Marque.

Henri Delecroix

C’est dans l’annuaire de 1893 que le nombre de brasseries à Hem passe de 3 à 5 avec la brasserie d’Henri Delecroix. Né en 1861, de parents cultivateurs, et de santé fragile il passe son enfance sur la côte où il fait ses études. Rentré à Hem il y crée en 1888 une brasserie dotée d’un outillage moderne qui prend rapidement de l’extension dans les environs. Installée rue du Rivage, l’entreprise prend le nom de brasserie du Rivage.

CPA de la brasserie du Rivage (Documents collection privée)
Facture de 1893 (Document Historihem)

Comme la plupart des brasseurs de l’époque Henri Delecroix est propriétaire de plusieurs estaminets sur la commune. Ainsi on peut citer le café brasserie du Rivage situé au coin de la rue du même nom, le Franc Bouleux au 244 rue de Lannoy (actuelle rue Jules Guesde), la Halte au Petit Lannoy, l’Hermitage rue Poivrée (actuelle rue du Général Leclerc), la Paix (au bout de la rue du Cimetière), le Pinson (au coin de la rue de la Vallée et de la rue de Lannoy…

Quelques estaminets appartenant à Henri Delecroix : le Rivage, le Franc-Bouleux, la Paix et le Pinson (Documents collection privée)

Entré au conseil municipal dès 1896, Henri Delecroix est élu maire de la ville (d’Union Républicaine) en mai 1900 et reste à la tête de la commune jusqu’en 1925. Les journaux de l’époque le décrivent comme bienveillant : « il n’est vraiment heureux que lorsqu’il peut donner satisfaction…sincèrement démocrate il accorde toute sollicitude aux humbles, aux travailleurs ». Les caricatures le représentent assez petit mais râblé, cheveux en brosse, belle moustache et barbe en pointe.

Caricature représentant Henri Delecroix et photo des membres du Conseil Municipal (Documents Historihem)

C’est l’époque où est votée la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de Mr Waldeck-Rousseau. Mr Delecroix est de la même tendance républicaine de gauche et répercute donc son programme au plan local, si bien que ses rapports avec les catholiques se durcissent, notamment lorsqu’il réclame la clef de l’église au curé : Edmond Pollet.

Rapports tendus avec le clergé (Document Au Temps d’Hem)

La gestion de l’équipe Delecroix marque la vie municipale d’une très large empreinte sociale (assurance accidents des employés communaux, consultations pour nourrissons, fourniture de livres aux indigents…) Il fait aussi établir avant la 1ère guerre un projet de distribution d’eau potable « sur évier » par la société des Eaux du Nord et met en place un service d’ébouage.

Photos d’Henri Delecroix (Documents Historihem)

Le progrès technique facilite également la vie de tous les jours et un avis favorable est donné par le conseil municipal suite à l’enquête sur la création d’une ligne de tramways électriques à travers Hem. C’est la ligne Roubaix Hem qui entre en service la 1ère suivie de la ligne de Lille à Leers.

La ligne de tramways (Document Au Temps d’Hem)
Document de 1914 (Document Historihem)

En Octobre 1914, avec le début de l’occupation allemande, comme tous les autres maires, Henri Delecroix reçoit un ordre d’évacuation du préfet pour tous les hommes mobilisables encore dans leurs foyers sauf les fonctionnaires qui restent à leur poste. Les vexations journalières commencent et la ville est soumise à un pillage filtré et méthodique qui fait le vide partout.

Des ouvriers hémois sont incorporés de force dans des bataillons civils et expédiés dans les Ardennes pour du travail obligatoire pour les occupants. L’autorité allemande ajoute à la déportation des hommes celle des femmes, expédiées dans les villages désertés des Ardennes ou réquisitionnées pour la moisson.

 Jeunes hommes déportés et jeunes filles d’Hempempont réquisitionnées pour la moisson (Documents Hem d’hier et d’aujourd’hui)

La commune doit quant à elle subvenir au logement, au bien-être et à la nourriture de l’ennemi. La population est réquisitionnée à tout moment pour travailler suivant le bon vouloir des allemands et ne peut pas quitter la ville comme elle le veut. La commune fournit chaque jour du bois à brûler aux troupes allemandes. En revanche, les écoles et les églises ne peuvent pas être chauffées.

Avertissement et appel à la population (Documents Hem d’hier et d’aujourd’hui)

4 ans plus tard les troupes allemandes évacuent et en décembre 1918, Henri Delecroix peut réunir son conseil municipal. Le conseil a la possibilité d’ ouvrir à nouveau les dossiers laissés pour compte pendant la guerre et de prévoir un budget spécial pour faire face à toutes les dépenses concernant les dommages de guerre avec une aide préfectorale.

Au début des années 1920, le projet relatif à l’établissement de la distribution d’eau potable dans toute la commune est relancé et en 1926 les canalisations sont implantées et 22 bornes fontaines installées. Puis c’est l’éclairage public de la commune qui est soumis au vote du conseil municipal et l’installation du réseau d’électricité pour tous usages dans la commune est réalisée par la société Tricoit de Lannoy.

Borne fontaine (Document Hem mille ans d’histoire et document au temps d’Hem)

Puis, en 1925, Henri Delecroix perd son mandat de maire au profit de Julien Lallart. Il décède en 1933 d’une longue maladie à son domicile, 11 place Verte (actuelle place de la République).

Domicile de Henri Delecroix sur la place d’Hem (Document Historihem) et photo aérienne de la demeure en 2020 (Document Google Maps)

A suivre…

Remerciements à l’association Historihem, André Camion et Jacquy Delaporte pour leurs ouvrages Hem d’hier et d’aujourd’hui et Hem 1000 ans d’histoire ainsi qu’à Jacquy Delaporte, Christian Teel et Chantal Guillaume  pour leur bande dessinée Au Temps d’Hem